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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/10479/2019

AARP/340/2022 du 04.11.2022 sur JTDP/83/2022 ( PENAL ) , ADMIS

Recours TF déposé le 28.12.2022, 7B_216/2022
Descripteurs : ENCOURAGEMENT À LA PROSTITUTION;FRAIS JUDICIAIRES
Normes : CP.195; CP.426.al2
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/10479/2019 AARP/340/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 4 novembre 2022

 

Entre

A______, domiciliée ______ [GE], comparant par Me O______, avocat,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/83/2022 rendu le 27 janvier 2022 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 27 janvier 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable d'encouragement à la prostitution (art. 195 let. c du code pénal [CP]) et d'infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 let. a, 117 al. 1 et 118 al.1 LEI), l'a acquittée d'une seconde infraction à l'art. 116 al. 1 let. a LEI et d'un autre reproche d'encouragement à la prostitution, et l'a condamnée à une peine pécuniaire de 150 jours-amende à CHF 30.- le jour, avec sursis (délai d'épreuve : trois ans).

Le TP a renoncé à ordonner son expulsion, a mis à sa charge 4/5ème des frais de la procédure (soit CHF 2'400.-), a ordonné la confiscation et la destruction du téléphone portable [de la marque] B______ (chiffre 1 de l'inventaire du 16 mai 2019) et la confiscation des CHF 2'777.55 et EUR 102.31 (chiffre 9 de ce même inventaire) et leur attribution, à due concurrence, à la couverture des frais de la procédure, le solde lui étant restitué.

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement des chefs d'usure (art. 157 ch. 1 CP), le TP ayant écarté cette infraction sans procéder à un acquittement formel, et d'encouragement à la prostitution, à la restitution des objets confisqués, à son indemnisation pour les dépenses occasionnées par la procédure et pour la détention injustifiée, frais de la procédure à la charge de l'Etat. Subsidiairement, elle conclut au prononcé d'une peine plus clémente.

b. Selon l'ordonnance pénale du 3 décembre 2020, il est encore reproché à A______ ce qui suit :

Entre le 15 novembre 2018 et le 15 mai 2019, date de son interpellation, elle a exploité la situation de gêne, de dépendance et de faiblesse de plusieurs femmes se trouvant en situation irrégulière en Suisse, notamment de C______, en les encourageant à se prostituer dans des appartements sis avenue 3______ no. ______, [code postal] Genève et rue 4______ no. ______, [code postal] E______ [GE], dans le but de tirer un avantage patrimonial en se faisant remettre 50% de leurs gains, soit une somme en disproportion évidente avec sa contreprestation, tout en les surveillant dans leurs activités et en leur mettant la pression pour qu'elles "fassent" le plus de clients possible. Elle leur envoyait des clients en les avertissant de leur arrivée, leur donnait des instructions et des ordres, notamment concernant le type de prestations qu'elles devaient fournir, et elle les surveillait par le biais de caméras cachées dans l'appartement équipées de détecteur de mouvements, qui envoyaient une alerte sur son téléphone au moindre mouvement dans la chambre.

c. Les faits suivants, dont ni l'établissement ni la qualification juridique ne sont contestés en appel, sont également reprochés à A______ :

-        à Genève, à tout le moins entre le mois de mars 2019 et le 15 mai 2019, date de son interpellation, elle a facilité le séjour illégal en Suisse de personnes étrangères, à tout le moins de F______, en la logeant dans l'appartement de l'avenue 3______, dont elle était locataire, alors que cette dernière ne disposait d'aucune autorisation de séjour en Suisse, ce qu'elle savait.

-        à Genève, entre le 15 novembre 2018 et le 15 mai 2019, date de son interpellation, elle a employé des étrangères qui n'étaient pas autorisées à exercer une activité lucrative en Suisse, soit notamment C______ et F______.

-        à Genève, le 30 août 2018, elle a menti aux autorités suisses, plus particulièrement à l'Office cantonal de la population et des migrations en lui donnant une adresse de domicile à l'avenue 3______ no. ______, à Genève, afin d'obtenir un permis de séjour, alors qu'elle était en réalité domiciliée en France avec son mari.

B. Les faits encore pertinents au stade de l'appel sont les suivants, étant renvoyé pour le surplus au jugement entrepris (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale [CPP]) :

a. Au mois de mars 2019, une dénonciation anonyme de la part d'un habitant du no. ______ avenue 3______, à D______ [Genève], est parvenue à la police, à teneur de laquelle beaucoup de femmes se prostituaient dans l'immeuble.

Suite à une petite annonce pour des massages vantant un moment de "détente et relaxation", la police a pris contact avec une dénommée "J______" et fixé un rendez-vous dans des locaux sis à à l'avenue 3______ no. ______ pour un massage naturiste de trente minutes avec finition manuelle pour CHF 150.-. En se présentant au rendez-vous, le 15 mai 2019 à 18h30, la police a constaté la présence de "J______", soit C______ et de F______, toutes deux de nationalité brésilienne.

A______ est arrivée ensuite et a refusé de donner des explications quant à l'utilisation de l'appartement. Elle détenait CHF 2'777.55 et EUR 102.31 sur elle.

b. Procédant à la perquisition de l'appartement, la police a retrouvé un grand agenda vert dans lequel était retranscrite une comptabilité avec le nom de la masseuse, du client, le type de prestation et le prix payé. A la dernière page, figuraient la liste des prix des prestations (massage relaxant, massage naturiste, massage tantrique et "body-body", caresses mutuelles). CHF 350.- en espèces se trouvaient à l'intérieur de l'agenda.

Entre novembre 2018 et mai 2019, y étaient recensés vingt-deux prénoms de femmes, dont certaines étaient enregistrées comme travailleuses du sexe auprès de la police. Selon les inscriptions durant cette période, le salon avait réalisé un chiffre d'affaires total d'environ CHF 161'280.-. A______ percevant 50% de cette somme, son bénéfice pouvait être estimé à environ CHF 80'000.- sur six mois.

Deux radios-réveils, munis de caméras intégrées et dirigées sur les lits ont été saisis dans l'appartement du no. ______ avenue 3______. Aucune indication n'informait les utilisateurs des locaux, notamment les clients, de ce qu'il y avait des caméras.

c.a. La saisie et l'analyse du téléphone portable de A______ a permis la découverte d'une application "K______" dans laquelle les images des caméras cachées étaient visibles, avec la mention "chambre gauche" et "chambre droite". Ces caméras disposaient d'une détection de mouvements et s'enclenchaient lorsque quelqu'un entrait dans la chambre. Des captures d'écran enregistrées représentaient une femme nue et/ou prodiguant des prestations sexuelles à un homme, datées du 12 avril, 17 avril et 10 mai 2019.

A______ avait également enregistré deux captures d'écran datant du 9 octobre 2018 de sites internet vendant des caméras cachées dans des réveils correspondant à ceux retrouvés dans l'appartement.

Des échanges de messages avec des clients montrent que A______ fixait les tarifs et les prestations (également pour des finitions manuelles ou orales et des massages naturistes) et qu'elle mettait des femmes à leur disposition comme cela ressort des messages : "Pour aujourd'hui j'ai deux filles disponibles" ou "Mais sont des jolies filles ici vous pouvez choisir sur place" et "Non tu peux y aller à E______. J'ai deux filles sur place là-bas".

Selon des échanges de messages entre A______ et "L______/M______ [prénoms]", la première a proposé à la seconde un partage par moitié des revenus, ainsi que CHF 7.- par jour pour l'hébergement dans l'appartement, ce que celle-ci a refusé.

Le 9 avril 2019, A______ a indiqué à "N______" de se rendre à E______ pour un rendez-vous. Elle lui a demandé le 10 avril 2019 "Il paye combien", puis a dit "Il faut tout noter stp". Le 11 avril 2019, A______ a rappelé à "N______" qu'elle devait l'avertir si elle n'arrivait pas à l'heure car elle devait être au courant des horaires durant lesquels elle serait au salon. Dans les échanges suivants, A______ lui demande d'arriver avant le client, de prendre l'argent avant la prestation, d'essayer de vendre le massage naturiste d'une heure à CHF 200.- l'heure en précisant ensuite que le "body body" était "250". Elle a par ailleurs indiqué qu'il était préférable que la masseuse eut son propre téléphone portable afin qu'elle puisse discuter directement avec ses clients.

c.b. Une analyse plus approfondie du téléphone de A______ menée par la Brigade de criminalité informatique a permis d'identifier un groupe WhatsApp créé le 1er février 2019 sous le titre "Institut G______" avec 12 participantes (portant des noms féminins), notamment F______ et C______, et dans lequel on retrouve des échanges en portugais au sujet des rendez-vous avec les clients jusqu'à fin avril 2019.

Dans des messages privés en portugais du 13 mai 2019, C______ a écrit à A______ après que cette dernière aurait demandé pourquoi elle avait retourné la caméra, lui expliquant qu'elle avait déjà eu des problèmes avec une ancienne employeuse qui l'avait menacée avec des photos et qu'elle préférait ne pas se voir nue. A______ lui a répondu notamment : "Je ne sais pas et tu sais que je ne plaisante pas avec les autres. Les caméras, c'est parce que j'ai été volé plusieurs fois et maintenant je contrôle tout si vous avez fait du naturisme ou... ou autre chose du genre, vous devez payer la moitié (traduction libre)".

d. Deux femmes ayant travaillé pour A______ entre fin 2018 et début 2019 ont été entendues par la police en qualité de témoins. Elles ont indiqué avoir elles-mêmes contacté A______ dans le but de travailler dans son salon. Elles ont confirmé la répartition des bénéfices à 50%. A______ avait toujours été gentille et ne les avait jamais forcées à travailler, ni obligées à accepter des clients. Elles organisaient leurs horaires de travail comme elles l'entendaient (cf. procès-verbaux d'audition de H______ et I______).

e. F______, entendue par la police et le Ministère public (MP), a contesté s'être adonnée à la prostitution. Elle a expliqué avoir tout d'abord travaillé comme femme de ménage pour A______, tant au domicile de cette dernière en France voisine qu'au "salon de massage" du no. ______ avenue 3______. Depuis avril 2019, elle logeait dans cet appartement sans payer de loyer et y exerçait comme masseuse. Elle ne proposait pas de prestations de nature sexuelle et n'avait jamais été forcée à le faire. Elle prodiguait des massages traditionnels ou naturistes (seul le client étant nu). Elle n'était pas astreinte à des horaires de travail particuliers et travaillait sur rendez-vous. Les masseuses et A______ postaient des annonces sur internet et répondaient aux clients sur un téléphone qui restait au salon et était utilisé par toutes. Certaines d'entre elles réalisaient également des massages sensuels, notamment C______, mais chacune était libre concernant le type de prestation offerte. Elles pouvaient aller et venir comme elles le souhaitaient.

Elle a confirmé que A______ l'avait informée du fait qu'il y avait des caméras dans les réveils pour des questions de sécurité. Elle savait qu'elle était filmée lorsqu'elle travaillait dans les chambres où se trouvaient ces objets et qu'il était possible de prendre des photographies au moyen du dispositif mis en place. Elle n'était pas réellement d'accord avec la présence de caméras mais n'avait pas le choix, dans la mesure où tel était le règlement de l'institut.

f. C______, entendue par la police et par le MP, a, quant à elle, admis s'adonner à la prostitution. Elle avait travaillé pour A______ quelques jours en février et mars 2019, puis de début avril jusqu'à l'intervention de la police du 15 mai 2019. Elle avait d'abord exercé dans l'appartement à la rue 4______ à E______, avant que A______ ne ferme cet "institut" par crainte de la police. Elle avait néanmoins continué de loger dans cet appartement, sans verser de loyer, mais travaillait uniquement à l'avenue 3______.

