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Décisions | Chambre de surveillance en matière de poursuite et faillites

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A/2700/2024

DCSO/620/2024 du 12.12.2024 ( PLAINT ) , ADMIS

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2700/2024-CS DCSO/620/24

DECISION

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre de surveillance
des Offices des poursuites et faillites

DU JEUDI 12 DECEMBRE 2024

 

Plainte 17 LP (A/2700/2024-CS) formée en date du 22 août 2024 par A______, représenté par Me Nicolas HOFFMANN, avocat.

* * * * *

Décision communiquée par courrier A à l'Office concerné et par plis recommandés du greffier du 6 janvier 2025
à :

- A______

c/o Me HOFFMANN Nicolas

Kellerhals Carrard Genève SNC

Rue François-Bellot 6

1206 Genève.

- CAISSE DE COMPENSATION B______

______

______.

- Office cantonal des poursuites.

 


EN FAIT

A. a. A______ était directrice de C______ SA, en liquidation, sise rue 1______ no. ______, [code postal] Genève, de septembre 2014 à juillet 2020.

La faillite de C______ SA a été prononcée le 7 septembre 2020, la procédure de liquidation suspendue le 1er février 2021 puis clôturée, faute d'actifs, le 1er mars 2021.

b. Le 11 août 2023, la CAISSE DE COMPENSATION B______ a engagé une poursuite à l'encontre de A______ pour un montant de 145'090 fr. 30, se fondant sur sa décision rendue le 5 mars 2021 lui réclamant réparation du dommage subi à la suite de la faillite de la société C______ SA.

Dans sa réquisition de poursuite, la poursuivante a indiqué que la débitrice poursuivie était domiciliée c/o D______, p.a. E______, chemin 2______ no. ______, [code postal] F______ [GE].

c. Le commandement de payer, poursuite N° 3______, a été notifié à cette adresse par la poste et remis à D______, époux de A______, le 19 août 2023.

Les mentions suivantes ont alors été apposées sur le commandement de payer : "notification à une autre personne", "D______, fondé de procuration" et "raison : n'habite pas à cette adresse" et enfin "opposition totale".

d. Par courrier du 5 septembre 2023, D______ a retourné ce commandement de payer à l'Office en l'informant que son épouse A______ n'habitait plus à Genève depuis plus de deux ans.

e. La CAISSE DE COMPENSATION B______ a requis et obtenu la mainlevée définitive de l'opposition auprès du Tribunal de première instance.

La citation à comparaître a été adressée à A______ chez son époux D______ au chemin 2______ no. ______ à F______, qui a informé le Tribunal de ce que son épouse avait quitté la Suisse depuis plusieurs années.

La citation à comparaître et le jugement ont été communiqués à la poursuivie par voie édictale.

f. La créancière poursuivante a requis la continuation de la poursuite par voie de saisie le 28 juin 2024.

g. Par courrier du 9 août 2024 remis le 13 août 2024, l'Office cantonal des poursuites (ci-après : l'Office) a adressé à l'employeur de la poursuivie un formulaire à remplir afin de procéder à la saisie sur salaire.

B. a. Par acte déposé le 22 août 2024 à la Chambre de surveillance, A______ a formé une plainte au sens de l'art. 17 LP, concluant à la constatation de la nullité du commandement de payer, poursuite N° 3______, de la poursuite N° 3______, de toutes les mesures entreprises par l'Office dans le cadre de cette poursuite et de la procédure de saisie N° 81 4______.

Elle se prévaut de l'absence de for de poursuite en Suisse, tant sous l'angle de l'art. 46 al. 1 LP que de l'art. 50 al. 1 LP, alléguant s'être séparée de son époux en 2020, avoir ensuite quitté le territoire suisse pour s'installer à G______ (France) puis à H______ (France) et avoir annoncé son départ aux autorités administratives genevoises pour début janvier 2021. Elle expose par ailleurs que son époux avait informé par courrier l'Office puis le Tribunal de première instance du fait qu'elle ne résidait plus à Genève depuis plus de deux ans. Elle ne pouvait enfin être poursuivie au siège de la société faillie, qui avait été radiée le ______ 2021 à la suite de la clôture de la faillite par défaut d'actifs ordonnée le 1er mars 2021. Elle explique avoir eu connaissance du commandement de payer et de la poursuite engagée à son encontre le 13 août 2024 par le biais de son employeur.

