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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/1494/2023

ACST/21/2023 du 17.05.2023 ( ELEVOT ) , IRRECEVABLE

Recours TF déposé le 30.05.2023, 1C_266/2023
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1494/2023-ELEVOT ACST/21/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 17 mai 2023

 

dans la cause

 

A______ recourant

contre

CONSEIL D’ÉTAT intimé

 


EN FAIT

A. a. Le 2 avril 2023 a eu lieu à Genève l’élection du Grand Conseil et le premier tour de l’élection du Conseil d’État.

b. Pour le premier tour de l’élection du Conseil d’État, les résultats, validés par arrêté du Conseil d’État du 26 avril 2023, publié dans la Feuille d’avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) du 28 avril 2023, étaient les suivants :

Candidat

Suffrages

B______ (PLR-Genève)

49'218

C______ (Vert-e-s-Socialistes)

38'232

D______(Vert-e-s-Socialistes)

35'490

E______ (PLR Genève)

35'147

F______(Vert-e-s-Socialistes)

31'403

G______(LJS)

31'315

H______(Vert-e-s-Socialistes)

31'289

I______(MCG)

29'575

J______ (le Centre)

27'566

K______(le Centre)

23'656

L______ (UDC)

23'263

M______ (UDC)

20'904

N______ (Vert’Libéraux)

17'493

O______ (Vert’Libéraux)

16'663

P______ (Civis)

14'732

Q______(EÀG : SOL DAL PDT)

12'651

R______(EÀG – LUP)

11'350

S______ (EÀG – LUP)

11'187

T______(EÀG : SOL DAL PDT)

9'507

U______(EÀG : SOL DAL PDT)

7'699

V______(Élan radical)

4'943

W______(Résistance populaire)

4'348

X______(Évolution suisse)

3'338

Aucun des 23 candidats n’a obtenu la majorité absolue des suffrages, fixée à 49'947 votes.

B. a.a. Le 20 avril 2023 à 17h00 est paru sur le site internet Y______(ci-après : Y______), un média en ligne suisse romand, un article intitulé « Exclusif – Le Dr  I______, candidat genevois, a court-circuité le don d’organes pour un patient émirati ». Cet article prétendait qu’en 2006, I______aurait greffé un foie à un riche patient domicilié à l’étranger, lequel aurait indûment pris la place d’un patient suisse décédé peu après, et que cette affaire, bien qu’ayant suscité des enquêtes internes et valu un blâme à l’intéressé, n’aurait jamais été ébruitée jusqu’à présent. Contacté par la rédaction du journal, I______aurait nié tout manquement.

a.b. Le 20 avril 2023 également, Z______(ci-après : Z______) a publié sur son site internet un article intitulé « I______a-t-il privilégié un riche patient émirati ? Selon Y______, le chirurgien aurait, en 2006, transplanté un foie à un riche Émirati en le faisant passer devant un autre patient prioritaire. Le médecin nie tout manquement », dans lequel I______, contacté par la rédaction, niait tout manquement et exposait ses arguments.

a.c. Toujours le 20 avril 2023, le journal AA______a publié sur son site internet un article intitulé « Le professeur I______aurait greffé un foie à un patient émirati inéligible », reprenant l’article de Y______ dans ses grandes lignes.

b.a. Le lendemain, soit le 21 avril 2023, la Fondation AB______ (ci-après : la fondation) a communiqué une prise de position « sur les événements de 2006 en rapport avec une transplantation », indiquant qu’elle avait fait examiner les incidents allégués par un service de médiation, les résultats de l’enquête présentés en 2007 ayant montré qu’il y avait, certes, eu une erreur de communication des spécialistes impliqués, mais que la transplantation en cause pouvait être qualifiée de judicieuse sur le plan médical.

b.b. Le 21 avril 2023, dans le journal radiophonique de 12h45 et télévisé de 19h30 de la AC______ (ci-après : AC______), un sujet a été consacré à l’article de Y______ de la veille. Interrogé à ce propos, I______a donné sa version des faits et nié les accusations portées à son encontre.

