Skip to main content

Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

1 resultats
P/18719/2019

AARP/410/2023 du 13.11.2023 sur JTDP/528/2023 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : ABUS D'AUTORITÉ;IN DUBIO PRO REO;ENTRAVE À L'ACTION PÉNALE
Normes : CP.305.al1; CP.312; cpp.10
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/18719/2019 AARP/410/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 13 novembre 2023

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

 

appelant,

 

contre le jugement JTDP/528/2023 rendu le 5 mai 2023 par le Tribunal de police,

 

et

A______, p.a. police, case postale 236, 1211 Genève 8, comparant par Me B______, avocat, c/o [Etude] C______,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, le Ministère public (MP) appelle du jugement JTDP/528/2023 du 5 mai 2023, par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté A______ d'entrave à l'action pénale (art. 305 al. 1 du Code pénal [CP]) et d'abus d'autorité (art. 312 CP) et a condamné l'État de Genève à lui verser une indemnité de CHF 6'625.65 à titre de dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 lit. a CPP), frais à la charge de l'État (art. 423 al. 1 CPP).

Le MP entreprend intégralement ce jugement, concluant à ce que A______ soit reconnu coupable de l'intégralité des infractions reprochées et à ce qu'il soit condamné, sous suite de frais et dépens, à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 190.-, avec sursis durant trois ans, et à une amende de CHF 1'140.- à titre de sanction immédiate, assortie d'une peine privative de liberté de substitution de six jours.

b. Selon l'ordonnance pénale du 17 juin 2022, tenant lieu d'acte d'accusation, il est reproché à A______ d'avoir, dans les jours qui ont suivi le 18 février 2016, en sa qualité de policier et sur demande de son collègue D______, annulé l'amende d'ordre n° 1______ infligée le 18 février 2016 au détenteur du véhicule immatriculé GE 3______, soit E______.

B. Les faits de la cause ne sont pas contestés par l’appelant et peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale suisse [CPP]).

a. À la suite de l'arrestation de E______, le 14 février 2019, son téléphone portable a été saisi et analysé. Ces extractions ont permis de mettre en évidence notamment que le 18 février 2016, E______ a adressé le message WhatsApp suivant à D______: "Salut ça va? Te jure j'y crois pas! A 21h15. Est-ce Que tu connais?" en joignant deux photographies d'une amende d'ordre sur lesquelles il était mentionné la date du 18 février 2016 à 21h15, la rue 2______ (face au n° ______), l'immatriculation GE 3______, le code de l'amende 238.1 (stationner sur une surface interdite au trafic) et le matricule 4______. D______ a répondu "oui il est dans mon groupe" puis: "Je fais le nécessaire".

b. Le matricule 4______ correspond à A______, soit le policier verbalisateur. L’enquête a permis de déterminer que celui-ci n’avait aucun lien avec E______, avec lequel il n’avait eu que quelques contacts à caractère strictement professionnel.

c. À une date indéterminée, l'amende d'ordre a été transmise au service des contraventions (SDC) ; elle comporte deux traits tracés à la main en diagonale avec la mention "annulée".

d. Lors de son audition à la police le 30 août 2019 puis au MP le 2 décembre 2021, A______ ne se souvenait pas de cette amende d'ordre ni du fait que son collègue lui ait demandé de l'annuler. Dans l'hypothèse où il aurait annulé l'amende, une raison valable le justifiait, comme par exemple le fait que le véhicule ait été déplacé. Il n'en avait pas référé à son supérieur car il ignorait qu'il s'agissait de la procédure à suivre.

e. D______ a confirmé avoir demandé à A______ d'annuler l'amende d'ordre du 18 février 2016, mais ignorer si ce dernier l'avait fait. Il ne se souvenait pas des circonstances mais a admis qu’il était possible qu’il ait été mu par son amitié pour E______.

Il a été condamné par ordonnance pénale du MP le 17 juin 2022, notamment pour ces faits qualifiés d'instigation à entrave à l'action pénale et d’abus d’autorité. Il n’y a pas fait opposition.

f. Devant le TP, A______ n’avait pas plus de souvenir des faits. Il n’a pas contesté que D______, qui était un collègue avec plus d'ancienneté, ait pu lui demander d'annuler l'amende d'ordre. Il ne se souvenait a fortiori pas des motifs de cette annulation. Il ne pouvait y avoir procédé que si des motifs sérieux lui avaient été donnés. À l'époque des faits, il était jeune et avait terminé ses stages depuis peu. Il n'avait par ailleurs pas fait l'objet d'une sanction disciplinaire suite à l'enquête interne ouverte à son encontre, la procédure ayant été classée sans suite.