A l'appui de sa plainte, elle a notamment produit les pièces suivantes :

- une attestation de départ établie par l'Office cantonal de la population et des migrations le 7 septembre 2021, faisant état de ce qu'elle avait résidé à Genève depuis octobre 2010, à la rue 5______ no. ______, [code postal] Genève, puis annoncé son départ à destination de G______ (France) pour le 1er janvier 2021;

- des échanges de courriels entre le comptable de D______ et l'administration fiscale cantonale en juillet 2021, faisant état du départ de A______ pour la France à la suite de la séparation de corps des époux intervenue fin 2020;

- des contrats d'assurances bâtiment concernant une maison individuelle sise à la route 6______ no. ______, [code postal] H______, et d'assurances véhicules, contractés en juillet et décembre 2020 par A______, avec pour adresse route 6______ no. ______, [code postal] H______, ainsi qu'une facture établie en janvier 2021 en son nom à cette adresse;

- une attestation établie par la Mairie de I______ (France) le 19 août 2024, selon laquelle A______ a certifié sur l'honneur avoir résidé sans interruption au chemin 7______ no. ______, [code postal] I______, depuis le 26 avril 2021, une attestation établie par les propriétaires du logement certifiant qu'elle occupe ce logement depuis le 26 avril 2021, ainsi que des factures de fourniture d'électricité liées à cette adresse, couvrant la période allant de juillet 2021 à mars 2024;

- une copie de son titre de séjour lui permettant d'exercer une activité lucrative à Genève.

b. Le 30 août 2024, la Chambre de surveillance a octroyé l'effet suspensif à la plainte.

c. La Caisse de compensation B______ ne s'est pas déterminée dans le délai imparti.

d. Dans son rapport établi le 12 septembre 2024, l'Office des poursuites s'en est rapporté à justice quant à la recevabilité de la plainte, arguant de ce qu'il ne pouvait être exclu que la plaignante avait été informée de la notification du commandement de payer, puisque son époux avait pu retirer l'acte au guichet de poste et qu'on pouvait penser qu'il les lui transmettait par la suite. Sur le fond, l'Office relève qu'il n'avait aucune raison de refuser de donner suite à la réquisition de poursuite, dans la mesure où l'indication du départ de la plaignante pour la France dans le registre de l'Office cantonal de la population n'était pas seul déterminant pour retenir l'absence d'un domicile à Genève, et que la séparation du couple ne résultait d'aucun registre public ni de la réquisition. Enfin, dans la mesure où la créancière poursuivante n'avait pas fait mention de l'article 50 LP dans sa réquisition de poursuite, l'Office avait donné suite à la réquisition sur la base du seul for ordinaire.

EN DROIT

1. 1.1.1 La Chambre de surveillance est compétente pour statuer sur les plaintes formées en application de l'article 17 al. 1 LP (art. 13 LP; art. 125 et 126 al. 2 let. c LOJ; art. 6 al. 1 et 3 et 7 al. 1 LaLP) contre les mesures de l'Office ne pouvant être contestées par la voie judiciaire.

La plainte doit être déposée, sous forme écrite et motivée (art. 9 al. 1 et 2 LaLP; art. 65 al. 1 et 2 LPA, applicable par renvoi de l'art. 9 al. 4 LaLP), dans les dix jours de celui où le plaignant a eu connaissance de la mesure (art. 17 al. 2 LP). A qualité pour former une plainte toute personne lésée ou exposée à l'être dans ses intérêts juridiquement protégés, ou tout au moins touchée dans ses intérêts de fait, par une décision ou une mesure de l'office (ATF 138 III 628 consid. 4; 138 III 219 consid. 2.3; 129 III 595 consid. 3; 120 III 42 consid. 3).

1.1.2 L'autorité de surveillance doit par ailleurs constater, indépendamment de toute plainte et en tout temps (ATF 136 III 572 consid. 4), la nullité des mesures de l'Office contraires à des dispositions édictées dans l'intérêt public ou dans l'intérêt de personnes qui ne sont pas parties à la procédure (art. 22 al. 1 LP).