b.c. Le 21 avril 2023, I______était invité de la chaîne de télévision locale AD______, sur le plateau de laquelle il a contesté avoir commis tout manquement et donné sa version des faits, se disant soulagé par les conclusions de la fondation et annonçant avoir déposé plainte pénale à l’encontre de Y______ et des journalistes auteurs de l’article de la veille le concernant.

b.d. Toujours le 21 avril 2023, Y______ a publié un nouvel article intitulé « Affaire I______: voici les documents qui contredisent la défense du chirurgien et candidat genevois », dans lequel étaient publiés certains extraits des documents ayant appuyé l’enquête de ses journalistes.

b.e. Le 21 avril 2023 également, le MOUVEMENT CITOYEN GENEVOIS (ci-après : MCG) a publié un communiqué de presse dans lequel il déplorait la mise en cause injustifiée de I______, continuant à lui témoigner son entière confiance.

c. Le 22 avril 2023, Y______ a publié un article intitulé « Pourquoi le scandale I______n’éclate-t-il que maintenant? À cause de la peur ».

d. Le 24 avril 2023, le journal AA______a publié un article intitulé « À Genève, l’alliance de droite serre les rangs autour du candidat I______– À six jours de l’élection au Conseil d’État, l’affaire de la transplantation controversée ne suscite pas de défection au sein de l’Alliance genevoise, qui s’engage unie dans le dernier sprint électoral ». Il y était notamment indiqué que I______conservait « le soutien de ses alliés du PLR, de l’UDC et du Centre ».

e. Le 25 avril 2023, Y______ a publié un article intitulé « Affaire I______ : face à un cas "aussi grave", AB______ "ne peut pas en rester là" », dans lequel un médecin et rédacteur en chef d’une revue médicale s’exprimait au sujet de ladite affaire et de la prise de position de la fondation à ce propos.

f. Le 26 avril 2023, Y______ a publié un article intitulé « Affaire I______ : en 2013 déjà, la greffe d’un patient émirati a pesé sur ses ambitions politiques – En décembre 2013, alors qu’il était pressenti pour figurer sur le ticket du PDC pour les élections au Conseil d’État l’année suivante et presque assuré d’être élu, I______se retire, à la surprise générale. Plusieurs sources livrent l’explication : le docteur et candidat putatif était déjà poursuivi par les rumeurs sur sa transplantation de foie en 2006 ».

g.a. Le 27 avril 2023, Y______ a publié un article intitulé « Affaire I______ : les contre-vérités du chirurgien sur le plateau de AD______ – en interview vendredi 21 avril sur la chaîne de télévision genevoise AD______, le Dr I______a donné sa propre version des faits qui lui sont reprochés sur la transplantation d’un foie en 2006 sur un riche patient émirati. Y______ s’est penché sur ses déclarations, qui vont à l’encontre de plusieurs éléments établis par notre enquête ».

g.b. Dans le journal du 27 avril 2023, AD______ a relayé une prise de position de la fondation, selon laquelle les documents produits par Y______ seraient « suspects ».

h. Le 28 avril 2023, Y______ a publié un dessin de presse intitulé « I______s’est greffé une bonne conscience ».

C. a. Le 30 avril 2023 a eu lieu le second tour de l’élection du Conseil d’État, dont les résultats annoncés étaient les suivants :

Candidat

Suffrages

B______ (l’Alliance genevoise) Élue

70'628

E______ (l’Alliance genevoise) Élue

58'487

C______ (Verts-Socialistes) Élu

57'369

D______(Verts-Socialistes) Élu

52'950

J______ (l’Alliance genevoise) Élue

51'379

G______(LJS) Élu

48'345

H______(Verts-Socialistes) Élue

47'956

F______(Verts-Socialistes)

47'104

I______(MCG)

42'006

L______ (l’Alliance genevoise)

39'281

W______(Résistance populaire)

12'988

X______(Évolution suisse)

11'202

b. Par arrêté du 3 mai 2023, publié dans la FAO du 5 mai 2023, le Conseil d’État a constaté ces résultats, vu le procès-verbal de la récapitulation générale du 30 avril 2023.

