Décisions | Tribunal administratif de première instance
JTAPI/294/2025 du 19.03.2025 ( MC ) , CONFIRME
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
POUVOIR JUDICIAIRE
JUGEMENT DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE PREMIÈRE INSTANCE du 20 mars 2025
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dans la cause
Monsieur A______, représenté par Me Arnaud MOUTINOT, avocat
contre
OFFICE CANTONAL DE LA POPULATION ET DES MIGRATIONS
1. Les 15 août 2023 et 10 juillet 2024, Monsieur A______, né le ______ 1996 et originaire du Nigéria, a été condamné par les autorités judiciaires genevoises pour faux dans les certificats, entrée illégale, séjour illégal, consommation de stupéfiants et non-respect d'une assignation à un lieu de résidence ou d'une interdiction de pénétrer dans une région déterminée (pour avoir violé l'interdiction de pénétrer dans le canton de Genève qui lui avait été notifiée par le commissaire de police le 8 décembre 2023).
2. Le 28 janvier 2025, l'intéressé a été interpellé par les forces de l'ordre genevoises. Entendu par les enquêteurs, il a notamment indiqué n'avoir aucun lieu de résidence fixe en Suisse, ni aucun lien particulier avec ce pays, ni non plus aucune source légale de revenu. Il a été prévenu d'infractions à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration du 16 décembre 2005 (LEI - RS 142.20).
3. Le 29 janvier 2025, M. A______ a été mis à la disposition du Ministère public, puis il a été remis entre les mains des services de police en vue de son refoulement.
4. Le même jour, il s'est vu notifier par le commissaire de police un ordre de mise en détention administrative pour une durée de sept semaines, en application de l’art. 76a al. 3 let. a LEI (procédure Dublin).
5. Mandatés par l’office cantonal de la population et des migrations (ci‑après : OCPM), les services compétents ont auditionné M. A______ dans le cadre de la procédure Dublin. Lors de cette audition, l'intéressé a déclaré ne pas vouloir être transféré dans l'Etat Dublin responsable, en l’occurrence la France, souhaitant - bien que démuni de document de voyage - rentrer dans son pays d'origine.
6. En réponse à la requête du secrétariat d'État aux migrations (ci‑après : SEM), les autorités françaises ont accepté le transfert de M. A______ sur leur territoire et l'autorité fédérale compétente a, le 10 mars 2025, rendu à l'endroit de l'intéressé une décision de renvoi, au sens de l'art. 64a al.1 LEI, à destination de la France, chargeant le canton de Genève de l'exécution de celle-ci. Cette décision a été notifiée à l'intéressé le 12 mars 2025.
7. Le 12 mars 2025, à 15h20, le commissaire de police a émis un ordre de mise en détention administrative à l’encontre de M. A______ pour une durée de six semaines sur la base de l’art. 76a al. 3 let. c LEI.
L’ordre précisait par ailleurs qu’il pouvait solliciter en tout temps, par écrit, que le tribunal examine la légalité et l’adéquation de sa mise en détention administrative.
Entendu dans ce cadre, l’intéressé a réitéré qu'il n'était pas d'accord de retourner en France et qu'il voulait retourner au Nigeria.
8. Parallèlement, une place sur un vol du 25 mars 2025, à destination de ______ (France), a été réservée en faveur de M. A______.
9. Par requête du 14 mars 2025, reçue le 18 suivant, M. A______ a sollicité sa présentation devant le tribunal pour examiner la légalité et l’adéquation de sa détention administrative. Il estimait avoir le droit d’être entendu par un juge afin de contrôler sa détention.
10. Le 18 mars 2025, le commissaire de police, sur demande du tribunal, a transmis son dossier ainsi que ses observations. La France étant compétente s'agissant de la procédure d'asile de M. A______, c’était à elle qu’il appartiendrait de procéder, le cas échéant, au renvoi de l'intéressé dans son pays d'origine. Les autorités suisses n’étaient pas en mesure de le faire, l'intéressé n'étant pas en possession de son passeport ni d'un laissez-passer qui lui aurait été délivré par la représentation diplomatique de son pays d'origine.