1.1.3 L'inobservation des règles sur le for de la poursuite n'entraîne la nullité de plein droit des actes dont il s'agit que dans le cas où elle lèse l'intérêt public ou les intérêts de tiers; la notification d'un commandement de payer par un office des poursuites incompétent ne satisfait pas à cette condition (ATF 96 III 89 consid. 2; 88 III 7 consid. 3; 82 III 63 consid. 4; 69 II 162 consid. 2b; arrêt 5A_362/2013 du 14 octobre 2013 consid. 3.2). Un commandement de payer délivré par un office incompétent à raison du lieu ne peut ainsi qu'être annulé à la suite d'une plainte formée en temps utile (arrêts 5A_108/2018 du 11 juin 2018 consid. 3; 5A_333/2017 du 4 août 2017 consid. 3.2, publié in SJ 2017 I 469; 5A_30/2013 du 7 mai 2013 consid. 3; 7B.132/2002 du 4 octobre 2002 consid. 1 et les arrêts cités).

1.2 En l'espèce, la plaignante, débitrice poursuivie, a qualité pour former plainte et la notification d'un commandement de payer est un acte de poursuite sujet à plainte.

Dans la mesure où les pièces au dossier ne permettent pas de retenir avec certitude que la plaignante a eu connaissance de la notification du commandement de payer dans la poursuite engagée à son encontre avant d'avoir été informée, en date du 13 août 2024, de la saisie de salaire opérée en mains de son employeur, il y a lieu de considérer que sa plainte, déposée le 22 août 2024, a été formée dans le délai prescrit.

Il se justifie en conséquence d'entrer en matière.

2. La plaignante se prévaut de la nullité de la poursuite engagée à son encontre, ainsi que de tous les actes exécutés par l'Office dans le cadre de cette poursuite, au motif qu'il n'existe aucun for à Genève.

2.1.1 L'engagement et le déroulement d'une procédure d'exécution forcée supposent l'existence d'un for de la poursuite, lequel désigne l'organe de poursuite territorialement compétent à qui le créancier doit s'adresser pour introduire la poursuite. La LP définit le for ordinaire de la poursuite (art. 46 LP), qui, pour les personnes physiques, se trouve au domicile du débiteur, ainsi qu'un nombre très limité de fors spéciaux (art. 48 à 52 LP).

2.1.2 Selon l'art. 46 LP, le for de la poursuite est au domicile du débiteur.

Ce domicile est déterminé selon les critères prévus par l'art. 23 al. 1 CC: une personne physique a son domicile au lieu où elle réside avec l'intention de s'y établir, ce qui suppose qu'elle fasse du lieu en question le centre de ses intérêts personnels et professionnels. La notion de domicile comporte deux éléments: l'un objectif, la présence physique en un lieu donné; l'autre subjectif, l'intention d'y demeurer durablement (ATF 141 V 530 consid. 5.2; 137 II 122 consid. 3.6;
136 II 405 consid. 4.3; arrêts 5A_284/2020 du 23 décembre 2020 consid. 2.4.2; 5A_680/2020 du 8 décembre 2020 consid. 5.1.1 et l'autre arrêt cité). Ce dernier élément ne repose pas sur la seule volonté (interne) de l'intéressé, mais sur les circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, permettant d'en déduire une telle intention (ATF 141 V 530 consid. 5.2; 137 II 122 consid. 3.6; 120 III 7 consid. 2b). A cet égard, les documents administratifs tels que permis de circulation, permis de conduire, papiers d'identité, attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales, ou encore les indications figurant dans des décisions judiciaires ou des publications officielles ne sont pas déterminants à eux seuls. Ils constituent certes des indices sérieux de l'existence du domicile mais ne sauraient toutefois l'emporter sur le lieu où se focalise un maximum d'éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l'intéressé (ATF 141 V 530 consid. 5.2; 136 II 405 consid. 4.3; 125 III 100 consid. 3; arrêts 5A_419/2020 du 16 avril 2021 consid. 2.2; 5A_680/2020 précité loc. cit.).

2.1.3 Le débiteur domicilié à l'étranger qui possède un établissement en Suisse peut y être poursuivi pour les dettes de celui-ci (art. 50 al. 1 LP).

Le for spécial prévu par cette disposition ne dépend pas d'une inscription au registre du commerce mais est subordonné seulement à l'existence d'un établissement en Suisse du débiteur domicilié à l'étranger (ATF 114 III 6 consid. ; 98 Ib 100 consid. 3; Schmid, in BAK SchKG I, 2ème éd. 2010, n. 9 ad art. 50 LP; Gilliéron, Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, 1999, n. 29 ss ad art. 50 LP).

Une poursuite au for spécial de l'art. 50 al. 1 LP demeure possible après cessation de l'activité de l'établissement, aussi longtemps que celui-ci n'a pas été entièrement liquidé (ATF 114 III 6 consid. 1; Schmid, BSK SchKG, N 18 ad Art. 50 LP).

2.2 En l'espèce, les pièces produites par la plaignante font ressortir qu'elle a fait ménage commun avec son époux et vécu à Genève d'octobre 2010 à fin 2020 et qu'elle s'est ensuite installée en France, d'abord à H______ puis à I______, où elle séjourne encore à ce jour. Les différentes attestations émises par les autorités administratives suisses et françaises, les contrats d'assurances et factures produites par la plaignante, l'attestation émise par son bailleur et son titre de séjour lui permettant d'exercer une activité lucrative à Genève en qualité de frontalière, permettent de retenir que la plaignante a déplacé son centre de vie en France à compter du mois de janvier 2021.

Ces éléments conduisent en conséquence à retenir que la plaignante n'était pas domiciliée dans le canton de Genève lorsque le commandement de payer a été notifié par voie postale auprès de son époux à F______ le 19 août 2023, comme ce dernier l'avait indiqué à l'Office lorsqu'il a lui a retourné l'acte par courrier du 5 septembre 2023.

La compétence de l'Office pour conduire une poursuite à son encontre, et en particulier pour établir et notifier un commandement de payer, ne pouvait donc résulter de l'art. 46 al. 1 LP.

Aucun for genevois ne découle par ailleurs de l'art. 50 LP, ce que l'intimée ne soutient au demeurant pas, puisque la faillite de la société C______ SA a été clôturée le 1er mars 2021, soit plus de deux ans avant la notification du commandement de payer litigieux.

Le commandement de payer contesté, ainsi que tous les actes de poursuite subséquents, seront en conséquence annulés, faute de for de poursuite à Genève.

3. La procédure de plainte est gratuite (art. 20a al. 2 ch. 5 LP et art. 61 al. 2 let. a OELP) et il ne peut être alloué aucuns dépens dans cette procédure (art. 62 al. 2 OELP).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre de surveillance :

A la forme :

Déclare recevable la plainte formée le 22 août 2024 par A______ contre le commandement de payer, poursuite n° 3______ et toutes les mesures entreprises dans le cadre de cette poursuite par l'Office cantonal des poursuites.

Au fond :

L'admet.

Annule le commandement de payer, poursuite n° 3______, ainsi que tous les actes de poursuite subséquents pris par l'Office cantonal des poursuites dans cette poursuite.

Siégeant :

Madame Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI, présidente; Madame
Ekaterine BLINOVA et Monsieur Anthony HUGUENIN, juges assesseurs;
Madame Véronique AMAUDRY-PISCETTA, greffière.

 

La présidente : La greffière :

Ursula ZEHETBAUER GHAVAMI Véronique AMAUDRY-PISCETTA

 

 

 

 

 

Voie de recours :

Le recours en matière civile au sens de l’art. 72 al. 2 let. a de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110) est ouvert contre les décisions prises par la Chambre de surveillance des Offices des poursuites et des faillites, unique autorité cantonale de surveillance en matière de poursuite pour dettes et faillite (art. 126 LOJ). Il doit être déposé devant le Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, dans les dix jours qui suivent la notification de l'expédition complète de la présente décision (art. 100 al. 1 et 2 let. a LTF) ou dans les cinq jours en matière de poursuite pour effets de change (art. 100 al. 3 let. a LTF). L’art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire. Le recours doit être rédigé dans une langue officielle, indiquer les conclusions, en quoi l'acte attaqué viole le droit et les moyens de preuve, et être signé (art. 42 LTF).

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.