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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/15083/2019

AARP/283/2023 du 26.07.2023 sur AARP/254/2022 ( REV ) , JUGE

Descripteurs : RÉVISION(DÉCISION)
Normes : CPP.410.al1
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/15083/2019 AARP/283/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 26 juillet 20233

 

Entre

A______, actuellement détenu en exécution anticipée de peine aux Établissements [pénitentiaires] de B______, ______, comparant par Me C______, avocat,

demandeur en révision,

 

contre l'arrêt AARP/254/2022 rendu le 31 août 2022 par la Chambre pénale d'appel et de révision,

et

D______, partie plaignante,

E______, partie plaignante, comparant par Me Alain GROS, avocat, MLL MEYERLUSTENBERGER LACHENAL FRORIEP SA, rue du Rhône 65, case postale 3199, 1211 Genève 3

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimés en révision.


EN FAIT :

A. a. Par acte du 14 avril 2023, A______ forme une demande en révision à l'encontre de l'arrêt AARP/254/2022 rendu le 31 août 2022 par la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR), par lequel celle-ci l'a déclaré coupable de tentative de meurtre (art. 22 al. 1 du Code pénal [CP] en lien avec l'art. 111 CP), de lésions corporelles simples (art. 123 ch. 1 et ch. 2 al. 4 CP), de contrainte (art. 181 CP), de viol (art. 190 al. 1 CP), de tentative de viol (art. 22 al. 1 CP en lien avec l'art. 190 al. 1 CP), de contrainte sexuelle (art. 189 al. 1 CP) et de violation du devoir d'assistance ou d'éducation (art. 219 al. 1 CP), et l'a condamné à une peine privative de liberté de six ans et six mois. La CPAR l'a en outre expulsé de Suisse pour une durée de huit ans, a ordonné l'inscription de cette expulsion au système d'information Schengen et l'a condamné à payer à D______ CHF 5'000.- à titre de tort moral.

Le 10 octobre 2022, cet arrêt a fait l'objet d'un recours auprès du Tribunal fédéral (procédure 6B_1214/2022). Par ordonnance du juge instructeur du 2 mai 2023, la cause a été suspendue dans l'attente de l'issue de la présente procédure de révision.

b. A______ entreprend intégralement l'arrêt AARP/254/2022, concluant au renvoi de la cause au Ministère public pour complément d'instruction, sous suite de frais.

Le Ministère public (MP) conclut au rejet de la demande en révision. E______ s'en rapporte à la justice et D______ n'a pas déposé d'observations.

B. La demande en révision est fondée sur les faits suivants :

a. En octobre 2022, F______ a écrit une lettre manuscrite à destination de son père incarcéré. Sa teneur est la suivante : "Bonjour je vous écrit car j'ai beaucoup de regrets Monsieur et Madame les Juges Suite a l'affaire de mon père je suis dans le regrets de vous dire que j'ai menti mon père n'était pas le seul à avoir un couteau sur lui mais D______ aussi en avait un. Monsieur et Madame les Juges il est réel que mon père est en danger en Turquie. Je ne vous dis pas tout sa pour le défendre ou par peine. Mon père, s'il part en prison en Turquie il en resortira pas car toute ses années il sait enfuit. Je sais que se que mon père a pu commetre est impardonnable mais D______ aussi a été en tord mon père a aussi voulu se défendre peut-être pas de la bonne manière. Si je vous écris sa c'est pour pouvoir avancer dans ma vie sans avoir de regrets dans le futur. Je suis vraiment désolé d'avoir menti devant toute la cours du Tribunal".

b. Le 15 mai 2023, la CPAR a reçu un courriel adressé par "G______" sous l'adresse courriel "G______@gmail.com" et signé "F______", avec pour objet le numéro de la procédure. Dans le courriel, il était mentionné : "Je vous écris suite a une lettre que j'ai écrite qui a été adresser de ma part. Se qui concerne l'affaire du couteau se n'est pas D______ qui porter un couteau sur lui. Mais se qui concerne la situation en Turquie est réel. Et en vue de sa situation il pourrait avoir de grave probleme si il est transferer la bas. je vous demande de ne pas prendre l'histoire du couteau que sois disant D______ portait je l'ai écrite avec l'avis de plusieurs bouche dont je ne peux pas cité de nom. je vous prie de bien vouloir prendre en considération se dernier message. Monsieur et madame les président je vous prie vraiment de prendre en compte se message".

C. Les faits pertinents suivants ressortent des procédures antérieures :

a.a. H______ et A______ se sont mariés en Turquie en 1990 et sont venus vivre en Suisse en 2003. Le couple a six enfants, soit les jumelles I______ et J______ nées en 1993, K______ née en 1995, L______ née en 1996, M______ né en 1999 et F______ née en 2003.

a.b. Par jugement du 14 novembre 2017, le Tribunal de première instance, statuant sur mesures protectrices de l'union conjugale, a attribué la jouissance exclusive du domicile conjugal à E______ et a fait interdiction à A______ de s'approcher à moins de 100 mètres de son épouse ou de l'ancien domicile conjugal et de prendre contact avec elle (jugement JTPI/14913/2017).

b.a. Selon l'arrêt de la CPAR du 31 août 2022, le soir du 18 juillet 2019, A______ s'était rendu sans y être convié au domicile de E______, dans lequel se trouvaient cette dernière ainsi que F______ et D______, son nouveau partenaire. Envahi par la colère à la vue d'un autre homme dans l'appartement qu'il considérait être toujours le sien en présence de celle qui demeurait, selon lui, sa compagne, A______ s'était dirigé vers D______ et lui avait asséné plusieurs coups de poing. Il s'était ensuite rendu dans la cuisine et s'était emparé d'un couteau d'une longueur totale d'environ 30 cm. Après avoir écarté H______ et F______, qui tentaient de s'interposer, il avait assené deux coups de couteau à D______, l'un au niveau de la nuque et l'autre dans le dos, et avait tenté de lui porter un coup dans le ventre, avant d'être désarmé par le précité qui avait réussi à saisir le couteau et à en tordre la lame. A______ était alors retourné dans la cuisine pour y chercher un autre couteau, laps de temps que D______ avait mis à profit pour fuir en sautant du balcon.

b.b. Vers 22h23, la Centrale d'engagement, de coordination et d'alarme (CECAL) avait reçu un appel de F______ expliquant que son père avait poignardé son "beau-père" au domicile familial. À son arrivée, la patrouille avait repéré A______ et E______ sur le trottoir à proximité du domicile. Alors que les policiers voulaient le contrôler, le premier s'était débarrassé d'un couteau en le jetant dans des buissons, puis avait été appréhendé.

b.c. D______ avait été transporté aux urgences en ambulance. Si les blessures qu'il avait reçues n'avaient jamais mis concrètement sa vie en danger, une issue fatale n'avait été évitée que grâce au courage dont avaient fait preuve H______ et F______ en s'interposant, ainsi que D______ en saisissant la lame avec ses mains, outre que le coup porté à la nuque avait vraisemblablement par chance heurté une chaîne métallique qu'il portait.

c.a. Entendu par les autorités pénales, A______ a affirmé qu'il s'était rendu le 18 juillet 2019, au domicile de sa femme pour y boire le thé, certes sans y être invité, mais après avoir tenté de la joindre. Lorsque F______ lui avait ouvert, il avait vu D______, torse nu, dans le salon. Celui-ci lui avait dit qu'il était lui-même un visiteur et avait sorti un couteau pliable de la poche de son pantalon. Pris de peur, il était alors allé dans la cuisine pour se saisir d'un grand couteau afin de se défendre. Voyant le prénommé tenter de s'échapper par le balcon, il l'y avait rejoint et avait fait plusieurs mouvements horizontaux avec l'arme pour se défendre, sans savoir si ces gestes avait atteint D______. Avant de sauter du balcon, ce dernier lui avait donné un coup de poing mais ne l'avait pas touché, atteignant à la place son épouse qui tentait, avec sa fille, de le retenir, car de peur qu'il saute également. Il était ensuite sorti de l'appartement en oubliant de poser le couteau qu'il avait dans la main. Il n'avait jamais frappé D______, ni E______, n'était pas allé dans la cuisine pour prendre un second couteau, et n'avait pas dit qu'il allait tuer le plaignant. S'agissant des déclarations de son ex-épouse, de D______, de sa fille et du petit ami de cette dernière, qui contredisaient les siennes, elles étaient concordantes parce qu'ils s'étaient tous ligués contre lui.