D. a.a. Par acte posté le 3 mai 2023, A______, citoyen suisse exerçant ses droits politiques à Genève et candidat non élu sur la liste du MCG lors de l’élection du Grand Conseil du 2 avril 2023, a saisi la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) d’un recours dirigé contre « la décision (non encore publiée dans la FAO) de validation des résultats de l’élection du 30 avril 2023 au Conseil d’État prise par le Conseil d’État sur la base du récapitulatif général établi par la Chancellerie et contrôlé par la commission électorale centrale », concluant à l’annulation de ladite décision et à ce qu’il soit dit que B______ et E______ étaient élues car ayant chacune obtenu la majorité des voix.

Il requérait la « jonction des procédures » ainsi que la production de tous les procès-verbaux et décisions relatives au scrutin du 30 avril 2023, ainsi que l’audition de plusieurs personnes, dont celle de I______.

Le recours, dirigé contre la décision de validation des résultats du scrutin du 30 avril 2023 du Conseil d’État, était déposé dans le délai légal, dès la dernière publication « attentatoire à l’honneur de I______», lequel avait fait l’objet d’« attaques en règle » entre le 20 et le 30 avril 2023.

Le principe de la bonne foi avait été violé par Y______, journal exerçant une tâche d’utilité publique pour l’information des citoyens lors de l’élection du Conseil d’État, étant donné son devoir d’information, de loyauté et de diligence, la production de « faux documents » pour étayer des allégations attentatoires à l’honneur d’un candidat et les violations répétées du secret médical.

L’expression fidèle et sûre de la libre volonté des électeurs avait été violée en raison du déchaînement médiatique, basé sur de faux documents, dont I______avait été l’objet. Cette campagne avait conduit à sa non-élection, dès lors qu’il était le candidat qui avait le moins progressé au second tour.

a.b. Le recourant a produit, notamment, les différents articles de presse de Y______ consacrés à I______.

b.a. Le 10 mai 2023, le Conseil d’État a conclu à l’irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.

Le recours était tardif en tant qu’il portait sur les éléments de presse antérieurs au 27 avril 2023. Ceux publiés après cette date reprenaient le même complexe de faits et ne pouvaient faire partir un nouveau délai de recours. Étant donné son activité politique, l’on pouvait en outre considérer que le recourant avait activement suivi la campagne de l’entre-deux-tours.

Y______ n’appartenait pas à l’État, lequel n’exerçait pas non plus d’influence sur ce journal, qui n’était pas non plus investi d’une tâche d’utilité publique. Les griefs du recourant devaient être examinés sous le seul angle des interventions privées. Y______ avait publié dix jours avant le scrutin un article sur I______, lequel avait pu largement diffuser son point de vue dès le 21 avril 2023, ce qui avait laissé suffisamment de temps aux citoyens pour se renseigner auprès de différentes sources. Le fait que ce candidat ait plus ou moins progressé entre les deux tours ne permettait pas de démontrer un quelconque vice, différents facteurs pouvant expliquer cette situation.

b.b. Le Conseil d’État a notamment produit le procès-verbal de la récapitulation générale du second tour de l’élection du Conseil d’État du 30 avril 2023 constatant l’absence d’irrégularité concernant le déroulement de ladite élection et l’établissement des résultats.

c. Par courrier simple et recommandé du 10 mai 2023, la chambre constitutionnelle a accordé à A______ un délai au 15 mai 2023 à 12h00 (au guichet de la chambre constitutionnelle) pour répliquer, après quoi la cause serait gardée à juger.

d.a. Par courrier du 12 mai 2023, A______ a indiqué qu’il renonçait à sa demande de jonction des causes (sic). Par ailleurs, il s’était rendu compte qu’il n’avait pas produit la première version de l’article de Y______ du 20 avril 2023 à 17h00 ni mentionné « d’où » il en avait pris connaissance, de sorte qu’il déposait « l’article originel du 20 avril 2023 à 17h00 ». Il ne renonçait pas à un second échange d’écritures, ni à une audience de plaidoirie orale.

