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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/10196/2017

AARP/364/2023 du 03.10.2023 sur JTCO/70/2020 ( PENAL ) , REJETE

Descripteurs : TENTATIVE(DROIT PÉNAL);MEURTRE;DOL ÉVENTUEL;LÉGITIME DÉFENSE;ÉTAT DE NÉCESSITÉ;MISE EN DANGER DE LA VIE D'AUTRUI(ART. 129 CP);ABSENCE DE SCRUPULES
Normes : CP.111; CP.129; CP.22; CP.12; CP.15; CP.16; CP.18
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10196/2017 AARP/364/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 3 octobre 2023

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

appelant,

 

contre le jugement JTCO/70/2020 rendu le 2 juin 2020 par le Tribunal correctionnel,

 

et

A______, p.a. B______ SA, ______ [VD], comparant par MC______, avocat,

intimé.


statuant à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_418/2021 du 7 avril 2022 admettant partiellement le recours du Ministère public contre l'arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision AARP/62/2021 du 3 mars 2021.


EN FAIT :

A. a. Selon l'acte d'accusation du 27 novembre 2017, il est encore reproché ce qui suit à A______, agent de sécurité :

Le samedi 13 mai 2017, vers 10h45, il a pourchassé dans la rue deux individus qui venaient de braquer une bijouterie et s'apprêtaient à prendre la fuite avec un scooter. Après leur avoir crié de s'arrêter et de se coucher, il a dirigé son pistolet vers eux, tandis qu'un des malfrats, D______, pointait son revolver sur lui.

Un échange de coups de feu est alors intervenu, lors duquel A______ a tiré à 13 reprises en visant les individus, dans le but d'empêcher leur fuite, mais aussi de les tuer, ou à tout le moins en envisageant la possibilité de les toucher, de les tuer ou de les blesser gravement, et en acceptant que de telles conséquences puissent survenir.

Ce faisant, vu le lieu et l'heure, qui impliquaient que de nombreux passants marchaient ou étaient susceptibles de déambuler, il a agi sans scrupules, en sachant que ses actes mettaient concrètement en danger la vie de tiers, vu la trajectoire des tirs et les possibles ricochets.

b.a. Par jugement du 2 juin 2020, le Tribunal correctionnel (TCO) a notamment acquitté A______ des chefs de tentative de meurtre (art. 22 cum 111 du code pénal suisse [CP]) et de mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP) et a condamné l'État de Genève à lui verser CHF 60'907.31 à titre d'indemnité pour ses frais d'avocat.

Il a, en particulier, retenu que l'agent de sécurité avait intentionnellement tiré dans une zone neutre et pouvait en toute hypothèse se prévaloir d'un état de légitime défense, ou à tout le moins d'un état excusable d'excitation ou de saisissement causé par l'attaque au sens de l'art. 16 al. 2 CP.

b.b. D______ a été reconnu coupable de tentative de meurtre, de mise en danger de la vie d'autrui et de dommages à la propriété, pour avoir tiré en direction de A______, dans une rue fréquentée.

c. Par arrêt du 3 mars 2021 (AARP/62/2021), la Chambre d'appel et de révision (CPAR) a rejeté les appels formés par D______ et le Ministère public (MP), condamné le premier à la moitié des frais de la procédure d'appel, arrêtés à CHF 5'295.-, et A______ à 10% de ceux-ci, et alloué à ce dernier CHF 12'731.75 à titre d'indemnité pour ses frais d'avocat afférents à la procédure d'appel, partiellement compensés avec la part des frais mise à sa charge.

Au terme d'une analyse des quatre phases du déroulement des événements (déplacement des protagonistes jusque dans la rue où les tirs étaient intervenus ; première confrontation ; échange alors que les tireurs s'étaient mis à couvert ; fin de l'échange), retenant que celui-ci avait été très rapide, la CPAR a conclu qu'il n'était pas possible d'identifier qui avait tiré le premier. Selon la version la plus favorable, A______ avait riposté à un premier tir, veillant toujours à ne pas atteindre son opposant ou son comparse, ce qui excluait la tentative de meurtre. Par ailleurs, si ses tirs avaient mis en danger ledit comparse, il était difficile d'admettre, sur le plan subjectif, qu'il avait agi "sans scrupules", même si le danger n'aurait peut-être pas pu être qualifié de suffisamment imminent pour justifier l'application de l'art. 15 CP.

d. Par arrêt 6B_418/2021 du 7 avril 2022, le Tribunal fédéral (TF) a partiellement admis le recours formé par le MP, annulé l'arrêt querellé et renvoyé la cause à la CPAR pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Dans le cadre de la première confrontation, la Cour cantonale ne pouvait faire l'économie de l'appréciation de l'impact de balle, signalé sur le croquis de la scène établi par la Brigade de police technique et scientifique (BPTS), à la place 1______, à proximité de l'entrée de la boutique "E______" (C-329). Au cas où celui-ci pourrait être attribué à un tir de A______, il conviendrait en effet d'en tenir compte pour déterminer les zones visées par ce dernier.

La Cour cantonale n'avait pas non plus identifié, dans le cadre de son analyse de la phase suivante, la hauteur des impacts de balle dans les scooters endommagés (en particulier dans le top case de l'un d'eux, cf. C-261) et n'en avait tiré aucune conclusion circonstanciée. L'arrêt ne précisait pas la distance qui séparait A______ des braqueurs et ne se prononçait ni sur la manière de tirer du prévenu (à une main), ni sur les constatations du rapport de police, selon lequel "les protagonistes se sont pris pour cible sur au moins une partie des coups tirés (..). Les trajectoires possibles en fonction des impacts observés demeurent horizontales, et en direction de l'opposant". La CPAR n'avait en particulier pas relativisé les conclusions de la BPTS concernant la cible visée par A______ (C-372), ni n'avait examiné les règles, usages et directives, connus de A______, prévalant en matière de tir au pistolet, en particulier pour les professionnels de la sécurité. Or, il n'était pas possible de déterminer l'endroit précis visé par l'intéressé, la probabilité, connue de ce dernier, de la réalisation du risque de blessure mortelle au détriment des braqueurs, ainsi que son devoir de prudence, sans prendre en considération l'ensemble de ces facteurs extérieurs, qui étaient essentiels à l'établissement de ce que A______ avait envisagé et accepté lorsqu'il avait tiré.

La CPAR avait également retenu que, durant la dernière phase, A______ avait tiré "en direction du scooter" que les deux malfrats tentaient de démarrer, sans indiquer la distance séparant les protagonistes et la position, ni les mouvements des braqueurs. Elle ne tirait pas non plus, sur ces derniers points, de conclusion circonstanciée de l'enregistrement vidéo du témoin F______. Or, pour établir le contenu de la pensée de A______ quant au risque de blesser mortellement, la CPAR devait examiner l'ensemble de ces éléments extérieurs révélateurs, et prendre en compte les règles en matière de tirs ainsi que l'expérience et les compétences de l'intéressé dans le domaine ; elle ne pouvait dans tous les cas pas se satisfaire des éléments qu'elle avait retenus pour conclure qu'il n'avait visé que la roue arrière du scooter et refusé de blesser mortellement les braqueurs.

Il appartiendrait, le cas échéant, à la CPAR de déterminer si, et dans quelle mesure, les conditions de la légitime défense, dont se prévalait le prévenu, étaient réalisées et, selon l'issue, d'apprécier les faits nouvellement établis sous l'angle de la mise en danger de la vie des braqueurs.

La CPAR avait en revanche jugé à juste titre que la vie de tiers n'avait pas été mise en danger, dès lors qu'une palissade était dressée derrière les braqueurs (créant ainsi un obstacle entre le tireur et l'extrémité de la rue), que A______ avait crié à plusieurs reprises "couchez-vous" et que la bijoutière et les autres personnes présentes s'étaient réfugiées dans la boutique "E______". En tout état, l'élément constitutif subjectif de l'art. 129 CP n'était pas réalisé, en ce qui concernait les tiers.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. La bijouterie "G______" est sise no. ______, rue 2______ à Genève. Elle est intégrée dans un ensemble d'immeubles qui donne, à l'arrière, sur la rue 3______. Celle-ci s'étend sur une centaine de mètres de la place 1______ et la rue 4______, dans la continuité du pont 1______, à la place 5______ (devenue depuis lors place 5______) et la rue 6______, dans la continuité du pont 7______.

Les places 1______ et 5______ étant surélevées par rapport à la rue 3______, barrée aux deux extrémités par des trottoirs, les véhicules ne peuvent y accéder que par la rue 8______, qui y débouche à équidistance entre les deux places, côté gare.

Le "H______" est sis au no.______, rue 3______, côté gare, à proximité de la place 1______. À l'époque des faits, une terrasse, protégée par une palissade en verre, s'étendait en travers de la rue, d'un trottoir à l'autre. À quelques mètres, du même côté de la chaussée, se trouvaient tout d'abord quatre places de stationnement pour scooters, puis des arceaux pour vélos (cf. rapport police du 21.11.22 p. 3).

Le jour des faits, un container à poubelles et une chaise étaient entreposés sur le trottoir, contre le mur du bâtiment, à la hauteur des places pour scooter (cf. vidéo F______, C-28).

b. A______ a effectué son service militaire en France de 1984 à 1986 au sein de la gendarmerie, dans un peloton de surveillance et d'intervention. De 1994 à 2016, il a été réserviste, ce qui impliquait d'effectuer, environ quatre à cinq mois par année, des missions pour la gendarmerie française. Il est titulaire d'un diplôme d'agent de police judiciaire adjoint délivré en France en 2009.

Depuis juin 2013, il est employé comme agent de sécurité par la société B______, tant pour des missions de transport et de convoyage de fonds, que pour la surveillance de sites ou l'escorte de personnes. Il est au bénéfice d'un permis de port d'arme depuis le 18 novembre 2014 et possède, comme arme de service, un I______ de calibre 9 mm.

Dans le cadre de cet emploi, il a bénéficié de plusieurs modules de formation, portant entre autres sur les notions de légitime défense et d'état de nécessité licite, ainsi que sur les comportements à adopter face à différentes situations, pour lesquels il a obtenu des notes comprises entre 4.7 et 5.1 sur 6. Sa moyenne aux tests concordataires passés à quatre reprises entre 2013 et 2018 a été de 5.03. L'appréciation à l'issue de ses entretiens d'évaluation annuels a été "bonne" jusqu'aux événements objet de la présente procédure, qui l'on beaucoup perturbé. Le dernier d'entre eux, établi le 10 mars 2017, relevait son dévouement, sa fiabilité et ses connaissances du travail.

Ses résultats aux tirs à balles réelles, auxquels il s'est régulièrement soumis, ont été qualifiés à dix reprises de "bons" par les instructeurs, le collaborateur remplissant pleinement les conditions pour travailler armé. Le nombre de coups tirés à chaque session était compris entre 50 et 100.

