Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/635/2025 du 12.06.2025 ( LCI ) , IRRECEVABLE
En droit
Par ces motifs
| RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 12 juin 2025
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dans la cause
A______
contre
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC
1. La A______ (ci-après : A______) est propriétaire de la parcelle n° 1______ de la commune de A______ à l'adresse ______[GE], sur laquelle est érigé l'immeuble dit « les B______ ».
2. Le 11 décembre 2023, une visite sur place a été effectuée par le département du territoire (ci-après : DT ou le département), en présence de représentants de A______.
3. Par courriel du même jour, le département a informé A______ que, lors du contrôle sur place, il avait été constaté que divers éléments étaient susceptibles de constituer des infractions à la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05).
En particulier, s'agissant de l'affectation des divers locaux visités, il avait été constaté qu'hormis la brasserie (DD 2______) et le bistro C______ (DD 3______), il restait d'autres locaux qui n'avaient pas fait l'objet d'autorisation récentes, notamment l'intégralité des locaux du 1er étage. Une ancienne autorisation (DD 4______) validait comme affectations notamment des ateliers, un appartement de concierge et une salle de musique. Force était de constater que des modifications d'affectations de certains locaux auraient été réalisés sans autorisation de construire. La partie du rez pouvait également être concernée par de potentiels changements d'affectations illégaux.
Un délai de dix jours était imparti à A______ pour transmettre ses observations, précisant que toutes mesures ou sanctions justifiées par la situation demeuraient réservées et qu'un dossier d'infraction allait être ouvert.
4. Par courrier du 25 janvier 2024, dans le délai prolongé par le département, A______ a transmis ses observations.
En substance, la DD 4______ de 1977 mentionnait plusieurs types d'affectation des B______ et autorisait aussi bien des ateliers que des commerces de toute nature. Les ateliers-studios étaient affectés à de l'habitation, selon le descriptif de l'état de l'immeuble de 1977. Ils étaient référencés en tant que surfaces habitables sur le formulaire de la Police des constructions annexé à la DD 4______ de 1977. La transformation de la salle de musique en galerie ne constituait pas un changement d'affectation dans la mesure où le local concerné entrait dans l'objet de la DD 4______ à savoir "bâtiment public destiné aux arts et l'artisanat, restaurant, échoppes". Il en était de même de la librairie. Conformément aux plans autorisées dans la DD 4______, les ateliers logements de l'aile coté Hôtel D______ correspondaient à la situation actuelle et étaient donc conformes à l'autorisation de construire délivrée. Sur l'autre aile au 1er étage, côté place de E______, le remplacement des ateliers par les locaux des ressources humaines de A______ était relativement ancien. Ils avaient sans doute été réalisés à une époque où ce type de problématique faisait l'objet d'un traitement moins rigoureux. La ville était disposée à déposer une requête en autorisation de construire afin de formaliser l'affectation en locaux de formation destinés au service des ressources humaines.
Pour le reste, la teneur de ce courrier ainsi que des pièces produites seront reprises en tant que de besoin dans la partie en droit ci-après.
5. Une procédure d'infraction a été ouverte par le département (INF 5______).
6. Par décision du ______ 2024, le département a ordonné à A______ de requérir d'ici au 8 mars 2024 une autorisation de construire définitive complète et en bonne et due forme par le biais d'un mandataire professionnellement qualifié, étant précisé qu'il devait être stipulé sur le formulaire de requête dans la description du projet "demande de régularisation INF 5______", suivi du détail.
Après avoir procédé aux vérifications d'usage et à la suite du contrôle réalisé sur place le 11 décembre 2023, le département confirmait que la réalisation des éléments décrits ci-après était soumise à l'obtention d'une autorisation de construire au sens de l'art. 1 LCI. Il s'agissait notamment du manque de validation précise de toutes les affectations des locaux, ainsi que des éventuelles modifications typologiques tel que la pose de portes et/ou la modification de leur sens d'ouverture.
7. Cette décision n'a pas été contestée et est entrée en force.
8. L'autorisation de construire DD 6______ a été délivrée par le département le ______ 2024.
Selon la description de l'objet, elle portait sur « Reg. INF 5______ – Transformations et changement d'affectation au 1er étage ».