c.b. D______ a déclaré que le 18 juillet 2019, alors qu'il se trouvait dans le salon de E______, il avait été surpris par l'arrivée d'A______, qui s'était jeté sur lui en criant en turc et l'avait d'abord frappé avec ses mains, avant d'utiliser un couteau à pain pris à la cuisine. E______ avait essayé de s'interposer, mais A______ l'avait repoussée et était revenu vers lui. Il lui avait porté un premier coup de couteau, passant par-dessus E______ qui s'était à nouveau interposée, et l'avait atteint l'arrière gauche du cou. A______ avait ensuite projeté la précitée contre le mur et, alors qu'il était, pour sa part, parti sur le balcon pour lui échapper, ce dernier était revenu à la charge en le frappant dans le dos au niveau des reins. Tandis que A______ s'apprêtait à le frapper une nouvelle fois au ventre, il était parvenu à saisir la lame de son couteau, se blessant aux doigts de la main gauche, et à lui donner un grand coup au visage de la main droite, ce qui avait eu pour effet de le repousser dans le salon. Se sentant en danger de mort, il avait alors sauté du balcon, puis s'était caché sous un banc à proximité. Peu après, constatant que A______ le cherchait un couteau à la main, il s'était mis à courir pour lui échapper. Ce dernier l'avait poursuivi sans parvenir à le rattraper.

c.c. E______ a déclaré que le soir des faits, A______ était entré dans l'appartement sans prévenir et avait vu dans le salon D______, qui était son "petit copain". Il s'était alors immédiatement dirigé vers ce dernier, l'avait saisi par le cou et lui avait asséné plusieurs coups de poing dans le ventre. Elle avait tenté de séparer les deux hommes, mais A______ l'avait attrapée par les cheveux et elle avait eu "un choc" à l'arcade sourcilière gauche qui lui avait fait perdre connaissance. En revenant à elle, elle avait constaté que les deux hommes se battaient sur le balcon. A______ se tenait au-dessus de D______ et lui donnait des coups de poing au visage. Sa fille F______ criait et tentait de les séparer. A______ s'était ensuite dirigé vers la cuisine, avait sorti le plus grand couteau du tiroir à couverts et dit à l'attention de D______ : "je vais te tuer". Il était ensuite retourné en courant sur le balcon et avait poignardé ce dernier à plusieurs reprises dans le dos. Le couteau s'étant tordu, A______ s'était remis à donner des coups de poing à D______, puis était retourné à la cuisine pour s'emparer d'un autre couteau. À son retour sur le balcon, le précité avait disparu. Il était alors parti à sa recherche en bas de l'immeuble, et elle l'avait suivi.

c.d. Entendue selon le protocole "enfants victimes d'infractions graves" (EVIG), F______ a expliqué que cela faisait un certain temps que son père, toujours amoureux de sa mère malgré leur séparation, était à la recherche du copain de celle-ci. Le soir des faits, A______ était entré dans l'appartement et avait mis un gros coup dans la tête de D______, qui se trouvait sur le canapé dans le salon. Ce dernier s'était ensuite levé tous deux avaient commencé à se battre, en se déplaçant jusqu'au balcon. Son père avait un regard haineux, "comme s'il avait le démon". En tentant de s'interposer, elle avait reçu un coup à la tête, destiné à D______, ainsi qu'au ventre. Sa mère avait également tenté d'arrêter son père, mais ce dernier l'avait repoussée, la faisant tomber à terre la tête la première. A______ s'était ensuite rendu dans la cuisine pour prendre un grand couteau et, tandis qu'avec E______ elles lui criaient d'arrêter et tentaient de s'interposer, avait porté un coup de couteau au bas du dos de D______. Il y avait eu du sang partout. Voyant que son père n'était pas prêt de s'arrêter et qu'il voulait tuer l'ami de sa mère, elle l'avait tiré de toutes ses forces, ce qui avait permis à D______ de s'enfuir en sautant par le balcon. Elle ne pouvait pas préciser si ce dernier avait reçu d'autres coups de couteau. Elle avait ensuite couru vers la porte de l'appartement pour enfermer son père et l'empêcher de poursuivre D______, mais il l'avait repoussée. Ne se sentant pas bien, elle était tombée dans les escaliers, où son petit ami, N______, l'avait retrouvée. Son père était alors en contrebas du balcon, à la recherche de D______.

c.e. N______ a relaté que, le 18 juillet 2019 vers 22h30, un homme, qu'il ignorait être le père de F______, était monté avec lui dans l'ascenseur menant chez sa copine. Il s'était ensuite dirigé vers la porte palière du domicile de F______ et avait frappé. Lorsque sa copine avait ouvert la porte, l'homme était entré dans l'appartement sans la regarder, ni la saluer. F______ lui avait alors fait comprendre qu'il y avait un souci et avait refermé la porte. Peu après, la porte s'était soudainement ouverte et le père de F______ avait quitté les lieux en courant en direction des escaliers. Sa petite amie était ensuite sortie et était venue vers lui en pleurant et en s'accroupissant, car elle avait mal au ventre et à la tête. Elle lui avait dit que son père venait de "planter son beau-père" et qu'il fallait sortir de l'immeuble. Entre le moment où ils avaient quitté l'appartement et celui de l'arrivée de la police, F______ lui avait en outre expliqué qu'en voyant E______ et son copain dans l'appartement, son père était allé chercher un couteau dans la cuisine et avait poignardé ce dernier, lequel avait néanmoins réussi à s'échapper en sautant par le balcon. Son père avait également tapé la tête de sa mère contre le mur.

c.f. D'après O______, mari de K______, A______ pouvait faire preuve de jalousie. Il avait entendu dire que, le 18 juillet 2019, il avait mis un coup de couteau dans le dos d'un homme qui avait un couteau dans la main, et que tous deux avaient été blessés.

c.g. Lors de l'enquête technique effectuée par la Brigade de police technique et scientifique, deux couteaux ont été saisis, l'un avec la lame pliée et des traces de sang appartenant à D______ sur la pointe, retrouvé sur le balcon de l'appartement, l'autre au lieu de l'interpellation de A______. Des traces d'un liquide rougeâtre, vraisemblablement du sang, ont de surcroît été décelées dans la cuisine et sur le balcon de l'appartement.

D. a. Invité le 16 mai 2023 à se déterminer sur le maintien de sa demande de révision vu le courriel susmentionné, A______ a répondu par courrier du 16 juin 2023 qu'il persistait intégralement dans ses conclusions.

b.a. Dans son mémoire, A______ fait valoir que le témoignage de F______ avait joué un rôle crucial dans l'appréciation des faits réalisée par le Tribunal correctionnel et par la CPAR qui a fondé sa condamnation pour tentative de meurtre. Le courrier d'octobre 2022 de la précitée remettant fondamentalement en cause ladite appréciation, il convenait donc de reprendre l'instruction afin d'éclaircir les évènements afin de permettre aux juges de rendre une nouvelle décision.

b.b. Dans son mémoire, le MP soutient que le courrier d'octobre 2022 et le courriel de mai 2023 de F______ ne sont que la matérialisation d'un conflit de loyauté chez la prénommée, mais qu'ils ne constituent pas un motif suffisant pour modifier l'appréciation des faits réalisée par la CPAR. Il en va de même des éléments apportés par F______ en lien avec l'expulsion de son père vers la Turquie, ceux-ci ayant déjà été pris en considération dans le cadre de la procédure d'appel.

E. Me C______, défenseur d'office de A______, n'a pas déposé d'état de frais.

EN DROIT :

1. 1.1. Une procédure de révision est constituée de trois étapes distinctes : le tribunal saisi doit tout d'abord examiner si les conditions de recevabilité d'une demande en révision sont remplies (1) ; si tel est le cas, il doit ensuite procéder à l'examen du grief soulevé par le demandeur en révision (rescindant) (2) ; enfin, si ce grief est admis, il doit se saisir à nouveau de la cause au fond ou renvoyer la cause à une autorité inférieure (rescisoire) (3) (ATF 147 I 494 consid. 1.2 [relatif à la révision d'un arrêt du Tribunal fédéral]). Au stade du rescisoire, le juge de la révision peut librement examiner les faits et le droit de la cause (ATF 141 IV 145 consid. 6.3), alors qu'au stade du rescindant seuls les griefs expressément listés à l'art. 410 du Code de procédure pénale suisse (CPP) entrent en ligne de compte.

