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Décisions | Tribunal pénal

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P/24201/2022

JTDP/100/2024 du 26.01.2024 sur OPMP/4960/2023,OPMP/4962/2023 ( OPOP ) , JUGE

Normes : CP.239; CP.181
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

 

Chambre 22


26 janvier 2024

 

 

MINISTÈRE PUBLIC

 

contre

 

X______, né le ______ 1998, domicilié ______[ZH], prévenu, assisté de Me Tali PASCHOUD

Y______, née le ______ 1978, domiciliée ______[VS], prévenue, assistée de Me Sébastien VOEGELI


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut au maintien de son ordonnance pénale.

X______, par la voix de son conseil, conclut à son acquittement et à ce qu'il soit fait droit aux conclusions en indemnisation déposées.

Y______, par la voix de son conseil, conclut à son acquittement et à ce qu'il soit fait droit aux conclusions en indemnisation déposées.

*****

Vu l'opposition formée le 17 juin 2023 par X______ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 6 juin 2023;

Vu l'opposition formée le 23 juin 2023 par Y______ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 6 juin 2023;

Vu les décisions de maintien des ordonnances pénales du Ministère public des 22 et 26 juin 2023;

Vu l'art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lequel le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

EN FAIT

A.           a. Par ordonnance pénale du 6 juin 2023, valant acte d'accusation, il est reproché à X______ une infraction de contrainte (art. 181 CP) et d'entrave aux services d'intérêt général (art. 239 ch. 1 CP) pour avoir, à Genève, le samedi 22 octobre 2022, agissant conjointement avec A______, B______, Y______, C______ et D______, bloqué la circulation des véhicules automobiles et des véhicules des Transports publics genevois en s'installant à demeure sur la chaussée du pont du Mont-Blanc à Genève, interrompant la circulation entre 13h59 et 15h19.

b. Par ordonnance pénale du même jour, valant acte d'accusation, il est reproché à Y______ de s'être rendue coupable de contrainte (art. 181 CP) et d'entrave aux services d'intérêt général (art. 239 ch. 1 CP), dans les mêmes circonstances de temps et de lieu et pour les mêmes faits que décrits au point a., agissant conjointement et en coactivité avec d'autres sympathisants du mouvement E______.

B.            Les éléments suivants ressortent de la procédure.

a.       Selon le rapport de renseignements du 9 novembre 2022, le 22 octobre 2022 à 13h59, la CECAL avait informé les patrouilles que plusieurs individus bloquaient les voies de circulation sur le pont du Mont-Blanc.

Les primo-intervenants avaient constaté que des individus, identifiés par la suite comme étant X______, D______, Y______, B______, A______ et C______, tenaient des banderoles "E______ " et étaient assis en ligne de manière à bloquer complètement la sortie et l'entrée du pont. Aucun véhicule ne pouvait circuler dans un sens comme dans l'autre. Les véhicules déjà sur place étaient pris au piège.

Durant la sécurisation des lieux par les agents, quatre personnes, dont Y______, s'étaient collées une main à l'asphalte avec de la colle-gel instantanée, empêchant ainsi les policiers de les transporter sans risque de les blesser et de lever le blocage du trafic.

A 14h15, le pont avait été totalement fermé à la circulation dans les deux sens, une déviation avait été mise en place et les véhicules sur le pont, évacués. Une ambulance du 144 et le Service d'incendie et de secours avaient été dépêchés sur les lieux pour décoller les personnes sans risque.

A 14h19, deux individus non collés à la chaussée, dont X______, avaient été interpellés. Puis, à 15h12, Y______ et les autres individus collés à la chaussée, avaient été évacués.

La force avait dû être employée sur X______, B______, Y______ car ceux-ci avaient fait de la résistance passive en refusant de marcher. Les deux premiers avaient dû être portés en position type "chaise" jusqu'au véhicule de service.

À 15h19, le pont du Mont-Blanc avait été rouvert à la circulation. L'accès à l'édifice avait été perturbé durant 1h20.

L'opération avait nécessité l'intervention de 36 policiers, une ambulance accompagnée d'un médecin et un véhicule du Service d'incendie et de secours. Plusieurs patrouilles de Police-secours et de Police-proximité avaient été déviées de leurs missions pour se rende sur les lieux.

Les bus avaient été déviés et ceux déjà engagés avaient dû déposer leurs passagers sur le pont avant de faire demi-tour. 112 courses avaient été interrompues et financièrement considérées comme perdues. Les frais estimés par les TPG dus à l'interruption des lignes s'élevaient à CHF 21'448.-. Un coût de CHF 240.- avait par ailleurs été engendré par les heures supplémentaires accomplies par le personnel pour rétablir la situation. Au total, 3h51 supplémentaires avaient été effectuées par les employés et s'étaient étendues jusqu'à 16h51. La circulation routière du centre-ville avait été fortement paralysée. Un nombre incalculable de citoyens avait été contraint de patienter sur le pont et dans les environs. Il aurait été dangereux de tenter de laisser transiter les véhicules et bus à proximité des protagonistes.

b.      Les faits ont été filmés par une caméra de la centrale de vidéo protection. La vidéo a été versée à la procédure. Il en ressort que l'obstruction de la circulation a débuté à 13h59. Quelques secondes plus tard, un embouteillage d'une trentaine de voitures en direction de la rive gauche est visible. A 14h00, la circulation est bloquée dans les deux sens. A 14h01, Y______ se colle la main sur le bitume, de même que deux autres individus. A 14h15, le pont du Mont-Blanc est fermé à la circulation et les véhicules qui s'y trouvaient ont été évacués. A 14h19, X______ est interpellé. A 15h09, Y______, décollée de la chaussée, est interpellée. A 15h20, la circulation sur le pont du Mont-Blanc est entièrement rétablie.