C. a. Aux débats d’appel, A______ a persisté dans ses explications. Au moment des faits, il venait de terminer son stage. Même s’il n’avait aucun souvenir de l'amende en question, il avait dû passer par son chef de groupe pour l’annuler. À son souvenir en effet, [au quartier] F______, à l'époque, toutes les amendes des jeunes gendarmes étaient vérifiées par le chef de groupe. Si dans le cas d'espèce il avait mis deux traits et inscrit la mention "annulée", on lui avait sans doute dit de procéder ainsi pour l'annulation. C’était certainement passé par son chef de groupe.

Les amendes étaient délivrées depuis un carnet nominatif détenu par chaque gendarme. Outre l’exemplaire apposé sur le véhicule, deux copies demeuraient dans ce carnet et faisaient l'objet d'une vérification lorsque celui-ci était restitué à la hiérarchie. Une troisième copie était déposée dans un bac à l'attention des cadres du poste, qui l’enregistraient une première fois dans le système informatique et la transmettaient à la Brigade Judiciaire et Radar (BJR), qui l’enregistrait à nouveau avant de la transmettre au SDC. Il n’avait pas dû faire de note puisqu’il n’avait pas souvenir que l'amende avait été annulée. L'ordre de service ne prévoyait la nécessité de faire une note qu'au besoin. Le formulaire avec la mention manuscrite "annulée" suivait le même chemin qu'une amende valable, sans explication quant au motif de l'annulation. Il n’avait eu aucun contact avec le SDC.

Il n’avait fait annuler qu’une amende d’ordre dans sa carrière, soit celle en cause dans la présente procédure, ayant ensuite rejoint une brigade spécialisée.

b. Le MP a persisté dans les conclusions de son appel. Le législateur avait voulu que la procédure d’amende d’ordre soit simple et facile, mais il était d’autant plus difficile de s’assurer qu’il n’y ait pas d’abus. Il était admissible qu’un gendarme procède à l’annulation d’une contravention apposée par ses soins, s’il constatait ensuite que l’infraction n’avait pas à être sanctionnée, par exemple, dans le cadre d’une infraction de stationnement, si le conducteur déplaçait immédiatement son véhicule, s’il démontrait avoir stationné brièvement dans un but de chargement ou de déchargement, ou encore s’il présentait un handicap expliquant un stationnement. Un tel motif devait néanmoins être constaté exclusivement par l’agent verbalisateur.

Le prévenu avait apposé une amende sur le véhicule de E______ qui s’en était plaint auprès du gendarme D______, échange à la suite duquel l’amende avait été annulée. Le contenu de l’échange entre les deux gendarmes n’était pas connu mais c’était bien à la demande de l’un que l’autre avait annulé l’amende en la biffant. Il s’agissait objectivement d’une annulation de complaisance ; le gendarme D______ avait été sanctionné pour cela et n’avait pas contesté sa condamnation.

Il n’y avait pas eu de processus particulier d’annulation, le prévenu avait juste annulé l’amende d’ordre, sans s’attendre à ce qu’on lui demande des explications. Il était illusoire d’imaginer qu’il y avait un quelconque contrôle de l’annulation ; un éventuel contrôle portait sur la bien facture de l’amende, mais il n’y avait eu aucun autre.

Le fait de biffer l’amende, en qualité de gendarme, était objectivement constitutif d’infraction aux articles 305 et 320 CP ; il n’était pas envisageable de se trouver dans une circonstance où un collègue demandait une telle annulation valablement. On devait exclure que le gendarme D______ ait pu donner le moindre motif permettant de procéder légitimement à cette annulation, lequel devait être constaté personnellement et exclusivement par l’agent verbalisateur.

c. Par la voix de son Conseil, A______ conclut à son acquittement en confirmation du jugement entrepris. Il n’avait commis ni faute disciplinaire ni faute pénale. Son collègue plus âgé était en relation avec E______, ce qui n’était pas son cas. Le prévenu n’avait aucun souvenir mais venait de sortir de l’école et voulait bien agir ; il avait agi de bonne foi et n’aurait jamais accepté d’annuler une amende pour plaire à un collègue. Rien ne permettait de retenir qu’il n’y avait aucune vérification au sein du poste ; l’affirmation contraire du MP était gratuite.

Les hypothèses et conjectures du MP ne permettaient pas de retenir une quelconque culpabilité. Il n’aurait pas agi par complaisance, surtout au vu des contrôles mis en place au sein du poste. Il n’avait au surplus aucun dessein de procurer un avantage illicite ni aucune conscience de commettre quelque chose de faux et encore moins de volonté de le faire.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Selon l'art. 10 CPP, toute personne est présumée innocente tant qu'elle n'est pas condamnée par un jugement entré en force (al. 1). Le tribunal apprécie librement les preuves recueillies selon l'intime conviction qu'il retire de l'ensemble de la procédure (al. 2). Lorsque subsistent des doutes insurmontables quant aux éléments factuels justifiant une condamnation, le tribunal se fonde sur l'état de fait le plus favorable au prévenu (al. 3).

Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, également garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) et par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.), concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2. Se rend coupable d'entrave à l'action pénale, au sens de l'art. 305 al. 1 CP, quiconque soustrait une personne, au moins temporairement, à l'action de la justice pénale, qu'il s'agisse de la poursuite pénale ou de l'exécution des peines et mesures.

Il s’agit d’une infraction de résultat qui n'est consommée que si le comportement adopté a eu pour effet de soustraire la personne à l'action de la justice au moins durant un certain temps, par exemple en retardant son arrestation (ATF 141 IV 459 consid. 4.2). Dans tous les cas, il faut démontrer que le fugitif, le prévenu ou l'auteur a été soustrait durant un certain temps à l'action de la police du fait du prétendu fauteur (ATF 129 IV 138 consid. 2.1).

La soustraction peut aussi être commise par abstention, à la condition que l'auteur ait une obligation juridique d'agir en raison d'une position de garant. Occupe une position de garant celui qui a une obligation particulière de collaborer à l'administration de la justice pénale, notamment en raison de sa fonction (cf. art. 302 al. 1 CPP), comme par exemple un garde-chasse (ATF 141 IV 459 consid. 4.2) ou un policier (ATF 109 IV 46 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1176/2015 du 23 novembre 2016 consid. 1.3).

L'infraction est intentionnelle mais le dol éventuel suffit (ATF 103 IV 98 consid. 2). Il faut que l'auteur sache ou accepte l'éventualité qu'une personne est exposée à une poursuite pénale et qu'il adopte volontairement un comportement dont il sait qu'il est de nature à soustraire la personne, au moins temporairement, à l'action de l'autorité pénale. Il n'est pas nécessaire que l'auteur ait pour but d'entraver ou de retarder l'action de l'autorité (ATF 114 IV 36 consid. 2a). Il importe peu que l'auteur pense que la personne favorisée est coupable ou innocente (M. DUPUIS / B. GELLER / G. MONNIER / L. MOREILLON / C. PIGUET / C. BETTEX / D. STOLL [éds], Code pénal - Petit commentaire, 2012, n. 27 s. ad art. 305 ; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 2010, n. 43 ad art. 305).

La notion de poursuite pénale n'est pas délimitée en fonction de l'infraction en cause; il peut donc aussi s'agir d'une poursuite pour une simple contravention. Dans cette situation, le juge devrait cependant tenir compte de la gravité de l'infraction commise par la personne favorisée pour apprécier la faute dans le cadre général de la fixation de la peine. L'infraction d'entrave ne devrait ainsi pas être punie plus sévèrement que le serait la personne favorisée (ATF 141 IV 459 consid. 4.2; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 39 ad art. 305).

2.3. L'art. 312 CP réprime le fait pour un membre d'une autorité ou un fonctionnaire d'abuser des pouvoirs de sa charge dans le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou de nuire à autrui.

L'abus d'autorité est l'emploi de pouvoirs officiels dans un but contraire à celui recherché. Cette disposition protège, d'une part, l'intérêt de l'État à disposer de fonctionnaires loyaux qui utilisent les pouvoirs qui leur ont été conférés en ayant conscience de leur devoir et, d'autre part, l'intérêt des citoyens à ne pas être exposés à un déploiement de puissance étatique incontrôlé et arbitraire (ATF 127 IV 209 consid. 1b).

Sur le plan objectif, l'infraction réprimée par cette disposition suppose que l'auteur soit un membre d'une autorité ou un fonctionnaire au sens de l'art. 110 al. 3 CP, qu'il ait agi dans l'accomplissement de sa tâche officielle et qu'il ait abusé des pouvoirs inhérents à cette tâche. Cette dernière condition est réalisée lorsque l'auteur use illicitement des pouvoirs qu'il détient de sa charge, c'est-à-dire lorsqu'il décide ou contraint en vertu de sa charge officielle dans un cas où il ne lui était pas permis de le faire (ATF 127 IV 209 consid. 1a/aa; 114 IV 41 consid. 2; 113 IV 29 consid. 1).

Du point de vue subjectif, l'infraction suppose un comportement intentionnel, au moins sous la forme du dol éventuel, ainsi qu'un dessein spécial, qui peut se présenter sous deux formes alternatives, soit le dessein de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite ou le dessein de nuire à autrui (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1012/2017 du 23 mars 2018 consid. 1.1 ; 6B_138/2017 du 19 juillet 2017 consid. 3.2). Ce dessein ne vise pas le but ultime de l'auteur, mais tous les effets de son attitude qu'il a voulus ou acceptés (ATF 113 IV 29 consid. 1).

2.4. Selon l'instruction de service 12/2013 du 25 septembre 2013 intitulée "Suivi et annulation des amendes d'ordre LCR (AO)" établie par le Commandant de la gendarmerie, l'annulation ou la renonciation à une amende d'ordre doit obéir exclusivement à un critère découlant du droit pénal. La renonciation à délivrer une amende d'ordre ne doit donc pas résulter du simple arbitraire ou d'une complaisance portant atteinte à l'égalité de traitement. Seul le service des contraventions, organe de poursuite pénale, est compétent pour annuler une amende d'ordre sur proposition des chefs de service ou sur proposition de l'agent verbalisateur, via sa hiérarchie.

2.5. En l'espèce, le prévenu, policier en fonction, a fait en sorte qu’une amende qu’il avait apposée soit annulée. La manière dont il a procédé (directement, comme il semble l’avoir initialement déclaré, ou en sollicitant formellement ou informellement son chef de groupe, comme il l’a ensuite soutenu) souffre, compte tenu des éléments ci-après, de demeurer indécise.

L’annulation d’une amende d’ordre met un terme à la poursuite pénale et constitue donc, objectivement, un obstacle à celle-ci. Pour être constitutive d’entrave à l’action pénale, au sens de l’art. 305 CP, l’annulation doit toutefois être illégitime ; l’agent verbalisateur doit pouvoir disposer, comme le soutient d’ailleurs l’accusation, d’une certaine marge de manœuvre pour procéder à une telle annulation, en cas de circonstances le conduisant à retenir l’absence d’infraction.

En l’espèce, l’annulation est intervenue suite à la demande du contrevenant, adressée à une connaissance gendarme, sans motif particulier. Ledit gendarme a d’ailleurs admis être intervenu par complaisance et avoir demandé à l’agent verbalisateur d’annuler la contravention. Il n’a donné aucune explication sur l’échange intervenu avec son collègue, n’ayant qu’un vague souvenir des faits. Cette absence de mémoire des faits, chez les deux policiers concernés, plaide plutôt pour un fait banal, ne sortant pas de l’ordinaire.

En l’absence de toute information à ce sujet, la CPAR se trouve confrontée à deux versions contradictoires. Soit le prévenu, comme le soutient le MP, a agi par complaisance ; soit, comme le soutient la défense, il a annulé la contravention parce que son collègue lui a présenté un motif valable, quel qu’il soit. Contrairement à ce que soutient le MP, il est à cet égard parfaitement plausible qu’un collègue de l’agent verbalisateur soit récipiendaire d’un tel motif, par exemple lorsqu’un conducteur se présente au poste de police pour justifier d’une excuse valable.

Aucun élément supplémentaire n’a été recueilli à ce sujet. En particulier, le gendarme complaisant n’a donné aucune explication et n’a pas été spécifiquement interrogé sur ce point, pas plus que le contrevenant lui-même.

Aucune investigation n’a été menée quant au processus de vérification, qui est avéré, les multiples souches du carnet de contravention servant notamment cet objet (une seule copie étant suffisante s’il s’était uniquement agi d’assurer la transmission de l’information au SDC). L’accusation ne conteste pas l’existence de ce processus, se contentant d’affirmer qu’il n’est pas efficace, sans toutefois en faire la démonstration. Le fait qu’un processus de contrôle soit mis en place est néanmoins de nature à faire obstacle à la complaisance et à réfréner toute velléité d’un agent de protéger indûment un justiciable, de crainte qu’un tel acte soit sanctionné lors d’un contrôle subséquent. Le prévenu, jeune gendarme, n’avait certainement pas de raison de douter de la réalité du contrôle de sa hiérarchie et devait donc avoir d’autant plus à cœur de respecter ses obligations.

L’absence de toute sanction disciplinaire, alors que les faits ont été dénoncés à sa hiérarchie, tend à conforter la bonne foi du prévenu. On ne voit en effet pas que la police tolère que l’un de ses agents soustraie un justiciable à la sanction par complaisance.

Contrairement à son collègue, le prévenu n’avait de surcroît aucun lien avec le contrevenant. Rien ne permet de retenir qu’il connaissait son identité et il n’a pas été destinataire d’un quelconque message de celui-ci en lien avec l’amende d’ordre en question. Il n’est pas non plus imaginable, sauf à violer la présomption d’innocence, de retenir qu’un policier en fonction serait susceptible d’annuler une amende sur simple demande non motivée d’un collègue, ce d’autant plus en l’espèce qu’il s’agit d’un cas unique.

Dans ces circonstances, et conformément au principe in dubio pro reo, confrontée à deux versions contradictoires également probables (à tout le moins), il n’est pas possible pour la CPAR de retenir que le prévenu a agi par complaisance. Le MP, qui supporte le fardeau de la preuve, n’en a pas fait la démonstration et l’acquittement du prévenu doit donc être confirmé.

2.6. Ce qui précède vaut, mutatis mutandis, pour l’abus d’autorité dénoncé. Dans la mesure où, dans le respect de la présomption d’innocence, la CPAR retient que le prévenu a agi sur la base d’une explication justifiant l’annulation de l’amende d’ordre, il a été mû par un motif valable et n’a donc pas abusé des devoirs de sa charge.

L’appel du MP doit ainsi être intégralement rejeté et l’acquittement prononcé par le premier juge confirmé.

3. 3.1. L'art. 429 al. 1 let. a CPP prévoit que s'il est acquitté totalement ou en partie ou s'il bénéficie d'une ordonnance de classement, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail, et donc les honoraires, étaient ainsi justifiés (ATF 142 IV 45 consid. 2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.1 ; 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1 ; 6B_2/2021 du 25 juin 2021 consid. 1.1.2). L'État doit en principe indemniser la totalité des frais de défense, ceux-ci devant toutefois demeurer raisonnables compte tenu de la complexité et de la difficulté de l'affaire (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.2 ; 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1 ; 6B_230/2021 du 17 novembre 2021 consid. 1.1).

L'indemnité doit correspondre au tarif usuel du barreau applicable dans le canton où la procédure se déroule ; l'État n'est pas lié par une convention d'honoraires passée entre le prévenu et son avocat (ATF 142 IV 163 consid. 3.1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_380/2021 du 21 juin 2022 consid. 2.2.2). Bien que le canton de Genève ne connaisse pas de tarif officiel des avocats, il n'en a pas moins posé, à l'art. 34 de la loi sur la profession d'avocat (LPAv), les principes généraux devant présider à la fixation des honoraires, qui doivent en particulier être arrêtés compte tenu du travail effectué, de la complexité et de l'importance de l'affaire, de la responsabilité assumée, du résultat obtenu et de la situation du client. La Cour de justice applique ainsi un tarif horaire maximal de CHF 450.- pour les chefs d'étude (AARP/79/2023 du 15 mars 2023 consid. 4.1 ; AARP/357/2022 du 16 novembre 2022 consid. 6.1 ; AARP/347/2022 du 16 novembre 2022 consid. 2.1).

3.2. En l’espèce, le prévenu conclut à l'indemnisation de ses frais de défense à raison de trois heures d’activité de son avocat, durée de l’audience d’appel (1h25) en sus. Cette activité paraît adéquate et proportionnée ; l’indemnité sollicitée, par CHF 2'140.55 (4h25 à CHF 450.- plus la TVA au taux de 7.7%) sera par conséquent allouée.

4. Vu l'issue de la procédure, les frais d'appel seront laissés à la charge de l'Etat (art. 428 CPP).

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Reçoit l'appel formé par le Ministère public contre le jugement JTDP/528/2023 rendu le 5 mai 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/18719/2019.

Le rejette.

Laisse les frais de la procédure d’appel à la charge de l’État.

Alloue à A______ une indemnité de CHF 2'140.55 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure en appel.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant

"Acquitte A______ d'entrave à l'action pénale (art. 305 al. 1 CP) et d'abus d'autorité (art. 312 CP).

Condamne l'Etat de Genève à verser à A______ CHF 6'625.65 à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 lit. a CPP).

Laisse les frais de la procédure à la charge de l'Etat (art. 423 al. 1 CPP)."

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.