Il ressort des plans visés ne varietur que le "périmètre d'intervention" était situé sur l'aile côté place de E______ à l'exclusion de l'aile côté Hôtel D______.
9. Par décision du ______ 2024, le département a ordonné à A______ de requérir dans un nouveau délai fixé au 15 novembre 2024, une autorisation de construire définitive portant sur le reste des locaux du 1er étage, complète et en bonne et due forme par le biais d'un mandataire professionnellement qualifié, étant précisé qu'il devait être stipulé sur le formulaire de requête dans la description du projet "demande de régularisation INF 5______", suivi du détail.
La DD 6______ ne portait que sur une partie des locaux du 1er étage et ne permettait pas de valider toutes les affectations des locaux et configuration des locaux, comme déjà relevé dans son ordre du ______ 2024.
L'ordre de requérir une autorisation de construire étant une mesure d'exécution d'une décision en force, elle ne pouvait faire l'objet d'un recours.
10. Par acte du 24 octobre 2024, A______ a interjeté recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif de première instance (ci‑après : le tribunal), concluant à son annulation, sous suite de frais et dépens.
Dans la mesure où la décision de l'autorité intimée du ______ 2024 ne contenait aucune détermination sur les explications fournies par A______ et ne mentionnait pas les affectations que le département entendait voir validées, elle était légitimée à considérer que cette demande de validation ne portait que sur celle admise dans son courrier du 25 janvier 2025.
La décision du ______ 2024 évoquait les affectations des locaux, sans autres précisions, alors que la décision querellée ne concernait que celles du 1er étage.
La décision querellée, qui imposait à A______ de déposer des requêtes en autorisation de construire pour tout le 1er étage du bâtiment des B______ n'était pas une décision d'exécution mais bien une nouvelle décision sujette à recours.
Son droit d'être entendu avait été violé puisque la décision querellée avait été notifiée sans qu'elle puisse se déterminer au préalable. Le département avait également violé le principe de la bonne foi en n'informant pas A______, lors de la réception de la requête en autorisation, que celle-ci n'était pas de nature à régulariser la situation. De plus, les affectations litigieuses remontaient, pour certaines, à plusieurs dizaines d'années. À l'évidence, aucune urgence ni impératif n'imposait à l'autorité intimée de notifier une décision formelle sans consultation préalable de A______.
L'aile du bâtiment côté place de E______ avait fait l'objet de la DD 6______ et n'était pas visé par la décision querellée.
Les critiques formulées par le département dans son courriel du 11 décembre 2023 et faisant état de modifications d'affectation de certains locaux sans autorisation de construire, étaient mal fondées, voire violait l'interdiction de formalisme excessif. Les affectations des bâtiments des B______ étaient conformes aux autorisations de construire délivrées. Aucune régularisation n'était nécessaire.
11. Le 8 janvier 2025, le département a conclu à l'irrecevabilité du recours, au fond, à son rejet, sous suite de frais et dépens.
L'ordre de déposer une requête en autorisation de construire pour l'intégralité des locaux du 1er étage, soit spécifiquement les ateliers-studios actuellement voués à du logement, résultait déjà de la décision du ______ 2024 entrée en force. Cette partie de la décision constituait ainsi une mesure d'exécution d'une décision en force et ne pouvait pas faire l'objet d'un recours.
De jurisprudence constante, une décision qui, comme en l'espèce, confirmait l'obligation faite de déposer des requêtes en autorisation de construire ne mettait pas fin à la procédure et revêtait un caractère incident.
La ville n'alléguait aucun préjudice irréparable résultant de l'ordre de déposer une requête pour le changement de l'affectation des locaux. Au contraire, il ressortait clairement du dossier qu'elle était en mesure de déposer une requête en autorisation de construire puisqu'elle l'avait fait dans le cadre de la DD 6______. La seule justification à sa réticence à exécuter l'ordre du département avait trait à sa propre interprétation de la situation, qui n'était au demeurant fondée sur aucun élément concret, puisque dans le cadre des échanges avec le département, celui-ci avait toujours indiqué que tous les locaux du 1er étage avaient fait l'objet d'un changement d'affectation et devaient être régularisés par le biais d'une autorisation de construire.