c.       Entendus par la police en qualité de prévenus le 22 octobre 2022, X______, D______, Y______, B______, A______ et C______ ont refusé de répondre aux questions posées. Les deux premiers ont par ailleurs refusé de signer les procès-verbaux de leurs auditions.

d.      Un article de presse relatant une interview de X______ par le journal ______ ainsi que trois communiqués de presse sur le site Internet de E______ ont été versés à la procédure. Il en ressort que les six individus participant à l'action demandaient au Conseil fédéral de faire de la rénovation thermique des bâtiments sa priorité. L'action avait entraîné des bouchons dans les deux sens de l'artère principale de la ville. A l'arrivée de la police, quatre individus s'étaient collés la main à l'asphalte. Deux autres individus étaient chargés de prendre langue avec les automobilistes

e.       Devant le Ministère public, en date du 6 juin 2023, A______ a déclaré que leur intention n'était pas de rester si longtemps. L'intervention de la police avait été longue et avait prolongé l'interruption de la circulation.

A______, D______, X______, F______ et Y______ ont lu des déclarations, lesquelles ont été versées à la procédure.

B______ a déclaré qu'une partie des manifestants n'étaient pas collés au bitume pour permettre à une ambulance de passer en cas de situation d'urgence.

C.           L'audience de jugement s'est tenue le 27 novembre 2023. À cette occasion, X______ a reconnu les faits reprochés. Il a déclaré que le but de l'action n'était pas de bloquer le plus longtemps possible la circulation mais d'attirer l'attention des citoyens sur la crise climatique. Ce but aurait déjà été atteint avec un blocage de courte durée. Si le police n'était pas intervenue, le groupe se serait décollé au bout d'une heure environ au moyen d'acétone que certains avaient sur eux, mais les détenteurs du dissolvant étaient bloqués par la police. Il estimait qu'au bout de dix minutes l'action était réussie. Il n'était cependant pas parti car la police était déjà présente. Il n'avait pas demandé à la police l'autorisation de partir, voulant rester sur place par solidarité avec le reste du groupe. Une manifestation classique n'était pas efficace. Les conducteurs avaient été avertis au moyen de flyers, sur lesquels un numéro d'urgence était inscrit. La centrale de la police avait également été avertie. Il ne l'avait pas fait lui-même mais en principe, ils le faisaient au moment où l'action commençait. Avertir la police la veille n'aurait pas le même effet car la police aurait dans ce cas déjà été sur place. Il n'avait pas prévu de prendre part à d'autres actions de blocage, mais l'envisageait, car il trouvait cela moralement justifié. Ces actions fonctionnaient dans leur but d'alerter l'opinion publique. Il y avait davantage d'articles de presse de par ces actions.

Y______ a également reconnu les faits reprochés. Le but de l'action n'était pas de bloquer la circulation le plus longtemps possible mais juste de faire un blocage pour perturber. Elle s'était collée la main au sol pour manifester le fait qu'elle voulait rester à cet endroit. Elle savait néanmoins qu'elle serait décollée rapidement par la police, les ambulances ou d'autres personnes. Sans l'intervention de la police, elle se serait décollée si la médiatisation était intervenue. S'il n'y avait pas de journalistes, l'action était ratée, car ils auraient alors embêté les automobilistes pour rien. Plus la perturbation était grande, plus il y aurait de médiatisation. Ils n'allaient pas faire un blocage en campagne quand il n'y avait personne. Elle avait déjà participé à plusieurs manifestations autorisées, mais celles-ci n'avaient pas autant d'impact médiatique. Si la police avait été prévenue à l'avance, la circulation aurait été déviée et il n'y aurait pas eu de blocage possible. Les services d'urgence étaient prévenus au moment où l'action commençait et une voie d'accès était laissée libre, soit une personne non collée à la chaussée pouvait se lever pour libérer le passage. Elle estimait que lorsqu'un accident se produisait sur le pont du Mont-Blanc, les TPG attendaient ou étaient détournés de la même manière que lors de l'action. Cette action avait permis d'installer le débat sur la nécessité de la rénovation énergétique. L'action était le biais, le but était le débat sur la question climatique. Y______ n'avait pas eu de contact avec la presse sur le pont, car au moment où un journaliste s'était approché d'elle pour lui donner la parole, un policier l'avait repoussé. Il ne s'était pas passé grand-chose durant l'heure de blocage. Elle n'avait pas compris pourquoi cela avait duré si longtemps.

X______ et Y______ ont conjointement déposé un bordereau de pièces comportant un acte d'accusation et un courrier de retrait du Ministère public du canton de Zurich ainsi que le communiqué de presse du Tribunal fédéral relatif à l'arrêt 6B_138/2023 du 18 octobre 2023.

D.           X______, né le ______ 1998, est de nationalité allemande et célibataire. Il est étudiant en troisième semestre d'ingénierie. Ses charges sont couvertes par ses parents, avec qui il n'habite plus mais qui subviennent à ses besoins. Son loyer mensuel s'élève à CHF 942.- et ses primes d'assurance maladie à CHF 174.-. Il bénéficie d'un carnet d'épargne de CHF 96'000.-.

L'extrait de son casier judiciaire suisse est vierge, mais montre deux autres procédures en cours.

Y______, née le ______ 1978, est de nationalité française et exerce la profession de technicienne en radiologie. Elle est célibataire, avec deux enfants à charge. Son gain professionnel net annuel s'élève à CHF 57'215.-. Elle perçoit par ailleurs une contribution d'entretien à hauteur de CHF 2'300.- par mois. Son loyer s'élève à CHF 1'490.90 par mois et ses primes d'assurance maladie à CHF 256.80 pour 2023 et CHF 336.65 pour 2024. Elle est propriétaire d'une maison familiale et d'une voiture. Elle a des dettes à hauteur de CHF 530'000.-.

L'extrait de son casier judiciaire suisse est vierge, mais montre une autre procédure en cours.

 

EN DROIT

1.             1.1.1. Se rend coupable de contrainte au sens de l'art. 181 CP celui qui, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux, ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’aura obligée à faire, à ne pas faire ou à laisser faire un acte sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Cette disposition protège la liberté d'action et de décision (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1). La contrainte est illicite lorsque le moyen ou le but est contraire au droit ou encore lorsque le moyen est disproportionné pour atteindre le but visé, soit encore parce qu'un moyen conforme au droit utilisé pour atteindre un but légitime constitue, au vu des circonstances, un moyen de pression abusif ou contraire aux mœurs (ATF 141 IV 437 consid. 3.2.1; 137 IV 326 consid. 3.3.1; arrêt 6B_598/2022 du 9 mars 2023 consid. 2.1.2).

Sur le plan subjectif, il faut que l'auteur ait agi intentionnellement, c'est-à-dire qu'il ait voulu contraindre la victime à adopter le comportement visé en étant conscient de l'illicéité de son comportement ; le dol éventuel suffit (ATF 120 IV 17 précité consid. 2c; TF 6B_637/2022 précité consid. 5.1.4).

1.1.2. Les actions de blocage peuvent donner lieu à des condamnations pénales pour contrainte (art. 181 CP). Ainsi, le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation à des amendes allant de CHF 500.- à CHF 2’000.-, des activistes climatiques qui avaient bloqué pendant onze jours le transit vers et en provenance de trois centrales atomiques (ATF 129 IV 6, JdT 2005 IV 215). Dans une autre affaire, des manifestants avaient bloqué pendant environ une heure et demie l’entrée et la sortie d’un tunnel routier, y compris les voies de secours. Ils furent aussi condamnés pour délit de contrainte (ATF 134 IV 216 consid. 5.2). Il y a eu également contrainte lorsque des manifestants avaient bloqué l’accès à un bâtiment où se tenait une exposition consacrée à l’armée par un « tapis humain », formé par des personnes qui s’étaient couchées en rangs serrés sur le sol (ATF 108 IV 165).

1.1.3. Selon l'art. 239 al. 1 CP, celui qui, intentionnellement, aura empêché, troublé ou mis en danger l’exploitation d’une entreprise publique de transports ou de communications, notamment celle des chemins de fer, des postes, du télégraphe ou du téléphone, celui qui, intentionnellement, aura empêché, troublé ou mis en danger l’exploitation d’un établissement ou d’une installation servant à distribuer au public l’eau, la lumière, l’énergie ou la chaleur, sera puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Cette disposition vise un comportement qui paralyse momentanément le service de transports, entrave sa marche normale ou crée une situation qui fait redouter une paralysie momentanée ou une entrave à la marche normale (Dupuis et al., Petit commentaire, Code pénal, 2e éd., Bâle 2017, n. 11 ad art. 239 CP). Constitue une entreprise publique de transport, une entreprise qui est à la disposition de chacun pour le transport des personnes ou des choses (Corboz, Les infractions en droit suisse, Vol. II, 3e éd., Berne 2010, n. 6 ad art. 239 CP ; Dupuis et al., op. cit. n. 5 ad art. 239 CP). La loi mentionne à titre d’exemple l’entreprise de chemin de fer, ainsi que celle des postes par le réseau de bus postaux. Il faut également ajouter les entreprises de transport par métro, par tram, par bus, par bateau, par avion, par téléphérique (ATF 85 IV 224 consid. III/2, JdT 1960 IV 51 ; Dupuis et al., op. cit., n. 5 ad art. 239 CP). Par ailleurs, la perturbation de l’exploitation d’une entreprise publique de transports doit s’étendre sur une certaine durée. Ainsi, il a été admis que celui qui empêchait une entreprise ferroviaire de respecter l’horaire pendant une heure trente perturbait son exploitation d’une manière importante (ATF 116 IV 44 consid. 2d). En revanche, l’art. 239 CP ne s’appliquait pas en cas de retard de quinze minutes d’un train régional (ATF 119 IV 301). L’infraction peut être commise intentionnellement, le dol éventuel étant suffisant. Elle peut également être commise par négligence (Dupuis et al., op. cit. n. 17 ad art. 239 CP).

1.1.4. Selon l'art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une autre loi.

1.1.5. Les libertés d'opinion et d'information sont garanties par l'art. 16 al. 1 Cst. Toute personne a le droit de former, d'exprimer et de répandre librement son opinion (art. 16 al. 2 Cst.). Selon l'art. 10 § 1 CEDH, la liberté d'expression comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.

L'art. 22 Cst. garantit la liberté de réunion (al. 1), toute personne ayant le droit d'organiser des réunions et d'y prendre part ou non (al. 2). Sont considérées comme des réunions les formes les plus diverses de regroupements de personnes dans le cadre d'une organisation déterminée, dans le but, compris dans un sens large, de former ou d'exprimer mutuellement une opinion (ATF 144 I 281 consid. 5.3.1; 132 I 256 consid. 3; 132 I 49 consid. 5.3; arrêt 6B_655/2022 du 31 août 2022 consid. 4.2). L'art. 11 § 1 CEDH (en relation avec l'art. 10 CEDH), qui consacre notamment le droit de toute personne à la liberté de réunion et à la liberté d'association, offre des garanties comparables (ATF 132 I 256 consid. 3; arrêt 6B_655/2022 précité consid. 4.2); son exercice est soumis aux restrictions qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (art. 11 § 2, 1ère phrase, CEDH).

1.1.6. Il existe en principe, sur la base de la liberté d'opinion, d'information et de réunion, un droit conditionnel à l'usage accru du domaine public pour des manifestations avec appel au public (ATF 144 I 50 consid. 6.3 p. 65; 138 I 274 consid. 2.2.2 p. 282; 132 I 256 consid. 3 p. 259). De telles manifestations impliquent la mise à disposition d'une partie du domaine public, en limitent l'usage simultané par des non-manifestants et ne permettent plus, localement et temporairement, un usage commun. Cette situation exige qu'un ordre de priorité soit fixé entre les divers usagers. Cela implique de soumettre la tenue de telles réunions à autorisation (ATF 132 I 256 consid. 3 p. 259). Dans le cadre de l'octroi de ces autorisations, l'autorité doit tenir compte, d'une part, des intérêts des organisateurs à pouvoir se réunir et s'exprimer et, d'autre part, de l'intérêt de la collectivité et des tiers à limiter les nuisances, notamment à prévenir les actes de violence (ATF 127 I 164 consid. 3 et les références). Plus simplement, il s'agit d'assurer l'utilisation adéquate des installations publiques disponibles dans l'intérêt de la collectivité et du voisinage ainsi que de limiter l'atteinte portée par la manifestation aux libertés des tiers non-manifestants (ATF 143 I 147 consid. 3.2; ATF 132 I 256 consid. 3).

Selon la Cour EDH, l'exigence d'une autorisation n'est pas contraire à l'art. 11 CEDH pour autant que le but de la procédure est de permettre aux autorités de prendre des mesures raisonnables et adaptées permettant de garantir le bon déroulement des événements de ce type (arrêt de la Cour EDH Sergueï Kouznetsov c. Russie du 23 octobre 2008, § 42). Les organisateurs de rassemblements publics doivent obéir aux normes régissant ce processus en se conformant aux réglementations en vigueur (arrêts de la Cour EDH Primov et autres c. Russie du 12 juin 2014, § 117; Oya Ataman c. Turquie du 5 décembre 2006, § 38; Berladir et autres c. Russie du 12 juillet 2012, § 39). La Cour européenne a précisé que, si les règles régissant les réunions publiques, telles qu'un système d'autorisation, sont essentielles pour le bon déroulement des manifestations publiques, leur mise en œuvre ne doit pas devenir une fin en soi (arrêts de la Cour EDH Cisse c. France du 9 avril 2002, § 50; Oya Ataman c. Turquie du 5 décembre 2006, §§ 37-39; Gafgaz Mammadov c. Azerbaïdjan du 15 octobre 2015, § 59; Bumbes c. Roumanie du 3 mai 2022, § 100).

1.1.7. Les autorités doivent pouvoir sanctionner ceux qui participent à une manifestation non autorisée, sans quoi une procédure d'autorisation serait illusoire (arrêt de la Cour EDH Ziliberberg c. Moldova, du 1er février 2005, n° 61821/00).

1.1.8. Néanmoins, le fait qu'une manifestation n'a pas été autorisée ne permet pas à la police de la dissoudre par tous les moyens. Le Tribunal fédéral a récemment rappelé, en référence à la jurisprudence de la Cour EDH, qu'en l'absence d'actes de violence, les pouvoirs publics devaient faire preuve d'une certaine tolérance pour les rassemblements pacifiques non autorisés afin que la liberté de réunion garantie par l'art. 11 CEDH ne soit pas vidée de sa substance (arrêt 6B_246/2022 du 12 décembre 2022 consid. 3.2.4; arrêts de la Cour EDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], § 150; Navalnyy et Yashin c. Russie du 4 décembre 2014, § 63; Bukta et autres c. Hongrie du 17 juillet 2007, § 37; Oya Ataman c. Turquie du 5 décembre 2006, §§ 41-42). La liberté de participer à une réunion pacifique revêt une telle importance qu'une personne ne peut faire l'objet d'une quelconque sanction - même une sanction se situant vers le bas de l'échelle des peines disciplinaires - pour avoir participé à une manifestation non autorisée, dans la mesure où l'intéressé ne commet par lui-même, à cette occasion, aucun acte répréhensible (arrêts 6B_246/2022 précité consid 3.2.4; 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 du 31 juillet 2023 consid. 6.1.3; arrêts de la Cour EDH Navalnyy c. Russie du 15 novembre 2018 [GC], § 128; Solari c. République de Moldova du 28 mars 2017, § 37; Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], § 149).

La tolérance qui est demandée aux pouvoirs publics à l'égard des rassemblements pacifiques "illégaux" s'étend aux cas dans lesquels la manifestation en cause se tient dans un lieu public en l'absence de tout risque pour la sécurité, et si les nuisances causées par les manifestants ne dépassent pas le niveau de perturbation mineure qu'entraîne l'exercice normal du droit à la liberté de réunion pacifique dans un lieu public. Elle doit également s'étendre aux réunions qui entraînent des perturbations mineures de la vie quotidienne, notamment de la circulation routière (arrêts 6B_246/2022 précité consid. 3.2.4; 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 précités consid. 6.1.3; arrêts de la Cour EDH Navalnyy c. Russie du 15 novembre 2018 [GC], § 128; Egitim ve Bilim Emekcileri Sendikasi et autres c. Turquie du 5 juillet 2016, § 95; Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], § 155). Les limites de la tolérance que les autorités sont censées démontrer à l'égard d'un rassemblement illicite dépendent des circonstances particulières de l'espèce, notamment de la durée et de l'ampleur du trouble à l'ordre public causé par le rassemblement ainsi que de la question de savoir si ses participants se sont vu offrir une possibilité suffisante d'exprimer leurs opinions (arrêts 6B_246/2022 précité consid. 3.2.4; 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 précités consid. 6.1.4; arrêts de la Cour EDH Frumkin c. Russie du 5 janvier 2016, § 97; Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], §§ 155-157 et 176-177).

Selon la Cour EDH, le refus des manifestants de se conformer aux règles en vigueur et leur décision de structurer tout ou partie d'une manifestation de façon à provoquer des perturbations de la vie quotidienne et d'autres activités à un degré excédant le niveau de désagrément inévitable dans les circonstances constituent un comportement qui ne saurait bénéficier de la même protection privilégiée offerte par la CEDH qu'un discours ou débat pacifique d'opinions (arrêt de la Cour EDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC] § 156). La Cour EDH a admis que lorsque des manifestants perturbent intentionnellement la vie quotidienne et les activités licites d'autrui, ces perturbations, lorsque leur ampleur dépasse celle qu'implique l'exercice normal de la liberté de réunion pacifique, peuvent être considérés comme des "actes répréhensibles" et justifier l'imposition de sanctions, y compris pénales (arrêts 6B_1098/2022 et 6B_1106/2022 précités consid. 6.1.4; 6B_655/2022 du 31 août 2022 consid. 4.5; arrêt de la Cour EDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], §§ 173-174; voir aussi arrêt de la Cour EDH Barraco c. France du 5 mars 2009, §§ 46-47). Elle a ainsi considéré que le blocage quasi total de trois autoroutes importantes, au mépris flagrant des ordres de la police et des intérêts et droits des usagers de la route, s'analysait en un comportement qui, tout en étant moins grave que le recours à la violence physique, pouvait être qualifié de "répréhensible" et que les sanctions pénales prononcées dans le cas particulier étaient proportionnées (arrêts de la Cour EDH Kudrevicius et autres c. Lituanie du 15 octobre 2015 [GC], §§ 173-174; voir aussi Barraco c. France, §§ 46-47).

1.1.9. Dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a considéré que le blocage partiel d'un centre commercial dans le cadre d'une action de protestation politique non-autorisée bénéficiait des garanties de la liberté d'expression et de réunion (arrêt 6B_138/2023 du 18 octobre 2023). Le Tribunal fédéral a en effet exposé que le blocage du centre commercial ne dépassait pas les limites du désagrément inévitable lié à l'exercice de la liberté de réunion. Une seule sortie du centre commercial avait été visée et d'autres issues étaient accessibles au public. De surcroît, l'action était en lien direct avec le but de la manifestation, soit la surproduction et la surconsommation. Au vu de ces éléments, le Tribunal fédéral a considéré que l'action ne constituait pas une perturbation sérieuse de la vie quotidienne et un acte répréhensible. La cour cantonale pouvait ainsi admettre que l'action était protégée par la liberté d'expression et de réunion et libérer les prévenus du chef de prévention de l'infraction de contrainte (consid. 3.4.1 et 3.4.2).

1.2.1. En l'espèce, s'agissant de l'infraction de contrainte reprochée (art. 181 CP), il est établi et non contesté que les prévenus ont pris part, avec d'autres personnes, à une action planifiée et coordonnée, dont les modalités et rôles étaient définis entre les manifestants, chacun adhérant au plan commun. Cette action visait à bloquer le trafic sur le pont du Mont-Blanc et a provoqué la paralysie de la circulation à cet endroit durant environ 1h20.

De ce fait, de nombreux individus, se déplaçant tant en voiture qu'en transports publics, ont été entravés dans leurs mouvements. La circulation du centre-ville a été fortement perturbée et un nombre important de personnes contraintes de patienter sur le pont et dans les environs. En particulier, les participants au trafic passant sur le pont du Mont-Blanc ont été empêchés de le traverser, puis obligés de patienter avant de devoir faire demi-tour. Par voie de conséquence, ils ont dû faire un long détour s'ils désiraient rejoindre la rive droite, au vu de la paralysie quasi généralisée du trafic ainsi provoquée.

Il en découle qu'en prenant part à l'action du 22 octobre 2022, les prévenus ont entravé les usagers de la route et les citoyens dans leur liberté d'action, les contraignant physiquement à ne pas franchir le pont du Mont-blanc et, partant, à faire demi-tour. L'entrave ne s'est pas limitée, pour les participants au trafic, au désagrément d'attendre quinze minutes dans leur voiture ou le bus. Ceux-ci ont dû au contraire quitter le bus bloqué sur le pont, respectivement tenter, après une attente initiale, de s'extraire du bouchon en rebroussant chemin, sans possibilité de contourner simplement ledit blocage et de rejoindre la rive droite. La situation n'est ainsi pas comparable à celle du blocage de l'entrée d'un centre commercial, alors que la clientèle peut emprunter une autre issue facilement accessible.

Il est ainsi manifeste que l'entrave créée, ayant paralysé le trafic pendant un laps de temps significatif et causé de nombreuses perturbations par ricochet, n'a pas uniquement provoqué une perte de temps de quelques minutes et des agacements, mais une entrave importante à la liberté de déplacement, dépassant le seuil usuellement toléré.

Le fait d'empêcher physiquement des participants au trafic de poursuivre leur route constitue en soi un moyen de contrainte illicite, dès lors que les prévenus n'avaient aucun droit de s'installer sur la chaussée en interrompant le trafic. L'entrave aux usagers de la route n'était en outre pas une conséquence plus ou moins inévitable, simplement acceptée par les prévenus. Il s'agissait au contraire du but recherché par l'action de blocage ciblée, l'ampleur de la perturbation crée devant permettre d'amener une médiatisation en rapport avec celle-ci. La prévenue Y______ a expressément exposé que le but était de faire blocage "pour perturber". Les prévenus avaient, de leur propre aveu, comme but d'entraver la circulation des autres usagers de la route, même si celui-ci n'était qu'un moyen pour exprimer leurs revendications. Le fait de s'assoir sur la chaussée et de se coller la main à l'asphalte est l'illustration évidente du fait que plus le blocage durait, mieux le but était atteint.

Le fait que les prévenus n'aient à dessein pas prévenu les autorités en amont ni tenté d'obtenir les autorisations requises va dans le même sens. Il s'agissait en effet pour les manifestants de maximiser les perturbations causées, soit l'inverse du but recherché par l'obligation de requérir une autorisation et d'annonce préalable. De telles démarches auraient, selon leurs propres dires, réduit l'effet de l'action. La prise de mesures par les autorités avant l'action aurait en effet atténué les nuisances causées et les entraves à la liberté d'action d'autrui, atténuations que les prévenus voulaient éviter dès lors qu'elles auraient réduit la résonnance médiatique de leur action.

L'on ne peut à cet égard soutenir que la police, et non les manifestants, serait responsable de la durée du blocage. En effet, non seulement ceux-ci ont-ils sciemment omis de prendre toute mesure qui aurait permis de diminuer l'ampleur de la perturbation, mais certains d'entre eux, dont Y______, se sont également collés les mains à l'arrivée de la police, comportement difficilement interprétable comme une volonté de lever au plus vite le blocage, que celui-ci soit réussi ou non. X______ n'a pas manifesté davantage de zèle pour quitter les lieux, refusant de marcher et forçant les policiers à le transporter manuellement. Le pont a au demeurant été rouvert au trafic au plus dix minutes après l'interpellation des derniers manifestants, qui y sont quant à eux demeurés pendant près d'une heure et quart.

Ainsi, les faits tel que décrits dans l'ordonnance pénale sont établis et remplissent les éléments constitutifs tant objectifs que subjectifs de l'infraction de contrainte au sens de l'art. 181 CP.

1.2.2. S'agissant de l'infraction à l'art. 239 CP reprochée, il est établi que les TPG, entreprise publique de transports, ont été dans l'obligation d'interrompre 112 courses, de ce fait financièrement perdues, et que des heures supplémentaires ont dû être effectuées par ses employés pour que la situation soit pleinement rétablie. La perturbation des transports publics s'est étendue à tout le moins entre 13h59 et 16h51, soit pendant près de 3h.

Dans un contexte urbain, les déviations mises en place d'urgence ont entraîné des retards en cascade sur tout le réseau des transports publics genevois, le pont du Mont Blanc étant l'une des artères principales de la ville.

Il est constant que le lieu exact et les horaires de la manifestation n'ont été communiqués aux services de police qu'une fois l'action entamée, de sorte qu'aucune mesure d'organisation n'a pu être prise en amont pour assurer la continuité de l'exploitation des transports publics.

Ainsi, la circulation des transports publics a été sérieusement troublée pendant plusieurs heures, remplissant les conditions de durée et d'intensité nécessaires pour réaliser les éléments constitutifs objectifs de l'art. 239 CP.

L'élément constitutif subjectif de l'infraction est également réalisé dès lors que les prévenus n'ignoraient pas que leur action paralyserait le trafic et, partant, entraverait notamment la bonne marche des transports publics, ce qui faisait au demeurant partie de leurs moyens pour se procurer un impact médiatique aussi large que possible. Ils ont ainsi agi intentionnellement.

1.3. Dans la mesure où les actes des prévenus se sont inscrits dans une démarche de protestation politique, il convient d'examiner si ceux-ci pourraient être protégés par la liberté d'expression et de réunion et ainsi être couverts par un motif justificatif.

1.4. En l'espèce, le Tribunal relève que les art. 22 Cst et 11 CEDH sont en l'espèce applicables, l'action du 22 octobre 2022 constituant bien un rassemblement pacifique dans un lieu public, aucun acte de violence ou de dégradation n'ayant été commis.

Il est également établi et non contesté que ladite action n'avait pas été préalablement autorisée par les autorités genevoises compétentes.

Afin de savoir si une sanction pénale peut intervenir sans engendrer une violation des libertés précitées, il convient, au regard de la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la Cour EDH, de déterminer si les prévenus ont, à l'occasion de cette action, commis un acte répréhensible.

En d'autres termes, le Tribunal doit examiner si les faits se sont déroulés en l'absence de tout risque pour la sécurité et si les nuisances causées par les prévenus ont dépassé le niveau de perturbation mineure qu'entraîne l'exercice normal du droit à la liberté de réunion pacifique dans un lieu public.

S'agissant en premier lieu des risques pour la sécurité, il est établi, comme mentionné précédemment, que l'action s'est déroulée de manière pacifique. Elle n'avait pas de but violent, ne s'est pas déroulée dans une atmosphère agressive et aucun acte de violence physique n'a été commis, pas davantage que des dommages à la propriété. Cela ressort au demeurant de la vidéo des évènements.

Il est également établi que certains manifestants n'étaient pas collés au sol et pouvaient donc libérer une voie pour laisser passer d'éventuels véhicules d'urgence. Les prévenus ont également déclaré que les flyers distribués mentionnaient un numéro à contacter en cas d'urgence.

Néanmoins, le Tribunal ignore tout du processus en cas d'appel à ce numéro d'urgence et des mesures qui auraient pu être prise au besoin et dans quels délais et avec quelle efficacité. En pratique, il paraît plutôt illusoire pour des véhicules d'urgence de s'engager avec un trafic bloqué sur le pont et de requérir des manifestants qu'ils se lèvent, sans garantie qu'ils s'exécutent effectivement, et encore moins sans qu'un temps précieux ne soit perdu. Ce d'autant plus qu'il n'est pas évident de prédire si et comment un véhicule d'un service d'urgence pourrait se frayer un passage dans un trafic bloqué de manière à parvenir à traverser le barrage précisément là où se trouvait le manifestant dont la main n'était pas collée à la chaussée, les autres étant évidemment dans l'impossibilité de libérer rapidement le passage, ni d'être déplacé sans risque de les blesser.

En tout état de cause, le comportement adopté par les prévenus reste dangereux. Ils se sont engagés et assis sur un pont à haute fréquentation constituant un tronçon de l'une des artères principales de la ville. L'action a engendré des risques tant pour les prévenus que pour les usagers de la route, principalement sous la forme de risque d'accident, qui pouvait découler de comportements potentiellement inadaptés d'usagers de la route. Le rapport de renseignements mentionne à cet égard qu'il aurait été dangereux de tenter de laisser passer les véhicules et transports publics à proximité des prévenus.