L'objet d'une procédure en révision se détermine à l'aune du dispositif de la décision querellée et des conclusions du demandeur en révision (ATF 147 I 494 consid. 1.3 [relatif à la révision d'un arrêt du Tribunal fédéral])

1.2. En l'espèce, le demandeur conclut à l'annulation de l'arrêt AARP/254/2022 et au renvoi de la procédure au MP. Il ressort cependant de la motivation de sa demande que seule est visée sa condamnation pour tentative de meurtre, ainsi que les conséquences qui en découlent en matière de sanctions et de frais. La preuve nouvelle sur laquelle le demandeur fonde sa demande de révision n'est en effet manifestement pas de nature à modifier ses condamnations pour viol, tentative de viol, contrainte sexuelle, contrainte et violation du devoir d'assistance ou d'éducation. Eu égard à ces condamnations, sa demande est donc manifestement mal fondée, ce qui mène à son irrecevabilité (cf. ATF 143 IV 122 consid. 3.5).

Eu égard à sa condamnation pour tentative de meurtre, la demande de révision a été formée par devant l'autorité compétente (art. 21 al. 1 let. b CPP en lien avec l'art. 130 al. 1 let. a de la loi d'organisation judiciaire [LOJ]) et selon la forme prévue par la loi (art. 411 al. 1 CPP), En outre, le demandeur avance un grief lié à une preuve nouvelle qui n'apparait pas manifestement infondé. Partant, il y a lieu d'entrer en matière.

2. 2.1. Selon l'art. 410 al. 1 let. a CPP, la révision d'un jugement pénal peut être demandée s'il existe des faits ou des moyens de preuves qui étaient inconnus de l'autorité inférieure et qui sont de nature à motiver l'acquittement ou une condamnation sensiblement moins sévère ou plus sévère du condamné. Ce motif de révision implique que les faits ou preuves nouveaux produits par le requérant soient susceptibles de modifier le complexe de faits fondant la décision pénale en cause pour aboutir à un résultat plus favorable pour le prévenu (ATF 145 IV 197 consid. 1.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_742/2020 du 19 novembre 2020 consid. 1.1 ; 6B_688/2020 du 15 octobre 2020 consid. 1.1).

2.2.1 Au considérant 2.6.1 de son arrêt AARP/254/2022, la CPAR a procédé à une appréciation détaillée des éléments de preuve à la procédure, et en particulier des témoignages directs de E______, D______ et F______, ainsi que des témoignages indirects de N______ et O______. Sur cette base, elle a conclu qu'un faisceau d'éléments sérieux prouvait que c'était le demandeur qui avait agressé D______, notamment au moyen d'un couteau. La version avancée par ledit demandeur, à savoir que le prénommé était armé d'un couteau à son arrivée dans le salon, n'était corroborée par aucun témoin, si ce n'est O______ qui n'était pas présent et relatait des renseignements qu'il tenait d'autrui, lesquels étaient d'ailleurs incorrects s'agissant de l'information selon laquelle les deux protagonistes avaient été blessés. Aucun couteau dont D______ aurait pu se servir n'avait par ailleurs été retrouvé. La version avancée par les témoins directs de l'altercation correspondait de plus au constat des lésions traumatiques de D______, et aux informations données par F______ à N______ et à la CECAL alors que les évènements étaient encore en cours. À l'opposé, l'hypothèse d'un complot familial visant à faire accuser le demandeur ne trouvait aucune assise dans le dossier. Une instrumentalisation de F______ par E______ n'était d'ailleurs pas crédible, les faits s'étant déroulés rapidement et la jeune fille n'ayant pas varié dans ses explications.

Le demandeur avance que la lettre manuscrite d'octobre 2022 constituerait une preuve nouvelle fondant une révision au sens de l'art. 410 al. 1 let. a CPP en lien avec l'information selon laquelle D______ aurait été en possession d'un couteau au moment des faits.

En premier lieu, cette allégation apparaît peu crédible au vu des autres éléments recueillis. Si D______ avait été en possession d'un couteau, il est en effet improbable qu'il ait été le seul à être blessé et qu'il ait fui en sautant d'un balcon. En outre, s'il avait été en possession d'un couteau lors de l'altercation, celui-ci aurait vraisemblablement été retrouvé. La version des évènements avancée par le demandeur, qui serait corroborée par la preuve nouvelle, souffre par ailleurs de nombreuses incohérences. Elle ne permet pas de comprendre pourquoi celui-ci aurait suivi D______ sur le balcon s'il s'était rendu à la cuisine dans l'unique but de chercher une arme pour se défendre, ni pour quelle raison il est descendu dans la rue un couteau à la main au lieu de se barricader dans l'appartement après la fuite du précité, faits qui ressortent notamment de son audition. Les témoignages de E______ et de D______ apparaissent par ailleurs cohérents avec les éléments de preuve recueillis, permettant notamment de comprendre pourquoi un couteau à la lame pliée et avec des traces du sang de D______ sur la pointe a été retrouvé sur le balcon, et pourquoi le demandeur se trouvait dans la rue, un couteau à la main, au moment où il a été appréhendé par des policiers.

En second lieu, les faits contenus dans le courrier de F______ d'octobre 2022 apparaissent en contradiction tant avec le contenu de son audition selon le protocole EVIG, qu'avec la version des évènements qu'elle a communiquée à N______ immédiatement après que son père a quitté l'appartement. Or, sa description initiale des faits correspond mieux aux autres éléments de preuve recueillis, pour les mêmes motifs que ceux détaillés au paragraphe précédent. De plus, les déclarations d'un témoin lors de sa première audition sont en général plus crédibles que celles faites ultérieurement en procédure, lesquelles peuvent être parasitées par d'autres considérations que la poursuite de la simple vérité factuelle (cf. ATF 143 V 168 consid. 5.2.2 ; 142 V 590 consid. 5.2). Enfin, le courrier d'octobre 2022 n'a pas été adressé à une autorité pénale mais au père de F______, alors même qu'il apparaît destiné à la Chambre de céans au vu de son contenu. Cette circonstance jette le doute sur le caractère spontané et libre d'influences extérieures de la démarche.

En troisième et dernier lieu, le courriel du 15 mai 2023, dont rien n'indique qu'il n'a pas été rédigé par F______, son style correspondant d'ailleurs à celui de la lettre d'octobre 2022, remet frontalement en cause l'information contenue dans ladite lettre selon laquelle D______ aurait été en possession d'un couteau au moment des faits. Ce courriel, adressé directement à la Chambre de céans, apparaît plus crédible que la lettre qui l'a précédé, dès lors qu'il est cohérent avec la quasi-totalité des éléments de preuve recueillis et notamment avec les déclarations constantes de F______ réalisées lors ses premières auditions après les faits.

Au vu de ce qui précède, le courrier d'octobre 2022 de F______ n'est pas de nature à modifier l'appréciation convaincante du complexe de faits réalisée par la Chambre d'appel, ne serait-ce que sous l'angle de la vraisemblance. Il s'ensuit que ce courrier ne constitue pas un motif de révision au sens de l'art. 410 CPP.

2.2.2. Les risques encourus par le demandeur en révision en cas d'expulsion vers la Turquie, ne sont pas d'éléments nouveaux susceptibles de fonder une révision au sens de l'art. 410 CPP. Ils ont d'ailleurs été dument pris en compte par la Chambre d'appel au considérant 4.2. de son arrêt du 31 août 2022 et font l'objet d'un grief au Tribunal fédéral. Enfin, ce point doit de toute façon le cas échéant être réexaminé par l'autorité compétente au moment de l'exécution de l'expulsion, en lien avec un possible report de celle-ci au sens de l'art. 66d CP. Dans le canton de Genève, ce n'est pas la Chambre de céans qui est compétente pour ce faire, mais l'autorité administrative (cf. art. 5 al. 2 let. c de la loi d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 [LaCP]).

En conclusion, la demande en révision devra être rejetée.

3. Le demandeur en révision, qui succombe entièrement, sera condamné à supporter les frais de la procédure de révision (art. 428 al. 1 CPP), lesquels s'élèvent à CHF 1'390., y compris un émolument de jugement de CHF 1'000.-.

4. 4.1.1. Selon l'art. 428 al. 1 CPP, l'autorité de révision répartit d'office les frais de procédure. Selon l'art. 422 al. 2 let. a CPP, les frais imputables à la défense d'office sont inclus dans les frais de procédure.

Selon l'art. 135 al. 2 CPP, le tribunal qui statue au fond fixe l'indemnité de l'avocat commis d'office à la fin de la procédure. Celui-ci exerce sa prestation en vertu d'un rapport juridique spécial de droit public et c'est à ce titre qu'il est rémunéré par l'État qui est le bénéficiaire de sa prestation de service (le prévenu n'étant dans cette relation qu'un tiers bénéficiaire d'un acte juridique pour autrui) (ATF 141 IV 344 consid. 4.2 ; voir également : ATF 149 IV 91 consid. 4.1.2).

L'art. 17 du règlement sur l'assistance juridique et l'indemnisation des conseils juridiques et défenseurs d'office en matière civile, administrative et pénale (RAJ) prévoit que l'état de frais détaille par rubriques les activités donnant lieu à indemnisation, avec indication du temps consacré et que les justificatifs des frais doivent être joints. La production d'un état de frais par un avocat ne saurait toutefois être un prérequis de son indemnisation au vu du droit fédéral susmentionné, comme il ressort tant de la pratique de la Chambre de céans (AARP/156/2022 du 19 mai 2022 consid. 6.2 ; AARP/125/2022 du 5 mai 2022 consid. 6.2 ; AARP/389/2021 du 10 décembre 2021 consid. 6.2.1) que de celle de la Chambre pénale de recours (ACPR/298/2023 du 27 avril 2023 consid. 5.2 ; ACPR/69/2023 du 26 janvier 2023 consid. 5.2 ; ACPR/21/2023 du 10 janvier 2023 consid. 6.2). Dans un tel cas, le défenseur d'office n'a toutefois pas droit à une motivation aussi spécifique que lorsqu'il a produit une note de frais et que certains des postes qu'elle contient sont refusés (ATF 141 I 70 consid. 5.2 ; arrêts du Tribunal fédéral 9C_285/2022 du 11 avril 2023 consid. 2.2 ; 9C_372/2019 du 10 septembre 2019 consid. 3.3).

4.1.2. Selon l'art. 135 al. 1 CPP, le défenseur d'office est indemnisé conformément au tarif des avocats du canton du for du procès. L'art. 16 al. 1 RAJ prescrit que le tarif horaire est de CHF 200.- pour un avocat chef d'étude. Conformément à l'art. 16 al. 2 RAJ, seules les heures nécessaires sont retenues ; elles sont appréciées en fonction notamment de la nature, de l'importance et des difficultés de la cause, de la valeur litigieuse, de la qualité du travail fourni et du résultat obtenu (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1362/2021 du 26 janvier 2023 consid. 3.1.1 [considérant non publié à l'ATF 149 IV 91]).

L'activité consacrée aux conférences, audiences et autres actes de la procédure est majorée de 20% jusqu'à trente heures de travail, décomptées depuis l'ouverture de la procédure, et de 10% lorsque l'état de frais porte sur plus de trente heures, pour couvrir les démarches diverses, telles la rédaction de courriers ou notes, les entretiens téléphoniques et la lecture de communications, pièces et décisions (arrêt du Tribunal fédéral 6B_838/2015 du 25 juillet 2016 consid. 3.5.2 ; AARP/139/2023 du 25 avril 2023 consid. 9.1 ; AARP/51/2023 du 20 février 2023 consid. 8.1.2).

4.2. En l'occurrence, le travail de Me C______ ne peut être qualifié d'inutile d'emblée au vu des éléments de preuve nouveaux à sa disposition lors du dépôt de la demande de révision, de sorte qu'il y a lieu de l'indemniser.

Ce travail a consisté avant tout en la rédaction d'un mémoire dont une page est consacrée aux conclusions et trois pages à l'exposé des griefs. L'exposé du contenu de la décision querellée et l'allégation de faits sont en revanche inutiles dès lors qu'un acte de recours/appel/révision a pour fonction la critique d'une décision existante au moyen de griefs (de faits et/ou de droit), et non la détermination d'un complexe de faits comme une demande civile, une demande de prestation sociale ou un acte d'accusation. À cette aune, la prise en compte trois heures de travail apparaît appropriée.

En conclusion, la rémunération de Me C______ sera arrêtée à CHF 775.45, correspondant à trois heures d'activité au tarif de CHF 200.-/heure (CHF 600.-) plus la majoration forfaitaire de 20% (CHF 120.-) et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% (CHF 55.45.-).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit la demande en révision formée par A______ contre l'arrêt AARP/254/2022 rendu le 31 août 2022 par la Chambre pénale d'appel et de révision dans la procédure P/15083/2019.

La rejette dans la mesure de sa recevabilité.

Condamne A______ aux frais de la procédure d'appel, soit CHF 1'390.-, y compris un émolument de décision de CHF 1'000.-.

Arrête à CHF 775.45, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me C______, défenseur d'office de A______, pour ses frais et honoraires en procédure de révision.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal fédéral et aux Établissements de B______.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

Le président :

Gregory ORCI

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

240.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'000.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'390.00