À l'époque des faits, il était détaché auprès de la bijouterie "G______". Son activité impliquait notamment qu'il s'occupe de l'ouverture de la boutique, à 10h00, puis se présente à nouveau à 12h15 pour la fermeture durant la pause de midi.

c. Le samedi 13 mai 2017, vers 10h45, alors que A______ était parti depuis environ un quart d'heure, D______ et K______ se sont introduits dans la bijouterie. Le premier a menacé la bijoutière et la vendeuse d'un revolver J______ calibre 44 ______ chargé de six balles et s'est ainsi fait remettre un butin d'une valeur totale d'environ CHF 658'580.-. Il a ensuite pris la fuite avec son comparse, en tournant à gauche en direction de la place 1______, puis encore à gauche dans la rue 3______, où était stationné leur scooter, vers la palissade en verre du "H______".

La bijoutière, L______, ainsi qu'un passant, M______, se sont lancés à la poursuite des braqueurs et sont arrivés à l'angle de la palissade du "H______" alors que K______ était monté sur le scooter, sur lequel leurs sacs étaient posés, et que D______ s'apprêtait à en faire autant. Sentant une présence derrière lui, ce dernier a ressorti son arme, s'est retourné et en a menacé ses poursuivants, en leur intimant l'ordre de s'arrêter ; il s'est par ailleurs rapproché de la bijoutière et a fait un geste interprété par les témoins comme une tentative de la saisir, ce qui l'a incitée, elle et son compagnon de route, à prendre la fuite pour se mettre à l'abri.

d. Dans l'intervalle, alerté du déclenchement de l'alarme agression de la boutique, A______, qui se trouvait dans les Rues-Basses, est revenu en courant, accompagné d'un collègue, par le pont 7______ et, voyant la bijoutière courir derrière les malfrats, a décidé de les prendre à revers depuis la place 5______.

Un échange de tirs a suivi entre les protagonistes dans la rue 3______ : D______ a tiré quatre coups en direction de A______, lequel a tiré 13 coups en direction des braqueurs, étant précisé qu'au moment de la saisie de l'arme de l'agent de sécurité, une cartouche était chambrée et 15 autres se trouvaient dans le magasin engagé.

e. Selon les rapports de la police des 9 et 20 janvier 2018, des traces de l'échange de tir étaient observables dans toute la rue, le long de laquelle 27 douilles ou fragments de projectiles ont été retrouvés, dont 12 à la hauteur du carrefour entre les rues 3______ et 8______ (C-267ss).

e.a. Les tirs de D______ ont notamment atteint : à deux reprises une enseigne sise en hauteur, à l'angle de l'immeuble sis rues 3______ et 8______ ; le pare-chocs avant gauche de la voiture que N______ avait parquée dans la rue 3______, côté gare, vers la place 5______ (au moins un projectile ou impact de projectile) ; le tronc d'un arbre planté sur la place 5______, dans l'alignement de la voiture (un impact, à 1.28 mètre du sol) ; le container à poubelles, traversé de part en part juste au-dessus de la poignée latérale, derrière laquelle il s'était dissimulé et la chaise adjacente.

Les policiers ont déduit de l'angle de la trajectoire des balles ayant atteint l'enseigne et de la position de l'agent de sécurité qu'elles avaient dû passer de quelques centimètres à quelques dizaines de centimètres au-dessus de sa tête.

e.b. Les tirs de A______ ont atteint la palissade du "H______" à au moins une reprise.

Le scooter O______/9______ [marque, modèle] des malfrats, parqué en premier plan par rapport à lui et dont le guidon était tourné en direction de la rue, présentait cinq impacts de balles sur le flanc droit et deux orifices compatibles avec des sorties de projectiles de l'autre côté ; 17 fragments de projectiles y ont par ailleurs été retrouvés. Les traces d'entrée forment, dans le carénage, un arc de cercle parallèle à la roue avant, partant de la partie proche du sol jusqu'au phare.

Le sac de sport que les braqueurs avaient posé sur le scooter avant la fusillade présentait plusieurs déchirures compatibles avec des orifices de projectiles. Il n'a toutefois pas été possible d'établir une ou plusieurs trajectoires qui puissent permettre de les relier, en raison de la nature souple du sac.

D'autres balles ont atteint le scooter de P______, parqué sur la première place en venant du "H______", guidon côté trottoir, soit une balle dans la carrosserie en plastique, sous la selle, et une autre qui a traversé le top case.

e.c. La police a conclu des impacts observés sur les lieux et des positions connues des tireurs qu'ils s'étaient pris pour cible sur au moins une partie des coups tirés. En effet, les trajectoires possibles en fonction des impacts observés demeuraient horizontales et en direction de l'opposant.

f. A______ et D______ ont chacun accusé l'autre d'avoir tiré le premier.

Aucun témoin n'a pu être affirmatif à ce sujet, de sorte que la Chambre de céans, au terme d'un raisonnement que le TF n'a pas remis en cause, a estimé qu'il se justifiait de faire bénéficier chacun des protagonistes de la présomption d'innocence et de se fonder sur l'hypothèse que chacun d'eux avait riposté au premier tir de l'autre.

g.a. Deux agentes de stationnement, Q______ et R______, se trouvaient à la place 5______. Elles se sont retournées lorsqu'elles ont entendu A______ crier "arrête-toi" et l'ont vu courir en direction des braqueurs, qui tentaient de faire démarrer leur scooter.

La seconde a déclaré que lorsqu'il avait entendu les cris de A______, D______ avait sorti une arme à feu de son sac et l'avait pointée dans leur direction. Elle s'était déjà retournée pour s'enfuir lorsqu'elle avait entendu les premiers coups de feu.

g.b. F______, qui se trouvait dans son magasin à la hauteur du no.______, rue 3______, a vu A______ arriver en courant, en criant "arrête-toi" ; dans un premier temps, il a indiqué que ce dernier avait, durant ce laps de temps, sorti son arme et l'avait pointée en direction du scooter, que quelques secondes plus tard, un coup de feu avait retenti et que A______ s'était mis à couvert dans l'angle de la rue 8______, en continuant de crier et d'échanger des coups de feu avec D______. Devant le MP, il a précisé qu'il n'était plus certain d'avoir vu le pistolet avant que l'agent de sécurité ne se mette à l'abri et que depuis son lieu d'observation, il ne voyait pas le véhicule des braqueurs, ses précédentes déclarations à ce sujet se référant aux vidéos circulant sur internet qu'il avait pu visionner.

g.c. Sa collègue, S______, avait levé la tête lorsqu'elle avait entendu A______ crier "arrête-toi" et l'avait vu courir en direction de la place 1______. À un moment donné, il s'était arrêté et avait sorti son arme. En se déplaçant, elle avait vu deux individus casqués qui essayaient de faire démarrer un scooter. Elle s'était retournée pour prendre son téléphone et avait entendu un échange de tirs. L'agent de sécurité se dirigeait vers les braqueurs, l'arme à la main. Il avait déjà tiré une fois à ce moment-là. D______ et K______ étaient alors revenus sur le trottoir et le premier avait pointé une arme en direction de l'agent de sécurité et fait feu. A______ avait reculé et s'était mis à couvert à l'angle de la rue 8______, alors que D______ se cachait derrière le container. S'en était suivi un échange de coups de feu. Les malfrats étaient néanmoins revenus vers le scooter pour tenter de le faire démarrer, puis étaient partis en courant en direction de la place 1______, laissant tomber le véhicule.

h. La scène a en partie été filmée par des témoins au moyen de leurs téléphones portables (cf. C-28) :

h.a. Une première vidéo, d'un tiers non identifié, prise durant ce qui sera désigné ci-après comme la troisième phase de l'incident, montre A______ de dos, abrité à l'angle des rues 8______/3______, à la sortie d'un parking souterrain, s'avançant par moments pour tirer de sa main droite en direction de la place 1______, la main gauche lui servant d'appui contre le mur ; une dizaine coups de feu retentissent durant cet épisode : après la première détonation, l'agent de sécurité quitte brièvement l'angle du mur pour ensuite reculer à l'abri ; trois salves de trois coups de feu retentissent huit secondes plus tard, les deux premières rapprochées (tirées dans un laps de temps de six secondes), la troisième cinq secondes plus tard ; A______, qui, durant cet épisode, crie à plusieurs reprises "couche-toi", quitte la protection de l'angle quatre secondes après le dernier coup et disparaît du champ de la caméra. Il n'est pas possible d'identifier l'auteur des tirs au bruit des différentes détonations, à l'exception de la dernière salve, tirée par l'agent de sécurité.

h.b. La vidéo prise par S______ avec le téléphone portable de son collègue (intitulée, sur la clé USB "video de M. F______", cf. C-123) montre les trois derniers coups tirés par A______, lequel quitte ensuite l'abri de l'angle pour s'avancer en tenant en joue, à deux mains, D______ et K______. Lorsque résonnent les tirs, ceux-ci sont debout derrière le scooter, qu'ils tentent de faire démarrer. À l'approche de l'agent de sécurité, ils prennent la fuite, lâchant le véhicule, qui tombe.

i. Au MP, lors de la reconstitution du 3 juin 2018 (C-328ss) et au TCO, K______ a décrit la scène de la manière suivante : alors qu'il avait posé son sac sur le scooter et tentait de le faire démarrer, il avait vu A______ s'approcher en les braquant avec son arme, mais ne pensait pas qu'il allait tirer et l'avait dit à son ami. Au moment du premier coup, D______ s'était écarté à quelques mètres de lui et avait riposté, en tirant en l'air. Lui-même s'était accroupi au niveau de la roue arrière pour ne plus bouger jusqu'à la fin de la fusillade, dont il n'avait pas vu grand-chose (reconstitution et pv TCO, p. 16). Il ne pouvait ainsi pas dire combien de coups avaient été tirés, ni par qui. "C'était le feu d'artifice", "cela ne s'arrêtait plus". Il était tétanisé (pv MP,
C-300) et n'avait pas entendu de sifflement de balles (pv MP, C-10 et C-42), ni perçu où celles-ci arrivaient (pv MP, C-303). Il avait continué de tenter de faire démarrer le scooter, une fois accroupi derrière le véhicule (pv MP, C-43).

j. À la police, devant le MP et lors de la reconstitution, qui, selon lui, l'avait aidé à réunir ses souvenir, D______ a expliqué qu'arrivé près du scooter, sur lequel il avait posé son sac de sport, il avait senti une présence derrière lui, avait ressorti son arme et fait demi-tour en direction de ses poursuivants, étant précisé qu'il a affirmé n'avoir vu dans un premier temps que M______ (cf. ég. pv CPAR du 19.01.21, p. 4). Il avait pointé le revolver dans la direction de ce dernier en lui enjoignant de ne plus bouger, mais a contesté s'être avancé, affirmant être resté près du scooter ; lorsque son poursuivant s'était arrêté, il s'était retourné et avait vu A______ arriver au croisement des rues 3______ et 8______, en criant quelque chose qu'il n'avait pas compris ; tous deux s'étaient mutuellement mis en joue au milieu de la rue.

L'agent de sécurité avait tiré le premier et il avait immédiatement riposté en tirant en l'air, sur le mur côté gauche de son vis-à-vis, mais sans viser ce dernier, n'ayant pas l'intention de le blesser (pv MP, C-5 ; pv TCO, p. 9), même s'il admettait qu'au moins la balle qui avait atteint l'arbre, qui n'était pas la première qu'il avait tirée, était dangereuse (pv TCO, p. 11).