S'agissant ensuite du degré de nuisances causé par l'action, l'on relèvera que l'action entreprise par les prévenus s'est déroulée sur l'un des deux seuls ponts de passage automobile d'une rive à l'autre. La vidéo des faits démontre clairement l'affluence à cet endroit puisqu'au bout de quelques secondes de blocage seulement, une trentaine de véhicules se trouvent déjà immobilisés. Comme indiqué plus haut, la perturbation du trafic a été conséquente. Si le blocage a duré 1h20, durée déjà significative, la normalisation de la situation a pris davantage de temps.

Un important dispositif policier a dû être mis en place, comprenant de nombreux policiers, des patrouilles déviées de leur mission et la nécessité de faire appel à des véhicules d'urgence (ambulance et SIS).

L'ampleur des nuisances causées se mesure également au nombre de courses des transports publics interrompues, soit plus d'une centaine, causant une perturbation du trafic conséquente et, accessoirement, un dommage financier important.

S'il est vrai que les voitures prises au piège sur le pont ont relativement rapidement pu être évacuées ou faire demi-tour, il n'en demeure pas moins que les nuisances causées ont été considérables. Les déviations ayant dû être mises en place ont en effet nécessairement reporté le trafic et les nuisances sur le reste de la ville et ainsi forcé les usagers de la route à entreprendre d'importants détours.

Les prévenus ne contestent à cet égard pas que le choix du mode d'action et du lieu ait été guidé par l'ampleur de la perturbation susceptible d'être provoquée, laquelle devait amener une plus grande médiatisation. Il en va d'ailleurs de même de la durée et de l'action de se coller les mains au bitume afin d'éviter la levée du blocage. A cet égard, la Cour EDH a jugé, dans les jurisprudences citées, que la liberté d'expression et de réunion ne protégeait pas le choix des manifestants de structurer leur action de manière à causer des perturbations excédant le niveau de désagrément inévitable. C'est pourtant précisément ce qu'ont fait les manifestants, en choisissant un mode d'action de blocage, sans autorisation ni annonce préalable, ainsi que des comportements visant à le prolonger, tel que se coller les mains au bitume. Or, rien ne permet de penser qu'ils n'auraient pas pu manifester pacifiquement en requérant une autorisation, en localisant le rassemblement ailleurs qu'au milieu du trafic d'une artère importante à une heure d'affluence et en avertissant préalablement les autorités. Le fait que de tels modes d'action, conforme à la loi, n'aient potentiellement pas joui de la même médiatisation n'est pas pertinent, la CEDH ne protégeant pas la recherche de médiatisation.

Au vu de ces éléments, l'on doit retenir que les troubles à l'ordre public causés par l'action à laquelle les prévenus ont participé ont été conséquents et que leur ampleur a nettement dépassé celle qu'impliquait l'exercice normal de la liberté de réunion pacifique. Les manifestants ont intentionnellement perturbé la vie quotidienne et les activités licites d'autrui, excédant la simple gêne inhérente à une manifestation.

Ainsi, ces perturbations sont constitutives d'actes répréhensibles et justifient l'imposition d'une sanction pénale.

Au surplus, les faits du cas d'espèce ne sont aucunement comparables à ceux examinés par le Tribunal fédéral dans son arrêt du 18 octobre 2023. En effet, dans l'arrêt précité, une seule sortie du centre commercial était obstruée, les autres issues étant laissées libres, moyennant un petit détour. Cette situation est largement moins paralysante que le blocage d'une artère principale de la ville pendant 1h20, engendrant des embouteillages au centre-ville et nécessitant la mise en place de déviations du trafic. De surcroît, le Tribunal fédéral avait tenu compte du fait que l'action des manifestants présentait un lien direct avec l'objet de leur contestation. Or, en l'espèce, il n'y a pas de lien direct entre la rénovation thermique des bâtiments et le blocage de la circulation automobile ou le collage de mains sur l'asphalte.

Ainsi, les prévenus seront tous deux reconnus coupables de contrainte (art. 181 CP) et d'entrave aux services d'intérêt général (art. 239 al. 1 CP), en co-activité.

2.             2.1.1. L'art. 47 CP prévoit que le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur, en tenant compte des antécédents et de la situation personnelle de ce dernier ainsi que de l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 135 IV 130 consid. 5.3.1). Le facteur essentiel est celui de la faute (arrêt du Tribunal fédéral 6B_992/2008 du 5 mars 2009 consid. 5.1). La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). A ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents, la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 134 IV 17 consid. 2.1; 129 IV 6 consid. 6.1 et arrêt du Tribunal fédéral 6B_759/2011 du 19 avril 2012 consid. 1.1).

2.1.2. A teneur de l'art. 34 al. 1 et 2 1ère ph. CP, sauf disposition contraire, la peine pécuniaire est de trois jours-amende au moins et ne peut excéder 180 jours-amende. Le juge fixe leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur (al. 1). En règle générale, le jour-amende est de 30 francs au moins et de 3000 francs au plus (al. 2).

2.1.3. Aux termes de l'art. 42 al. 1 CP, le juge suspend en règle générale l'exécution d'une peine pécuniaire ou d'une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

Selon l'art. 44 al. 1 CP, si le juge suspend totalement ou partiellement l'exécution d'une peine, il impartit au condamné un délai d'épreuve de deux à cinq ans.

2.2. En l'espèce, la faute des prévenus n'est pas anodine. Ils ont activement pris part au blocage de l'un des ponts principaux de la ville, durant 1h20, occasionnant ainsi d'importantes perturbations du trafic routier et nécessitant la mise en place d'un important dispositif policier.

Ils s'en sont pris à la liberté d'action d'autrui et à l'intérêt de la collectivité au bon fonctionnement des services publics, sans égard pour les désagréments causés à autrui.

Il y a concours d'infraction, facteur aggravant.

Ils ont agi de façon planifiée et organisée, de concert avec d'autres individus. Chacun d'entre eux voulait la réalisation du but commun convenu, soit de l'action de blocage, et leurs rôles respectifs étant globalement équivalents.

Leur collaboration à la procédure a été mitigée. Ils ont d'abord refusé de répondre aux questions posées par la police, avant d'admettre les faits.

Leur prise de conscience est inexistante pour le prévenu X______, lequel a expressément déclaré pouvoir prendre part à d'autres opérations de blocage à l'avenir. Elle est amorcée pour la prévenue Y______, bien que cela soit principalement dû aux conséquences judiciaires de ses actes et non au caractère pénal de ceux-ci.

Les prévenus n'ont pas d'antécédents au casier judiciaire, élément toutefois neutre, tant un comportement conforme à la loi est attendu de chaque citoyen.

À décharge, il sera retenu que les prévenus étaient mus par une authentique conviction quant à la nécessité d'éveiller les consciences à l'urgence climatique et à la nécessité de rénover les bâtiments. L'action à laquelle ils ont pris part est par ailleurs restée pacifique et ils n'ont pas cherché à faire davantage de dégâts que ceux inhérent au mode d'action choisi.

Compte tenu de ce qui précède, une peine pécuniaire semble suffisante pour déployer l'effet préventif escompté. S'agissant de Y______, la peine de 20 jours-amende, telle que prononcée par le Ministère public apparaît modérée et proportionnée à la faute. Pour ce qui est de la fixation du montant du jour-amende, celui-ci sera fixé à CHF 80.- afin de tenir compte de sa situation financière.

S'agissant de X______, contrairement à ce qui a été retenu dans l'ordonnance pénale, la peine à fixer n'est pas complémentaire à sa condamnation du 24 mai 2023 à une peine pécuniaire de 120 jours-amende, puisqu'il ne s'agit pas d'une condamnation définitive, mais d'une procédure en cours. Il se justifie dès lors de prononcer une peine identique à celle de Y______, leur culpabilité étant globalement équivalente, Une peine pécuniaire de 20 jours-amende sera donc également prononcée le concernant. Le montant du jour-amende sera fixé à CHF 40.- afin de tenir compte de son absence de revenu, mais aussi de ses économies.

En l'absence d'antécédents, le sursis est acquis aux prévenus. Le délai d'épreuve, fixé à 3 ans dans l'ordonnance pénale, est approprié et sera confirmé.

3.              3.1. Selon l'art. 426 al. 1 CPP, le prévenu supporte les frais de la procédure s'il est condamné.

3.2. En l'espèce, vu le verdict condamnatoire prononcé, les frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'905.-, seront mis à la charge des prévenus, pour moitié chacun.

4.             Les conclusions en indemnisations des prévenus seront par ailleurs rejetées, vu l'issue du présent jugement (art. 429 CPP).

5.             Il sera procédé aux confiscations et destructions conformément au dispositif (art. 69 CP).

 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition :

Déclare valables l'ordonnance pénale du 6 juin 2023 et l'opposition formée contre celle-ci par X______ le 17 juin 2023.

Déclare valables l'ordonnance pénale du 6 juin 2023 et l'opposition formée contre celle-ci par Y______ le 23 juin 2023.

et statuant à nouveau et contradictoirement :

Déclare X______ coupable de contrainte (art. 181 CP) et d'entrave aux services d'intérêt général (art. 239 ch. 1 CP).

Condamne X______ à une peine pécuniaire de 20 jours-amende, sous déduction d'un jour-amende, correspondant à un jour de détention avant jugement (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 40.-.

Met X______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit X______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Rejette les conclusions en indemnisation de X______ (art. 429 CPP).

Déclare Y______ coupable de contrainte (art. 181 CP) et d'entrave aux services d'intérêt général (art. 239 ch. 1 CP).

Condamne Y______ à une peine pécuniaire de 20 jours-amende, sous déduction d'un jour-amende, correspondant à un jour de détention avant jugement (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 80.-.

Met Y______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit Y______ que si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Ordonne la confiscation et la destruction des objets figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 37369020221028 (art. 69 CP).

Rejette les conclusions en indemnisation de Y______ (art. 429 CPP).

Ordonne la confiscation et la destruction des objets figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 34697820220414 (art. 69 CP).

Condamne X______ et Y______, pour moitié chacun, aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1905.- (art. 426 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes : Casier judiciaire suisse, Secrétariat d'Etat aux migrations, Office cantonal de la population et des migrations, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

 

La Greffière


Stéphanie OÑA

Le Président


Yves MAURER-CECCHINI

 

 

Voies de recours

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

 

Etat de frais

Frais de l'ordonnance pénale (X______)

CHF

580.00

Frais de l'ordonnance pénale Y______)

CHF

580.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

60.00

Frais postaux (convocation)

CHF

14.00

Emolument de jugement

CHF

600.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

21.00

Total

CHF

1905.00

==========

 

Restitution de valeurs patrimoniales et/ou d'objets

Lorsque le présent jugement sera devenu définitif et exécutoire, il appartiendra à l'ayant-droit de s'adresser aux Services financiers du pouvoir judiciaire (finances.palais@justice.ge.ch et +41 22 327 63 20) afin d'obtenir la restitution de valeurs patrimoniales ou le paiement de l'indemnité allouée, ainsi que, sur rendez-vous, au Greffe des pièces à conviction (gpc@justice.ge.ch et +41 22 327 60 75) pour la restitution d'objets.

Notification à X______, soit pour lui son conseil
Par voie postale

Notification à Y______, soit pour elle son conseil
Par voie postale

Notification au Ministère public
Par voie postale