Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/414/2025 du 15.04.2025 ( MC ) , REJETE
REJETE par ATA/519/2025
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 15 avril 2025
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Samir DJAZIRI, avocat, avec élection de domicile
contre
COMMISSAIRE DE POLICE
1. Monsieur A______, né le ______ 1986 et originaire du Nigéria a été interpellé à Genève, les 5 juillet 2022 (à la place des B______), 19 août 2022 (à la rue de la C______), 18 novembre 2023 (à la place des B______) et 20 janvier 2024 (dans le quartier de la C______).
Il ressort de ses différentes auditions qu’il était démuni de documents d’identité, qu’il n’avait pas de lieu de résidence à Genève – y venant simplement pour une ou deux nuits -, travaillait comme peintre en France sans avoir de revenu fixe et habitait avec sa famille à D______(FRANCE).
2. En raison du trafic de marijuana auquel il s'était adonné à l'occasion de son arrestation du 19 août 2022, M. A______ s'est vu notifier, le 20 août 2022 par le commissaire de police, une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève pour une durée de six mois fondée sur l'art. 74 al. 1 let. a de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).
3. Par acte du 22 août 2022, M. A______ a formé opposition contre cette décision devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).
4. Le tribunal a, par jugement du 2 septembre 2022, rejeté le recours.
Les deux arrestations de M. A______ en un mois dans un secteur notoirement occupé par des trafiquants de rue, et la seconde fois pour avoir vendu de la marijuana à un passant, fondaient un fort soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics. Outre ces différents éléments, M. A______ avait le statut de demandeur d'asile en France et ne disposait donc d'aucun titre de séjour en Suisse ni de quelconques liens avec ce pays, dont Genève.
L'existence même de l'intérêt privé sur lequel il fondait son opposition, à savoir faire venir sa famille à Genève, dont son épouse malade, n'était pas démontrée. Dans ces conditions, c'était en vain qu’il tentait de comparer son cas à celui dont traitait l'ATA/610/2022 du 8 août 2022 pour soutenir qu'une interdiction moins longue que six mois devrait être prononcée à son encontre.
5. Ce jugement a été confirmé par la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative) dans son arrêt ATA/957/2022 rendu le 22 septembre 2022.
6. Les condamnations de M. A______ du chef d'entrée illégale en Suisse selon l'art. 115 al. 1 let. a LEI prononcées les 6 juillet et 20 août 2022, respectivement les 19 novembre 2023 et 21 janvier 2024, par ordonnances pénales du Ministère public ont été confirmées par jugements du Tribunal de police des 16 juin 2023 et 10 décembre 2024.
7. La condamnation de M. A______ pour trafic de marijuana et infraction à l'art. 19 al. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121) prononcée le 20 août 2022 par le Ministère public a été confirmée par le Tribunal de police dans son jugement du 16 juin 2023.
8. Le 17 janvier 2025, M. A______ a été interpellé sur le quai des Forces Motrices.
Lors de son audition, il a indiqué vivre constamment en Suisse depuis une année, soit depuis janvier 2024. Son passeport se trouvait chez lui à Genève mais il ignorait son adresse. Il avait demandé à son avocat d’entreprendre des démarches en vue d’obtenir une autorisation de séjour. Il touchait EUR 1’200.- d’allocations familiales en France pour lui et sa famille, cette dernière habitant en France. Il reconnaissait séjourner en Suisse sans autorisation. Il n’avait aucun lien particulier avec la Suisse ni aucune famille dans ce pays.
9. Le 18 janvier 2025, M. A______ a été condamné par ordonnance pénale du Ministère public pour infraction à l’art. 115 al. 1 let. b LEI. Cette condamnation a été frappée d'opposition.
10. Ayant été à nouveau interpellé le 29 mars 2025 dans le quartier de la Jonction / Coulouvrenière, démuni de toute pièce de légitimation, titre de séjour, ressource financière et raison valable de se trouver dans le canton et après avoir tenté de se soustraire à son contrôle par les forces de l'ordre, M. A______, qui avait reconnu auprès des agents de police être consommateur de cannabis et exposé n'avoir aucune attache avec la Suisse et dépendre de l'aide sociale en France a, par ordonnance pénale du Ministère public du 30 mars 2025, été reconnu coupable d'infraction aux art. 286 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), 115 al. 1 let. b LEI et 19a LStup ; cette ordonnance pénale a fait l’objet d’un opposition.
11. Le même jour à 15h30, en application de l'art. 74 LEI, le commissaire de police a prononcé à l'encontre de M. A______ une mesure d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée (interdiction d'accès au Canton de Genève) pour une durée de douze mois.
12. Par courrier du 2 avril 2025, M. A______ a, sous la plume de son conseil, formé opposition contre cette décision auprès du tribunal.
13. M. A______ a été dûment convoqué pour l'audience de ce jour devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal).
14. M. A______ ne s’est pas présenté à l’audience, ni ne s’est excusé.
Son conseil a indiqué que son client ne pouvait pas se présenter à l’audience de ce jour car il avait raté sa correspondance en provenance de E______(ESPAGNE). N’ayant pas pu rencontrer son client, il n’était pas en mesure de produire une procuration signée concernant cette procédure. Il a confirmé toutefois qu’il y avait élection de domicile en son Etude et a confirmé l’opposition de son client à la décision du 30 mars 2025. Il a déposé deux pièces. Son client avait besoin de se rendre à Genève afin de pouvoir répondre aux convocations des instances pénales et rencontrer son avocat. Les sauf-conduits donnés par les autorités pénales étaient faits pour les deux heures précédant l’audience et cela ne suffisait pas pour préparer correctement l’audience. Il ignorait où son client avait habité à Genève pendant l’année 2024. D’après les informations qu’il avait, il n’habitait plus à Genève mais à E______(ESPAGNE). Il a conclu à la réduction de la durée de la mesure d’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève à six mois et à une limitation de périmètre en ce sens que M. A______ était autorisé à se rendre sur le territoire genevois 48 heures avant chaque convocation devant une autorité pénale sans avoir besoin préalablement de demander un sauf- conduit. Il a précisé que sauf erreur, il y avait actuellement quatre procédures pénales en cours à l’encontre de son client.
Le représentant du commissaire a, pour sa part, indiqué que Me DJAZIRI pouvait appeler les juristes en charge des mesures LEI afin d’obtenir un sauf-conduit permettant à son client de se rendre à son Etude. Il a précisé que ce sauf-conduit pouvait couvrir une durée allant jusqu’à une journée. Il a précisé qu’il était nécessaire d’expliquer précisément les motifs de la venue de M. A______ à l’Etude. Il a conclu au rejet de l'opposition et la confirmation de la mesure d’interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prononcée le 30 mars 2025 à l’encontre de M. A______ pour une durée de douze mois.
1. Le Tribunal administratif de première instance est compétent pour examiner sur opposition la légalité et l’adéquation de l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prononcée par le commissaire de police à l'encontre d'un ressortissant étranger (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. a de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. L'opposition ayant été formée dans le délai de dix jours courant dès la notification de la mesure querellée, elle est recevable sous l'angle de l'art. 8 al. 1 LaLEtr.
3. Statuant ce jour, le tribunal respecte en outre le délai de vingt jours que lui impose l'art. 9 al. 1 let. b LaLEtr.
4. Selon l'art. 74 al. 1 LEI, qui a repris l'art. 13e de l'ancienne loi fédérale sur le séjour et l'établissement des étrangers du 26 mars 1931 (aLSEE- RS 142.20 ; cf. message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les étrangers du 8 mars 2002 in FF 2002 3469, p. 3570), l'autorité cantonale compétente peut enjoindre à un étranger de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée dans les cas suivants :
a. l'étranger n'est pas titulaire d'une autorisation de courte durée, d'une autorisation de séjour ou d'une autorisation d'établissement et trouble ou menace la sécurité et l'ordre publics ; cette mesure vise notamment à lutter contre le trafic illégal de stupéfiants ;
b. l'étranger est frappé d'une décision de renvoi ou d'expulsion entrée en force et des éléments concrets font redouter qu'il ne quittera pas la Suisse dans le délai prescrit ou il n'a pas respecté le délai qui lui était imparti pour quitter le territoire;
c. l'exécution du renvoi ou de l'expulsion a été reportée (art. 69 al. 3 LEI).
5. Conformément à l'art. 74 al. 2 LEI, la compétence d'ordonner ces mesures incombe au canton qui exécute le renvoi ou l'expulsion ; s'agissant de personnes séjournant dans un centre d'enregistrement ou dans un centre spécifique au sens de l'art. 26 al. 1bis de la loi sur l’asile du 26 juin 1998 (LAsi - RS 142.31), cette compétence ressortit au canton sur le territoire duquel se trouve le centre ; l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée peut aussi être prononcée par le canton dans lequel est située cette région.
De son côté, l'art. 6 al. 3 LaLEtr précise que l'étranger peut être contraint à ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEI, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.
6. Les mesures d'assignation d'un lieu de séjour et d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée répondent à deux préoccupations. Elles permettent d'intervenir pour protéger la sécurité et l'ordre publics - plus particulièrement dans les domaines qui ne peuvent guère être couverts par le droit pénal - à l'encontre de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage. En outre, elles peuvent être ordonnées à l'égard d'étrangers dont le renvoi est durablement entravé et pour lesquels il est nécessaire de les tenir éloignés d'un endroit déterminé ou de pouvoir les surveiller (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 rendu sous l'égide de l'art. 13 aLSEE, remplacé par l'art. 74 al. 1 LEI - cf. supra).
7. L'étranger est passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire s'il n'observe pas les mesures qui lui sont imposées dans ce cadre (cf. art. 119 LEI).
8. Les mesures prévues par l'art. 74 al. 1 LEI visent à prévenir les atteintes à la sécurité et à l'ordre publics plutôt qu'à sanctionner un comportement déterminé de ressortissants étrangers dont le départ ne peut pas être exigé en raison d'une demande d'asile pendante ou de l'absence de titre de voyage (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 2a).
9. D'après la jurisprudence, le simple soupçon qu'un étranger puisse commettre des infractions dans le milieu de la drogue justifie même une mesure prise en application de l'art. 74 al. 1 let. a LEI (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1 ; 2A.347/2003 du 24 novembre 2003 consid. 2.2). En outre, de tels soupçons peuvent découler du seul fait de la possession de stupéfiants destinés à sa propre consommation (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3 ; 2A.148/2003 du 30 mai 2003 consid. 3.3). Les étrangers qui sont mêlés au commerce des stupéfiants doivent s'attendre à faire l'objet de mesures d'éloignement, la protection de la collectivité publique face au développement du marché de la drogue présentant incontestablement un intérêt public prépondérant justifiant l'éloignement d'un étranger (arrêt du Tribunal fédéral 2C_530/2007 du 21 novembre 2007 consid. 5).
Même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contact répété avec le milieu de la drogue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 consid. 2.1).
10. Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.3 ; cf. aussi ATA/45/2014 du 27 janvier 2014).
11. A l'instar de l'art. 13e aLSEE, l'art. 74 al. 1 LEI constitue par ailleurs une clause générale permettant de prendre des mesures également à l'encontre d'étrangers qui ont gravement violé les prescriptions de police des étrangers qui tendent à garantir l'ordre public en Suisse (arrêt du Tribunal fédéral 2A.583/2000 du 6 avril 2001 consid. 3a et la référence citée cum FF 2002 3469, 3570).
12. En l’espèce, M. A______ n’est titulaire d’aucune autorisation de courte durée de séjour ou d’établissement qui l’autorise à demeurer en Suisse. Durant l’année 2024, période pendant laquelle il a reconnu avoir séjourné de manière continue à Genève, il l’a fait en toute illégalité. Il est démuni de tout document d’identité et de toute source de revenu en Suisse, bénéficiant, selon ses dires, d’allocations familiales en France.
Il a fait l’objet de plusieurs condamnations pénales, notamment pour séjour illégal et infractions en lien avec les stupéfiants, et a été arrêté, à chaque fois, dans le même quartier, notoirement connu pour le trafic de stupéfiants. Lors de son audition par la police du 29 mars 2025, il a également reconnu être consommateur de cannabis.
Il a par ailleurs fait l’objet d’une interdiction territoriale pour une durée de six mois pour l’ensemble du canton de Genève en août 2022, interdiction qu’il semble avoir respectée mais qui ne l’a pas empêché de venir ultérieurement s’installer à Genève en toute illégalité.
Concernant l’étendue de la mesure, elle ne prête pas flanc à la critique dans la mesure où M. A______ ne fait valoir aucun motif de venir dans le canton sauf à pouvoir se rendre aux audiences pénales auxquelles il sera convoqué et à pouvoir rencontrer son avocat pour préparer sa défense. Or, tel qu’indiqué par le représentant du commissaire de police, la convocation vaut sauf-conduit et M. A______ et/ou son conseil peut, en tout temps, solliciter la délivrance d’un tel document afin de permettre à M. A______ de se rendre en l’Etude de son conseil, étant encore souligné qu’avec les moyens de communication modernes, il lui est tout à fait loisible de contacter son avocat depuis la France, pays dans lequel il indique résider, pour préparer sa défense.
Quant à la durée de l’interdiction, elle respecte le principe de proportionnalité dans la mesure où il s’agit de la seconde interdiction territoriale dont il fait l’objet, qu’il persiste à venir en Suisse et se rendre dans des lieux notoirement connus pour du trafic de stupéfaits et qu’il sera une nouvelle fois rappelé que sa présence en Suisse n’est aucunement justifiée.
13. L’opposition à la mesure est ainsi mal fondée et sera rejetée.
Partant, le tribunal confirmera l'interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise à l'encontre de M. A______ pour une durée de douze mois.
14. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à
M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au secrétariat d'État aux migrations.
15. Un éventuel recours déposé contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif (art. 10 al. 1 LaLEtr).
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. déclare recevable l'opposition formée le 2 avril 2025 par Monsieur A______ contre la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 30 mars 2025 pour une durée de douze mois ;
2. la rejette ;
3. confirme la décision d’interdiction de pénétrer dans une région déterminée prise par le commissaire de police le 30 mars 2025 à l'encontre de Monsieur A______ pour une durée de douze mois ;
4. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant ;
5. dit qu’un éventuel recours contre le présent jugement n'aura pas d'effet suspensif.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Sophie CORNIOLEY BERGER
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| La greffière |