Il se trouvait alors au niveau du top case de leur scooter (reconstitution), à une dizaine de mètres de son adversaire (pv TCO, p. 9). S'il avait voulu abattre ce dernier, il aurait donc pu le faire (pv MP, C-36), même s'il ne connaissait pas trop les armes (pv police, B-54), n'ayant tiré auparavant qu'à la fête foraine (pv MP, C-40 ; pv TCO, p. 9). La fusillade avait débuté alors que K______ et lui se trouvaient debout vers le scooter et tentaient de le démarrer. Il avait tiré pour se défendre et protéger son ami qui, durant la fusillade, était accroupi devant lui, derrière le scooter (pv MP, C-38 et C-42 ; pv TCO, p. 9). Il ne pensait cependant pas que A______ avait cherché à viser son comparse (pv MP, C-208) ; les balles étaient passées à côté de lui (pv MP, C-42), mais "plus ou moins loin [d'eux]" (pv CPAR du 19.01.21, p. 5). En tous cas, il n'avait pas entendu de bruit d'impact ou de balle et ignorait donc où les tirs étaient dirigés (pv TCO, p. 9 ; pv CPAR du 19.01.21, p. 5).

Après le premier échange de tirs, l'agent de sécurité s'était mis à l'abri derrière le mur et lui-même s'était réfugié dans un petit renfoncement, tout en tirant encore une fois, alors que K______ s'accroupissait derrière le véhicule (pv CPAR du 19.01.21, p. 5). A______ avait tiré en direction de ce dernier et lui-même avait tiré chaque fois que l'agent de sécurité quittait la protection de l'angle du mur, afin de l'obliger à vider son chargeur et protéger K______ (pv MP C-299 et C-300 ; TCO, p. 11 et 12 ; pv CPAR du 19.01.21, p. 5). Il avait tiré trois fois depuis sa position, avant de revenir vers leur véhicule pour tenter de le faire démarrer. N'y parvenant pas, il avait entraîné K______ pour fuir, mais avait été arrêté par un témoin (cf. pv reconstitution).

Il ne se rappelait pas avoir tiré dans le container. Il était possible qu'il eut tiré à l'horizontale et dans la direction de l'agent de sécurité, mais comme celui-ci était caché derrière le mur, il était impossible qu'il le touche. Il a toutefois reconnu que son adversaire sortait la tête pour tirer et que s'il avait quitté son abri, il aurait risqué d'être blessé ou tué, bien que telle n'eut pas été son intention. La situation les avait dépassés. Lorsque A______ s'était avancé vers lui, lui-même ne pointait plus son arme dans sa direction, car tous deux avaient réalisé ce qu'ils étaient en train de faire, soit tirer en pleine rue, un samedi matin, au risque de toucher des gens (pv TCO, p. 9 ; pv CPAR du 19.01.21, p. 6).

"Tout avait été tellement vite" : A______ avait crié, tiré et lui-même n'avait pas eu le temps de se rendre. Il ne pensait pas que l'agent de sécurité tirerait et n'avait pas anticipé ce risque lorsqu'il avait sorti son arme du sac (pv TCO, p. 10). Durant tout l'épisode, il n'avait songé qu'à fuir et n'avait donc pas envisagé, ni de se rendre, ni qu'il était en train d'alimenter une escalade (pv CPAR du 19.01.21, p. 5 et 6).

D______ a tour à tour indiqué avoir pensé que A______ tirait à blanc, tant il visait mal (pv police, B-53), puis qu'il visait bien, avant de se raviser et dire qu'il n'en savait rien (pv MP, C-301 et C-302). Pour lui, l'agent de sécurité et lui ne s'étaient jamais visés mutuellement et n'avaient jamais souhaité s'atteindre. Il le déduisait du fait que le premier échange s'était déroulé alors qu'ils étaient relativement proches l'un de l'autre et que si A______ avait voulu le toucher, il y serait parvenu (TCO, p. 10 ; CPAR, pv du 19.01.21, p. 6). Il pensait toutefois qu'à un moment donné, ce dernier avait perdu le contrôle, qu'il ignorait lequel de ses adversaires était armé et n'avait peut-être pas identifié que celui qui se cachait derrière le scooter ne l'était pas (pv CPAR du 19.01.21, p. 6). Il était toutefois clair que sa vie et celle de K______ avaient été en danger, car s'il était sorti du renfoncement derrière lequel il était dissimulé, il aurait pu être blessé ou tué (pv TCO, p. 12).

Il espérait que A______ ne serait pas condamné, car il était persuadé qu'il n'avait pas l'intention de le tuer (pv TCO, p. 34). Lui-même se sentait "à 100% responsable de ce qui s'était passé" (pv CPAR du 19.01.21, p. 8).

k. A______ a expliqué avoir aperçu L______ se lancer à la poursuite des braqueurs alors qu'il était encore éloigné d'une centaine de mètres et avait décidé de prendre les malfrats à revers.

Lorsqu'il était arrivé à la rue 6______, un couple lui avait indiqué que ces derniers étaient au bout de la rue 3______, dans laquelle il s'était engagé en courant. Alors qu'il n'avait pas encore atteint l'intersection avec la rue 8______, il avait vu les deux hommes arrêtés près d'un scooter, à la hauteur du "H______", l'un en train d'essayer de le faire démarrer alors que l'autre le regardait (cf. ég. pv MP, C-297 et pv CPAR du 19.01.21, p. 10). Il avait sorti son arme, canon vers le sol, doigt sur le pontet et non sur la détente (pv TCO, p. 22), arrêté sa progression à une vingtaine de mètres des braqueurs et crié à deux reprises "couchez-vous, agent de sécurité". Un des deux hommes avait dit à l'autre "il ne va pas tirer" ; il l'avait dit tout au début de la scène, avant que D______ tente d'attraper la bijoutière (pv CPAR du 19.01.21, p. 14). Simultanément, lui-même avait vu arriver, à une vingtaine de mètres derrière eux, L______, ce qui l'avait surpris, car il était persuadé que son collègue l'aurait entretemps rattrapée (pv CPAR du 19.01.21, p. 10). D______ s'était dirigé vers elle et avait essayé de la saisir, comme pour la prendre en otage. À la police et devant le TCO, A______ a déclaré qu'il s'était aperçu à ce moment précis que D______ tenait une arme à la main et avait crié à la bijoutière de partir, ce qu'elle avait fait (pv police, B-69/70 ; pv TCO, p. 22), alors que devant le MP, en février 2018, puis devant la Chambre de céans, en janvier 2021, il a indiqué que c'était lorsque son adversaire s'était retourné vers lui qu'il avait constaté qu'il était armé (pv MP, C-297 ; pv CPAR, p. 10), et que lors de la reconstitution, il a affirmé avoir eu son pistolet à la ceinture jusqu'au croisement des rues 3______ et 8______ et ne l'avoir dégainé que lorsque D______ s'était retourné vers lui et qu'il s'était aperçu qu'il était armé.

Quoi qu'il en soit, le tir de D______ dans sa direction avait été immédiat (pv MP,
C-46 ; pv TCO, p. 22), ce qui l'avait amené à riposter en tirant à trois ou quatre reprises, visant volontairement, à la droite de son opposant, une zone où il n'y avait personne et où il considérait qu'il n'y avait aucun risque, soit la palissade en verre du restaurant et le trottoir, dans l'intention que son antagoniste arrête de tirer et obtempère à ses injonctions. Il avait riposté par des triplettes, plutôt que par des doublettes, comme préconisé, dans l'espoir d'arrêter l'échange, étant précisé que la raison d'être des doublettes était qu'au second tir, l'auteur était censé toucher sa cible (pv CPAR du 19.01.21, p. 15). Durant ce premier échange, son adversaire se tenait à six ou sept mètres de K______, qui continuait d'essayer de faire démarrer le scooter. La vitre du "H______" avait été atteinte et s'était brisée dans ce contexte (pv police, B-69/70 ; pv MP, C-297 ; pv TCO, p. 20 ; pv CPAR du 19.01.21, p. 11).

Il s'était ensuite mis à couvert dans l'angle des rues 3______/8______, tout en continuant à tenir en joue les braqueurs et à leur intimer l'ordre de se coucher. D______ s'était rapproché de son compère, tout en tirant dans sa direction, puis s'était réfugié dans un renfoncement du mur. Lui-même avait riposté en tirant à plusieurs reprises, en se décalant de l'angle du mur pour ce faire, en visant la roue arrière du scooter (plus largement, le moteur, les pneus et la carrosserie, selon ses déclarations devant le TCO, p. 22), pour empêcher les malfrats de s'enfuir, craignant par ailleurs qu'ils ne lui tirent dessus en passant devant sa position s'ils parvenaient à fuir (pv police, B-71 ; pv MP, C-297 à C-298). Lors de l'audience du 12 février 2018, il a affirmé ne plus se souvenir si K______ s'était caché derrière le scooter ; en y réfléchissant, il se rappelait qu'à un moment donné, les malfrats étaient derrière le véhicule, mais il ne pouvait dire où lui-même se trouvait tout le temps : tout s'était passé très vite et il ne se rappelait que du premier coup de feu de son opposant (pv MP, C-301). Lors de la reconstitution, il a confirmé avoir aperçu un des braqueurs dissimulé derrière le scooter, sans toutefois savoir s'il s'agissait du tireur (film 2, VTS_01_0.IFO, minutes 31'25'' ss et 36'26''). En revanche, devant le TCO, il a déclaré que, durant la fusillade, il avait compris que K______ n'était pas armé, puisqu'il n'avait pas tiré (pv, p. 21), et lors de l'audience du 19 janvier 2021 devant le Chambre de céans, il a soutenu n'avoir pas vu que l'un des braqueurs était accroupi derrière le véhicule, étant précisé que, lorsqu'il était allé se mettre à l'abri dans l'angle du mur, il n'avait pas, dans le feu de l'action, suivi leur progression ; il n'avait donc aucune idée de l'endroit où pouvait se trouver K______ et ne se rappelait pas avoir dit, lors de la reconstitution, qu'il l'apercevait (p. 11).

Il avait sciemment tiré vers le bas, car cela lui semblait moins dangereux que de le faire en l'air, à hauteur d'homme. Il ne voulait pas toucher les malfaiteurs (pv MP,
C-297) et n'avait pas tiré dans d'autres directions que les vitres et le scooter. Le chargeur de son [arme] I______ contenait 15 balles. Sur le moment, il n'avait pas compté le nombre de coups qu'il avait tirés : deux ou trois en riposte au premier tir de D______, puis une série de coups dans le scooter (pv MP, C46). D'où il se trouvait, soit à environ sept mètres des braqueurs, il n'aurait pas pu les rater et les aurait atteints s'il l'avait voulu ; s'il avait souhaité tirer sur l'un d'eux, il aurait dans tous les cas opté pour le tireur, et non son comparse (pv MP, C-44, C-45, C-46, C-297 ; pv TCO, p. 22) ; il n'avait pas envisagé de tenter de toucher D______ aux extrémités, car cela l'aurait obligé à un tir de précision, impossible dans le contexte (pv TCO, p. 22). Certes, lors des tirs sur le scooter, il y avait toujours un risque de toucher ses opposants, ne serait-ce que par ricochet. Vu la manière dont il avait tiré, il avait toutefois pensé que ce ne serait pas le cas. D______ lui avait d'ailleurs encore tiré trois fois dessus ensuite. Il s'était défendu (pv MP, C-297) et avait tiré pour sa sécurité, car il se sentait en danger et avait peur que les malfrats reprennent le scooter et passent devant lui en tirant (pv TCO, p. 19). D'ailleurs, selon les directives édictées par son employeur, à l'extérieur, les règles de la légitime défense s'appliquaient et les agents étaient autorisés à tirer sur un opposant les visant avec une arme, sans attendre qu'il fasse feu (pv TCO, p. 20). Il ne savait par ailleurs pas combien de balles il restait à D______ (pv TCO, p. 20). Devant le TCO, puis la CPAR, il a ajouté que le scooter était assez volumineux et que les balles utilisées par le B______, du 9 mm à tête chemisée, ne pouvaient le traverser (pv TCO, p. 22), ce qui lui avait été expliqué lors d'un cours de tir, avec la précision que les nouvelles munitions n'étaient pas même susceptibles de traverser un corps humain (pv CPAR du 19.01.21, p. 12). Il n'avait donc pas d'explication quant à la balle ayant traversé le top case du scooter de P______ (pv TCO, p. 20), si ce n'était qu'il s'agissait de plastique (pv CPAR du 19.01.21, p. 12).