La recourante ne démontrait, ni n'alléguait que la procédure allait être longue et coûteuse ou que le dépôt d'une autorisation de construire demandait un travail démesuré ou excessivement coûteux, ni que son instruction nécessitait des mesures probatoires prenant un temps considérable et exigeant des frais importants.
Le recours étant irrecevable, le département n'entrait pas en matière sur l'argumentation des griefs soulevés au fond.
12. Le 14 février 2025, la recourante a répliqué, persistant dans ses conclusions et argumentation. La décision querellée ne pouvait être considérée ni comme une mesure d'exécution ni comme une décision incidente.
13. Le détail des écritures et des pièces produites sera repris dans la partie « En droit » en tant que de besoin.
1. Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05) (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 143 et 145 al. 1 LCI).
2. Interjeté devant la juridiction compétente, l'acte de recours, qui contient la désignation de l'acte attaqué et les conclusions de la recourante, est recevable de ce point de vue, en application des art. 60 et 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
3. La recourante conteste l'ordre de déposer une demande d'autorisation de construire prononcé par le département le ______ 2024. Dans la mesure où l'autorité intimée considère que la décision litigieuse constituerait une mesure d'exécution d'une décision en force ne pouvant faire l'objet d'un recours ou, au mieux, une décision incidente, ce point doit préalablement être examiné.
4. Selon l’art. 59 let. b LPA, le recours n’est pas recevable contre les mesures d’exécution des décisions. La notion de « mesures » à laquelle se réfère cette disposition s’interprète largement et ne comprend pas seulement les actes matériels destinés à assurer l’application de décisions, mais également toutes les décisions mettant en œuvre ces dernières (cf. ATA/920/2019 du 21 mai 2019 consid. 2 ; ATA/1438/2017 du 31 octobre 2017 consid. 5b ; ATA/974/2014 du 9 décembre 2014 consid. 2b et les références citées).
5. L’acte par lequel l’administration choisit de recourir aux mesures d’exécution est une décision d’exécution. La possibilité de recourir contre une décision d’exécution s’impose si un acte règle une question nouvelle, non prévue par une décision antérieure, ou s’il contient une nouvelle atteinte à la situation juridique de l’intéressé (cf. ATF 119 Ib 492 consid. 3c/bb ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_650/2018 du 22 mai 2019 consid. 4.1.2 ; 1C_310/2018 du 9 janvier 2019 consid. 3.1 ; 1C_6/2014 du 18 juillet 2014 consid. 1.2.1 ; 1C_603/2012 du 19 septembre 2013 consid. 4.1 ; cf. aussi ATA/920/2019 du 21 mai 2019 consid. 2a ; ATA/1438/2017 du 31 octobre 2017 consid. 5b ; ATA/974/2014 du 9 décembre 2014 consid. 2b et les arrêts cités). En revanche, si un acte ne fait que reprendre, sans les modifier, des obligations figurant déjà dans une décision antérieure, il n’y a pas d’objet possible à un recours et l’acte en cause doit être qualifié de mesure d’exécution, non sujette à recours (cf. ATF 129 I 410 consid. 1.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_650/2018 du 22 mai 2019 consid. 4.1.2 ; 1C_310/2018 du 9 janvier 2019 consid. 3.1 ; 1C_6/2014 du 18 juillet 2014 consid. 1.2.1 ; 1C_603/2012 du 19 septembre 2013 consid. 4.1). En tout état, le recours dirigé contre une décision d’exécution ne permet pas de remettre en cause la décision au fond, définitive et exécutoire, sur laquelle elle repose. On ne saurait faire exception à ce principe que si la décision tranchant le fond du litige a été prise en violation d’un droit fondamental inaliénable et imprescriptible du recourant ou lorsqu’elle est nulle de plein droit (ATF 119 Ib 492 consid. 3c/cc et les arrêts cités ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_650/2018 du 22 mai 2019 consid. 4.1.2 ; 1C_6/2014 du 18 juillet 2014 consid. 1.2.1 ; 1C_603/2012 du 19 septembre 2013 consid. 4.1 ; cf. aussi ATA/920/2019 du 21 mai 2019 consid. 2a ; ATA/1438/2017 du 31 octobre 2017 consid. 5b).