En général, A______ postait les annonces pour les masseuses, mais il lui était arrivé d'en mettre en ligne elle-même. Comme elle ne parlait pas le français, A______ ou ses collègues répondaient aux clients pour elle. La patronne fixait strictement les horaires de travail et les encourageait à avoir le plus de clients possibles, sans pour autant les forcer. Elles étaient en général trois à travailler par semaine. Pour sa part, elle travaillait cinq jours sur sept, de 10h00 à 21h00. Parfois, A______ leur "criait dessus" si elles étaient en retard. Elle n'était jamais enfermée dans le salon, dont elle avait une clé. Chaque fille était libre de choisir de faire des massages avec des prestations sexuelles ou non. Elle était la seule à accepter des relations sexuelles complètes au sein du salon. D'autres femmes faisaient des massages "body body" (soit des massages avec le corps nu) ou des massages avec "finition manuelle". Elle était contente de son travail et ne se sentait pas exploitée. Elle entretenait une relation amicale avec A______ et éprouvait de l'affection pour elle.

Elle avait appris que des caméras étaient cachées dans l'appartement et en avait parlé à A______. Cette dernière lui avait expliqué qu'elles étaient utiles pour des questions de sécurité, craignant que les employées omettent de lui restituer une part de l'argent reçu. Elle savait qu'il arrivait à A______ de regarder les images en direct depuis son téléphone portable et avait vu des captures d'écran d'une autre fille. Elle ne souhaitait pas vraiment être filmée et avait déjà retourné les caméras pour ne pas être dans le champ, mais A______ s'en était rendue compte.

g. Tant F______ que C______ ont confirmé les tarifs fixés pour les prestations et que A______ en prélevait 50%. Chaque fille devait inscrire le détail des prestations et remettre le montant perçu dans l'agenda, ce qui permettait à A______ de contrôler et de distribuer les bénéfices. Les tarifs fixés étaient les mêmes pour toutes.

h. Un ancien client de C______, qui l'avait rencontrée dans un salon de massage aux Pâquis, a déclaré avoir noué ensuite avec elle une relation non tarifée. Ils se voyaient dans l'appartement de E______, qu'il considérait comme étant le domicile de son amie et non un salon de massage.

i. Au cours de la procédure, A______ a déclaré qu'elle louait l'appartement de D______ depuis septembre 2018 pour CHF 1'050.- par mois et avait décidé d'y placer des masseuses afin de payer le loyer dès le 15 novembre 2018. Elle avait sous-loué l'appartement de E______ de mars à mai 2019.

Les femmes proposaient des massages, parfois avec finition manuelle. C______ était la seule à proposer des rapports sexuels. Elle passait des petites annonces pour des massages traditionnels, sans prestations sexuelles. Chacune des travailleuses pouvait répondre au téléphone de l'institut. Elle avait mis son propre numéro de téléphone dans les annonces de C______, qui ne parlait pas le français, et pour laquelle elle fixait les rendez-vous. Lorsque les clients appelaient, elle leur expliquait qu'ils pouvaient discuter avec les masseuses de prestations supplémentaires. Chacune inscrivait l'horaire, le client, le type de massage et le prix du soin dans un agenda qui restait dans l'appartement et servait à la gestion des horaires.

Aucun objectif n'était fixé en termes financiers ou de nombre de clients. C______ et elle avaient arrêté les tarifs des prestations en comparant le prix de marché. Il s'agissait d'une suggestion, pour qu'il n'y ait pas de problèmes entre les travailleuses. Ces dernières lui remettaient 50% de leurs gains provenant de massages traditionnels ou avec finition manuelle mais s'il y avait un rapport sexuel, elle ne touchait pas d'argent. Elle savait également que certaines femmes voyaient des clients à l'extérieur du salon mais elle ne leur demandait aucune contribution. Aucun loyer n'était demandé pour loger dans l'appartement de D______. C______ avait uniquement payé CHF 7.- par jour lorsqu'elle logeait à E______, en échange de la fourniture de produits de soin et du lavage de son linge. Le partage du prix lui permettait de réaliser un bénéfice après déduction des charges en lien avec l'appartement qu'elle avait dû meubler.

Au cours de l'instruction, A______ a indiqué que les caméras étaient placées pour la sécurité des travailleuses, ce que celles-ci savaient. Les clients ignoraient en revanche qu'ils pouvaient être filmés. Elle pouvait visionner les images en direct, ce qu'elle faisait parfois par curiosité. L'application n'enregistrait pas les vidéos mais elle avait déjà fait des captures d'écran, pour "rigoler". Cette appareillage ne lui servait pas à surveiller les masseuses et elle ignorait qu'elle n'était pas autorisée à filmer des personnes à leur insu.

Devant le TP, elle a néanmoins admis avoir placé des caméras car elle était moins présente au salon et souhaitait s'assurer que le nombre de clients qui entraient dans l'appartement correspondait à celui inscrit dans l'agenda vert, même si globalement elle faisait confiance. Elle avait prétendu à C______ que les caméras ne servaient pas à les surveiller mais étaient utiles dans le cas où un client serait agressif ou refuserait de payer une prestation.

Elle contestait avoir exploité ses employées et en particulier C______ et F______. Elles étaient amies. L'accord convenu était équilibré, dans la mesure où celles-ci pouvaient loger et manger gratuitement dans l'appartement et que les petites annonces payantes étaient offertes. Chacune était libre de travailler les jours et heures qu'elle souhaitait, mais il est vrai qu'une fois que le rendez-vous était fixé, il fallait être présente par respect pour le client. Elle n'avait jamais crié, ni forcé qui que ce soit ou exercé une certaine pression.