d.b. Il a produit l’article de Y______ du 20 avril 2023 publié à 17h00 et modifié le 20 avril 2023 à 17h00 ainsi que le « tweet » d’un Conseiller d’État partageant l’article de Y______ du 20 avril 2023.

e. Le 15 mai 2023 à 14h40, A______ a remis au guichet de la chambre constitutionnelle un courrier dans lequel il demandait un second échange d’écritures « au sens de l’art. 6 CEDH » au titre du droit inconditionnel à la réplique ainsi qu’une audience publique en application de ladite disposition. Par ailleurs, il était disposé à accepter la nomination d’un médiateur « afin de trouver un arrangement à l’amiable ». Dans ce cadre, en vue d’entendre les témoins dont il avait sollicité l’audition dans son recours, la prestation de serment du Conseil d’État, fixée au 1er juin (recte : 31 mai) 2023, devait être « interdite » jusqu’à droit connu dans cette cause. Il demandait donc « AA______pour déposer une requête de mesures superprovisionnelles ou provisionnelles ».

f. Le 16 mai 2023 à 10h00, A______ a remis au guichet de la chambre constitutionnelle une « réplique », expliquant qu’en raison de problèmes familiaux, il n’avait pris connaissance du courrier de la chambre constitutionnelle du 10 mai 2023 que le 13 mai 2023 et qu’il n’avait disposé que de peu de temps pour se déterminer. Il indiquait que l’un des Conseillers d’État en place puis réélu à l’issue du second tour avait relayé, sur les réseaux sociaux, l’article de Y______ du 20 avril 2023, ce qui avait rendu ce dernier « viral » et aurait dû conduire à la récusation dudit Conseiller d’État au moment de rendre l’arrêté du 3 mai 2023 puisqu’il avait contrevenu au devoir de réserve incombant à tout fonctionnaire (sic). Par ailleurs, son recours n’était pas tardif, car il s’imposait d’attendre les résultats de l’élection avant de déterminer un lien de cause à effet entre l’« acte incriminé » et la non-élection de I______. L’article de Y______ avait certes été publié le 20 avril 2023, mais avait subi des modifications continuelles pour le rendre « plus vrai » jusqu’au 1er mai 2023.

g. Sur quoi, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1) 1.1 La chambre constitutionnelle est compétente pour connaître du recours – qui est un recours pour violation des droits politiques – en vertu de l’art. 124 let. b de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00), concrétisé en cette matière notamment par l’art. 130B al. 1 let. b de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05) et par l’art. 180 de la loi sur l’exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP - A 5 05).

1.2 Entrent dans le cadre des opérations électorales, et sont donc sujets à recours au sens de cette dernière disposition, tous les actes destinés au corps électoral, de nature à influencer la libre formation et expression du droit de vote telle qu’elle est garantie par les art. 34 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 44 Cst-GE (ACST/16/2023 du 25 avril 2023 consid. 1.2). La notion d’opérations électorales figurant à l’art. 180 LEDP est conçue largement : elle ne se réduit pas aux seules élections mais vise également les votations et englobe aussi bien les scrutins populaires eux-mêmes que les actes préparant ces derniers (ACST/3/2022 du 14 mars 2022 consid. 1). La constatation du résultat exact d’une élection, de même que le respect de la procédure en matière électorale font partie de la liberté de vote (ATF 140 I 394 consid. 8.2).

En l’espèce, le recours est formellement dirigé contre le résultat du scrutin du 30 avril 2023 – étant précisé que seul l’arrêté constatant les résultats du second tour de ladite élection a été adopté par le Conseil d’État le 3 mai 2023 et publié dans la FAO du 5 mai 2023, à l’exclusion de l’arrêté relatif à la validation de ces mêmes résultats, lequel n’a pas encore été adopté –, ce qui entre dans le cadre des opérations électorales, le recourant considérant que des irrégularités précédant le vote auraient faussé ledit résultat.

1.3 En tant que ressortissant suisse exerçant ses droits politiques à Genève, le recourant dispose de la qualité pour recourir (ACST/16/2023 précité consid. 2.2).