6. L’élément déterminant est donc de savoir quels sont les actes qui règlent une question nouvelle. Contre ces actes, les recours prévus par la loi seront ouverts. Si, donc, au moment où est décidé le recours à une mesure d’exécution, notamment à travers la commination, l’administré ne saurait en principe contester l’obligation de base qui, par hypothèse, a déjà été posée par une décision antérieure, il lui est toujours possible de remettre en cause les modalités de l’exécution, notamment le choix de la mesure envisagée, le délai d’exécution qui lui a été fixé par sommation ou, en cas de sanction, la quotité de celle-ci. Ainsi, contrairement à ce que sa lettre pourrait laisser croire, l’art. 59 let. b LPA ne signifie pas que toutes les mesures visant l’exécution d’une décision préalable seraient soustraites à un recours. Il faut plutôt considérer qu’il rappelle le principe qu’une décision de base ne peut, en principe, être remise en cause à l’occasion d’une nouvelle décision qui exécute l’acte de base (cf. Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2ème éd., 2018, n. 1149 ss p. 388 s. ; cf. aussi ATA/448/2007 du 4 septembre 2007 consid. 3 in fine, qui semble aller implicitement dans ce sens ; cf. encore Pierre MOOR/ Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 3ème éd., 2011, p. 115 s ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 683 p. 180).
7. En l'espèce, la décision querellée, soit l'ordre de requérir une autorisation de construire se limite à rappeler la teneur de la décision du ______ 2024, en précisant que la DD 6______ ne permettait pas de valider toutes les affectations des locaux et configuration des lieux comme déjà relevé dans son ordre du ______ 2024. Ainsi, cet ordre ne règle pas une question nouvelle et ne porte pas une nouvelle atteinte à la situation juridique de la recourante. Il reprend des obligations figurant déjà dans la décision antérieure, soit celle du ______ 2024, entrée en force, laquelle ne saurait être remise en question par un recours dirigé contre la décision d'exécution. Par ailleurs, l'interprétation faite à ce stade par la recourante de la teneur de la décision du ______ 2024, non pertinente dans le cadre de la présente procédure, relève de sa propre responsabilité, étant précisé qu'elle pouvait prendre contact avec l'autorité intimée en cas de doute sur sa portée et faire valoir ses droits cas échéant dans le délai imparti pour la contester.
Dans cette mesure, hormis la question du délai d'exécution – non contesté en l'espèce – l'ordre de déposer une demande d'autorisation de construire litigieux ne fait que de rappeler un précédent ordre entré en force, de sorte qu'il doit s'interpréter juridiquement comme une mesure d'exécution.
Enfin et à toutes fins utiles, il faut relever que la recourante ne prétend pas que la décision du ______ 2024 serait nulle ou violerait des droits imprescriptibles et inaliénables et rien ne permet au tribunal de céans d'en juger autrement à teneur des éléments du dossier.
Pour ces motifs, dès lors que la décision querellée n'est autre qu'une mesure d'exécution, le recours est irrecevable.
8. Au vu de l'issue du litige, la question de la violation du droit d'être entendu peut rester ouverte.
9. En conclusion, le recours sera déclaré irrecevable.
10. En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), la recourante est condamnée au paiement d'un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l'avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.
11. Vu l'issue du litige, aucune indemnité ne sera allouée (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare irrecevable le recours interjeté le 24 octobre 2024 par la A______ contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;
2. met à la charge de la recourante un émolument de CHF 900.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;
3. dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Siégeant : Kristina DE LUCIA, présidente, Isabelle KOECHLIN-NIKLAUS et Patrick BLASER, juges assesseurs.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Kristina DE LUCIA
| Genève, le |
| La greffière |