C. a. En appel, A______ a réitéré que les caméras lui servaient à vérifier les dires des travailleuses au sujet des prestations effectuées pour les clients et ce qui était noté dans l'agenda, et a démenti qu'elles eussent pu servir à les contraindre à quoi que ce soit. Elle regardait les images en direct, mais celles-ci n'étaient pas enregistrées. Les tarifs étaient une simple suggestion, non des tarifs imposés, mais elle entendait bien en recevoir sa part. Elle contestait toute forme de dépendance de C______ envers elle, précisant que celle-ci n'avait jamais été filmée par les caméras installées à l'avenue 3______, dans la mesure où elle logeait à E______ à cette période. Pour le surplus, elle a confirmé ses précédentes déclarations.

b. Par la voix de son conseil, A______ persiste dans ses conclusions, à l'exception de celle, subsidiaire, concernant la peine, qui ne posait pas de problème juridique en cas de confirmation de sa culpabilité.

L'infraction d'usure concernait des faits bien différents de ceux visés par l'infraction d'encouragement à la prostitution, même si la description des faits de l'ordonnance pénale les mélangeait. En présence de deux complexes de fait distincts, il se justifiait de prononcer un acquittement pour l'art. 157 CP, et non de considérer qu'il s'agissait d'une autre qualification juridique comme l'avait fait le TP.

L'encouragement à la prostitution ne pouvait pas être retenu concernant C______, dans la mesure où celle-ci ne se trouvait pas dans une situation de précarité, qu'elle-même ne fixait aucun tarif et n'imposait aucun rendement précis. Les femmes travaillant dans le salon pouvaient choisir les prestations qu'elles fournissaient, quand et à qui et n'avaient jamais été obligées à quoi que ce soit, comme l'avait reconnu C______. L'agenda ne constituait pas une comptabilité comme le prétendait le TP, mais était simplement la preuve que chacune prenait des rendez-vous et se payait elle-même.

Les caméras avaient été placées juste avant l'intervention de la police, puisque les premières images à la procédure et les messages à ce sujet dataient du 13 mai 2019. Le fait d'avoir fait une recherche à ce sujet sur internet ne signifiait pas pour autant qu'elle les avait achetées et encore moins installées à la même période. En tout état, la simple observation par les caméras ne suffisait pas à remplir la condition de la surveillance visée par l'art. 195 CP et aucune pression n'était mise aux travailleuses au moyen des images obtenues. En outre, C______ ne figurait pas sur les images à la procédure et il n'était pas établi qu'elle eut été filmée. L'art. 195 CP était une infraction de résultat, lequel n'était pas survenu ici.

A______ conclut au paiement d'une indemnité de CHF 200.- par jour de détention injustifiée, soit CHF 21'400.-, et de CHF 27'417.- pour ses frais de défense, correspondant à 66 heures et 20 minutes d'activité en première instance et à 12 heures d'activité en procédure d'appel, audience non comprise.

c. Le MP conclut au rejet de l'appel et à la confirmation du jugement attaqué.

D. A______ est née le ______ 1984 au Brésil, pays dont elle a la nationalité. Arrivée dans la région genevoise en 2016, elle s'est mariée avec un ressortissant suisse en 2018 et a annoncé une adresse à Genève afin d'obtenir un permis de séjour, alors qu'elle résidait en réalité en France voisine avec son époux et sa fille mineure issue d'une précédente union, sa seconde fille, majeure, étant restée au Brésil. Elle dispose d'un diplôme d'esthéticienne et déclare travailler en tant que styliste ongulaire à domicile à Genève et percevoir un revenu maximum de CHF 2'000.- par mois. Ses charges sont constituées du loyer de CHF 3'000.- dont elle s'acquitte avec son mari, ainsi que son assurance-maladie et celle de sa fille en CHF 650.-.

A______ n'a aucun antécédent au casier judiciaire suisse.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. Comme règle d'appréciation des preuves, elle signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 146 IV 88 consid. 1.3.1 ; 145 IV 154 consid. 1.1).

3. 3.1.1. L'art. 9 CPP consacre la maxime d'accusation. Selon ce principe, l'acte d'accusation définit l'objet du procès (fonction de délimitation). Une infraction ne peut faire l'objet d'un jugement que si le ministère public a déposé auprès du tribunal compétent un acte d'accusation dirigé contre une personne déterminée sur la base de faits précisément décrits. Il doit décrire les infractions qui sont imputées au prévenu de façon suffisamment précise pour lui permettre d'apprécier, sur les plans subjectif et objectif, les reproches qui lui sont faits (cf. art. 325 CPP). En effet, le prévenu doit connaître exactement les faits qui lui sont imputés et quelles sont les peines et mesures auxquelles il est exposé, afin qu'il puisse s'expliquer et préparer efficacement sa défense (fonction de délimitation et d'information ; ATF 143 IV 63 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_834/2018 du 5 février 2019 consid. 1.1).

Selon l'art. 325 al. 1 CPP, l'acte d'accusation désigne notamment les actes reprochés au prévenu, le lieu, la date et l'heure de leur commission ainsi que leurs conséquences et le mode de procéder de l'auteur ainsi que les infractions réalisées et les dispositions légales applicables de l'avis du ministère public. En d'autres termes, l'acte d'accusation doit contenir les faits qui, de l'avis du ministère public, correspondent à tous les éléments constitutifs de l'infraction reprochée au prévenu (ATF 143 IV 63 consid. 2.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_461/2018 du 24 janvier 2019 consid. 5.1). Lorsque par la voie de l'opposition, l'affaire est transmise au tribunal de première instance, l'ordonnance pénale tient lieu d'acte d'accusation (art. 356 al. 1 CPP).

3.1.2. À teneur de l'art. 351 al. 1 CPP, lorsque le tribunal rend un jugement, il ne peut statuer sur l'action pénale qu'en prononçant l'acquittement ou la condamnation du prévenu. La condamnation ou l'acquittement porte sur un complexe de faits, si bien que lorsqu'une qualification juridique plus favorable que celle de l'acte d'accusation est retenue, le tribunal ne prononce pas l'acquittement. Cela vaut par exemple si parmi plusieurs infractions en concours idéal proposées par le ministère public, le tribunal n'en retient qu'une partie. En revanche, lorsque le tribunal retient certains faits et en exclut d'autres, il doit prononcer une condamnation pour les uns et un acquittement pour les autres (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE [éds.], Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2ème éd., 2019, Bâle, n. 3 ad art. 351 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_254/2015 du 27 août 2015, consid. 3.2).