1.4 Le recours satisfait par ailleurs aux exigences de forme et de contenu posées par la loi (art. 64 et 65 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) 2.1 Les recours en matière de votations et d’élections doivent être formés dans les six jours (art. 62 al. 1 let. c LPA), délai non susceptible d’être suspendu (art. 63 al. 2 let. a LPA). Ce délai court dès le lendemain du jour où, en faisant montre à cet égard de la diligence commandée par les circonstances, le recourant a pris connaissance de l’irrégularité entachant, selon lui, les opérations électorales (ACST/16/2023 précité consid. 4.1).

2.1.1 Selon la jurisprudence constante rendue en matière de votations et d’élections, le citoyen qui veut s’en prendre aux dispositions de l’autorité fixant les modalités du vote doit en principe former son recours immédiatement, sans attendre le résultat du scrutin ; s’il omet de le faire alors qu’il en a la possibilité, il s’expose aux risques de la péremption de son droit de recourir. Dans de tels cas, le délai commence à courir au moment où l’intéressé a connaissance de l’acte préparatoire qu’il critique. Il serait contraire aux principes de la bonne foi et de l’économie de procédure démocratique que le recourant attende le résultat du vote pour attaquer les actes antérieurs dont il pourrait, encore avant le vote, faire cas échéant corriger l’irrégularité alléguée (ATF 147 I 194 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_221/2021 du 27 septembre 2021 consid. 3.3 ; ACST/16/2023 précité consid. 4.1). Si le délai de recours contre l’acte préparatoire n’est pas encore échu au moment du vote, le citoyen peut encore déposer son recours après celui-ci, mais avant l’expiration du délai (ATF 118 Ia 415 consid. 2), même si le vote a déjà eu lieu et qu’il n’est plus possible de remédier à l’irrégularité alléguée (ACST/6/2018 du 5 avril 2018 consid. 4c et les références citées ; Yvo HANGARTNER et al., Die demokratischen Rechte in Bund und Kantonen der Schweizerischen Eidgenossenschaft, 2ème éd., 2023, p. 1053 s n. 2635 s).

L’irrecevabilité qui sanctionne l’inobservation d’un délai de recours n’est pas constitutive d’un formalisme excessif prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst., une stricte application des règles relatives aux délais étant justifiée par des motifs d’égalité de traitement et par un intérêt public lié à une bonne administration de la justice et à la sécurité du droit (arrêt du Tribunal fédéral 1C_160/2021 du 27 septembre 2021 consid. 4.5.1 et les références citées). En matière de droits politiques, la brièveté des délais et la nécessité de leur stricte application se justifient également afin de permettre que les irrégularités puissent être, si possible, corrigées avant la votation en cause (ATF 121 I 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_365/2019 du 5 novembre 2019 consid. 2.2). Le principe de la bonne foi empêche lui aussi que le citoyen attende l’issue de la votation pour se plaindre d’une irrégularité (Bénédicte TORNAY, La démocratie directe saisie par le juge, Genève 2008, p. 28 et 36).

2.1.2 Les délais de réclamation et de recours fixés par la loi sont des dispositions impératives de droit public. Ils ne sont, en principe, pas susceptibles d’être prolongés (art. 16 al. 1, 1ère phr., LPA), restitués ou suspendus, si ce n’est par le législateur lui-même. Ainsi, celui qui n’agit pas dans le délai prescrit est forclos et la décision en cause acquiert force obligatoire. Les cas de force majeure restent toutefois réservés (art. 16 al. 1 2ème phr. LPA). Tombent sous cette notion les événements extraordinaires et imprévisibles qui surviennent en dehors de la sphère d’activité de l’intéressé et qui s’imposent à lui de l’extérieur de façon irrésistible (ACST/40/2021 du 30 novembre 2021 consid. 2b et les références citées).

2.2 En l’espèce, le recours, dirigé contre le résultat du second tour de l’élection du Conseil d’État qui s’est tenu le 30 avril 2023, a été déposé à un office de poste le 3 mai 2023.