Tout cela s'était déroulé très vite. Il était ensuite sorti de son couvert en continuant de crier "couchez-vous" et s'était dirigé vers les braqueurs (pv police, B-71). Sa progression leur avait probablement fait peur, car ils s'étaient enfuis
en faisant tomber leur véhicule. Il n'y avait plus eu de tirs (pv MP, C-44 à C-46 et
C-298/C-299).

Du premier contact avec les individus jusqu'à leur interpellation, il avait craint pour sa vie. Il avait déjà été confronté à des situations de ce type et avait déjà dû dégainer lorsqu'il travaillait dans la gendarmerie, mais généralement, les gens obtempéraient aux injonctions, de sorte que malgré ses années d'expérience, il n'avait jamais fait usage de son arme en dehors d'un stand de tir. Ce qui le choquait le plus était le sang-froid et la détermination des braqueurs, lesquels n'avaient à aucun moment obtempéré, malgré ses injonctions et les échanges de tir (pv police, B-73 ; pv MP,
C-45 ; pv TCO, p. 18 ; pv CPAR du 19.01.21, p. 13). Après les faits, il avait bénéficié d'un suivi de 25 séances avec un psychologue de la police suisse (pv TCO, p. 18).

Il se considérait comme "assez bon en tir" et avait vérifié, avant de faire feu, que personne ne soit dans les environs, ce qui était la règle appliquée habituellement. Durant les vingt ans passés dans la gendarmerie française, il s'était entraîné deux fois par année au tir, en situation de stress. De plus, depuis 2013, dans le cadre de son activité d'agent de sécurité, il allait tous les trois ou quatre mois tirer une cinquantaine de cartouches sur des cibles à différentes distances (trois, cinq et sept mètres), dont il atteignait généralement le centre. Ses performances à ces occasions étaient évaluées par un instructeur (C-45 et C-299).

l. Entendus par le MP, les policiers auteurs du rapport du 20 janvier 2018 ont expliqué qu'il n'était pas possible de déterminer le point d'origine d'un projectile qui aurait ricoché en se fondant uniquement sur le point d'impact, ni d'anticiper la direction d'un éventuel ricochet, en particulier sur un scooter, qui n'avait pas une surface homogène. Il n'était pas non plus possible, sur la base des douilles retrouvées au sol, de situer avec exactitude la position des tireurs, car les douilles rebondissaient aussi. Seule une zone de tir, et non deux, était donc délimitable (C-372). Le type de munition utilisée par D______ causait plus de dégâts, mais pénétrait moins profondément que celles utilisées par A______.

m. Entendu par le TCO, T______, responsable de formation au B______, a précisé que, durant les journées de formation organisées pour leurs agents de sécurité, les dispositions du code pénal relatives à la légitime défense et à l'état de nécessité étaient revues. Les agents passaient un test à ce sujet une fois par année. Les titulaires d'un port d'arme devaient par ailleurs suivre des tirs concordataires tous les quatre mois au minimum, avec une série de trois fois deux coups à sept mètres, cinq mètres et trois mètres ; chaque tir était accompagné d'une sommation verbale, le moindre écart de parole étant sanctionné. Un résultat qualifié de "bon" signifiait que le tireur avait placé tous ses coups dans la cible, une silhouette humaine comprenant la tête et le buste, et n'avait mis personne en danger ; tel était le cas des tirs effectués par A______. Le témoin avait déjà dispensé des cours de formation, spécifiques au braquage armé, aux agents travaillant dans le secteur de la bijouterie au centre-ville. Il n'avait jamais relevé un comportement inadéquat du prévenu, qui était un bon agent et un bon collaborateur.

n. Le supérieur hiérarchique de A______ a confirmé qu'il le tenait pour un agent d'élite, au vu de son passé de gendarme et de ce qu'il avait montré sur le terrain. Il s'agissait de l'une des personnes les plus réfléchies qu'il ait connue, par rapport à la prise de service, à l'équipement, la préparation ; il ne faisait pas les choses à la va-vite et était pointilleux sur les détails ; il n'agissait pas dans la précipitation ; lui-même s'était déjà trouvé en intervention avec lui et avait pu voir comment il agissait ; il y avait eu des cas très délicats de braquage au centre-ville, mais A______ avait toujours su se maîtriser. Le connaissant, il estimait qu'il n'avait certainement usé de son arme qu'en dernier recours.

o. Dans son arrêt du 3 mars 2021, la CPAR a fondé la condamnation de D______ pour tentative de meurtre par dol éventuel par le fait que peu importait qu'il eût (possiblement) riposté la première fois, puisqu'en toute hypothèse, il avait fait courir à A______ un risque concret d'être atteint, mortellement. Ce danger était d'autant plus grand que D______ se disait lui-même totalement inexpérimenté dans le domaine du tir, de sorte qu'il ne pouvait avoir qu'une maîtrise très limitée de la trajectoire de ses coups de feu, tous concentrés sur la droite de la rue, soit dans la direction de l'agent de sécurité, sans préjudice du risque de ricochet, dont il avait admis avoir été conscient. Certes, A______ était, lors des deux derniers tirs, abrité, mais dans son objectif de le contraindre à vider son chargeur, D______ le poussait à s'exposer partiellement, pour riposter. Le prévenu ne pouvait donc pas ne pas avoir au moins envisagé de toucher, cas échéant mortellement, son opposant. Ce nonobstant, il avait tiré et continué de tirer, s'accommodant d'un tel résultat pour le cas où il se produirait.

C. a. À la suite de l'arrêt de renvoi du TF, la police a rendu, à la demande de la CPAR, plusieurs rapports complémentaires, les 21 novembre 2022, 7 février et 16 mai 2023.

La hauteur des impacts sur le scooter des malfrats était comprise entre 24 et 83 cm par rapport au sol, étant précisé qu'au moment de sa découverte, les béquilles n'étaient pas déployées, l'engin ayant manifestement été tenu par le guidon durant les tirs. Le scooter de P______ avait été atteint sous la selle, à une hauteur de 70 cm ; une balle avait traversé le top case en plastique de part en part, à une hauteur de 90 cm. La palissade en verre du "H______" présentait au moins une trace d'impact à 1.05 mètre du sol (trottoir).

Il n'était pas possible d'établir les distances entre les protagonistes sur la foi de leurs seuls souvenirs. En fonction des emplacements où ils s'étaient réfugiés lors de l'échange de tirs et des vidéos prises, l'on pouvait toutefois estimer la distance séparant A______, au coin de la rue 8______, de D______, dissimulé derrière le container, à 11 ou 12 mètres, et celle le séparant de K______ à un peu moins de 11 mètres, alors que les braqueurs étaient distants de deux mètres environ l'un de l'autre.

Hormis pour la balle ayant traversé le top case, tirée depuis le coin de la rue 8______, il n'était pas non plus possible de situer avec précision la position de A______ pour l'ensemble des tirs effectués, ni de dire quel point d'impact correspondait à quel tir, ce d'autant que certains dommages étaient consécutifs à des ricochets.

En ce qui concernait le degré de précision des tirs de A______, le I______ de troisième génération dont il était armé avait une distance de tir évaluée à une quarantaine de mètres, qu'il semblait raisonnable de réduire de moitié pour des tirs plus précis. La munition employée, de type industriel, donnait des résultats au tir bons et réguliers. En principe, le tir à deux mains était privilégié, pour une meilleure précision en intervention. Le fait de tirer à proximité immédiate d'un être humain était objectivement de nature à augmenter le risque qu'il se retrouve sur la trajectoire d'un projectile. Il n'était en revanche pas possible de se prononcer sur les facteurs subjectifs ayant influencé les tirs, notamment se savoir pris pour cible par des criminels armés et motivés, dont les tirs passaient à sa proximité immédiate.

b. Lors de l'audience d'appel du 22 mai 2023, l'auteur de ces rapports, U______, a précisé qu'il n'était pas possible de dire si l'impact au niveau du store de la boutique "E______" (et non du sol, comme le laissait penser le croquis correspondant à la pièce C-329) était issu d'un tir direct ou d'un ricochet. L'impact circulaire sur la palissade du "H______" était probablement le résultat d'un tir direct, distinct du précédent. Il était impossible d'identifier la localisation de l'auteur sur la seule base des traces d'impact. Comme l'on ne pouvait pas minuter les tirs et que les malfrats s'étaient déplacés, l'on ne pouvait affirmer qu'ils s'étaient trouvés sur les trajectoires. L'on pouvait néanmoins constater que A______ avait tiré alors que les braqueurs s'affairaient vers le scooter et que le sac de sport porté par l'un d'eux avait essuyé à tout le moins un tir. Le scooter présentait deux traces d'impact traversant, dont l'un à l'avant, au niveau du phare. L'on ne pouvait toutefois exclure que le sac ait été touché lors des premiers tirs, alors qu'il était posé sur le scooter et que les malfrats n'étaient pas à proximité immédiate. De son point de vue, pour un supposé excellent tireur, viser les roues d'un scooter à cette distance et les rater n'était pas un bon résultat. Il fallait toutefois se replacer dans le contexte, soit une situation extrêmement stressante.

c. Les directives internes du B______ en matière de recours aux armes ont été produites. Elles correspondent en grande partie aux dispositions légales et à la jurisprudence en ce qui concerne la légitime défense et l'état de nécessité.

Les règles de sécurité en matière de maniement et de tirs y sont également rappelées (notamment conserver le doigt hors du pontet jusqu'à ce que l'arme soit dirigée vers la cible et être assuré de son but et de son environnement ; cf. F3, art. 1) ; il est aussi indiqué que l'agent doit s'abstenir d'utiliser son arme, même en situation de légitime défense, en cas de danger pour autrui, et qu'un tir ajusté, garantissant à 100% le toucher, pourra être envisagé en cas de légitime défense face à un agresseur lui-même armé (F3, art. 7, let. a et b), le tir de défense ne devant être utilisé qu'à courte distance (moins de sept mètres ; F3, art. 7, let. c).

d. Le MP fait valoir que lorsque A______ était arrivé sur la scène du braquage, ce dernier était terminé. Le fait qu'il ait décidé de prendre les malfrats à revers démontrait qu'il avait voulu les arrêter et récupérer le butin, plutôt que protéger L______. Preuve en était que l'agent de sécurité avait continué de tirer alors que D______ et K______ tentaient de démarrer le scooter. L'on pouvait admettre que, lors du premier échange, ses tirs n'étaient pas constitutifs d'une infraction pénale, dans la mesure où il n'avait pas visé ses adversaires et avait agi en état de légitime défense, ou de nécessité, pour se protéger et protéger la bijoutière. En revanche, tel n'était pas le cas au cours des phases suivantes, lors desquelles il avait sciemment visé les braqueurs, tirant en direction de celui qui n'était pas armé, puis des deux malfrats, alors que ceux-là tentaient à nouveau de faire démarrer leur scooter et que l'attaque avait donc cessé.

Il requiert un verdict de culpabilité du chef de tentative de meurtre, subsidiairement de mise en danger de la vie de D______ et K______, et le prononcé d'une peine privative de liberté de quatre ans.

e.a. Réentendu par la CPAR, A______ a rappelé qu'il s'était retrouvé face à deux hommes déterminés, qui avaient ouvert le feu contre lui. Il ne se considérait pas comme fautif et n'avait fait que son travail, soit se protéger, de même que la bijoutière. Son expérience dans la gendarmerie et au B______ lui permettaient d'être précis et il avait délibérément fait en sorte d'éviter de toucher les malfrats, étant précisé qu'il était conscient que K______ était dissimulé derrière le scooter. Par moment, il l'apercevait au niveau de la roue avant. Si le braqueur avait bougé, il aurait arrêté de tirer. Il n'avait pas pensé à la possibilité que, mû par la peur, K______ jaillisse soudainement de derrière le véhicule. Il avait visé le scooter, pour viser quelque chose de fixe ; il n'aurait pas fait feu sur le container, car il ne voyait pas ce qu'il y avait derrière. Sur le moment, il lui était paru indispensable de bloquer les malfrats, afin qu'ils ne puissent pas prendre le scooter et passer devant lui en lui tirant dessus. Il n'avait pas envisagé de se mettre à l'abri dans le parking souterrain dont la rampe était sise à sa gauche, dans la rue 8______. Le seul point des directives du B______ qu'il n'avait pas respecté était qu'il avait répondu à chaque tir de D______ par une triplette à côté, et non par une doublette visant l'agresseur. Il n'avait plus tiré dès lors qu'il avait quitté l'abri du mur pour se diriger vers les malfrats.

e.b. Par la voix de son conseil, A______ répète que s'il avait cherché à tuer D______, celui-ci serait décédé. Il n'avait fait que son travail, son but ayant été tout d'abord de protéger L______, puis lui-même. Le TF avait confirmé que l'on ne pouvait retenir l'absence de scrupules. Les éléments nouveaux apportés par l'instruction ne modifiaient pas l'appréciation et le raisonnement conduit par la CPAR dans son arrêt du 3 mars 2021. L'impact dans le top case du scooter était certes plus élevé que les autres, mais demeurait dans la même zone de tir.

D. A______ a produit une note d'honoraires de son avocat, pour la période courant du 20 janvier 2021 au 22 mai 2023, hors procédure devant le TF, d'un montant de CHF 18'225.-, majoré de la TVA et de débours à hauteur de CHF 1'000.-, correspondant à 40,5 heures d'activité, dont quatre heures d'audience (laquelle a duré en réalité trois heures 30), au tarif horaire de chef d'étude de CHF 450.-.

EN DROIT :

1. Un arrêt de renvoi du Tribunal fédéral lie l'autorité cantonale à laquelle la cause est renvoyée, laquelle voit sa cognition limitée par les motifs dudit arrêt, en ce sens qu'elle est liée par ce qui a déjà été définitivement tranché par le Tribunal fédéral (ATF 104 IV 276 consid. 3b et 103 IV 73 consid. 1 ; 131 III 91 consid. 5.2 ;
135 III 334 consid. 2).

Conformément aux considérants de l'arrêt du Tribunal fédéral du 7 avril 2022, il convient donc de déterminer si les différents éléments que la Haute Cour a enjoint à la Chambre de céans d'intégrer à son raisonnement sont susceptibles de modifier celui-ci, s'agissant uniquement de la tentative de meurtre, respectivement la mise en danger de la vie de D______ et K______, à l'exclusion de toute autre infraction.

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 du code de procédure pénale (CPP), concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3 ; 127 I 38 consid. 2a).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 145 IV 154 consid. 1 ; 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2.1. Quiconque tue une personne intentionnellement est puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au moins, en tant que les conditions prévues aux articles suivants ne sont pas réalisées (art. 111 CP).

La peine peut être atténuée si l’exécution du crime n’est pas poursuivie jusqu’à son terme ou que le résultat nécessaire à la consommation de l’infraction ne se produit pas ou ne pouvait pas se produire (art. 22 al. 1 CP).

La tentative suppose un comportement intentionnel de l'auteur ; il n'y a pas de tentative par négligence (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), Commentaire romand, Code pénal I, art. 1-110 CP, 2ème éd., Bâle 2021, n. 38 ad art. 22).

2.2.2. Selon l'art. 12 al. 2 CP, agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L'auteur agit déjà avec intention, sous la forme du dol éventuel.

Il y a dol éventuel lorsque l'auteur envisage le résultat dommageable et agit, même s'il ne le souhaite pas, parce qu'il s'en accommode pour le cas où il se produirait (ATF 137 IV 1 consid. 4.2.3). Parmi les éléments extérieurs permettant de conclure que l'auteur s'est accommodé du résultat dommageable pour le cas où il se produirait figurent notamment la probabilité, connue de l'auteur, de la réalisation du risque et l'importance de la violation du devoir de prudence. Plus celle-ci est grande, plus sera fondée la conclusion que l'auteur, malgré d'éventuelles dénégations, a accepté l'éventualité de la réalisation du résultat dommageable (ATF 138 V 74 consid. 8.4.1 ; 135 IV 12 consid. 2.3.3).

Le dol éventuel doit être distingué de la négligence consciente : alors que celui qui agit par dol éventuel s'accommode du résultat dommageable pour le cas où il se produirait, celui qui agit par négligence consciente escompte – ensuite d'une imprévoyance coupable – que ce résultat, qu'il envisage aussi comme possible, ne se produira pas. La distinction entre le dol éventuel et la négligence consciente peut parfois s'avérer délicate, notamment parce que, dans les deux cas, l'auteur est conscient du risque de survenance du résultat. En l'absence d'aveux de sa part, la question doit être tranchée en se fondant sur les circonstances extérieures, parmi lesquelles figurent la probabilité, connue de l'auteur, de la réalisation du risque et l'importance de la violation du devoir de prudence. Plus celles-ci sont élevées, plus l'on sera fondé à conclure que l'auteur a accepté l'éventualité de la réalisation du résultat dommageable. Peuvent aussi constituer des éléments extérieurs révélateurs, les mobiles de l'auteur et la manière dont il a agi (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1116/2022 du 21 avril 2023 consid. 1.3).

2.3.1. L'art. 129 CP punit quiconque, sans scrupules, met autrui en danger de mort imminent.

Le danger au sens de cette disposition suppose un risque concret de lésion, c'est-à-dire un état de fait dans lequel existe, d'après le cours ordinaire des choses, la probabilité ou un certain degré de possibilité que le bien juridique soit lésé, sans toutefois qu'un degré de probabilité supérieur à 50% soit exigé. Il doit en outre s'agir d'un danger de mort, et non pas seulement d'un danger pour la santé ou l'intégrité corporelle. Enfin, il faut que le danger soit imminent. La notion d'imminence n'est pas aisée à définir. Elle implique en tout cas, outre la probabilité sérieuse de la réalisation du danger concret, un élément d'immédiateté qui se caractérise moins par l'enchaînement chronologique des circonstances que par le lien de connexité direct unissant le danger et le comportement de l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1385/2019 du 27 février 2020 consid. 3.1).

L'auteur doit avoir agi "sans scrupule", ce qui est le cas lorsque, compte tenu des moyens utilisés, de ses mobiles et des autres circonstances, parmi lesquelles figure son état, l'acte apparaît comme contraire aux principes généralement admis des bonnes mœurs et de la morale. La mise en danger doit léser gravement le sentiment moral (ATF 114 IV 103 consid. 2a). Il faut en quelque sorte qu'elle atteigne un degré qualifié de réprobation. L'auteur doit avoir agi intentionnellement. Il doit avoir conscience du danger de mort imminent pour autrui et adopter volontairement un comportement qui le crée. En revanche, il ne veut pas, même à titre éventuel, la réalisation du risque, sans quoi il s'agirait d'une tentative d'homicide. Le dol éventuel ne suffit pas (ATF 107 IV 163 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_144/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1).

L'absence de scrupules doit être admise dans tous les cas où la mise en danger de mort intervient pour un motif futile ou apparaît clairement disproportionnée, de sorte qu'elle dénote un profond mépris de la vie d'autrui (arrêts du Tribunal fédéral 6B_418/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.1 et 6B_698/2017 du 13 octobre 2017 consid. 4.2). Plus le danger connu de l'auteur est grand et moins ses mobiles méritent attention, plus l'absence de scrupules apparaît comme évidente (ATF 107 IV 163).

2.3.2. Il y a tentative de meurtre lorsque l'auteur, agissant intentionnellement, commence l'exécution de l'infraction, manifestant ainsi son intention de la commettre, sans que le résultat se produise. Il n'est ainsi pas même nécessaire que l'auteur ait souhaité la mort de la victime, ni même que celle-ci ait été blessée ou que sa vie ait été concrètement mise en danger, pour autant que la condition subjective de l'infraction soit remplie (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1116/2022 du 21 avril 2023 consid. 1.4).

Il conviendra en revanche d'appliquer l'art. 129 CP si l'auteur adopte volontairement un comportement qui crée un danger de mort imminent pour autrui, mais refuse, même à titre éventuel, l'issue fatale. Tel sera notamment le cas lorsque l'auteur peut compter que la réalisation du danger ne se produira pas en raison d'un comportement adéquat de sa part, d'une réaction appropriée de la victime ou de l'intervention d'un tiers (arrêts du Tribunal fédéral 6B_418/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.1 et 6B_144/2019 du 17 mai 2019 consid. 3.1).

Dans le cas particulier de l'usage d'une arme à feu, il est admis qu'il y a mise en danger de la vie d'autrui lorsque l'auteur tire un coup de feu à proximité d'une personne qui, par un mouvement inattendu, pourrait se trouver sur la trajectoire et recevoir un coup mortel. Il en va de même si l'auteur tire un coup de feu, sans viser personne, et que quelqu'un pourrait être frappé mortellement par un ricochet de la balle (arrêts du Tribunal fédéral 6B_418/2021 du 7 avril 2022 consid. 5.1 ; 6B_1385/2019 du 27 février 2020 consid. 3.1 ; 6B_560/2018 du 13 août 2018 consid. 2.1 ; 6B_946/2014 du 7 octobre 2015 consid. 3.1 et 6B_88/2014 du 10 novembre 2013 consid. 3.1).