3.1.3. Selon l'art. 157 ch. 1 CP, se rend coupable d'usure, celui qui exploite la gêne, la dépendance, l'inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement d'une personne en se faisant accorder ou promettre par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d'une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique.

3.1.4. L'art. 195 let. c CP punit quiconque porte atteinte à la liberté d'action d'une personne qui se prostitue en la surveillant dans ses activités ou en lui en imposant l'endroit, l'heure, la fréquence ou d'autres conditions.

La prostitution consiste à livrer son corps, occasionnellement ou par métier, aux plaisirs sexuels d'autrui pour de l'argent ou d'autres avantages matériels. Il n'est pas nécessaire qu'elle soit une activité régulière ni un véritable mode de vie (ATF
129 IV 71 consid. 1.4). La masturbation de clients par des masseuses constitue un acte entrant dans cette définition (cf. ATF 121 IV 86 consid. 2a).

L'art. 195 CP protège la liberté de décision de la personne qui se prostitue. Cette dernière doit se trouver sous l'exercice d'une position de force de l'auteur, permettant à ce dernier de limiter sa liberté d'action et de déterminer de quelle manière elle accomplit son activité et lui imposer des types de prestation. La victime doit se trouver sous une certaine pression, à laquelle elle ne peut pas se soustraire aisément. Ainsi, à elle seule, l'exploitation d'un bordel ne doit en principe pas être considérée comme l'exploitation de la dépendance des prostituées qui y travaillent. L'élément déterminant sera de savoir si, et dans quelle mesure, la liberté d'action des personnes concernées est limitée. La position de force peut résulter d'une pression économique et sociale sur la victime ou de sa position de vulnérabilité compte tenu de l'illégalité de son séjour en Suisse. L'auteur peut exercer une pression sur la victime en exigeant des comptes-rendus de son activité et de ses gains, et en fixant le type et le prix des prestations à accepter ou les temps minimum et maximum à passer avec les clients (ATF 129 IV 81 consid. 1.2; (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 14-23 ad art.195).

En revanche, la simple possibilité de pouvoir contrôler, par le biais des montants à reverser, l'étendue de l'activité sexuelle rétribuée, ne suffit pas pour que l'infraction soit réalisée, dès lors que les prostituées demeurent libres de leurs mouvements, du choix de leurs clients et du type de prestations offertes (ATF 126 IV 76 consid. 2 et 3 in JdT 2002 IV p. 106, confirmé plus récemment par l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_493/2018 du 18 septembre 2018 in RSJ 114/2018 p. 533). L'établissement d'une liste de prix peut apparaître sous une lumière complètement différente en fonction de l'environnement dans lesquels des femmes fournissent leurs prestations dans un cas particulier. Lorsque les travailleuses sont libres de décider de la sphère de leur activité, mais que la liste de prix n'a pour premier but que de permettre que les mêmes prix soient pratiqués par toutes et ainsi s'opposer à un "dumping" au sein du salon, l'imposition d'un tarif fixe n'est pas en soi un élément de contrôle au sens de l'art. 195 CP (ATF 126 IV 76 consid. 3 in JdT 2002 IV p. 106).

3.2.1. En l'espèce, le TP a retenu, à juste titre, que la description des faits contenus dans l'ordonnance pénale du 3 décembre 2020 était confuse, mêlant indistinctement les faits qualifiés d'usure et ceux qualifiés d'encouragement à la prostitution. Certains éléments constitutifs de l'usure n'étaient par ailleurs pas décrits, la disproportion avec une contre-prestation de la prévenue faisant en particulier défaut. L'infraction d'usure n'était ainsi pas réalisée.

Toutefois, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, les éléments constitutifs de l'infraction d'usure sont bien différents de ceux de l'infraction d'encouragement à la prostitution, en particulier de la let. c de l'art. 195 CP. Un abandon du chef d'accusation d'usure porte donc bien sur des faits spécifiques, correspondant à des éléments constitutifs propres à l'art. 157 CP, lesquels sont contenus dans l'acte d'accusation. Il en va ainsi de la mention de l'exploitation de "la situation de gêne, de dépendance et de faiblesse [ ] dans le but de tirer un avantage patrimonial en se faisant remettre 50% de leurs gains, soit une somme en disproportion évidente avec sa contreprestation". Ces faits ne sont pas englobés par l'infraction à l'art. 195 let. c CP finalement appliquée. Il ne s'agit ainsi pas d'une simple qualification juridique différente, mais de l'abandon de faits reprochés au titre d'une autre infraction, reprochée concurremment.

Il se justifie dès lors de faire droit à la conclusion de l'appelante sur ce point et de l'acquitter du chef d'usure.

3.2.2. Il est établi et non contesté qu'une activité de prostitution s'exerçait dans l'appartement de l'appelante à l'avenue 3______ et que celle-ci en fixait le cadre. Ainsi, elle publiait des petites annonces pour les travailleuses et fixait parfois leurs rendez-vous, bien que celles-ci pussent également le faire elles-mêmes.

L'appelante demandait de faire payer les clients avant la prestation, ce qui n'était qu'une simple recommandation basée sur le bon sens, que les masseuses auraient probablement adoptée d'elles-mêmes. Pour le reste, l'appelante n'avait donné aucune instruction, en particulier aucun objectif en terme de nombre de clients ou de recettes. Il est évident qu'une telle "entreprise" avait un but lucratif pour l'appelante, mais un tel but, inhérent à une telle activité, ne constitue pas en soi un indice qu'une pression particulière était exercée.

Les tarifs, qui contrairement à ce qu'a soutenu l'appelante ne sauraient être compris comme une simple suggestion, étaient fixés de façon à ce que chacune pratique les mêmes prix au sein du salon. Une telle manière de faire n'est pas un élément de contrôle, propre à permettre à l'appelante d'exercer une mainmise sur la liberté de décision des femmes qui travaillaient chez elle. D'ailleurs, chacune des femmes travaillant au salon était libre de définir l'étendue des prestations qu'elle offrait, comme cela ressort de leurs déclarations et aucun tarif n'était prévu pour une relation sexuelle complète, que C______ a pourtant admis pratiquer. La tenue de l'agenda vert était rendue nécessaire afin de calculer la répartition des gains entre l'appelante et ses employées. Le fait de pouvoir reconstituer les prestations fournies, par le biais des recettes ensuite réparties, n'est pas suffisant à démontrer une surveillance constitutive de l'infraction d'encouragement à la prostitution, à teneur de la jurisprudence citée, tant qu'une telle surveillance ne servait pas à vérifier que les prostituées respectaient des consignes de prestations ou de temps passé avec les clients.

Les caméras qui filmaient les chambres ont été installées à tout le moins dès avril 2019, au vu des images datées du 12 avril 2019 présentes à la procédure. L'appelante peut être suivie en ce qu'il ne peut être déduit des captures d'écran d'octobre 2018 que ces caméras ont été acquises et installées à cette période déjà, cet élément ne permettant tout au plus que de penser qu'elle avait déjà cette idée à l'esprit à ce moment-là.

Il ressort de l'échange de messages avec C______, l'appelante l'ayant au demeurant reconnu en appel, que grâce à ces caméras, elle surveillait que les prestations fournies par les masseuses correspondaient à ce qu'elles lui déclaraient et aux montants reversés. Une telle façon de faire, violant l'intimité à la fois des travailleuses et des clients, est particulièrement intrusive, voire illégale. Contrairement à ce qui a été retenu par le TP, cela n'allait pas pour autant à l'encontre de la liberté d'action des prostituées, élément décisif dans la réalisation de l'infraction en cause. Rien n'indique que par ce moyen, l'appelante aurait eu l'intention d'inciter les femmes, voire les obliger, à réaliser certaines prestations ou non. Ainsi, les caméras ne suffisent pas, à elles-seules, à renverser le constat que la liberté d'action des travailleuses n'était pas limitée par les agissements de l'appelante.

En effet, l'ensemble des travailleuses entendues, y compris C______, ont affirmé que l'appelante était gentille et qu'elles ne s'étaient pas senties exploitées. Les travailleuses organisaient leurs horaires de travail comme elles l'entendaient. L'appelante n'a jamais conservé leurs passeports et les prostituées allaient et venaient comme elles le souhaitaient, dans la mesure où elles disposaient d'une clé de l'appartement.

Certes, C______ se trouvait dans une situation financière précaire qui l'a poussée à se prostituer, suite à sa séparation d'avec son conjoint qui était resté en Italie. Cette situation n'est néanmoins pas inhabituelle, s'agissant d'une personne s'adonnant à la prostitution, et ne conférait pas à l'appelante une position de force particulière. Du reste, si C______ n'avait pas d'autorisation de travail, elle était au bénéfice d'un titre de séjour italien, de sorte que le premier juge n'a pas retenu qu'elle était en séjour illégal en Suisse. L'appelante lui a permis de loger, gratuitement, dans l'appartement, ce qui constitue un avantage certain, susceptible de créer un lien de dépendance. Il est toutefois établi que C______ avait un ami à Genève et qu'elle le voyait notamment dans l'appartement de E______, de sorte qu'elle jouissait de cet appartement à titre personnel, ce que son ami a confirmé, puisqu'il a parlé de "domicile", et qu'elle pouvait avoir des contacts en dehors du salon. Si sa méconnaissance du français a fait que l'appelante s'occupait de mettre des petites annonces pour elle et faisait l'intermédiaire avec les clients pour fixer les rendez-vous, il ressort du dossier qu'elle avait également posté elle-même des annonces en ligne.

Les éléments qui précédent montrent que l'appelante avait une position de "patronne" de ce salon, mais que les travailleuses, dont C______, demeuraient libres de leurs mouvements, du choix de leurs clients et du type de prestations offertes. L'élément constitutif de l'atteinte à la liberté d'action des prostituées de l'art. 195 let. c CP n'est dès lors pas réalisé.

Partant, l'appelante sera acquittée du chef d'encouragement à la prostitution et l'appel admis sur ce point.

4. 4.1.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 136 IV 55 consid. 5.6).

4.1.2. Aux termes de l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison d'un ou de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il ne peut toutefois excéder de plus de la moitié le maximum de la peine prévue pour cette infraction. Il est en outre lié par le maximum légal de chaque genre de peine.

Lorsque les peines envisagées concrètement sont de même genre, l'art. 49 al. 1 CP impose au juge, dans un premier temps, de fixer la peine pour l'infraction abstraitement – d'après le cadre légal fixé pour chaque infraction à sanctionner – la plus grave, en tenant compte de tous les éléments pertinents, parmi lesquels les circonstances aggravantes ou atténuantes. Dans un second temps, il augmentera cette peine pour sanctionner chacune des autres infractions, en tenant là aussi compte de toutes les circonstances y relatives (ATF 144 IV 313 consid. 1.1.2). Une peine d'ensemble en application du principe de l'aggravation suppose que le tribunal ait fixé (au moins de manière théorique) les peines (hypothétiques) de tous les délits (ATF 144 IV 217 consid. 3.5.3).

4.1.3. La peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende. Le juge fixe leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur (art. 34 al. 1 CP). En règle générale, le jour-amende est de CHF 30.- au moins et de CHF 3000.- au plus ; le juge fixe le montant du jour-amende selon la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d'assistance, en particulier familiales, et du minimum vital (art. 34 al. 2 CP).

4.1.4. Aux termes de l'art. 42 al. 1 CP, le juge suspend en règle générale l'exécution d'une peine pécuniaire ou d'une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

4.2. En l'espèce, les infractions pour lesquelles l'appelante reste condamnée sont celles aux art. 117 al. 1 et 118 al. 1 LEI, passibles d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire et à l'art. 116 al. 1 let. a LEI, passible d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire.

La faute de l'appelante n'est pas négligeable. Elle a employé sans autorisation et a facilité le séjour illégal de plusieurs femmes, à tout le moins de F______ durant sept mois. Elle a également menti délibérément aux autorités sur son domicile en Suisse en vue d'obtenir un permis de séjour, déclarant se domicilier au lieu où elle menait en réalité une activité de prostitution non déclarée. Elle a agi dans son pur intérêt, au mépris de la législation en vigueur et employé des personnes sans titre de séjour dans le but d'en tirer un avantage financier. Sa situation personnelle favorable n'explique en rien ses agissements et l'absence d'antécédent a un effet neutre sur la fixation de la peine. La collaboration de la prévenue a été correcte s'agissant des infractions à la LEI, dans la mesure où elle a admis ces faits, difficilement contestables.

Seule une peine pécuniaire peut être envisagée, au vu de la situation de l'appelante et de la peine prononcée en première instance.

Il y a concours d'infractions. L'emploi d'étrangers sans autorisation (art. 117 LEI) et le comportement frauduleux à l'égard des autorités (art. 118 LEI) étant les infractions objectivement les plus graves, justifieraient chacun une peine pécuniaire de 50 jours-amende (peine de base : 100 jours), laquelle sera augmenté de 20 jours (peine théorique : 30 jours) pour la facilitation du séjour illégal (art. 116 LEI).

Le montant du jour-amende, fixé par le premier juge à CHF 30.- pour tenir compte de la situation financière modeste de l'appelante, apparaît adéquat.

Elle sera ainsi condamnée à une peine de 120 jours-amende, à CHF 30.- le jour.

Le sursis, justifié, lui est acquis, tout comme le délai d'épreuve de trois ans.

5. Suite à son acquittement d'encouragement à la prostitution, l'appelante n'est plus susceptible d'expulsion obligatoire, aucune des infractions pour lesquelles elle est condamnée ne relevant du catalogue de l'art. 66a CP. La renonciation à ordonner l'expulsion obligatoire de la prévenue n'a ainsi pas à être réitérée dans le présent arrêt.

6. La confiscation du téléphone portable et des valeurs saisies appartenant à l'appelante n'est plus justifiée par les infractions finalement retenues, de sorte qu'ils pourront lui être restitués. Sa créance en restitution sera néanmoins compensée avec celle de l'Etat en paiement des frais de la procédure, auxquels l'appelante est condamnée (cf. infra 10). Pour le surplus, les mesures ordonnées par le premier juge peuvent être confirmées.

7. 7.1.1. Au sens de l'art. 428 al. 3 CPP, si l'autorité de recours rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce également sur les frais fixés par l'autorité inférieure.

7.1.2. Selon l'art. 426 al. 2 CPP, lorsque la procédure fait l'objet d'une ordonnance de classement ou que le prévenu est acquitté, tout ou partie des frais de procédure peuvent être mis à sa charge s'il a, de manière illicite et fautive, provoqué l'ouverture de la procédure ou rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

La présomption d'innocence, consacrée par les art. 32 al. 1 Cst. et 6 par. 2 CEDH, doit être respectée. Celle-ci interdit de rendre une décision défavorable au prévenu libéré en laissant entendre que ce dernier serait néanmoins coupable des infractions qui lui étaient reprochées. Une condamnation aux frais ne peut se justifier que si, en raison du comportement illicite du prévenu, l'autorité était légitimement en droit d'ouvrir une enquête. À cet égard, seul un comportement fautif et contraire à une règle juridique, qui soit en relation de causalité avec les frais imputés, entre en ligne de compte. La mise des frais à la charge du prévenu en cas d'acquittement ou de classement de la procédure doit en effet rester l'exception. Dans ce cadre, le juge peut prendre en considération toute norme de comportement écrite ou non écrite résultant de l'ordre juridique suisse pris dans son ensemble, dans le sens d'une application par analogie des principes découlant de l'art. 41 CO (ATF 144 IV 202 consid. 2.2). Le juge ne peut fonder sa décision que sur des faits incontestés ou déjà clairement établis (ATF 112 Ia 371 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1003/2021 du 8 septembre 2022 consid. 1.1).

7.1.3. En vertu de l'art. 9 de la loi genevoise sur la prostitution du 17 décembre 2009 (LProst), toute personne physique qui, en tant que locataire, sous-locataire, usufruitière, propriétaire ou copropriétaire, exploite un salon et met à disposition de tiers des locaux affectés à l'exercice de la prostitution doit s'annoncer, préalablement et par écrit, aux autorités compétentes en indiquant le nombre et l'identité des personnes qui y exercent la prostitution.

7.1.4. Porter fautivement atteinte à la personnalité de la partie plaignante, en violation de l'art. 28 du Code civil [CC], est un comportement propre à justifier l'imputation partielle ou totale des frais de la procédure au prévenu. Le juge ne doit toutefois pas laisser entendre que celui-ci, acquitté ou au bénéfice d'une ordonnance de classement, s'était rendu coupable d'une infraction selon le droit pénal, mais prend en compte le comportement civilement répréhensible adopté par lui (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1191/2016 du 12 octobre 2017 consid. 2.4 ; 6B_1008/2013 du 27 mars 2014 consid. 1.2 ; 6B_87/2012 du 27 avril 2012 consid. 1.4.4).

7.2. En l'espèce, l'appelante est acquittée des infractions principales ayant justifié l'ouverture de la procédure et occasionné l'essentiel des frais.

L'appelante a néanmoins exploité un salon de prostitution illicite dans l'appartement qu'elle louait avec son époux, sans faire les annonces prévues par la loi. Cet élément, conjugué à la présence de femmes sans statut légal dans l'appartement, est bien à l'origine de l'intervention des autorités pénales. En contrevenant à la réglementation en matière de salon de prostitution, l'appelante a ainsi provoqué fautivement la procédure pénale.

La présence de caméras a par ailleurs été un élément déterminant, achevant d'alimenter les soupçons d'une exploitation illégale des prostituées exerçant dans l'appartement. Le fait de les filmer avec leurs clients, sans le consentement à tout le moins de ces derniers, est une atteinte grave à leur personnalité contrevenant, sur le plan civil, à l'art. 28 CC.

Il se justifie ainsi de maintenir, malgré les acquittements prononcés, la répartition des frais de la procédure de première instance décidée par le premier juge (soit 4/5e de CHF 3'000.-).

8. L'appelante obtenant gain de cause sur les points visés par son appel, les frais de la procédure de deuxième instance, y compris l'émolument complémentaire de jugement de CHF 1'600.-, seront, en revanche, laissés à la charge de l'Etat, les hypothèses de l'art. 428 al. 2 CPP n'étant pas réalisées.

9. 9.1. L'art. 429 al. 1 let. a CPP prévoit que, s'il est acquitté partiellement, le prévenu a droit à une indemnité pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.

L'indemnité concerne les dépenses pour un avocat de choix. La Cour de justice applique un tarif horaire de CHF 350.- pour les collaborateurs et CHF 150.- pour les avocats stagiaires.

9.2. En vertu de l'art. 429 al. 1 let. c CPP, le prévenu acquitté totalement ou en partie a droit à une réparation du tort moral subi en raison d'une atteinte particulièrement grave à sa personnalité, notamment en cas de privation de liberté.

L'art. 51 CP prévaut sur l'art. 429 al. 1 let. c CPP, de sorte qu'il n'y a pas lieu d'indemniser le prévenu si une imputation sur la peine en question ou sur celle prononcée dans une autre procédure est possible (arrêt du Tribunal fédéral 6B_431/2015 du 24 mars 2016 consid. 2 et 3 ; AARP/497/2016 du 1er décembre 2016 consid. 2.1.1), indépendamment du fait que celle-ci soit assortie du sursis ou non et qu'il s'agisse d'une peine pécuniaire ou privative de liberté (ATF 135 IV 126 consid. 1.3.6).

9.3. En vertu de l'art. 430 al. 1 let. a CPP, l'autorité pénale peut toutefois réduire ou refuser l'indemnité ou la réparation du tort moral lorsque le prévenu a provoqué illicitement et fautivement l'ouverture de la procédure ou a rendu plus difficile la conduite de celle-ci.

De jurisprudence constante, la répartition des frais de la procédure préjuge du sort de l'indemnisation selon l'art. 429 CPP (cf. notamment ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

9.4. En l'espèce, conformément aux principes rappelés ci-dessus, la prévenue ne sera pas indemnisée pour ses frais de défense durant la procédure préliminaire et de première instance.

L'indemnisation pour la détention injustifiée doit également être refusée, le nombre de jours de détention ne dépassant pas la peine prononcée. Ils seront en priorité imputés sur la peine.

Une indemnisation pour ses frais de défense dans le cadre de la procédure d'appel sera en revanche admise, vu l'issue de celui-ci.

À ce titre, l'appelante conclut à une indemnisation de 12 heures d'activité, audience d'appel d'une durée de 1 heure et 10 minutes en sus, au tarif de CHF 350.- l'heure, ce qui paraît approprié. Une indemnité de CHF 4'608.30 lui sera ainsi accordée.

10. Conformément à l'art. 442 al. 4 CPP, la part des frais de la procédure supportée par l'appelante sera compensée à due concurrence avec l'indemnité qui lui est octroyée pour ses frais de défense et les valeurs à restituer (arrêt du Tribunal fédéral 6B_648/2016 du 4 avril 2017 consid. 1).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/83/2022 rendu le 27 janvier 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/10479/2019.

L'admet.

Annule ce jugement en ce qui la concerne.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ des chefs d'usure (art. 157 ch. 1 CP), d'encouragement à la prostitution (art. 195 let. c CP) et d'infraction à l'art. 116 al.1 let. a LEI concernant C______.

Déclare A______ coupable d'infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (art. 116 al. 1 let. a LEI, 117 al. 1 et 118 al.1 LEI).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 120 jours-amende, sous déduction de 107 jours-amende, correspondant à 107 jours de détention avant jugement (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 30.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à trois ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ de ce que, si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 et 95 al. CP).

Ordonne la restitution à A______ du téléphone portable B______ figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 1______.

Ordonne la restitution à A______ des documents figurant sous chiffres 2 à 8 de l'inventaire n° 1______, des objets figurant sous chiffres 3 à 5 et du sachet de CHF 350.- figurant sous chiffre 7 de l'inventaire n° 2______.

Ordonne la restitution des CHF 2'777.55 et EUR 102.31 figurant sous chiffre 9 de l'inventaire n° 1______.

Ordonne la confiscation et la destruction des réveil-caméras figurant sous chiffres 1 et 2 et du livre vert figurant sous chiffre 6 de l'inventaire n° 2______ (art. 69 CP).

Condamne A______ aux 4/5ème des frais de la procédure préliminaire et de première instance, soit CHF 2'400.- (4/5ème de CHF 3'000.-).

Dit que l'émolument de jugement complémentaire de CHF 1'600.-, fixé par le Tribunal de police, est laissé à la charge de l'Etat.

Laisse les frais de la procédure d'appel à la charge de l'Etat.

Rejette les conclusions de A______ fondées sur l'art. 429 al. 1 let. a CPP pour la procédure préliminaire et de première instance.

Alloue à A______ une indemnité de CHF 3'500.- 4'608.30 (rectification) pour les dépenses occasionnées par la procédure d'appel (art. 429 al. 1 let. a CPP).

Rejette les conclusions de A______ fondées sur l'art. 429 al. 1 let. c CPP.

Compense à due concurrence l'indemnité accordée à A______ pour ses dépenses occasionnées par la procédure d'appel et sa créance en restitution des valeurs patrimoniales figurant sous chiffre 9 de l'inventaire n° 1______ avec la créance de l'Etat portant sur les frais de la procédure (art. 442 al. 4 CPP).

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, au Secrétariat d'Etat aux migrations et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

La greffière :

Andreia GRAÇA BOUÇA

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.