Le recourant ne critique toutefois pas le résultat dudit scrutin en tant que tel, mais les irrégularités qui seraient intervenues durant la campagne électorale par la publication des articles de Y______ au sujet de I______« entre le 20 et le 30 avril 2023 », ce qui aurait conduit à sa non-élection. Outre le fait que le dernier article de Y______ a été publié non pas le jour du scrutin, mais le 28 avril 2023, sous la forme d’un dessin de presse, le raisonnement du recourant ne saurait être suivi. En effet, l’article de Y______ faisant état de l’enquête menée au sujet de I______a été publié le 20 avril 2023, ce dont les autres médias se sont fait l’écho le jour même et en particulier le lendemain, notamment en interrogeant l’intéressé et en lui permettant de se déterminer à ce sujet. Les articles subséquemment publiés par Y______ ne contiennent pas de nouveaux éléments ni de nouvelles révélations, mais ont trait au même complexe de faits, tel que rapporté par la publication du 20 avril 2023, à savoir une greffe pratiquée en 2006 sur un patient étranger qui aurait indûment pris la place d’un patient suisse décédé peu après, à laquelle ils tentent d’apporter des éclaircissements, notamment à la suite des déclarations de I______. L’on ne saurait ainsi considérer que le délai de recours ne pourrait partir qu’à compter du dernier article publié à ce sujet.

Le recourant n’indique pas, dans son recours, le moment à partir duquel il a eu connaissance de la publication de Y______ du 20 avril 2023. Il a toutefois produit dans son courrier du 12 mai 2023 la première version de l’article de Y______ du 20 avril 2023 à 17h00, laissant entendre qu’il avait pris connaissance de cet article le jour de sa publication. À cela s’ajoute que les médias se sont largement fait l’écho de cet article, et ce dès le jour de sa publication ainsi que le lendemain, notamment dans la presse mais également à la radio et à la télévision romande et locale. De plus, le MCG, parti politique sur la liste duquel le recourant était candidat pour l’élection du Grand Conseil du 2 avril 2023, a diffusé un communiqué de presse dans lequel il indiquait continuer à témoigner sa confiance à I______. Les autres partis politiques, membres de l’Alliance genevoise, liste sur laquelle figurait I______au second tour, en ont fait de même. Le recourant ne prétend du reste pas ne pas avoir eu connaissance des articles de presse en cause au moment de leur publication. C’est donc à compter du 20 avril 2023, voire au plus tard le 21 avril 2023, que le recourant avait connaissance de l’article de Y______ du 20 avril 2023.

Il lui appartenait ainsi d’invoquer immédiatement les irrégularités dont il se prévaut, sans attendre la tenue du scrutin – ce d’autant plus qu’il requiert, au moins partiellement, l’annulation de celui-ci –, afin de permettre de réparer le vice allégué et d’éviter un nouveau vote.

Le dies a quo du délai étant ainsi en l’espèce, dans l'hypothèse la plus favorable au recourant, le 21 avril 2023, le délai de recours venait à échéance le 27 avril 2023, si bien que le recours, posté le 3 mai 2018, est tardif, sans que le recourant invoque le moindre élément susceptible de constituer un cas de force majeure.

2.3 Il s’ensuit que le recours est irrecevable, ce qui rend sans objet les réquisitions de preuve formées par le recourant, à savoir les auditions sollicitées et les pièces dont il demande la production, lesquelles sont au demeurant sans lien avec le litige, puisque le recourant ne se prévaut d’aucune irrégularité concernant le dépouillement du scrutin.

Il n’y a pas non plus lieu d’ordonner la tenue d’une audience publique sollicitée par le recourant pour trancher le fond du litige, étant rappelé que le contentieux électoral ne tombe pas dans le champ de protection de l’art. 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101 ; ATF 133 I 100 consid. 4.6 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_138/2015 du 25 mars 2015 consid. 3 et les références citées), que les garanties minimales de l’art. 29 al 2 Cst. en matière de droit d’être entendu ne confèrent pas le droit d’être entendu oralement par l’autorité (ATF 140 I 68 consid. 9.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_503/2022 du 22 mars 2023 consid. 2) et que le recourant a pu exposer l’ensemble de ses arguments tant dans son recours que dans ses écritures des 12, 15 et 16 mai 2023 et de répliquer à la suite de la réponse de l’autorité intimée. Dans ce cadre, en matière de droits politiques les délais sont souvent très brefs (arrêt du Tribunal fédéral 1C_221/2021 précité consid. 3.3), ce d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, le résultat d’un scrutin est contesté et que la prestation de serment du Conseil d’État doit avoir lieu à brève échéance, soit le 31 mai 2023.

Il n’y a pas non plus lieu d’ordonner des mesures superprovisionnelles ou provisionnelles pour « interdire » la prestation de serment du Conseil d’État, vu ce qui précède.

3) Même à supposer que le recours soit recevable, il devrait de toute manière être rejeté pour les raisons exposées ci-après.

3.1 L’art. 34 al. 1 Cst. garantit de manière générale et abstraite les droits politiques, que ce soit sur le plan fédéral, cantonal ou communal. Selon l’art. 34 al. 2 Cst., qui codifie la jurisprudence rendue par le Tribunal fédéral sous l’empire de la Constitution fédérale du 29 mai 1874, cette garantie protège la libre formation de l’opinion des citoyens et l’expression fidèle et sûre de leur volonté (ATF 132 I 104 consid. 3.1). L’art. 44 Cst-GE contient un texte similaire.

3.1.1 Le Tribunal fédéral a déduit de cette garantie le droit pour chaque citoyen de participer à une élection, comme électeur ou candidat, avec les mêmes chances de succès, pour autant qu’il remplisse les exigences requises (ATF 125 I 441 consid. 2a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_160/2021 précité consid. 4.1). En d’autres termes, les élections ne doivent pas se résumer à une confirmation des forces politiques en présence, les électeurs devant, au contraire, pouvoir se former une opinion sur la base la plus libre et la plus complète possible (ATF 129 I 185 consid. 5). Ainsi, les autorités publiques doivent en principe s’abstenir de toute intervention lors d’élections, faute de quoi elles violent le droit à la libre formation de l’opinion contenu dans l’art. 34 al. 2 Cst. (ATF 124 I 55 consid. 2). Elles peuvent toutefois rectifier des informations manifestement fausses à condition de s’abstenir de toute propagande électorale ou de critiques à l’égard d’un candidat (ATF 117 Ia 452 consid. 3c) sans pour autant s’attribuer un rôle de conseiller du citoyen, l’État ne devant pas être assimilé à un groupe ou à des opinions particulières (ATF 124 I 55 consid. 2).

3.1.2 Selon la jurisprudence, des informations données par des particuliers durant la période précédant une votation peuvent influencer de manière inadmissible la formation de l’opinion des citoyens. Tel est le cas, par exemple, lorsque des informations manifestement inexactes ou fallacieuses sont diffusées à une date si proche du scrutin que les citoyens ne sont plus en mesure de se renseigner de manière fiable à d’autres sources (ATF 135 I 292 consid. 4.4.1 et les références citées). Lorsque les sources d’information sont nombreuses, il ne faut admettre que de manière particulièrement restrictive une intervention illicite avant un scrutin (Vincent MARTENET / Théophile VON BÜREN, L’information émanant des autorités et des particuliers en vue d’un scrutin, à l’aune de la liberté de vote, RDS 2013 I 57, p. 75).

Il ne se justifie qu’exceptionnellement d’annuler un scrutin lorsque de telles interventions sont en cause. En effet, l’usage, par les particuliers, d’arguments inexacts ou fallacieux, bien que répréhensible, ne peut être totalement exclu, dès lors qu’ils peuvent participer librement à la campagne et se prévaloir à cet égard de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Il appartient, en principe, aux électeurs d’opérer les distinctions nécessaires entre les différentes opinions exprimées, de reconnaître les exagérations manifestes et, ensuite, de forger leur propre conviction. L’annulation d’un scrutin et la répétition de la votation n’entrent en considération que dans des cas exceptionnels et on doit l’envisager avec une grande retenue ; il faut que les vices soient très graves et que leur influence sur le résultat soit manifeste ou à tout le moins très vraisemblable (ATF 135 I 292 consid. 4.4.1 ; ATF 119 Ia 271 consid. 3c ; Yvo HANGARTNER et al., op. cit., p. 1034 s n. 2598 ss).