11. Dans le délai imparti pour sa détermination, le conseil de M. A______ a fait valoir ses observations.
La durée de la détention administrative, dans le cadre d'une procédure « Dublin », devait s'inscrire dans une temporalité la plus courte possible et répondre aux principes de nécessité et de proportionnalité. Placé en détention le 28 janvier 2025, soit depuis plus de sept semaines et son vol à destination de ______ (France) ayant été agendé pour le 25 mars 2025, la détention de M. A______ ne saurait être prolongée au-delà de cette date. Les six semaines requises étaient ainsi clairement disproportionnées. M. A______, originaire du Nigéria, disposait pour le surplus d'un droit fondamental à pouvoir s'y rendre et la Directive relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, applicable en Suisse en tant qu'acquis Schengen, indiquait à son par. 10 que : « lorsqu'il n'y a pas de raison de croire que l'effet utile d'une procédure de retour s'en trouve compromis, il convient de privilégier le retour volontaire par rapport au retour forcé […] ». Dans ces conditions, M. A______ disposait d'un droit à se voir renvoyer vers son pays d'origine, le Nigeria, droit qui devait être respecté, en application du principe de proportionnalité, ce que le Tribunal devait constater, étant toutefois précisé qu’il était, aujourd’hui, prêt à rentrer en France, au moyen du vol agendé le 25 mars 2025.
1. Le tribunal est compétent pour examiner d’office la légalité et l’adéquation de la détention administrative (art. 115 al. 1 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 7 al. 4 let. d de la loi d'application de la loi fédérale sur les étrangers du 16 juin 1988 - LaLEtr - F 2 10).
2. Selon l'art. 80a al. 3 LEI, la légalité et l'adéquation de la détention ordonnée dans le cadre d'une procédure Dublin sont examinées, sur demande de la personne détenue, par une autorité judiciaire au terme d'une procédure écrite. Cet examen pouvant être demandé à tout moment.
3. La LaLEtr, qui n'a pas été mise à jour suite à l'adoption et l'entrée en vigueur des art. 76a et 80a LEI, ne définit pas la compétence et ne détermine pas la procédure applicable dans les cas de figure envisagés par ces dispositions. Il ne fait néanmoins pas de doute que la compétence du tribunal est donnée s'agissant des demandes formées par les personnes détenues sur la base de l'art. 76a LEI
(cf. not. JTAPI/817/2021 du 20 août 2021 confirmé par ATA/903/2021 du 3 septembre 2021; JTAPI/1004/2020 du 19 novembre 2020 confirmé par ATA/1252/2020 du 8 décembre 2020 ; JTAPI/803/2019 du 6 septembre 2019).
4. En l’espèce, M. A______ a dûment requis du tribunal qu'il contrôle la légalité et l'adéquation de sa détention et a pu exposer ses motifs, par écrit, par l'intermédiaire d'un conseil désigné d'office conformément à la loi. Il sollicite son audition par le tribunal.
5. Tel qu'il est garanti par l'art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), le droit d'être entendu comprend notamment le droit, pour l'intéressé, d'offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l'administration des preuves essentielles ou, à tout le moins, de s'exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 142 III 48 consid. 4.1.1 ; 139 II 489 consid. 3.3 ; 137 IV 33 consid. 9.2 ; 135 I 279 consid. 2.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_85/2016, 2C_86/2016 du 14 novembre 2016 consid. 3.1 ; 1C_516/2014 du 9 janvier 2015 consid. 2.1 ; 2C_421/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.1 ; 2D_5/2012 du 19 avril 2012 consid. 2.3).
Il n'implique pas le droit de s'exprimer oralement (ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 130 II 425 consid. 2.1 ; 125 I 209 consid. 9b et l'arrêt cité ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_551/2015 du 22 mars 2016 consid. 2.2 ; 6B_594/2015 du 29 février 2016 consid. 2.1 ; 2C_621/2015 du 11 décembre 2015 consid. 3 ; 5A_378/2014 du 30 juin 2014 consid. 3.1.1 ; cf. aussi art. 41 in fine de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).
6. En l'occurrence, le dossier contient les éléments suffisants et nécessaires à l'examen de la requête de M. A______, lesquels permettent de statuer immédiatement sur le litige, de sorte qu'il n'y a pas lieu de donner suite à sa demande tendant à ce que le tribunal procède à son audition, cet acte d'instruction, non obligatoire, ne s'avérant pas indispensable.
7. Le tribunal peut confirmer, réformer ou annuler la décision du commissaire de police ; le cas échéant, il ordonne la mise en liberté de l’étranger (art. 9 al. 3 LaLEtr).
8. La détention administrative porte une atteinte grave à la liberté personnelle et ne peut être ordonnée que dans le respect de l’art. 5 par. 1 let. f de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101) (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; 135 II 105 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1 ; 2C_413/2012 du 22 mai 2012 consid. 3.1) et de l’art. 31 Cst., ce qui suppose en premier lieu qu’elle repose sur une base légale (arrêts du Tribunal fédéral 2C_584/2012 du 29 juin 2012 consid. 5.1 ; 2C_478/2012 du 14 juin 2012 consid. 2.1). Le respect de la légalité implique ainsi que la mise en détention administrative ne peut être prononcée que si les motifs prévus dans la loi sont concrètement réalisés (ATF 140 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_256/2013 du 10 avril 2013 consid. 4.1 ; 2C_237/2013 du 27 mars 2013 consid. 5.1).
9. Selon l’art. 28 ch. 2 du Règlement Dublin III, les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément audit règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées. À teneur du ch. 3 du même article, le placement en rétention est d’une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu’à l’exécution du transfert au titre du présent règlement.
10. À teneur de l'art. 76a al. 1 LEI, afin d'assurer son renvoi dans l'État Dublin responsable, l'autorité compétente peut mettre l'étranger en détention sur la base d'une évaluation individuelle lorsque les conditions suivantes sont remplies : des éléments concrets font craindre que l'étranger concerné n'entende se soustraire au renvoi (let. a), la détention est proportionnée (let. b) et d'autres mesures moins coercitives ne peuvent être appliquées de manière efficace (art. 28 par. 2 du règlement [UE] n° 604/2013) (let. c).
Selon l'art. 76a al. 2 LEI, les éléments concrets font craindre que l'étranger entende se soustraire à l'exécution du renvoi si son comportement en Suisse ou à l’étranger permet de conclure qu’il refuse d’obtempérer aux instructions des autorités (let. b) ou s’il quitte la région qui lui est assignée ou pénètre dans une zone qui lui est interdite en vertu de l’art. 74 (let. d).
Les motifs énumérés, de manière exhaustive, à l'art. 76a al. 2 LEI correspondent en principe à ceux déjà retenus aux art. 75 et 76 LEI (Gregor CHATTON/Laurent MERZ in Code annoté de droit des migrations, volume II : loi sur les étrangers, n° 2.5 ad art. 76a, p. 808).
11. Selon l'art. 76a al. 3 let. c LEI, à compter du moment où la détention a été ordonnée, l'étranger peut être placé ou maintenu en détention pour une durée maximale de six semaines pour assurer l'exécution du renvoi entre la notification de la décision de renvoi ou d'expulsion ou après l'expiration de l'effet suspensif d'une éventuelle voie de droit saisie contre une décision de renvoi ou d'expulsion rendue en première instance et le transfert de l'étranger dans l'Etat Dublin responsable.
12. Cette durée de six semaines est calquée sur l'art. 28 ch. 3 par. 3 du Règlement Dublin III, qui stipule que lorsqu'une personne est placée en rétention en vertu du présent article, son transfert de l'État membre requérant vers l'État membre responsable est effectué dès qu'il est matériellement possible, mais au plus tard dans un délai de six semaines à compter de l'acceptation implicite ou explicite par un autre État membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou à compter du moment où le recours ou la révision n'a plus d'effet suspensif conformément à l'art. 27 par. 3.
13. Comme toute mesure étatique, la détention administrative en matière de droit des étrangers doit dans tous les cas respecter le principe de la proportionnalité
(cf. art. 5 al. 2 et 36 Cst. et art. 76a al. 1 let. b et c LEtr ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 et les références citées). Il convient en particulier d'examiner, en fonction de l'ensemble des circonstances concrètes, si la détention en vue d'assurer l'exécution d'un renvoi constitue une mesure appropriée et nécessaire (cf. art. 5 par. 1 let. f CEDH ; ATF 134 I 92 consid. 2.3 et 133 II 1 consid. 5.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_218/2013 du 26 mars 2013 consid. 5.1) et ne viole pas la règle de la proportionnalité au sens étroit, qui requiert l'existence d'un rapport adéquat et raisonnable entre la mesure choisie et le but poursuivi, à savoir l'exécution du renvoi de la personne concernée (cf. arrêts du Tribunal fédéral 2C_765/2015 du 18 septembre 2015 consid. 5.3 ; 2C_334/2015 du 19 mai 2015 consid. 2.2 et les références citées ; cf. ATF 130 II 425 consid. 5.2).
14. En l'occurrence, M. A______ a notamment été condamné pour avoir enfreint une interdiction de pénétrer dans le canton de Genève prise à son encontre le 8 décembre 2023. Il a en outre clairement déclaré, devant le commissaire de police lors de son audition du 12 mars 2025, qu’il refusait d’être renvoyé en France, souhaitant retourner au Nigéria, même s’il indique désormais, sous la plume de son conseil, qu’il est prêt à rentrer en France par le vol du 25 mars 2025.
Au vu de ce qui précède, les conditions pour une détention sur la base de l’art. 76a al. 2 let. b et d LEI sont remplies.
Par ailleurs, la détention ordonnée respecte le principe de proportionnalité. Aucune autre mesure moins incisive ne permet de s’assurer de la présence de l’intéressé au moment où son renvoi devra être exécuté et, notamment pas, une simple remise en liberté, étant rappelé que ce dernier n’a ni attaches, ni lieu de résidence, ni moyen de subsistance à Genève.
Enfin, la durée de la détention décidée par le commissaire de police respecte le cadre légal fixé par l'art. 76a al. 3 LEI et est adéquate pour assurer l'exécution du renvoi, étant relevé que les démarches en vue de la réadmission de M. A______ ont immédiatement été initiées et qu’un vol a été réservé pour le 25 mars 2025, à destination de ______ (France), en vue de son renvoi dans le pays Dublin responsable.
15. Eu égard à l'ensemble des circonstances, il y a ainsi lieu de confirmer l'ordre de mise en détention administrative pour la durée de six semaines requise, dont la portée s’avère en tout état relative, car si l’intéressé, comme il le laisse entendre, accepte son rapatriement, sa détention prendra fin le 25 mars 2025 déjà. En revanche, si pour une raison ou une autre, son refoulement ne pouvait avoir lieu à cette occasion, la police devrait pouvoir disposer du temps nécessaire pour organiser un nouveau départ.
16. Le tribunal n’entrera enfin pas en matière sur la conclusion de M. A______ à ce qu’il soit constaté qu’il dispose d’un droit à se voir renvoyer au Nigeria, une telle conclusion étant exorbitante à l’objet de la présente procédure.
17. Conformément à l'art. 9 al. 6 LaLEtr, le présent jugement sera communiqué à M. A______, à son avocat et au commissaire de police. En vertu des art. 89 al. 2 et 111 al. 2 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), il sera en outre communiqué au SEM.
LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF
DE PREMIÈRE INSTANCE
1. confirme l’ordre de mise en détention administrative émis par le commissaire de police le 12 mars 2025 à l’encontre de Monsieur A______ pour une durée de six semaines, soit jusqu'au 22 avril 2025 inclus ;
2. dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 10 al. 1 LaLEtr et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 10 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.
Au nom du Tribunal :
La présidente
Marielle TONOSSI
Copie conforme de ce jugement est communiquée à Monsieur A______, à son avocat, au commissaire de police et au secrétariat d'État aux migrations.
Genève, le |
| Le greffier |