2.4.1. Selon l'art. 15 CP, quiconque, de manière contraire au droit, est attaqué ou menacé d'une attaque imminente a le droit de repousser l'attaque par des moyens proportionnés aux circonstances.

La légitime défense suppose une attaque, c'est-à-dire un comportement visant à porter atteinte à un bien juridiquement protégé, ou la menace d'une attaque, soit le risque que l'atteinte se réalise. Il doit s'agir d'une attaque actuelle ou à tout le moins imminente, ce qui implique que l'atteinte soit effective ou qu'elle menace de se produire incessamment (arrêt du Tribunal fédéral 6B_600/2014 du 23 janvier 2015 consid. 5.1 non publié à l'ATF 141 IV 61 ; ATF 106 IV 12 consid. 2a). Une attaque n'est cependant pas achevée aussi longtemps que le risque d'une nouvelle atteinte ou d'une aggravation de celle-ci par l'assaillant reste imminent (ATF 102 IV 1 consid. 2b) et un moyen de défense en soi légitime ne cesse pas d'être proportionné aux circonstances parce que la personne attaquée en use un instant trop tard (ATF 99 IV 187). S'agissant en particulier de la menace d'une attaque imminente contre la vie ou l'intégrité corporelle, celui qui est visé n'a évidemment pas à attendre jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour se défendre ; il faut toutefois que des signes concrets annonçant un danger incitent à la défense. Par ailleurs, l'acte de celui qui est attaqué ou menacé de l'être doit tendre à la défense. Un comportement visant à se venger ou à punir ne relève pas de la légitime défense ; il en va de même du comportement qui tend à prévenir une attaque certes possible mais encore incertaine, c'est-à-dire à neutraliser l'adversaire selon le principe que la meilleure défense est l'attaque (ATF 93 IV 81 consid. b).

La légitime défense doit intervenir de manière proportionnée, appréciation qui devra être menée en considération de l'ensemble des circonstances concrètes, sans tomber dans des raisonnements a posteriori trop subtils pour établir si l'auteur des mesures de défense n'aurait pas pu ou dû se contenter d'avoir recours à des moyens moins dommageables. La valeur respective des biens en cause doit être mise en balance, en tenant compte des conditions dans lesquelles l'auteur a été amené à faire son choix (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op.cit., n. 17-19 ad art. 15).

La défense choisie doit être la moins dommageable. En revanche, la défense elle-même n'est pas subsidiaire au fait que la personne attaquée prenne la fuite, esquive l'attaque ou appelle la police ; le droit de se défendre est également indépendant de la question de savoir si l'agressé a donné lieu à l'attaque par sa faute ou aurait pu l'éviter en adoptant un autre comportement (ATF 102 IV 228 consid. 2 ; L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op.cit., n. 21 ad art. 15).

2.4.2. À teneur de l'art. 16 CP, si l'auteur, en repoussant une attaque, a excédé les limites de la légitime défense au sens de l'art. 15, le juge atténue la peine (al. 1). Si cet excès provient d'un état excusable d'excitation ou de saisissement causé par l'attaque, l'auteur n'agit pas de manière coupable (al. 2).

Une défense excessive est excusable au sens de l'art. 16 al. 2 CP si l'attaque illicite est la seule cause ou la cause prépondérante de l'état d'excitation ou de saisissement dans lequel s'est trouvé l'auteur. En outre, la nature et les circonstances de l'attaque doivent apparaître telles qu'elles puissent rendre excusable l'état d'excitation ou de saisissement. Comme dans le cas du meurtre par passion, c'est l'état d'excitation ou de saisissement qui doit être excusable, non pas l'acte par lequel l'attaque est repoussée. La loi ne précise pas plus avant le degré d'émotion nécessaire. Il ne doit pas forcément atteindre celui d'une émotion violente au sens de l'art. 113 CP, mais doit revêtir une certaine importance. La peur ne signifie pas nécessairement un état de saisissement au sens de l'art. 16 al. 2 CP. Une simple agitation ou une simple émotion ne suffit pas. Il faut au contraire que l'état d'excitation ou de saisissement auquel était confronté l'auteur à la suite de l'attaque l'ait empêché de réagir de manière pondérée et responsable. La surprise découlant d'une attaque totalement inattendue peut générer un état de saisissement excusable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_922/2018 du 9 janvier 2020 consid. 2.2).

Il appartient au juge d'apprécier de cas en cas si le degré d'émotion était suffisamment marquant et de déterminer si la nature et les circonstances de l'attaque le rendaient excusable. Plus la réaction de celui qui se défend aura atteint ou menacé l'agresseur, plus le juge se montrera exigeant quant au degré d'excitation ou de saisissement nécessaire. Il dispose à cet égard d'un certain pouvoir d'appréciation (ATF 102 IV 1 consid. 3b ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1015/2014 du 1er juillet 2015 consid. 3.2 ; 6B_889/2013 du 17 février 2014 consid. 3.1 et 6B_810/2011 du 30 août 2012 consid. 5.3.2). Lorsqu'un tel état est envisageable, il incombe au juge d'indiquer clairement si l'auteur était ou n'était pas en proie à l'excitation ou au saisissement et, dans l'affirmative, si l'état de trouble était ou n'était pas excusable (ATF 115 IV 167 consid. 1a).

2.4.3. La légitime défense consiste à repousser l'attaque ; elle ne justifie par conséquent que les actes dirigés contre l'attaquant. Si d'autres biens juridiques, qui n'appartiennent pas à ce dernier, sont lésés, il faut faire application des dispositions sur l'état de nécessité ou d'autres faits justificatifs (L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op.cit., n. 15 ad art. 15).

Selon l'art. 18 al. 1 CP, si l'auteur commet un acte punissable pour se préserver ou préserver autrui d'un danger imminent et impossible à détourner autrement, menaçant la vie, l'intégrité corporelle, la liberté, l'honneur, le patrimoine ou d'autres biens essentiels, le juge atténue la peine si le sacrifice du bien menacé pouvait être raisonnablement exigé de lui. L'auteur n'agit en revanche pas de manière coupable si le sacrifice du bien menacé ne pouvait être raisonnablement exigé de lui (al. 2).

Si l'auteur agit sous l'influence d'une appréciation erronée des faits, il doit être jugé d'après cette appréciation si elle lui est favorable (art. 13 al. 1 CP). Celui qui croit, à tort, faire l'objet d'une attaque sans droit, actuelle ou imminente, et qui, sur cette base, contre-attaque, agit ainsi en état de légitime défense putative, respectivement d'état de nécessité putatif (ATF 125 IV 49 consid. 2 ; 122 IV 1 ; 121 IV 207 consid. 2b ; L. MOREILLON / A. MACALUSO / N. QUELOZ / N. DONGOIS (éds), op.cit., n. 29 ad art. 13).

2.5.1. En l'espèce, le TF n'a pas critiqué le raisonnement de la Chambre de céans consistant à se fonder sur l'hypothèse la plus favorable à l'intimé, soit qu'il aurait, dans un premier temps, riposté par une triplette à un premier coup de feu de D______. À la suite d'une mauvaise interprétation du croquis de la police, il a toutefois retenu que, durant cette phase, l'une des balles tirées par A______ avait atteint le trottoir au pied de la palissade et une autre le sol de la place 1______, à proximité de l'entrée de la boutique "E______". Or, en réalité, le premier projectile a pénétré la palissade à une hauteur de 1.05 mètre (le cône figurant sur le croquis indiquant la position horizontale, et non pas verticale, de l'impact ; cf. rapport du 21 novembre 2022, p. 4) et l'autre, dont il n'a pas été possible de déterminer s'il s'agissait d'un tir direct ou d'un ricochet, le store de la boutique, en hauteur. Entendu par la CPAR, l'inspecteur U______ a expliqué que, les braqueurs s'étant déplacés, l'on ne pouvait affirmer qu'ils s'étaient trouvés sur les trajectoires de ces tirs. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de revenir sur l'appréciation faite à l'occasion de l'AARP/62/2021 de tirs dirigés dans une zone neutre, ce d'autant plus que cette version est corroborée par les déclarations de D______, selon lequel lui et son adversaire ne s'étaient pas mutuellement visés.

Au demeurant, le MP concède lui-même que durant cette phase, les tirs de l'agent de sécurité n'étaient pas constitutifs d'une infraction pénale, l'intéressé n'ayant pas visé ses adversaires et pouvant, dans tous les cas, se prévaloir d'un état de légitime défense ou de nécessité.

2.5.2.1. Seuls entrent dès lors en ligne de compte les tirs effectués par l'intimé alors qu'il s'était réfugié à l'angle des rues 3______ et 8______, soit durant les deux dernières phases des événements, telles que délimitées dans l'arrêt entrepris (cf. let. A.c. supra).

La police a, dans un premier temps, conclu des impacts observés sur les lieux et des positions connues des parties que les tireurs s'étaient pris pour cible sur au moins une partie des coups tirés, avant de relativiser ses propos, en reconnaissant qu'il n'était pas possible de situer avec exactitude, pour chaque trace d'impact, la position des protagonistes, compte tenu des déplacements de ceux-ci durant la fusillade. Il n'est dès lors pas possible de déduire de son constat initial un risque que les tirs de l'intimé aient été susceptibles d'atteindre les braqueurs.

Il est néanmoins incontestable que, pendant les deux phases susmentionnées, l'intimé a en grande partie, voire exclusivement, dirigé ses coups en direction du scooter des braqueurs, ce que confirment les 17 impacts retrouvés dans le véhicule.

Or, durant une partie de ce laps de temps, K______ se trouvait accroupi derrière celui-ci. Sa position exacte est difficile à cerner avec précision. Lors de l'audience du 22 mai 2023, l'intimé l'a située au niveau de la roue avant, soit dans la zone dans laquelle les traces des tirs ont été constatées. Cette déclaration est toutefois en contradiction tant avec son affirmation selon laquelle il aurait visé de manière à ne pas atteindre ses adversaires, qu'avec celle de l'intéressé, qui a lui-même dit qu'il se tenait derrière la roue arrière du [scooter de modèle] 9______. Compte tenu de la rapidité de l'échange et de la situation de stress dans laquelle elle avait légitimement plongé l'intimé, ainsi que de l'écoulement du temps avant qu'il ne fournisse cette précision, l'on ne saurait attacher une importance démesurée à son propos selon lequel K______ se tenait à l'avant du motocycle. La CPAR ne partage par ailleurs pas l'analyse de la police qui, dans ses derniers rapports, a conclu que durant toute la phase de tirs, K______ devait tenir le véhicule par le guidon, dans la mesure où l'engin avait été retrouvé sur le flanc, les béquilles non déployées. Il est en effet manifeste, au vu du déroulement des faits et des déclarations des protagonistes, que les béquilles du scooter n'ont été relevées que durant la dernière phase de tir, alors que les braqueurs tentaient une dernière fois de le faire démarrer. La CPAR retiendra, dans ces conditions, la version la plus favorable au prévenu, soit que K______ se dissimulait derrière la roue arrière du véhicule. Il ne peut par conséquent être considéré comme démontré que le braqueur était, durant cette avant-dernière phase, dans la zone visée par l'intimé.

Cela étant, il en était à proximité immédiate. Le risque qu'il soit atteint, directement ou indirectement, par un projectile, était dès lors non négligeable, risque d'autant plus grand qu'un mouvement inopiné de sa part ou un ricochet ne pouvaient, dans l'absolu, être exclus.

Par ailleurs, si l'on admet que l'impact dans le store de la boutique "E______" et les deux tirs ayant atteint la palissade en verre correspondent à la première triplette/double doublette de l'intimé, avant qu'il se mette à l'abri, il ressort clairement du nombre de coups tirés, alors que l'intimé se tenait dissimulé à l'angle du mur (vraisemblablement neuf, soit trois triplettes, en réponse aux trois tirs de son adversaire) et du nombre d'orifices qui a pu être compté dans la zone du [scooter de modèle] 9______ (cinq dans ce dernier, un dans le sac posé sur la selle et deux dans le scooter de P______), qu'à tout le moins un des tirs de la dernière triplette a atteint la zone du [scooter] 9______ alors que D______ et K______ se trouvaient debout derrière ce véhicule et tentaient de le faire redémarrer.

Il est dès lors indéniable que la vie des malfaiteurs a été objectivement mise en danger par les tirs de l'intimé.

2.5.2.2. Reste à déterminer si l'intimé a agi avec volonté, en acceptant une telle issue au cas où elle se produirait, ou a escompté qu'un tel résultat, certes possible, ne se produirait pas.

L'intimé a toujours soutenu qu'il ne voulait pas atteindre ses adversaires.

Il s'agit d'un tireur aguerri, qui suivait, plusieurs fois par année, des entraînements de tirs à balles réelles, sur des silhouettes humaines, comportant chaque fois entre 50 et 100 coups de feu. Ses résultats ont été qualifiés de "bons", ce qui signifie qu'ils étaient suffisamment fiables pour l'autoriser à porter une arme dans le cadre de son emploi et, le cas échéant, à en faire usage en en limitant les risques inhérents.

L'intimé se trouvait par ailleurs à une dizaine de mètres de ses adversaires, distance proche de celle des exercices de tirs auxquels il était habitué, et qui rendait possibles des tirs de précision.

Les munitions employées donnaient, selon la police, des résultats de tir bons et réguliers.

La configuration des lieux lui permettait enfin de prendre appui contre le mur de sa main gauche, afin de stabiliser son tir de la main droite, ce qui réduisait d'autant le risque d'absence de précision lié au fait de ne tenir l'arme qu'à une main.

L'agent de sécurité est dès lors crédible lorsqu'il affirme qu'il aurait atteint ses adversaires si tel avait été son but.

Tel a au demeurant été le sentiment de D______, qui a déduit de leur proximité et du fait que personne n'avait été touché que l'intimé n'avait jamais cherché à le faire. Que les deux braqueurs aient à nouveau tenté de faire démarrer leur véhicule, malgré le risque d'être sous le feu ennemi, témoigne également de leur absence de crainte d'être atteints par ce dernier.

Le seul fait que, dans un premier temps, l'agent de sécurité se soit lancé à la poursuite des braqueurs dans le but de les intercepter, et non pas de protéger L______, comme il le prétendait (cf. AARP/62/2021 consid. 2.2.3), ne permet pas d'en inférer qu'il voulait parvenir à ce résultat à n'importe quel prix et avait envisagé à un quelconque moment de faire usage de son arme, encore moins en touchant les fuyards.

L'intimé n'a d'ailleurs eu de cesse d'intimer aux braqueurs l'ordre d'arrêter de tirer et de se coucher, et n'a fait usage de son pistolet qu'en dernier recours, lorsqu'il a été pris pour cible par D______.

Contraint à la riposte, il s'est abstenu de tirer dans le container à poubelles derrière lequel était dissimulé D______, faute de visibilité, et a renoncé à un tir de précision sur l'une des extrémités de ce dernier, l'estimant impossible à réaliser dans le contexte.

Après avoir nié avoir su que l'un des braqueurs s'était réfugié à l'abri du [scooter] 9______, l'intimé a finalement admis l'avoir aperçu par intermittence à travers le véhicule et avoir été attentif à ce qu'il ne se trouve pas dans la trajectoire de ses tirs. Cette version est soutenue par le fait que les traces d'impact se situent toutes en hauteur (sac, selle et top case du scooter adjacent) et/ou en direction de l'avant du véhicule, soit à l'opposé de la position de K______ telle que décrite par ce dernier et retenue ci-dessus.

Dans ces conditions, quand bien même l'intimé, tireur expérimenté, ne peut être suivi lorsqu'il soutient avoir ignoré que ses balles pouvaient traverser le volumineux véhicule, voire même un corps humain (cet argument fantaisiste, soulevé tardivement, n'a d'ailleurs jamais été étayé par aucun élément permettant de penser qu'une telle information lui aurait été dispensée), l'on ne peut affirmer pour autant qu'il a pris pour cibles les braqueurs, ou accepté que ses tirs puissent entraîner le décès de l'un ou l'autre d'entre eux.

Le fait que la dernière triplette était dirigée dans leur direction alors qu'ils étaient à découvert n'est pas significative d'un changement d'état d'esprit. Ainsi que l'a déjà relevé la Chambre de céans, cette nouvelle position permettait à l'intimé une meilleure visibilité, et donc davantage de précision dans ses tirs. Dans l'impossibilité de déterminer quels impacts ont été provoqués par cette dernière triplette, l'on ne saurait affirmer, sans violer la présomption d'innocence, que les traces en hauteur (70 cm et 90 cm dans le scooter de P______, 83 cm dans le [scooter] 9______) résultent de cette ultime salve et que le risque d'atteindre des parties vitales du corps des malfrats était si élevé qu'il ne pouvait pas ne pas venir à l'esprit de l'intimé.

Il faut par conséquent retenir que, durant cette séquence, les tirs ont été dirigés vers l'avant et le bas du véhicule, seules les parties les moins vulnérables du corps des malfrats, soit leurs jambes, étant susceptibles d'être atteintes par des tirs traversants.

Certes, jugé a posteriori, l'intimé ne pouvait objectivement être assuré à 100% d'atteindre la zone qu'il visait, au vu des circonstances. Ne raisonner que sur cette base contraindrait toutefois dans tous les cas, en cas de fusillade, à retenir la tentative de meurtre, la précision systématique d'un tir ne pouvant jamais être assurée.

La CPAR admettra donc que les éléments listés ci-dessus autorisaient l'intimé à escompter une précision de ses tirs suffisante pour éviter d'atteindre mortellement, par accident, K______ ou D______.

Un mouvement inopiné plaçant l'un ou l'autre dans la trajectoire des tirs de l'agent de sécurité, demeurait quant à lui très théorique, un chemin de fuite naturel s'offrant aux intéressés par le trottoir jouxtant le "H______" en direction de la place 1______, soit dans la direction opposée à celle ciblée par l'intimé. Il est dès lors plausible que ce dernier n'ait pas envisagé cette éventualité.

L'intimé a enfin déclaré avoir écarté la possibilité d'une blessure mortelle par ricochet, pensant que cela ne serait pas le cas. Dans la mesure où les braqueurs se trouvaient derrière le scooter qu'il visait et devant une palissade en verre, l'on peut, ici également, admettre que l'hypothèse d'un projectile atteignant K______ et D______ de manière indirecte pouvait être écartée. Aucune trace d'impact n'a d'ailleurs, à teneur des rapports de police, été constatée entre les deux scooters, soit à l'endroit où se sont tenus les deux hommes durant la fusillade.

À ces éléments l'on peut ajouter qu'en tant que membre des forces de l'ordre françaises durant près de 20 ans, l'intimé s'est vu dispenser une formation tendant plutôt à chercher à protéger la vie, fût-elle celle d'un délinquant, plutôt que de l'ôter. Il a été sensibilisé, durant celle-ci, aux notions de légitime défense et d'état de nécessité et les résultats obtenus démontrent qu'il en connaissait les limites. Il s'est entraîné régulièrement au tir dans des conditions de stress et a indiqué avoir été confronté à plusieurs reprises, dans son parcours professionnel, à des situations similaires, sans jamais devoir faire usage de son arme. L'entretien d'évaluation qu'il a passé peu avant les faits a souligné sa fiabilité et ses compétences professionnelles ; le responsable de la formation au B______ a reconnu ses qualités de bon agent et son supérieur hiérarchique salué son attitude sur le terrain et sa maîtrise, y compris lors de braquages. L'intimé avait au demeurant tout à perdre d'une blessure mortelle infligée aux malfaiteurs et ne pouvait l'ignorer. Comme relevé dans l'arrêt du 3 mars 2021, un refus conscient de blesser mortellement est donc cohérent avec sa personne et il est douteux que, malgré les conditions auxquelles il devait faire face, l'intimé a perdu son sang-froid, comme l'a un moment pensé D______, au point de tirer dans le but de tuer ses adversaires, ou à tout le moins en acceptant cette éventualité.

Au vu de ce qui précède et ainsi que la CPAR l'a constaté dans son précédent arrêt, un refus conscient de l'intimé de blesser mortellement les malfaiteurs était réaliste.

Rien ne permet de considérer, dans ses conditions, que l'intimé a accepté à aucun moment de toucher mortellement l'un des deux braqueurs et qu'il s'est accommodé de ce résultat au cas où il se produirait.

Son acquittement de l'infraction de tentative de meurtre sera dès lors confirmé, son comportement devant tout au plus être appréhendé sous l'angle de l'art. 129 CP.

2.5.3. En toute hypothèse, une situation de légitime défense (art. 15 CP), voire d'une défense excessive excusable (art. 16 al. 2 CP), voire encore, subsidiairement, d'un état de nécessité, cas échéant putatif (art. 13 al. 1 et 18 al. 2 CP), doit être admise.

Il est en effet incontestable que la vie de l'agent de sécurité a été mise en danger par les tirs de D______.

L'intimé a par ailleurs systématiquement répliqué, par des triplettes suivant de quelques secondes les coups de feu de son adversaire, mais n'a à aucun moment tiré de manière isolée.

Le MP estime que les conditions d'une légitime défense ne sont pas réalisées, d'une part parce que l'agent de sécurité aurait pu fuir par la rue 8______ ou se dissimuler dans l'entrée du parking, d'autre part car il n'a tiré qu'en direction de K______, qui n'était pas armé, et enfin, lors de la dernière salve, du fait que D______ avait cessé de tirer.

Il est vrai que la légitime défense implique de viser l'attaquant, et non un tiers.

À cet égard, l'hypothèse de D______ selon laquelle l'agent de sécurité n'avait peut-être pas discerné lequel de ses adversaires était armé et lui tirait dessus, ne peut être suivie. En effet, l'intimé a admis devant le TCO avoir déduit que K______ n'était pas armé du fait que l'individu accroupi derrière le scooter ne tirait pas.

Il n'en demeure pas moins qu'il faudrait alors, en ce qui concerne K______, mettre l'intimé au bénéfice de l'état de nécessité.

Certes, une fois à l'abri de l'angle du mur, et pour autant qu'il n'en sortît pas pour tirer en direction des braqueurs, l'intimé n'était plus sous le feu direct de D______. Les trois derniers coups de feu sont par ailleurs intervenus alors que ce dernier avait cessé ses tirs et s'affairait, avec K______, à démarrer le scooter. La probabilité d'une nouvelle attaque des braqueurs demeurait toutefois élevée. L'explication que l'intimé a toujours donnée, selon laquelle l'un de ses objectifs était d'éviter que D______ et K______ ne parviennent à faire démarrer leur scooter et lui tirent dessus en passant, pour protéger leur fuite, est crédible. La détermination de ses adversaires à fuir à tout prix était en effet manifeste, ne serait-ce que parce qu'en apercevant l'agent de sécurité au milieu de la rue 3______, armé et lui intimant l'ordre de s'arrêter et de se coucher, D______ n'a pas hésité à le mettre en joue et à faire feu. La volonté des braqueurs de faire usage, dans ce but, de leur véhicule, résulte quant à elle tant du fait qu'à aucun moment, ils n'ont cherché à fuir les lieux à pied, bien qu'ils l'eussent pu, que de la poursuite des tirs par D______ afin de contraindre l'agent de sécurité à vider son chargeur, ce qui sous-tendait une volonté de fuir dans sa direction, en empruntant la rue 8______. Or, celle-ci ne comportait a priori pas d'échappatoire immédiate pour l'intimé, dans la mesure où une fuite par la rue en direction de la gare impliquait le risque que les malfaiteurs arrivent dans son dos avant qu'il ait pu se mettre à couvert et ne lui tirent dessus dans cette position vulnérable. Il ne ressort en outre pas des photographies versées au dossier que l'entrée du parking située à sa gauche offrait à l'intimé des possibilités suffisantes de dissimulation. À tout le moins, l'on ne pouvait exiger de lui, au vu des circonstances, qu'il quitte des yeux les braqueurs pour aller s'en assurer.

En ce qui concerne la dernière phase, les braqueurs avaient certes quitté leurs abris respectifs et s'affairaient sur leur véhicule, ce qui a posteriori permet de constater que l'attaque était achevée. Dans le contexte de l'époque, l'on ne saurait cependant affirmer que cette fin était perceptible pour l'agent de sécurité. L'enchaînement des coups de feu a en effet été extrêmement rapide, ce qui n'a laissé le temps à aucun des protagonistes d'analyser la situation en détail. L'intimé a fait face à un malfaiteur déterminé, qui n'avait pas hésité à tirer sur lui alors qu'il le voyait armé, et avait continué à le faire malgré les tirs de semonce et les injonctions de l'intimé. L'éventualité que D______ fît à nouveau feu pour éloigner l'agent de sécurité et permettre ainsi à son comparse de démarrer le scooter, était ainsi bien réelle à tout moment. L'on ne pouvait donc exiger de l'intimé, dans ces conditions, qu'il s'abstint de faire feu, le temps de s'assurer que son adversaire avait bien rangé son revolver, dans la mesure où un tir rapide de l'intéressé n'aurait pu être anticipé pour être paré à temps. Les ripostes de l'intimé sont enfin intervenues à chaque fois moins de cinq secondes après le tir de son adversaire, soit dans une temporalité permettant de les considérer comme des tirs défensifs face à une attaque.

Quand bien même l'on admettrait que l'intimé a excédé les limites de la légitime défense, son comportement serait excusé par les circonstances. En effet, ainsi qu'il l'a relaté, s'il avait déjà été confronté à des situations dans lesquelles il avait dû dégainer, les personnes concernées obtempéraient généralement aux injonctions. Il est dès lors compréhensible que l'intimé a craint pour sa vie du premier tir jusqu'à l'interpellation des deux individus, dans le cadre d'une situation que l'inspecteur U______ a lui-même qualifiée d'extrêmement stressante. La violence des émotions ressenties est pour le surplus attestée par les nombreuses séances que l'intimé a suivies avec une psychologue de la police et ses évaluations postérieures aux faits.

Pour les motifs exposés ci-dessus, notamment l'absence de voie de fuite sûre offerte à l'agent de sécurité, des tirs destinés à immobiliser le véhicule des braqueurs pour les empêcher de passer devant lui étaient la moins mauvaise option qui s'offrait à lui pour préserver sa propre vie.

À tout le moins, l'intimé était légitimé à le considérer ainsi.

Un état de nécessité, cas échéant putatif, doit être admis.

2.5.4. L'acquittement de l'intimé du chef de tentative de meurtre doit dès lors être confirmé pour ce motif également et, partant, l'appel du MP rejeté.

2.5.5. Par surabondance de moyens et dès lors que l'art. 129 CP a été évoqué tant par le MP que par le TF, la CPAR relève que l'on aboutirait à une solution identique si l'on envisageait le comportement de l'intimé sous l'angle de cette disposition.

Certes, quand bien même sa volonté de tuer l'un ou l'autre de ses adversaires doit être niée, il n'est pas exclu que, par ses tirs, l'intimé a mis leur vie en danger.

Cette question peut toutefois demeurer ouverte, la réalisation de l'élément constitutif subjectif de l'absence de scrupules devant en toute hypothèse être niée, les considérants du TF au sujet de la mise en danger de la vie de tiers (consid. 5.4) valant mutatis mutandis pour celle des braqueurs.

En effet, dans le contexte d'espèce, impliquant la fuite des malfaiteurs, dont l'un faisait usage d'une arme dans sa direction, l'on ne peut reprocher à l'intimé d'avoir fait feu dans un profond mépris de la vie d'autrui. Il n'a pas tiré à l'aveuglette, mais a riposté à des tirs dirigés contre lui, en visant des zones qu'il estimait de moindre danger. Il n'a eu de cesse d'intimer aux malfrats l'ordre de se coucher, leur laissant le loisir de se rendre, étant précisé que la voie de fuite des intéressés du côté de la place 1______ n'a jamais été obstruée. Certes, l'explication de l'intimé selon lequel il aurait tenté de prendre les braqueurs à revers dans le but de protéger L______ a été écartée par la CPAR dans son arrêt du 3 mars 2021 au profit d'une volonté de les intercepter. Il n'en demeure pas moins que l'objectif de protéger les personnes présentes est revenu en premier plan lorsque D______ a menacé ses poursuivants de son arme et fait mine de saisir la bijoutière. Dans cette configuration, le comportement de l'intimé rencontre, comme le dit le TF, "une certaine compréhension en raison de ses mobiles, de son but et de son état". Il n'apparaît en tous cas pas contraire aux principes généralement admis des bonnes mœurs et de la morale. Le fait que D______ a, à plusieurs reprises, répété se sentir entièrement responsable de ce qui s'était passé et espérer que l'agent de sécurité ne serait pas condamné, en est un indice supplémentaire.

L'acquittement de l'intimé du chef de mise en danger de la vie de D______ et K______ sera dès lors confirmé et l'appel du MP rejeté en tant qu'il concluait, subsidiairement, à une condamnation du chef de l'infraction prévue à l'art. 129 CP.

3. L'appelant succombe, de sorte que les frais de la procédure d'appel, y compris un émolument de CHF 2'500.-, seront laissés à la charge de l'État (art. 428 CPP).

4. 4.1. Conformément à l'art. 429 al. 1 let. a CPP, si le prévenu est acquitté totalement ou en partie, il a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'autorité pénale amenée à fixer une indemnité sur le fondement de cette disposition n'a cependant pas à avaliser purement et simplement les notes d'honoraires d'avocats qui lui sont soumises : elle doit, au contraire, apprécier objectivement la pertinence et l'adéquation des activités facturées, par rapport à la complexité juridique et factuelle de l'affaire, et dire si le montant des honoraires réclamés, même conformes au tarif pratiqué à Genève, est proportionné à la difficulté et à l'importance de la cause, c'est-à-dire raisonnable au sens de la loi (ACPR/140/2013 du 12 avril 2013).

4.2. En l'espèce, l'activité facturée (plus de 40 heures) paraît excessive, au regard de celle développée dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l'arrêt de la Chambre de céans du 3 mars 2021 (30 heures), dont l'enjeu était pourtant plus large, puisque non limité par un arrêt du TF, et comportait davantage de protagonistes, D______ contestant sa condamnation pour tentative de meurtre, avec les conséquences que cela pouvait engendrer sur la culpabilité de l'intimé. Certes, postérieurement à l'arrêt de renvoi du TF, l'avocat a dû prendre connaissance et analyser les différentes pièces supplémentaires versées au dossier, notamment les rapports de la BPTS. Outre le fait que plusieurs heures ont déjà été facturées à ce titre, cela ne justifie en rien le temps de préparation à l'audience du 22 mai 2023 (20 heures), alors que seules neuf heures avaient été consacrées à la préparation de celle du 19 janvier 2021. Dès lors, seules neuf heures seront prises en considération à ce titre.

Hormis la prise de connaissance de l'arrêt du 3 mars 2021 et sa communication à l'intimé, l'on ne saurait par ailleurs imputer à la défense nécessitée par la procédure d'appel l'activité déployée avant que le dossier ne revienne du TF. L'activité facturée serait dès lors diminuée de trois heures (activités des 8 et 29 avril et 11 mai 2022).

L'audience d'appel a duré trois heures 30 et non quatre heures.

Les débours ne sont pas détaillés et, a fortiori, non prouvés. Ils ne seront donc pas pris en considération.

L'intimé est domicilié en France, de sorte que l'avocat ne peut pas facturer de TVA à ce titre (ATF 141 IV 344 consid. 2-4).

Une indemnité de CHF 11'700.- TTC, correspondant à 26 heures d'activité, au tarif horaire de chef d'étude de CHF 450.-, sera dès lors allouée à l'intimé, à la charge de l'État, pour ce pan de la procédure d'appel.

Ce montant s'ajoute à celui de CHF 12'731.75 TTC, non contesté, fixé dans l'arrêt du 3 mars 2021.

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Prend acte de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_418/2021 du 7 avril 2022 annulant partiellement l'arrêt de la Chambre d'appel et de révision AARP/62/2021 du 3 mars 2021 en tant qu'il concerne A______.

Reçoit l'appel par le Ministère public contre le jugement JTCO/70/2020 rendu le 2 juin 2020 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/10196/2017.

Le rejette.

Laisse, à la charge de l'État de Genève, les frais de la procédure d'appel, en CHF 2'765.-, qui comprennent un émolument de CHF 2'500.-.

Condamne l'État de Genève à payer à A______ la somme totale de CHF 24'431.75 TTC à titre d'indemnité pour les frais de la procédure d'appel.

Confirme le jugement entrepris, dont le dispositif est le suivant, en ce qui concerne A______ :

"Acquitte A______ des chefs de tentative de meurtre (art. 22 cum art. 111 CP), mise en danger de la vie d'autrui (art. 129 CP) et dommages à la propriété (art. 144 CP).

Condamne l'État de Genève à verser à A______ CHF 60'907.31, à titre d'indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure (art. 429 al. 1 let. a CPP)".

Notifie le présent arrêt à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale..

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

Total des frais de procédure du Tribunal correctionnel :

CHF

34'540

Total des frais de la procédure d'appel avant TF :

CHF

5'395.00

 

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision après TF

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

80.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

110.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

2'500.00

Total des frais de la procédure d'appel après TF :

CHF

2'765.00

Total général (première instance + appel avant et après TF) :

CHF

42'700.00