3.2 En l’espèce, c’est en vain que le recourant invoque une violation du principe de la bonne foi, Y______ étant un journal privé, dépourvu de tout lien avec l’État. Ce média n’est pas non plus investi d’une tâche d’utilité publique. Seul doit donc être examiné si l’article de presse publié le 20 avril 2023 a pu influencer de manière inadmissible la formation de l’opinion des citoyens, selon la jurisprudence susmentionnée, qui n’admet une telle situation que de manière restrictive s’agissant de la diffusion d’informations émanant de particuliers.

Ces conditions ne sont en l’occurrence pas remplies. En effet, les informations publiées par Y______ dans son article du 20 avril 2023 au sujet d’une greffe pratiquée par I______en 2006 l’ont été dix jours avant le scrutin du 30 avril 2023. Dès le lendemain, soit le 21 avril 2023, I______s’est exprimé à ce sujet dans plusieurs médias, dont les journaux de la AC______ et de AD______, à savoir des médias de service public au sens de l’art. 4 de la loi fédérale sur la radio et la télévision du 24 mars 2006 (LRTV - RS 784.40) bénéficiant d’une large diffusion, et a donné sa version des faits, indiquant au demeurant avoir déposé une plainte pénale à l’encontre de Y______ et de ses journalistes. La presse a également relayé l’article de Y______, tout en ménageant une large place au point de vue de I______. À ces éléments se sont ajoutés le communiqué de presse de la fondation, dont le dernier a été relayé par AD______ le 27 avril 2023, ainsi que ceux du MCG et des partis politiques de l’Alliance genevoise, qui annonçaient maintenir leur soutien à leur candidat. Les citoyens ont ainsi été en mesure de se renseigner à d’autres sources au sujet des éléments portés à leur connaissance par Y______, de sorte à maintenir un équilibre dans le débat politique de l’« entre-deux-tours ». Il importe peu que Y______ ait, après son article du 20 avril 2023, mis en ligne sur son site internet des publications sur le même sujet, étant donné qu’elles n’apportaient pas d’éléments supplémentaires déterminants et concernaient le même complexe de faits. Il importe tout aussi peu qu’un Conseiller d’État ait partagé ladite publication par un « Tweet », en l’absence d’apparence officielle à cette intervention (ATF 130 I 290 consid. 3.3 arrêt du Tribunal fédéral 1C_424/2009 du 6 septembre 2010 consid. 3.1 non publié in ATF 136 I 404 ; ACST/21/2017 du 30 octobre 2017 consid. 6b).

Le recourant prétend que I______aurait été le candidat ayant le moins progressé au second tour, ce qui démontrerait l’influence qu’aurait exercée la publication de Y______ sur les citoyens. Le recourant perd toutefois de vue que ledit candidat a obtenu, au second tour, 42'006 voix, contre 29'575 au premier tour, effectuant ainsi une progression de 12'431 voix. À cela s’ajoute qu’au premier tour, I______se trouvait en huitième positions. L’on ne saurait par conséquent détecter dans le score obtenu par ce candidat lors du deuxième tour une influence manifeste ou très vraisemblable exercée par la publication contestée sur la formation de la volonté des citoyens.

4) Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge du recourant (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

déclare irrecevable le recours interjeté le 3 mai 2023 par A______ contre « la décision (non encore publiée dans la FAO) de validation des résultats de l’élection du 30 avril 2023 au Conseil d’État prise par le Conseil d’État sur la base du récapitulatif général établi par la Chancellerie et contrôlé par la commission électorale centrale » ;

met un émolument de CHF 1'000.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ ainsi qu’au Conseil d’État.

Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Blaise PAGAN, Valérie LAUBER, Philippe KNUPFER, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

 

C. GUTZWILLER

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. VERNIORY

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :