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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/412/2024

JTAPI/798/2024 du 20.08.2024 ( LDTR ) , IRRECEVABLE

Descripteurs : CHOSE JUGÉE;DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION
Normes : LPA.60.al1.letb
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/412/2024 LDTR

JTAPI/798/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 20 août 2024

 

dans la cause

 

Madame A______ et Monsieur B______, représenté par Me Pierre RUTTIMANN, avocat, avec élection de domicile

contre

DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE-OAC

C______ SA, représentée par Me François BELLANGER, avocat, avec élection de domicile

 


EN FAIT

1.             Sur les parcelles nos 1______, 2______ et 3______ de la commune de D______ est érigé au 4______, 5______ 6______ avenue E______, un immeuble d’habitation faisant partie d’un ensemble protégé de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle au sens de l’art. 89 de la loi sur les constructions et les installations diverses du 14 avril 1988 (LCI - L 5 05). Il est soumis au régime de la propriété par étage (ci-après : PPE).

2.             Madame A______ et Monsieur B______ sont copropriétaires d’une unité de PPE au 6______ E______, soit un appartement situé au 6ème étage, dans lequel ils habitent.

C______ SA (ci-après : C______ SA) est copropriétaire d’unités dans chacune des trois allées de l’immeuble.

3.             Le ______2018, C______ SA a déposé une demande d’autorisation de construire auprès du département du territoire (ci-après : le département) portant sur la création de trois appartements dans les combles de l’immeuble (DD 7______).

4.             Le ______ 2020, le département a délivré l'autorisation de construire, laquelle a été publiée dans la Feuille d'avis officielle (ci-après : FAO) du même jour. Le préavis de l'office cantonal du logement et de la planification foncière (ci-après : OCLPF) du 13 mars 2020, fixant un prix de vente maximum de CHF 5'815'385.-, en faisait partie intégrante et devait être respecté.

5.             Par acte du 11 décembre 2020, l’F______ (ci-après : F______) a recouru auprès du Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) contre cette autorisation, invoquant une violation des art. 9, 10 et 11 de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20). Le prix de vente des trois appartements, fixé sur la base du loyer licite autorisé par le département ne pouvait excéder CHF 2’933'538.- au total. Le prix de vente des deux appartements de 5 pièces ne pouvait excéder CHF 1'047'692.- et celui de 4 pièces CHF 838'154.-. Cette procédure a été ouverte sous le numéro de cause A/8______.

6.             Le 11 décembre 2020 également, les époux A______ et B______ ont recouru contre l’autorisation de construire DD 7______. Cette procédure a été ouverte sous le numéro de cause A/9______.

De nombreux manquements étaient à relever concernant les plans à fournir dans le cadre d’une demande d’autorisation de construire. Il manquait notamment, dans les plans des combles, la représentation de l’isolation et de sa structure, ainsi que des charpentes existantes, un plan relatif à la toiture des immeubles et un plan compilant les éléments à maintenir, soit notamment la charpente, alors que le service des monuments et des sites (ci-après : SMS) l’avait requis dans son préavis du 18 novembre 2019. C’était donc de manière inexplicable et en violation de l’art. 9 al. 2 du règlement d’application de la loi sur les constructions et les installations diverses du 27 février 1978 (RCI – L 5 05.01) que le département avait accordé l’autorisation de construire sans sanctionner l’absence de plans essentiels.

La Commission des monuments, de la nature et des sites (ci‑après : CMNS) ne s’était jamais définitivement prononcée sur le projet litigieux, alors que pour des immeubles pour lesquels les art. 89 et 93 de la LCI s’appliquaient, toute délégation de compétence était exclue. Elle s’était par ailleurs référée, dans son préavis non définitif du 22 janvier 2019, à des préavis antérieurs qui ne figuraient pas au dossier. Leur droit d’être entendu avait dès lors été violé.

Compte tenu des atteintes rapportées et des mesures de protection spécifiques prévues par la loi, le département avait par ailleurs abusé de son pouvoir d’appréciation en délivrant l’autorisation sans motivation spécifique et notamment sans se baser sur un préavis favorable et motivé de la CMNS. À cause de ces mesures de protection, les époux A______ et B______ avaient eux-mêmes dû renoncer à l’aménagement d’une loggia dans leur propre appartement.

Le projet avait pour effet de supprimer les annexes mises à leur disposition, notamment des greniers, ainsi que des buanderies et des salles d’étendage. L’autorisation ne pouvait être octroyée en ce qu’elle remettait en cause leurs conditions de vie.

7.             Par décision du ______ 2021, le tribunal a joint les causes A/8______ et A/10______ sous le numéro de cause A/8______ (DITAI/11_____).

8.             Par jugement du ______2022 (JTAPI/12______), le tribunal a déclaré irrecevables certaines conclusions de l'F______ et rejeté les recours pour le surplus.

Les plans produits étaient conformes aux exigences de l’art. 9 al. 2 RCI et les époux A______ et B______ n’indiquaient pas quel préjudice ils auraient subi du fait de la prétendue absence de plans. Les combles étaient inutilisées et des locaux de buanderie disponibles pour chaque allée au sous-sol de l’immeuble. Ils n’établissaient pas de dégradation de leurs conditions de vie.

S'agissant du prix de vente, l’F______ ne faisait que substituer sa propre appréciation et ses calculs à ceux du département, lesquels correspondaient à la pratique, soit en retenant le montant du loyer calculé sur la base du montant des travaux réalisés et non du loyer admissible pendant la période de contrôle.

9.             Par acte du 4 février 2022, l’F______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre ce jugement, concluant à son annulation et à ce qu’il soit dit que le prix de vente des trois appartements n’excéderait pas CHF 2'933'538.- au total, le prix des appartements de cinq pièces ne dépassant pas CHF 1'047'692.- et celui de l’appartement de quatre pièces CHF 838'154.-, invoquant une violation des art. 9, 10, 11 et 12 LDTR.

10.         Par acte du 16 février 2022, les époux A______ et B______ ont également recouru auprès de la chambre administrative contre ce jugement, concluant à son annulation et à l'annulation de l'autorisation de construire. Subsidiairement, la cause devait être renvoyée au département pour instruction. Préalablement, un transport sur place devait être ordonné.

Le tribunal n'avait pas correctement établi les faits en retenant que la toiture ne serait pas modifiée, puisque de nouvelles fenêtres devaient y être installées. La loi imposait la production de plans indiquant les isolations, la structure et la toiture, s’agissant d’immeubles de la fin du XIXème et du début du XXème siècles, dont les éléments particulièrement dignes de protection devaient être sauvegardés. L’exigence de faire figurer sur les plans les éléments à sauvegarder de la charpente avait été expressément posée par le SMS dans son préavis du 18 novembre 2019 et le département l’avait rappelée. Le formulaire standard de demande d’autorisation l’exigeait, en application des art. 7b et 9b RCI. Ces exigences protégeaient aussi bien le destinataire de l’autorisation que les éventuels opposants ou l’autorité compétente qui devaient pouvoir s’assurer que les travaux, une fois effectués, étaient conformes aux plans. Or, les plans n’avaient jamais été fournis au département.

Les art. 1 LDTR et 57 LCI étaient violés, puisqu’aucune buanderie ne se trouvait dans les sous-sols de l’immeuble, alors même que les travaux y étaient terminés, ce qu’ils avaient porté à la connaissance du tribunal. Le fait qu’ils avaient été autorisés à installer une machine à laver et un sèche-linge dans un cagibi ne pouvait réparer cette violation.

Le tribunal avait abusé de son pouvoir d’appréciation en autorisant le projet malgré ses défauts esthétiques flagrants et ses lacunes, qui nuisaient à l’esthétique des immeubles concernés et du quartier.

La CMNS avait approuvé en 2010 un projet dont la teneur n’avait jamais été produite. Le renvoi au préavis de la CMNS de 2019 était insuffisant. Ni le département, ni le tribunal, ni eux-mêmes n’étaient en mesure de se prononcer sur le projet de 2010, faute d’en avoir eu connaissance. Fonder en 2019 une décision sur un précédent préavis de 2010 portant sur un projet dont personne n’avait connaissance était arbitraire.

La présence de Monsieur G______, à l’époque architecte de C______ SA, lors des séances de la CMNS ne pouvait qu’avoir eu une influence objective sur les décisions de celle-ci. Il était inexplicable que la description du projet se soit faite en sa présence et que celui-ci n’ait pas été soumis à la deuxième sous-commission de la CMNS. Le tribunal avait minimisé ces vices de manière insoutenable.

La PPE n’avait jamais donné son accord aux travaux, ce que le département et le tribunal avaient à tort ignoré. Lorsqu’un copropriétaire invoquait un défaut d’accord de la communauté et relevait que les plans n’étaient pas signés par une personne habilitée à la représenter, la police des constructions ne pouvait simplement se borner à renvoyer les plaideurs à saisir les juridictions civiles, mais devait refuser de donner suite à la demande d’autorisation. Le tribunal ne s’était pas prononcé sur ce point, ce qui était arbitraire.

11.         Par arrêt du ______ 2022 (ATA/13______), la chambre administrative a rejeté le recours des époux A______ et B______, partiellement admis celui de l'F______, annulé le jugement du tribunal en tant qu'il arrêtait le prix de vente maximum à CHF 5'815'385.-, annulé la décision d'autorisation de construire du ______ 2020 et renvoyé la cause au département pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

Les plans produits étaient conformes aux exigences de l’art. 9 al. 2 RCI et les époux A______ et B______ avaient rendu vraisemblable que les buanderies n'avaient pas encore été aménagées en sous-sol mais ne faisaient pas valoir qu'ils subissaient de ce fait des inconvénients. Par ailleurs, le tribunal n'avait pas abusé de son pouvoir d'appréciation en autorisant un projet préavisé favorablement par la CMNS, puis le SMS. Quant à l'absence d'accord de la PPE, si elle pouvait certes matériellement faire obstacle aux travaux, elle était sans effet sur la conformité du projet aux normes de la LCI ou de la LDTR et sur la délivrance de l'autorisation.

12.         Le 6 octobre 2022, les époux A______ et B______ ont formé contre cet arrêt un recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral, qui l'a déclaré irrecevable.

L'arrêt du ______ 2022, quand bien même il se prononçait définitivement sur les griefs invoqués, ne mettait pas un terme à la procédure dans la mesure où l'autorisation de construire du ______ 2020 avait été annulée et le dossier renvoyé au département pour nouvelle décision dans le sens des considérants. Une fois celle-ci rendue, les époux A______ etB______ avaient la possibilité d'attaquer directement la nouvelle décision d'autorisation de construire devant le Tribunal fédéral, conjointement avec l'arrêt du 30 août 2022.

13.         Le ______ 2024, le département a rendu une nouvelle décision d'autorisation de construire (DD 7______ RE), laquelle a été publiée dans la FAO du même jour. Plusieurs préavis, dont celui de l'OCLPF du 14 avril 2023 fixant un nouveau prix de vente des appartements à créer, en faisaient partie intégrante et devaient être respectés.

14.         Par acte du 30 janvier 2024, les époux A______ et B______ (ci-après : les recourants) ont recouru contre cette décision, concluant préalablement à la suspension de la procédure jusqu'à droit connu sur le recours formé auprès du Tribunal fédéral le même jour et, principalement, à l'annulation de la décision litigieuse sous suite de frais et dépens.

Ils recouraient auprès du tribunal en parallèle de la procédure pendante auprès du Tribunal fédéral afin de sauvegarder leurs droits.

L'autorisation de construire litigieuse avait été délivrée alors même que les conditions de l'art. 1 al. 6 LCI n'étaient manifestement pas remplies. Les travaux projetés concernaient notamment la toiture, soit une partie commune de l'immeuble. Or, aucun accord n'avait été donné par les copropriétaires à C______ SA (ci-après : l'intimée) pour la réalisation du projet litigieux, ni lors du dépôt de la requête en autorisation de construire, ni lors de l'assemblée générale du 29 avril 2021.

L'absence d'accord des copropriétaires constituait également une violation de l'art. 11 al. 4 RCI qui précisait notamment que toutes les demandes d’autorisation devaient être datées et signées par le propriétaire de l’immeuble intéressé.

Finalement, l'art. 57 LCI était violé, puisqu’aucune buanderie ne se trouvait au sous-sol de l’immeuble, alors même que les travaux à cet étage étaient terminés. Le fait qu’ils avaient été autorisés à installer une machine à laver et un sèche-linge dans un cagibi ne pouvait réparer cette violation.

15.         Le 30 janvier 2024, les recourants ont, en parallèle, également déposé un recours en matière de droit public devant le Tribunal fédéral contre la décision querellée, ainsi que contre l'arrêt de la chambre administrative du ______ 2022.

16.         Par courrier du 16 février 2024, le département a indiqué s'en rapporter à justice s'agissant de la requête de suspension formulée par les recourants.

17.         Le 19 février 2024, sous la plume de son conseil, l'intimée a indiqué s'opposer à la requête de suspension formulée par les recourants.

Une décision de suspension n'aurait qu'un effet dilatoire abusif et contraire au droit dans la mesure où le recours était manifestement abusif et irrecevable.

L'autorisation de construire querellée avait déjà été contestée par devant le tribunal par les recourants, lesquels avaient soulevé les mêmes griefs que dans la présente procédure. La chambre administrative, dans son arrêt du ______ 2022 (ATA/13______), avait rejeté leur recours. Elle avait en revanche admis celui de l'F______, annulé le jugement du tribunal en tant qu'il arrêtait le prix de vente maximum des appartements à construire à CHF 5'815'385.-, annulé la décision du ______ 2020 et renvoyé la cause au département pour nouvelle décision. Le Tribunal fédéral avait déclaré irrecevable le recours déposé par les recourants contre l'arrêt de la chambre administrative.

L'autorisation de construire attaquée était identique à la précédente, sous la seule réserve qu'elle fixait un prix de vente des appartements à construire conforme à l'arrêt de la chambre administrative, de sorte que ce dernier avait autorité de chose jugée sur tous les griefs soulevés par les recourants. Ils ne pouvaient par conséquent recourir à nouveau pour les mêmes griefs, ni soulever d'autres griefs qui remettraient en cause l'autorisation de construire. Le seul grief qu'ils auraient pu soulever, à supposer qu'ils aient la qualité pour le faire, aurait été une mauvaise fixation du prix de vente.

18.         Dans ses observations du 27 mars 2024, le département a indiqué partager entièrement l'appréciation faite de la situation par l'intimée.

Les griefs invoqués par les recourants avaient déjà été examinés par le tribunal, ainsi que par la chambre administrative. Par arrêt du ______ 2022, le Tribunal fédéral avait déclaré le recours des recourants irrecevable et les avait invités à « attaquer [devant lui] la nouvelle autorisation de construire [délivrée le ______ 2024] conjointement avec l'arrêt cantonal [susmentionné] en reprenant les griefs développés [dans leurs écritures] ». Dans la mesure où dans la décision entreprise le département s'était contenté de donner suite à l'arrêt de renvoi en fixant le prix de vente des appartements conformément à ses considérants, les recourants ne pouvaient à nouveau faire valoir les mêmes griefs devant les instances cantonales.

L'irrecevabilité du recours interjeté par les recourants ne pouvait être que constatée. La procédure de recours devant le Tribunal fédéral était par ailleurs toujours pendante.

19.         Le 8 avril 2024, l'intimée a déposé ses observations, concluant principalement à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet et à la confirmation de l'autorisation de construire querellée, sous suite de frais et dépens.

Le dépôt du recours relevait d'une démarche vraisemblablement chicanière, dans la mesure où les recourants s'opposaient en réalité par principe à tout projet de construction envisagé dans les combles. Leur démarche avait pour but de retarder la construction d'un projet de qualité et conforme au droit en vigueur. C'était par ailleurs principalement sur la base d'éléments du droit civil que les recourants tentaient de motiver un recours concernant une autorisation de construire, alors que la chambre administrative avait déjà indiqué que ces éléments étaient étrangers à l'objet du litige et qu'il ne lui appartenait pas de les trancher.

20.         À la demande du tribunal, le département a transmis le dossier relatif à la DD 7_______.

21.         Le contenu des pièces sera repris dans la partie en droit en tant que de besoin.

 

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions prises par le département en application de la LDTR et de la LCI (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05, art. 143 et 145 al. 1 LCI ; art. 45 al. 1 LDTR).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens des 62 à 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

3.             La recevabilité d’un recours présuppose encore que le destinataire de la décision ait un intérêt actuel et digne de protection à ce que celle-ci soit annulée ou modifiée (art. 60 al. 1 let. b LPA ; ATF 131 II 361 consid. 1.2 p. 365).

4.             De jurisprudence constante, cette notion de l'intérêt digne de protection est identique à celle de l'art. 89 al. 1 loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110). L'intérêt digne de protection représente tout intérêt pratique ou juridique à demander la modification ou l'annulation de la décision attaquée. Il consiste donc dans l'utilité pratique que l'admission du recours apporterait au recourant, en lui évitant de subir un préjudice de nature économique, idéale, matérielle ou autre, que la décision attaquée lui occasionnerait. Il implique que le recourant doit se trouver dans une relation spéciale, étroite et digne d'être prise en considération avec l'objet de la contestation et qu'il soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés de manière à empêcher l'action populaire. L'intérêt digne de protection au sens de l'art. 89 al. 1 LTF ne doit pas nécessairement être de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (ATF 144 I 43 consid. 2.1 ; 139 II 499 consid. 2.2; arrêts du Tribunal fédéral 1C_206/2019 du 6 août 2019 consid. 3.1 ; 1C_96/2017 du 21 septembre 2017 consid. 2.1).

5.             L'autorité de chose jugée (ou force de chose jugée au sens matériel) interdit de remettre en cause, dans une nouvelle procédure, entre les mêmes parties, une prétention identique qui a été définitivement jugée. Il y a identité de l'objet du litige quand, dans l'un et l'autre procès, les parties soumettent au tribunal la même prétention, en reprenant les mêmes conclusions et en se basant sur le même complexe de faits. L’identité de l’objet du litige s’entend au sens matériel ; il n’est pas nécessaire, ni même déterminant que les conclusions soient formulées de manière identique (ATF 144 I 11 consid. 4.2 ; 142 III 210 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_752/2021 du 19 mai 2022 consid. 3.1 ; ATA/1281/2022 du 20 décembre 2022 consid. 2a).

Selon la doctrine, l’autorité de chose jugée se rapporte à celle d’une décision prise sur recours ou par une juridiction saisie d’une action. Le réexamen approfondi de l’affaire qui a dû être effectué sur recours ou par la juridiction saisie d’une action justifie de reconnaître une plus grande portée à l’autorité de chose jugée : les points tranchés sur recours ou par une juridiction ne pourront être revus, en ce qui concerne les mêmes parties, les mêmes faits et les mêmes motifs, que si des motifs de révision (art. 80 LPA) sont présents. À cet égard, il faut souligner que l’autorité de chose jugée ne se rapporte qu’aux points effectivement tranchés par l’autorité de recours ; il y aura donc lieu de se référer aux motifs de sa décision pour définir la portée de l’autorité de la chose jugée (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 867 à 869).

L'autorité matérielle de la chose jugée signifie qu'un jugement formellement entré en force est déterminant à l'égard de toute procédure ultérieure opposant les mêmes parties. Elle a un effet positif et un effet négatif. Sous son aspect positif, l'autorité matérielle de la chose jugée implique que le tribunal est lié, pour tout procès ultérieur, par ce qui a été constaté dans le dispositif du jugement du procès précédent. D'un point de vue négatif, l'autorité matérielle de la chose jugée interdit à tout tribunal d'entrer en matière sur une action dont l'objet du litige est identique à celui qui a déjà été jugé définitivement (res iudicata), à moins que le demandeur ne puisse faire valoir un intérêt digne de protection à la répétition de la décision antérieure (ATF 145 III 143 consid. 5.1 ; 142 III 210 consid. 2 et 2.1).

6.             En l'espèce, l'autorisation de construire querellée (DD 7______-RE) a été délivrée à la suite d'une procédure de recours, intentée notamment par les recourants, à l'encontre de l'autorisation de construire (DD 7______) du ______ 2020. La décision querellée a la même teneur que la décision précédente, sous la réserve qu'elle se réfère non plus au préavis de l'OCLPF du 13 mars 2020, mais à celui du 14 avril 2023, fixant un nouveau prix de vente des appartements à créer. Le département s'est ainsi contenté de donner suite à l'arrêt de renvoi de la chambre administrative du ______ 2022 en fixant le prix de vente des nouveaux appartements conformément à ses considérants. Les autres points de l'autorisation de construire n'ont quant à eux pas été modifiés, ce que les recourants ne contestent au demeurant pas. Concernant les mêmes faits et opposant les mêmes parties, ils ne peuvent par conséquent être remis en cause par les recourants, dans une nouvelle procédure, dans la mesure où ils ont déjà été tranchés définitivement. Il est relevé que le seul grief qui aurait pu être soulevé dans le cadre d'un recours contre la décision querellée aurait été une mauvaise fixation du prix de vente des nouveaux appartements. Les recourants ne possèdent ainsi aucun intérêt actuel et digne de protection à voir leurs griefs définitivement rejetés par la chambre administrative être à nouveau tranchés par le tribunal.

7.             Il découle de ce qui précède que le recours doit être déclaré irrecevable. Quant à la demande de suspension formulée par les recourants, elle est par conséquent sans objet.

8.             En application des art. 87 al. 1 LPA et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), les recourants, pris conjointement et solidairement, qui succombent, sont condamnés au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 900.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

9.             Vu l'issue du litige, une indemnité de procédure de CHF 2'000.-, à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement, sera allouée à l'intimée (art. 87 al. 2 à 4 LPA et 6 RFPA).


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare irrecevable le recours interjeté le 30 janvier 2024 par Madame A______ et Monsieur B______ contre la décision du département du territoire du ______ 2024 ;

2.             met à la charge de Madame A______ et Monsieur B______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 900.- lequel est couvert par l'avance de frais ;

3.             condamne Madame A______ et Monsieur B______, pris conjointement et solidairement, à verser à C______ SA une indemnité de procédure de CHF 2'000.- ;

4.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Suzanne AUBERT-LEBET, Patrick BLASER, Bernard DELACOSTE et François HILTBRAND, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière