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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4213/2013

ATA/45/2014 du 27.01.2014 sur JTAPI/7/2014 ( MC ) , ADMIS

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4213/2013-MC ATA/45/2014

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 27 janvier 2014

1ère section

 

dans la cause

 

OFFICIER DE POLICE

contre

Monsieur X______
représenté par Me Damien Bonvallat, avocat

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 janvier 2014 (JTAPI/7/2014)


EN FAIT

1) Monsieur X______, né le ______ 1994, est originaire de Côte d'Ivoire.

2) Il est entré en Suisse le 7 juin 2012 et y a déposé le même jour une demande d'asile, sur laquelle il n'a pas encore été statué. Il a été attribué au canton de Genève. M. X______ dispose ainsi d'un permis N pour requérants d'asile, valable jusqu'au 3 mai 2014.

Il réside à Carouge, et travaille à Vernier.

3) M. X______ a fait l'objet de trois ordonnances pénales à Genève, à savoir :

- le 19 mars 2013, par le Ministère public, à 70 jours-amende à CHF 30.-, avec sursis pendant trois ans, pour infraction à l'art. 19 ch. 1 de la loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (LStup - RS 812.121).

- le 7 avril 2013, par le Ministère public, à 60 jours-amende à CHF 30.-, avec sursis pendant trois ans, ainsi qu'à une amende de CHF 200.-, pour non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou interdiction de pénétrer dans une région déterminée (art. 119 LEtr) et contravention en matière de stupéfiants (art. 19a LStup) ;

- le 29 décembre 2013, par le Ministère public, à 50 jours de peine privative de liberté et CHF 200.- d'amende, pour infraction à l'art. 19 ch. 1 et 19a LStup et empêchement d'accomplir un acte officiel (art. 286 CP).

Cette dernière condamnation, qui concerne notamment la possession de onze boulettes de cocaïne, a été frappée d'opposition et n'est pas en force.

M. X______ a également fait l'objet de deux contraventions en décembre 2012 pour possession de marijuana.

4) Le 29 décembre 2013 à 13h30, l'officier de police a prononcé à l'encontre de M. X______ une interdiction d'une durée de douze mois de pénétrer sur une partie du territoire genevois, conformément à un plan qui a été remis à l'intéressé. Cette interdiction était fondée sur la base de l'art. 74 de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20).

5) Le lendemain, soit le 30 décembre 2013, M. X______ a adressé au Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) une opposition à cette interdiction de périmètre. Ses motifs seraient développés ultérieurement par son avocat.

6) Le 9 janvier 2014, le TAPI a tenu une audience de comparution personnelle des parties.

a. M. X______ a indiqué avoir fait opposition à l'ordonnance pénale prise à son encontre le 29 décembre 2013. Par ailleurs, la mesure était disproportionnée, notamment quant à son étendue géographique qui était trop importante. Il devait se rendre chaque matin à Vernier; il s'y rendait avec le bus 11, qui passait par la Jonction. L'année précédente, il suivait des cours dans une école des Charmilles ; de nombreux amis y « résidaient » et il s'y rendait donc régulièrement. En outre, le dimanche matin, il se rendait à une réunion destinée à la communauté ivoirienne dans un lieu situé dans le quartier des Nations. Enfin, le jeudi, il se rendait au stade de Varembé pour jouer au football avec des amis. Il souhaitait également pouvoir participer aux « diverses festivités » organisées en Ville de Genève. Il n'avait aucune nouvelle quant à sa demande d'asile.

b. Aucune déclaration de la représentante de l'officier de police ne figure au procès-verbal.

7) Par jugement du 9 janvier 2014, remis en mains propres le jour même, le TAPI a admis partiellement l'opposition à l'interdiction de pénétrer dans un territoire déterminé et a renvoyé le dossier à l'officier de police pour qu'il modifie l'interdiction dans le sens des considérants.

Celle-ci était justifiée dans son principe, l'intéressé ayant été condamné pénalement. L'étendue du périmètre concerné ne respectait toutefois pas le principe de proportionnalité et ne lui permettait pas de poursuivre son intégration et ses activités socioprofessionnelles. La mesure pourrait atteindre son but si elle concernait un périmètre strictement restreint aux zones notoirement connues pour le trafic de stupéfiants, en particulier les Pâquis au sein desquels M. X______ avait à chaque fois été interpellé par la police. Il devait néanmoins pouvoir continuer à mener ses activités et se rendre à Vernier, à Varembé et dans le quartier des Nations.

8) Par acte posté le 17 janvier 2014, l'officier de police a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre le jugement précité, concluant préalablement à l'octroi de mesures provisionnelles, et principalement à l'annulation du jugement du TAPI.

Il y avait lieu de suspendre l'exécution du jugement entrepris dans l'attente de l'arrêt de la chambre administrative, en vue de protéger la collectivité.

Concrètement, l'officier de police ne comprenait pas ce que le TAPI attendait de lui en lui renvoyant la cause. Le jugement entrepris n'indiquait pas dans quelle mesure il faudrait restreindre le périmètre, et les lieux qu'il indiquait n'en faisaient d'ores et déjà pas partie. En effet, tant Vernier, que le stade de Varembé et le quartier des Nations se trouvaient en dehors du périmètre compris dans le plan remis à M. X______. Les allégations de ce dernier quant à ses activités socioprofessionnelles (recte : sociales) n'étaient par ailleurs nullement prouvées, et en tout état de cause ne relevaient d'aucun impératif. La mesure ordonnée initialement était dès lors proportionnée. Au besoin, des sauf-conduits pouvaient être émis.

9) Le 23 janvier 2014, M. X______, par l'intermédiaire de son avocat, a conclu au rejet du recours.

Il n'y avait pas lieu d'octroyer des mesures provisionnelles vu l'absence de situation d'urgence.

Il n'était pas possible de se rendre en transports publics de Carouge à Vernier ou à Varembé ou aux Nations sans rallonger de manière insoutenable le trajet ; il fallait ainsi passer par le pont Butin, qui était tellement excentré qu'il ne figurait pas sur le plan de l'officier de police. Le lieu de rencontre de la communauté ivoirienne situé dans le quartier des Nations se trouvait à l'intérieur du périmètre interdit. Son médecin et son dentiste travaillaient respectivement à la Consultation santé jeunes, au boulevard de la Cluse, et à la rue du Rhône.

Sur le fond, l'étendue de l'interdiction devait être déterminée de manière à ce que l'entretien des contacts sociaux et l'accomplissement d'affaires urgentes restent possibles. Au vu de ses activités professionnelles et sociales, il y avait bien lieu de limiter le périmètre de l'interdiction au quartier des Pâquis, aux bords de la Rade, à la plaine de Plainpalais et à la place des Volontaires, comme le suggérait le TAPI. L'émission de sauf-conduits ne pouvait servir à pallier le caractère disproportionné d'une décision d'interdiction de périmètre.

10) Sur ce, la cause a été gardée à juger.

 

 

 

 

 

 

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 10 al. 1 de la loi d'application de la LEtr du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).

2) Selon l’art. 10 al. 2 LaLEtr, la chambre administrative statue dans les dix jours qui suivent sa saisine. En statuant ce jour, elle respecte ce délai, le recours ayant été réceptionné par le greffe de la chambre de céans le 20 janvier 2014.

3) La demande de mesures provisionnelles, en réalité et de manière plus spécifique de restitution d'effet suspensif (l'art. 10 al. LaLEtr prévoyant que le recours à la chambre de céans n'a pas d'effet suspensif), doit être considérée comme sans objet du fait du prononcé du présent arrêt.

4) A teneur de l’art. 74 al. 1 let. a LEtr, l’autorité cantonale peut enjoindre à un étranger, qui n’est pas titulaire d’une autorisation de courte durée, de séjour et d’établissement et qui trouble ou menace la sécurité et l’ordre publics, de ne pas quitter le territoire qui lui est assigné ou de ne pas pénétrer dans une région déterminée, notamment en vue de lutter contre le trafic illégal de stupéfiants. Les conditions d’application de cette disposition sont cumulatives.

L'art. 6 al. 3 LaLEtr prévoit que l'étranger peut être contraint à ne pas pénétrer dans une région déterminée, aux conditions prévues à l'art. 74 LEtr, notamment suite à une condamnation pour vol, brigandage, lésions corporelles intentionnelles, dommage à la propriété ou pour une infraction à la LStup.

Selon le message du Conseil fédéral du 22 décembre 1993 (FF 1994 I 325), les étrangers dépourvus d’autorisation de séjour et d’établissement n’ont pas le droit à une liberté totale de mouvement. S’agissant d’une atteinte relativement légère à la liberté personnelle de l’étranger concerné, « le seuil, pour l’ordonner, n’a pas été placé très haut ». Selon le Conseil fédéral, il suffit de se fonder sur la notion très générale de la protection des biens par la police pour définir le trouble ou la menace de la sécurité et de l’ordre publics (ibid.).

5) La mesure d'interdiction de pénétrer dans un périmètre déterminé vise essentiellement à combattre le trafic de stupéfiants, ainsi qu'à maintenir les requérants d'asile éloignés des scènes de la drogue (Arrêts du Tribunal fédéral 6B_808/2011 du 24 mai 2012 consid. 1.2 ; 2C_437/2009 du 27 octobre 2009 cons. 2.1).

Des indices concrets de délits commis dans le milieu de la drogue ou des contacts avec des extrémistes suffisent à la justifier, de même que la violation grossière des règles tacites de la cohabitation sociale (ATA/607/2013 du 12 septembre 2013 consid. 4 ; ATA/46/2013 du 25 janvier 2013 consid. 3 ; ATA/408/2008 du 12 août 2008 et les références citées).

Un simple soupçon fondé de participation à un trafic de stupéfiants, même en l'absence d'une condamnation pénale, peut ainsi suffire à asseoir une mesure d'interdiction d'accès à un territoire déterminé (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2013 du 31 juillet 2013 consid. 3.1 et les arrêts cités) ; de plus, même si la simple présence en des lieux où se pratique le commerce de la drogue ne suffit pas à fonder un soupçon de menace à l'ordre et à la sécurité publics, tel est le cas lorsque la personne concernée est en contact répété avec le milieu de la drogue (Arrêt du Tribunal fédéral 2C_437/2009 précité consid. 2.1). Le Tribunal fédéral a du reste confirmé une telle mesure visant un recourant qui avait essentiellement été condamné pour de simples contraventions à la LStup (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 précité, consid. 1.3).

Par ailleurs, pour que la mesure respecte le principe de la proportionnalité, il faut notamment que le rayon de l'interdiction soit déterminé de manière à permettre à l'intéressé de maintenir ses contacts sociaux et de mener à bien ses affaires importantes (Arrêt du Tribunal fédéral 6B_808/2011 précité, consid. 1.3).

6) Le recourant étant titulaire d'un permis N, la mesure prévue à l'art. 74 al. 1 let. a LEtr peut lui être appliquée (ATA/607/2013 du 12 septembre 2013 consid. 7 et les références citées).

La première condition posée par l'art. 74 al. 1 let. a LEtr est donc remplie.

7) La seconde, à savoir le trouble ou la menace à la sécurité et l’ordre publics l'est aussi au vu des antécédents de M. X______ en matière de stupéfiants ; ce point n'est du reste pas contesté par l'intéressé. La mesure prononcée est ainsi justifiée dans son principe.

8) Le TAPI fonde son jugement sur une violation du principe de la proportionnalité en raison du périmètre choisi, qui empêcherait sans raison valable l'intéressé de se rendre à Varembé, dans le quartier des Nations ou à Vernier, ou du moins l'entraverait dans ce cadre.

9) La possibilité pour l'intimé de se rendre à Vernier pour y travailler au quotidien peut certes être qualifiée d'affaire importante au sens de la jurisprudence citée plus haut. Que ce parcours prenne plus de temps en devant éviter le périmètre interdit n'entraîne toutefois aucun préjudice autre qu'une légère perte de temps pour le recourant, dès lors que le trajet en transports publics entre Carouge et Vernier en empruntant le pont Butin (lignes 15 et 23 des Transports publics genevois) n'apparaît guère plus long qu'en prenant la ligne 11 passant par la Jonction. Il n'y a dès lors pas violation sur ce point du principe de proportionnalité.

Le fait de jouer au football une fois par semaine avec des amis n'apparaît en revanche pas comme une affaire importante au sens de la jurisprudence. Quoi qu'il en soit, le stade de Varembé ne se situe pas dans le périmètre interdit par l'ordre émis le 29 décembre 2013.

S'agissant du rassemblement du dimanche auquel l'intimé dit participer dans le quartier des Nations, il ne donne aucune précision sur son lieu, ni sur sa nature. En outre, comme le souligne le recourant, le quartier des Nations, au sens où on l'entend généralement à Genève, se situe pour l'essentiel hors du périmètre considéré. Il ne saurait dès lors y avoir violation du principe de proportionnalité sur ce point.

Enfin, la délivrance de sauf-conduits serait, quoi qu'en dise l'intimé, adéquate pour permettre à celui-ci de voir ses médecins, pour autant que l’intéressé se voie remettre directement ledit sauf-conduit, ou à tout le moins puisse le chercher au poste de police (hors périmètre interdit) le plus proche, tel celui de Lancy ou de Carouge pour le recourant. En effet, M. X______ n'allègue pas souffrir d'une maladie chronique ou subir un traitement nécessitant des rendez-vous spécialement fréquents.

Le périmètre choisi ne pose dès lors pas de problème particulier au regard de la proportionnalité. Enfin, la durée de l'interdiction est adéquate au vu de la persistance du comportement du recourant, qui a occupé les autorités pénales à plusieurs reprises en 2012 et 2013.

10) Le recours sera dès lors admis, le jugement attaqué annulé et l'ordre d'interdiction du 29 décembre 2013 rétabli.

11) Vu la nature de la cause et l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu, ni aucune indemnité de procédure allouée (art. 87 al. 1 et 2 LPA et 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 17 janvier 2014 par l'officier de police contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 janvier 2014 ;

au fond :

l'admet ;

annule le jugement du Tribunal administratif de première instance du 9 janvier 2014 ;

rétablit l'ordre d'interdiction de pénétrer dans une région déterminée émis par l'officier de police le 29 décembre 2013 ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à l'officier de police, à Me Damien Bonvallat, avocat de Monsieur X______, au Tribunal administratif de première instance, à l'office cantonal de la population et des migrations, ainsi qu'à l'office fédéral des migrations.

Siégeants : M. Thélin, président, MM. Verniory et Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

la greffière :