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Décisions | Chambre Constitutionnelle

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A/4053/2020

ACST/16/2021 du 22.04.2021 ( ABST ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4053/2020-ABST ACST/16/2021

COUR DE JUSTICE

Chambre constitutionnelle

Arrêt du 22 avril 2021

 

dans la cause

 

ASSOCIATION GENEVOISE DES ENTREPRISES D'ENTRETIEN DES TEXTILES

et

FÉDÉRATION DU COMMERCE GENEVOIS

et

FÉDÉRATION DES ENTREPRISES ROMANDES GENÈVE

et

GROUPEMENT PROFESSIONNEL DES RESTAURATEURS ET HÔTELIERS
NODE - NOUVELLE ORGANISATION DES ENTREPRISES DEPUIS 1922

et

A______ SA
représentés par Mes Nicolas Wisard et Bettina Fleischmann, avocats

contre

GRAND CONSEIL

et

COMITÉ D'INITIATIVE IN 173
représenté par Me Christian Bruchez, avocat


EN FAIT

1) L'Association genevoise des entreprises d'entretien des textiles (ci-après : AGETEX) est une association sise à Genève, dont le but statutaire est notamment de grouper les propriétaires d'entreprises d'entretien des textiles du canton de Genève et d'autres exploitations analogues, et de sauvegarder les intérêts professionnels communs et généraux de ses membres.

La Fédération du commerce genevois (ci-après : FCG) est une association sise à Genève, dont le but statutaire est notamment de grouper les associations patronales ou groupements locaux actifs dans le commerce, et de prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts de ses membres.

La Fédération des entreprises romandes Genève (ci-après : FER) est une association sise à Genève, dont le but statutaire est, parmi douze autres, de défendre les intérêts généraux de l'économie privée et ceux de ses membres.

Le Groupement professionnel des restaurateurs et hôteliers (ci-après : GPRH) est une association sise à Genève, dont le but statutaire est notamment de promouvoir et de défendre, collectivement ou individuellement, les intérêts de la profession et les activités de ses membres.

La NODE « Nouvelle organisation des entrepreneurs, depuis 1922 » (ci-après : NODE) est une association sise à Genève, dont le but statutaire est de promouvoir les intérêts communs de ses membres (économiques et sociaux), dans la mesure des moyens de se défendre, de mettre en place et d'assumer des services, et de les représenter auprès des autorités, des autres associations professionnelles et des partis politiques.

A______ SA (ci-après : la boulangerie) est une société anonyme inscrite au registre du commerce du canton de Genève depuis le 27 janvier 1992, dont le siège est à B______ et dont le but statutaire est l'exploitation de plusieurs boulangeries-pâtisseries et tea-rooms dans le canton de Genève.

2) Le 2 février 2018, plusieurs députés ont déposé au Grand Conseil un projet de loi (ci-après : PL) 12'267 « instaurant une loi sur le salaire minimum (Un salaire minimum cantonal pour lutter contre la pauvreté !) », qui prévoyait notamment un salaire minimum de CHF 23.- par heure pour les travailleurs accomplissant leur travail dans le canton, adapté chaque année au renchérissement sur la base de l'indice genevois des prix à la consommation (ci-après : IPC) du mois d'août de l'année précédente, l'indice de base étant celui du mois de janvier 2018.

Selon l'exposé des motifs relatif à ce PL, son objectif consistait à améliorer la situation précaire dans laquelle se trouvaient de nombreuses personnes à Genève au moyen de l'instauration d'un salaire minimum, qui permettait de lutter contre la pression à la baisse sur les salaires, la diminution des salaires à l'embauche et les revenus inférieurs au minimum vital pour un travail à plein temps. Si les travailleurs ne pouvaient décemment gagner leur vie grâce à leur salaire, ils étaient souvent voués à la précarité et au soutien de l'aide social, et ce malgré leur emploi. En effet, en 2016, 18 % des personnes à l'aide sociale étaient des travailleurs actifs dont les revenus n'atteignaient pas le minimum vital de l'aide sociale. Une telle situation menaçait la cohésion sociale et pouvait être évitée par l'introduction d'un salaire minimum permettant de garantir un niveau décent d'existence, de même que de franchir un pas vers l'égalité salariale, puisqu'une majorité de travailleurs pauvres était, à Genève, constituée de femmes.

3) Le 22 février 2018, le PL 12'267 a été renvoyé sans débat à la commission de l'économie (ci-après : la commission).

4) a. Le 9 avril 2018 a été publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) un avis selon lequel la communauté genevoise d'action syndicale (ci-après : CGAS) avait informé le Conseil d'État du lancement d'une initiative législative formulée intitulée : « 23 frs, c'est un minimum » (ci-après : l'IN 173) portant sur la modification suivante de la loi sur l'inspection et les relations du travail du 12 mars 2004 (LIRT - J 1 05) :

« Art.1, al. 4 (nouveau)

4 Elle institue un salaire minimum afin de combattre la pauvreté, de favoriser l'intégration sociale et de contribuer ainsi au respect de la dignité humaine. Elle définit le rôle de l'office, de l'inspection paritaire et des autres autorités concernées dans la mise en oeuvre des dispositions de la présente loi sur le salaire minimum.

 

Art. 2, al. 1 et 5 (nouvelle teneur)

1 Le département est chargé de l'application des dispositions légales mentionnées en préambule de la présente loi et des dispositions de la présente loi sur le salaire minimum, pour autant qu'elle ne soit pas expressément réservée ou attribuée à une autre autorité désignée par ces dernières, par la présente loi ou par d'autres lois cantonales.

5 L'office est suffisamment doté en personnel. Pour les tâches prévues aux chapitres II, IV, IVB et VI, il bénéficie d'au moins 1 poste d'inspecteur pour 10'000 salariés en se basant sur le répertoire des entreprises du canton de Genève visé à l'article 40, sous déduction des emplois publics.

 

Art. 23, al. 2bis (nouveau) et al. 3 (nouvelle formulation)

2bis Les usages ne peuvent en aucun cas prévoir un salaire minimum inférieur à celui fixé à l'article 39K.

3 Sauf exception reconnue par le Conseil de surveillance du marché de l'emploi, les conventions collectives de travail qui ont fait l'objet d'une décision d'extension sont réputées constituer les usages du secteur concerné. L'alinéa 2bis est réservé.

 

Chapitre IV B (nouveau) Salaire minimum

Art. 39I (nouveau) Champ d'application

Les relations de travail des travailleurs accomplissant habituellement leur travail dans le canton sont soumises aux dispositions du présent chapitre relatives au salaire minimum.

 

Art. 39J (nouveau) Exceptions

Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables :

a) aux contrats d'apprentissage au sens des articles 344 et suivants du code des obligations ;

b) aux contrats de stage s'inscrivant dans une formation scolaire ou professionnelle prévue par la législation cantonale ou fédérale. le Conseil de surveillance du marché de l'emploi statue en cas de litige relatif à l'admission d'une exception au sens de la présente lettre ;

c) aux contrats de travail conclus avec des jeunes gens de moins de 18 ans révolus.

 

Art. 39K (nouveau) Montant du salaire minimum

1 Le salaire minimum est de 23 F par heure.

2 Pour le secteur économique visé par l'article 2, alinéa 1, lettre d, de la Loi fédérale sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce (LTr) du 13 mars 1964, le Conseil d'État peut, sur proposition du Conseil de surveillance du marché de l'emploi, fixer un salaire minimum dérogeant à l'alinéa 1 dans le respect de l'article 1 alinéa 4.

3 Chaque année, le salaire minimum est indexé sur la base de l'indice des prix à la consommation du mois d'août, par rapport à l'indice en vigueur le 1er janvier 2018. Le salaire minimum prévu à l'alinéa 1 n'est indexé qu'en cas d'augmentation de l'indice des prix à la consommation.

4 Par salaire, il faut entendre le salaire déterminant au sens de la législation en matière d'assurance-vieillesse et survivants, à l'exclusion d'éventuelles indemnités payées pour jours de vacances et pour jours fériés.

 

Art. 39L (nouveau) Primauté par rapport aux salaires prévus par les contrats individuels, les conventions collectives et les contrats-type

Si le salaire prévu par un contrat individuel, une convention collective ou un contrat-type est inférieur à celui fixé à l'article 39K, c'est ce dernier qui s'applique.

 

Art. 39M Contrôle (nouveau)

1 L'office et l'inspection paritaire des entreprises sont compétents pour contrôler le respect par les employeurs des dispositions du présent chapitre.

2 Tout employeur doit pouvoir fournir en tout temps à l'office ou à l'inspection paritaire un état détaillé des salaires versés à chaque travailleur et du nombre correspondant d'heures de travail effectuées.

 

Art. 39N Sanctions (nouveau)

1 Lorsqu'un employeur ne respecte pas le salaire minimum prévu à l'article 39K, l'office peut prononcer une amende administrative de 30 000 F au plus. Ce montant maximal de l'amende administrative peut être doublé en cas de récidive.

2 L'office peut également mettre les frais de contrôle à la charge de l'employeur.

3 Lorsque l'employeur est une entreprise visée par l'article 25, les autres sanctions prévues à l'article 45 peuvent également être prononcées.

4 L'office établit et met à jour une liste des employeurs faisant l'objet d'une décision exécutoire. Cette liste est accessible au public.

 

Art. 45, al. 1 (nouvelle teneur)

1 Lorsqu'une entreprise visée par l'article 25 ne respecte pas les conditions minimales de travail et de prestations sociales en usage ou le salaire minimum prévu à l'article 39K, l'office peut prononcer :

a) une décision de refus de délivrance de l'attestation visée à l'article 25 pour une durée de 3 mois à 5 ans. La décision est immédiatement exécutoire ;

b) une amende administrative de 60 000 F au plus ;

c) l'exclusion de tous marchés publics pour une période de 5 ans au plus. »

b. Selon l'exposé des motifs figurant sur la formule de récolte de signatures, l'initiative prévoyait l'instauration d'un salaire minimum de CHF 23.- de l'heure pour toutes les branches, soit CHF 4'086.- par mois pour quarante-et-une heures de travail hebdomadaire, indexé au coût de la vie, des exceptions étant notamment prévues pour les jeunes en formation. À Genève, près de la moitié des travailleurs n'étaient pas protégés par une convention collective et dans plusieurs secteurs, les travailleurs qui en bénéficiaient percevaient des bas salaires, ce à quoi l'initiative voulait remédier, en contraignant les employeurs à accorder un salaire digne.

5) Par arrêté du 31 octobre 2018, publié dans la FAO du 2 novembre 2018, le Conseil d'État a constaté l'aboutissement de l'IN 173.

6) Par arrêté du 27 février 2019 publié dans la FAO du 1er mars 2019, le Conseil d'État a admis la validité de l'IN 173.

L'initiative respectait les conditions de forme et de fond. Elle était conforme au principe de clarté, même si la formulation de l'art. 39K al. 3 LIRT projeté manquait de précision s'agissant de la manière dont il fallait comprendre la référence à l'IPC du mois d'août, qui devait logiquement s'entendre comme le mois d'août de l'année précédente.

Le montant du salaire minimum retenu pouvait se fonder sur les prestations complémentaires cantonales (ci-après : PCC) genevoises, qui étaient destinées à couvrir les besoins vitaux, ce qui restait dans le cadre de la politique sociale. La méthode de calcul était la suivante : au montant de base déterminant pour couvrir les besoins sociaux, soit pour 2018 le revenu minimum cantonal d'aide social garanti par le versement des PCC, de CHF 25'661.-, venait s'ajouter le montant pour le loyer et les frais accessoires, de CHF 13'200.-, et celui pour l'assurance obligatoire des soins, soit la prime moyenne cantonale d'assurance-maladie de CHF 6'996.-. À ce total de CHF 45'857.-, qui correspondait au salaire minimum net, s'ajoutait encore le montant annuel pour les cotisations aux assurances sociales, estimé à CHF 4'800.65, ce qui donnait un revenu annuel brut de CHF 50'657.65, soit un salaire brut horaire de CHF 23.76 pour une personne seule, à raison d'une activité à plein temps de quarante-et-une heures hebdomadaires. Il en résultait que le montant de CHF 23.- par heure de l'IN 173 pouvait être motivé par des critères objectifs et raisonnables et demeurait dans le cadre posé par la jurisprudence pour que l'instauration d'un salaire minimum soit considérée comme relevant de la politique sociale admissible.

La volonté prépondérante des initiants était la poursuite de préoccupations de politique sociale, et non pas d'influer sur la libre concurrence, la fixation du montant du salaire minimum se situant à un niveau suffisamment bas, proche du revenu minimum résultant des systèmes d'assurance sociale, pour ne pas sortir du cadre de ladite politique sociale. L'initiative était dès lors conforme au principe de la liberté économique. Elle était également conforme à la liberté économique prise dans sa dimension individuelle, pour les mêmes motifs.

7) Le 27 février 2019 également, le Conseil d'État a déposé au Grand Conseil son rapport sur la prise en considération de l'IN 173, proposant son rejet sans lui opposer de contreprojet.

8) Le 7 octobre 2019, la commission a rendu son rapport concernant le PL 12'267 et l'IN 173, refusant l'entrée en matière du premier et proposant le rejet de la deuxième sans lui opposer de contreprojet.

Lors de ses travaux, la commission a notamment procédé à l'audition de représentants syndicaux, qui ont expliqué qu'à Genève, presque une personne sur dix, soit trente mille personnes, gagnaient moins de CHF 4'000.- par mois, ce qui ne suffisait pas pour subsister au regard du coût de la vie élevé dans le canton. Les femmes étaient deux fois plus touchées que les hommes par les bas salaires, puisque les deux tiers des salariés gagnant moins de CHF 4'000.- par mois pour une activité à plein temps étaient des femmes. Celles-ci étaient en outre représentées dans les gros secteurs d'emplois à bas salaire qu'étaient l'hôtellerie-restauration, le commerce de détail, le secteur des activités administratives et de soutien et le secteur des autres services personnels, comme la coiffure et la blanchisserie. C'était donc une question de dignité de permettre à l'ensemble de ces personnes d'être indépendantes de l'aide sociale ou d'autres institutions sociales, étant précisé que l'institution du salaire minimum permettait également de lutter contre le cumul des emplois (p. 3 s).

Elle a également procédé à l'audition d'un économiste, qui a expliqué qu'en 2016, le salaire médian d'un emploi à plein temps, pour quarante heures de travail par semaine, était de CHF 6'502.- bruts par mois pour l'ensemble de la Suisse et de CHF 7'278.- bruts par mois pour le seul canton de Genève. Dans la perspective d'un salaire minimum, il fallait tenir compte du fait que les salaires étaient plus élevés à Genève que dans le reste de la Suisse (secteurs mieux rémunérés, qualifications plus élevées, coût de la vie plus important, notamment pour le logement ; p. 22).

Le représentant de l'office cantonal de la statistique (ci-après : OCSTAT) a indiqué qu'un salaire minimum de CHF 23.- par heure, converti dans le système statistique, correspondait à CHF 3'987.- par mois, soit en dessous des deux tiers du salaire médian, qui était égal à CHF 4'852.- en 2016, c'est-à-dire en dessous du niveau de bas salaire qu'adoptaient généralement les statisticiens (p. 39). Durant la même année, 19,1 % des salariés avaient un salaire inférieur ou égal aux deux tiers du salaire médian, alors que 7,6 % des salariés percevaient un salaire inférieur à CHF 23.- par heure (p. 39, 45).

9) Lors de sa séance du 31 octobre 2019, le Grand Conseil a rejeté l'IN 173 et refusé de lui opposer un contreprojet, ce qui a été publié dans la FAO du 1er novembre 2019. Il a également rejeté le PL 12'267 lors du même débat.

10) Par arrêté du 20 mars 2020, publié dans la FAO du même jour, le Conseil d'État a annulé la votation cantonale du 17 mai 2020 portant notamment sur l'IN 173 en raison de la situation sanitaire liée à l'épidémie de Covid-19.

11) L'IN 173 a été soumise au vote lors du scrutin du 27 septembre 2020, à l'issue duquel elle a été acceptée par 58,16 % des citoyens. Ce résultat a été validé par arrêté du Conseil d'État du 14 octobre 2020, publié dans la FAO du 16 octobre 2020.

12) Par arrêté du 28 octobre 2020, publié dans la FAO du 30 octobre 2020, le Conseil d'État a promulgué la novelle correspondant au texte de l'IN 173, qui est entrée en vigueur le lendemain conformément à son texte, soit le 31 octobre 2020.

13) Le 28 octobre 2020 également, le Conseil d'État a adopté l'arrêté relatif au salaire minimum légal pour 2020 et 2021, publié dans la FAO du 30 octobre 2020, qui a la teneur suivante :

« Art. 1 Salaire minimum légal

1 Le salaire minimum brut visé à l'article 39K de la loi sur l'inspection et les relations du travail, du 12 mars 2004, est de 23 francs au 1er novembre 2020 et de 23.14 francs par heure au 1er janvier 2021, sous réserve des alinéas 2 et 3.

2 Dans le secteur de l'agriculture, le salaire minimum brut est de 16.90 francs au 1er novembre 2020 et de 17 francs par heure au 1er janvier 2021.

3 Dans le secteur de la floriculture, le salaire minimum brut est de 15.50 francs au 1er novembre 2020 et de 15.60 francs par heure au 1er janvier 2021.

 

Art. 2 Entrée en vigueur

Le présent arrêté entre en vigueur le 1er novembre 2020. »

14) Par acte expédié le 30 novembre 2020, l'AGETEX, la FCG, la FER, le GPRH, la NODE et la boulangerie (ci-après : les recourants) ont conjointement interjeté recours auprès de la chambre constitutionnelle de la Cour de justice (ci-après : la chambre constitutionnelle) contre la novelle issue de l'IN 173, concluant à titre préalable à l'octroi de l'effet suspensif au recours en tant qu'il était dirigé contre l'absence de dispositions transitoires, et principalement à l'annulation de la deuxième phrase de l'art. 39K al. 3 LIRT, et au constat que la novelle ne déploierait ses effets qu'à compter du 1er février 2021, le tout « sous suite de frais et dépens ».

En tant qu'il ne prévoyait que la possibilité d'une indexation à la hausse si l'IPC devait subir des variations négatives, contrairement à ce qui était le cas du salaire minimum du canton de Neuchâtel, l'art. 39K al. 3 LIRT violait la liberté économique dans sa dimension institutionnelle et individuelle, question n'ayant toutefois pas été abordée durant les travaux préparatoires. En effet, l'instauration d'un salaire minimum dépassant le montant des prestations versées par l'aide sociale cantonale ou les assurances sociales fédérales sortait du cadre de la politique sociale et constituait une mesure de politique économique, ce que la disposition litigieuse permettait en prévoyant que l'indexation du salaire minimum se faisait uniquement à la hausse. L'indexation du salaire minimum à l'IPC avait pour but de protéger le pouvoir d'achat des travailleurs au fil du temps en faisant évoluer le montant nominal à due concurrence. Or, l'indexation à la hausse exclusivement ne remplissait plus cette fonction, puisque le salaire minimum était alors déconnecté du calcul de base qui en faisait une mesure de politique sociale, ce qui en faisait également une mesure disproportionnée qui n'était pas sans conséquences économiques sur les entreprises et employeurs en cas de déflation. L'art. 39K al. 3, 2ème phr. LIRT devait ainsi être annulé, puisque sans cette disposition, une indexation tant à la hausse qu'à la baisse pouvait être effectuée.

L'absence de disposition transitoire violait les principes de la proportionnalité et de la bonne foi. La novelle issue de l'IN 173 était ainsi entrée en vigueur deux mois avant la fin d'une année civile et alors que le canton traversait une crise économique sans précédent. Les employeurs devaient dès lors supporter les conséquences économiques de l'ajustement salarial durant une période où ils n'avaient perçu aucun revenu, voire subi de substantielles pertes, un ajustement des prix dans la plupart des branches étant actuellement illusoires, de même qu'une restructuration des entreprises. En particulier, la résiliation ou la renégociation des rapports de travail du personnel ne pouvait pas être mise en oeuvre avant l'entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, ce qui nécessitait un temps d'adaptation. Il convenait ainsi d'accorder à tout le moins un délai transitoire d'au moins deux mois à compter de la promulgation de la loi, ce qui imposait un report de l'exigibilité, soit de l'entrée en vigueur, du salaire minimum légal jusqu'au 1er février 2021 à tout le moins.

15) Le 17 décembre 2020, le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable un recours déposé par les recourants contre l'arrêté de promulgation du 28 octobre 2020 (2C_1003/2020).

16) Le 15 janvier 2021, le comité d'initiative (ci-après : le comité) a conclu au rejet du recours, « avec suite de frais et dépens ».

La jurisprudence ne fixait pas « au centime près » la limite entre la politique sociale et la politique économique, une marge de manoeuvre étant laissée au législateur cantonal. Conformément aux pratiques généralement suivies dans le monde du travail, il n'existait pas d'indexation du salaire minimum à la baisse en cas de diminution de l'IPC, cas dans lequel le salaire restait inchangé jusqu'au moment où il dépassait à nouveau le niveau qui avait conduit à la précédente indexation. Étant donné que le calcul de l'indexation se faisait toujours par rapport à l'indice en vigueur le 1er janvier 2018, il était erroné d'affirmer que ce système permettait uniquement d'accumuler les majorations, ni qu'il visait à augmenter les salaires réels. Pour les rapports de travail en cours, une baisse du montant du salaire minimum légal ne permettait de toute façon pas aux employeurs de réduire unilatéralement pour le futur les salaires versés aux travailleurs, une modification des conditions de travail, défavorable au travailleur, supposant l'accord exprès de celui-ci. Faute d'un tel accord, il appartenait à l'employeur de résilier le contrat ; à défaut, les conditions antérieures restaient en vigueur. Une simulation basée sur l'évolution de l'IPC genevois depuis 2005 montrait qu'une baisse de celui-ci ne conduisait qu'à des écarts minimes par rapport au système, inusuel, prévoyant des indexations tant à la baisse qu'à la hausse. Par définition, un système d'indexation avait un caractère schématique, puisque l'indexation ne se faisait qu'une fois par année et en prenant en compte l'indice d'un mois de l'année précédente, ce qui conduisait à des indexations légèrement supérieures ou légèrement inférieures à celles qui auraient été appliquées si l'on avait pris en considération l'indice du mois d'entrée en vigueur de l'indexation. À cela s'ajoutait que l'IPC pris en compte dans le système schématique d'indexation prévu à l'art. 39K al. 3 LIRT ne reflétait pas toutes les charges pesant sur les travailleurs, puisque par exemple les primes d'assurance-maladie n'étaient pas prises en compte dans le calcul. Étant donné leur augmentation d'année en année, cet élément compensait largement l'absence d'indexation à la baisse calculée sur la base de l'IPC.

Compte tenu du long processus qui avait mené à l'entrée en vigueur de la novelle, aucun employeur ne pouvait, de bonne foi, se déclarer surpris par l'entrée en vigueur du texte, intervenue le 1er novembre 2020, ni prétendre n'avoir eu aucun moyen de s'y préparer. L'aboutissement de l'IN 173 était ainsi connu depuis fin octobre 2018, sa conformité au droit dès fin février 2019, et le report de la votation avait laissé un temps de préparation supplémentaire aux employeurs, ce d'autant que la novelle n'était entrée en vigueur que le 1er novembre 2020. L'argument en lien avec la situation épidémique était sans pertinence, puisque en cas de fermeture d'une entreprise, d'un établissement ou d'un commerce sur ordre des autorités, son personnel avait droit à une indemnité pour réduction de l'horaire de travail (ci-après : RHT) versée par l'assurance-chômage. Le report au 1er février 2021 de l'entrée en vigueur de la novelle n'était ainsi d'aucune utilité pour les entreprises contraintes de fermer.

17) La présidence de la chambre constitutionnelle a refusé d'octroyer l'effet suspensif au recours et réservé le sort des frais de la procédure jusqu'à droit jugé au fond.

18) Le Grand Conseil s'en est rapporté à justice sur le sort du recours, étant donné que ce dernier portait sur une initiative qu'il avait refusée.

19) Le 18 janvier 2021, le juge délégué a accordé aux parties un délai au 26 février 2021 pour formuler toutes requêtes ou observations complémentaires, après quoi la cause serait gardée à juger.

20) Le 26 février 2021, les recourants ont persisté dans les conclusions et termes de leur recours.

Le système d'indexation à la hausse exclusivement aboutissait à ce que l'évolution du salaire minimum soit déconnecté du calcul de base qui en faisait une mesure de politique sociale, si bien qu'il s'agissait alors d'une mesure de politique économique. Le fait que la différence entre la hausse et la baisse ne puisse représenter que des dizaines de centimes n'y changeait rien, puisque l'addition finale pour un employeur pouvait être importante et lui faire porter un effort disproportionné. En outre, rien ne garantissait que les chiffres afférents aux années 2005 à 2021 soient représentatifs de l'avenir ni que les fluctuations de l'IPC restent dans cette fourchette, des variations beaucoup plus significatives ne pouvant être exclues. Le système du salaire minimal relevait du droit public et se greffait sur les relations de droit privé entre les employeurs et les travailleurs et, si l'application à un travailleur du nouveau salaire minimum ne découlait pas de la loi elle-même, elle impliquait nécessairement une modification de son contrat de travail. Or, seules des dispositions légales valables pouvaient être incorporées dans les contrats de travail, si bien qu'en cas d'annulation de la disposition litigieuse, une variation à la hausse comme à la baisse du montant annuel du salaire minimum pouvait être mise en oeuvre sans contrevenir aux règles régissant le droit du travail.

Contrairement à ce que soutenait le comité, les RHT ne couvraient que 80 % du salaire des employés - bon nombre d'employeurs ayant continué à payer les 20 % restants -, ni les charges salariales dévolues à l'employeur. Il s'ensuivait que les employeurs devaient supporter les conséquences économiques de l'ajustement salarial durant une période où ils n'avaient perçu qu'un revenu très limité en raison de la fermeture de leurs commerces ou entreprises. Les mesures d'ajustement nécessitaient un délai d'adaptation, et donc une mise en vigueur différée du nouveau dispositif légal. Concrètement, ce report imposait un ajournement de l'exigibilité, c'est-à-dire de l'entrée en vigueur, du salaire minimum légal jusqu'au 1er février 2021 au moins.

21) Les intimés ne se sont pas déterminés à l'issue du délai imparti.

22) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) a. La chambre constitutionnelle est l'autorité compétente pour contrôler, sur requête, la conformité des normes cantonales au droit supérieur (art. 124 let. a de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE - A 2 00). Selon la législation d'application de cette disposition, il s'agit des lois constitutionnelles, des lois et des règlements du Conseil d'État (art. 130B al. 1 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

b. En l'espèce, le recours est formellement dirigé contre la novelle issue de l'IN 173 - soit une initiative populaire législative formulée qui s'est transformée en loi à la suite de son acceptation en votation populaire (art. 61 et 63 Cst-GE ; art. 122B et 123 de la loi portant règlement du Grand Conseil de la République et canton de Genève du 13 septembre 1985 - LRGC - B 1 01 ; art. 94 al. 3 de la loi sur l'exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 - LEDP - A 5 05 ; art. 6B de la loi sur la forme, la publication et la promulgation des actes officiels du 8 décembre 1956 - LFPP - B 2 05), sans que son texte puisse être modifié - et donc une loi cantonale qui a modifié la LIRT, et ce en l'absence de cas d'application (ACST/31/2020 du 2 octobre 2020 consid. 2a). Par ailleurs, le fait que l'arrêté validant l'IN 173 n'ait pas été attaqué par un recours permet néanmoins une remise en cause subséquente de la conformité de son texte par un recours contre la loi qui en est issue devant la chambre de céans (ACST/25/2020 du 27 août 2020 consid. 5).

2) Le recours a été interjeté dans le délai légal à compter de la promulgation de la novelle issue de l'IN 173, qui a eu lieu par arrêté du 28 octobre 2020, publié dans la FAO du 30 octobre 2020 (art. 62 al. 1 let. d et al. 3 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Le recours respecte également les conditions générales de forme et de contenu prévues aux art. 64 al. 1 et 65 LPA. En particulier, il contient un exposé détaillé des griefs des recourants (art. 65 al. 3 LPA).

En revanche, les conclusions ne sont recevables que dans la mesure où, dans le respect de la nature cassatoire du recours en contrôle abstrait des normes, elles tendent à l'annulation des normes contestées (ACST/25/2020 précité consid. 6). Tel n'est pas le cas de la conclusion visant à ce que la novelle ne déploie ses effets qu'à compter du 1er février 2021, puisque les recourants, ce faisant, demandent à la chambre de céans de modifier la loi litigieuse, et pas seulement de procéder à une interprétation conforme de son texte, une telle conclusion étant irrecevable. Même à supposer qu'elle le soit, elle devrait en tout état de cause être rejetée, en l'absence de toute violation des principes de la proportionnalité et de la bonne foi, les recourants n'ayant pu ignorer que la novelle entrerait en vigueur le lendemain de sa promulgation. Ils ont au demeurant disposé de suffisamment de temps pour s'y préparer, l'initiative dont elle est issue ayant été lancée en 2018, puis accepté en votation le 27 septembre 2020, après le report du scrutin de mai 2020, pour n'entrer en vigueur que le 31 octobre 2020.

3) a. A qualité pour recourir toute personne touchée directement par une loi constitutionnelle, une loi, un règlement du Conseil d'État ou une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce que l'acte soit annulé ou modifié (art. 60 al. 1 let. b LPA). L'art. 60 al. 1 let. b LPA formule de la même manière la qualité pour recourir contre un acte normatif et en matière de recours ordinaire. Cette disposition ouvre ainsi largement la qualité pour recourir, tout en évitant l'action populaire, dès lors que le recourant doit démontrer qu'il est susceptible de tomber sous le coup de la loi constitutionnelle, de la loi ou du règlement attaqué (ACST/25/2020 précité consid. 4a).

Lorsque le recours est dirigé contre un acte normatif, la qualité pour recourir est conçue de manière plus souple et il n'est pas exigé que le recourant soit particulièrement atteint par l'acte entrepris. Ainsi, toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés directement par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour a qualité pour recourir ; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 145 I 26 consid. 1.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_1149/2018 du 10 mars 2020 consid. 1.3).

La qualité pour recourir suppose en outre un intérêt actuel à obtenir l'annulation de l'acte entrepris, cet intérêt devant exister tant au moment du dépôt du recours qu'au moment où l'arrêt est rendu (ATF 142 I 135 consid. 1.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_682/2019 du 2 septembre 2020 consid. 6.2.2 ; ACST/4/2021 du 2 mars 2021 consid. 3a).

b. Une association ayant la personnalité juridique est habilitée à recourir en son nom propre lorsqu'elle est intéressée elle-même à l'issue de la procédure. De même, sans être touchée dans ses intérêts dignes de protection, cette possibilité lui est reconnue pour autant qu'elle ait pour but statutaire la défense des intérêts de ses membres, que ces intérêts soient communs à la majorité ou au moins à un grand nombre d'entre eux et que chacun de ceux-ci ait qualité pour s'en prévaloir à titre individuel (ATF 145 V 128 consid. 2.2 ; ACST/31/2020 précité consid. 4c). En revanche, elle ne peut prendre fait et cause pour l'un de ses membres ou pour une minorité d'entre eux (arrêt du Tribunal fédéral 1C_499/2020 du 24 septembre 2020 consid. 2).

c. En l'espèce, dès lors que la boulangerie exploite plusieurs boulangeries-pâtisseries et tea-rooms dans le canton de Genève et emploie du personnel, elle est directement concernée par la novelle issue de l'IN 173 qui institue un salaire minimum pour ses employés. Les associations recourantes ont pour but statutaire la défense des intérêts de leurs membres, lesquels auraient ainsi qualité pour recourir à titre individuel.

La chambre de céans entrera donc en matière sur le recours, dans la mesure de sa recevabilité.

4) À l'instar du Tribunal fédéral, la chambre constitutionnelle, lorsqu'elle se prononce dans le cadre d'un contrôle abstrait des normes, s'impose une certaine retenue et n'annule les dispositions attaquées que si elles ne se prêtent à aucune interprétation conforme au droit ou si, en raison des circonstances, leur teneur fait craindre avec une certaine vraisemblance qu'elles soient interprétées ou appliquées de façon contraire au droit supérieur. Pour en juger, il lui faut notamment tenir compte de la portée de l'atteinte aux droits en cause, de la possibilité d'obtenir ultérieurement, par un contrôle concret de la norme, une protection juridique suffisante et des circonstances dans lesquelles ladite norme serait appliquée. Le juge constitutionnel doit prendre en compte dans son analyse la vraisemblance d'une application conforme - ou non - au droit supérieur. Les explications de l'autorité sur la manière dont elle applique ou envisage d'appliquer la disposition mise en cause doivent également être prises en considération. Si une réglementation de portée générale apparaît comme défendable au regard du droit supérieur dans des situations normales, telles que le législateur pouvait les prévoir, l'éventualité que, dans certains cas, elle puisse se révéler inconstitutionnelle ne saurait en principe justifier une intervention du juge au stade du contrôle abstrait (ATF 146 I 70 consid. 4 ; 145 I 26 consid. 1.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_752/2018 du 29 août 2019 consid. 2 ; ACST/4/2021 précité consid. 4).

5) Les recourants contestent l'art. 39K al. 3, 2ème phr. LIRT en tant qu'il prévoit que le salaire minimum n'est indexé qu'en cas d'augmentation de l'IPC, ce qui serait contraire à la liberté économique dans sa dimension institutionnelle et individuelle.

6) L'art. 27 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) garantit la liberté économique. Cette liberté comprend notamment le libre choix de la profession, le libre accès à une activité économique lucrative privée et son libre exercice (al. 2). Elle a une fonction institutionnelle, en tant qu'elle exprime, conjointement avec d'autres dispositions constitutionnelles (notamment l'art. 94 Cst.), le choix du constituant en faveur d'un système économique libéral, fondé sur la libre entreprise et la concurrence, et une fonction individuelle, en tant qu'elle assure une protection contre les mesures étatiques restreignant la liberté d'exercer toute activité économique privée, exercée aux fins de production d'un gain ou d'un revenu, à titre principal ou accessoire, dépendant ou indépendant (ATF 143 II 598 consid. 5.1). Ces deux aspects, institutionnel et individuel, sont étroitement liés (ATF 145 I 183 consid. 4.1.1).

Des restrictions à la liberté économique sont admissibles, mais elles doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public prépondérant et respecter le principe de proportionnalité (art. 36 al. 1 à 3 Cst. ; ATF 143 II 598 consid. 5.1). Les dérogations au principe de la liberté économique, en particulier les mesures menaçant la concurrence, ne sont admises que si elles sont prévues par la Cst. ou fondées sur les droits régaliens des cantons (art. 94 al. 4 Cst. ; ATF 143 I 403 consid. 5.2). Contrairement aux mesures d'ordre économique, qui sont susceptibles d'entraver, voire même de déroger à la libre concurrence, les mesures étatiques poursuivant des motifs d'ordre public, de politique sociale (soit celles qui tendent à procurer du bien-être à l'ensemble ou à une grande partie de la population ou à accroître ce bien-être par l'amélioration des conditions de vie, de la santé ou des loisirs ; ATF 140 I 218 consid. 6) ou des mesures ne servant pas, en premier lieu, des intérêts économiques, sortent d'emblée du champ de protection de l'art. 94 Cst. (ATF 143 I 403 consid. 5.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_291/2018 du 7 août 2018 consid. 4.1).

7) a. Selon les recourants, la seule indexation à la hausse de l'IPC prévue par la disposition litigieuse ne répondrait pas à des motifs de politique sociale, mais relèverait de la politique économique.

Le Tribunal fédéral a toutefois jugé que le montant du salaire minimum cantonal devait se situer à un niveau relativement bas, proche du revenu minimal résultant des systèmes d'assurance ou d'assistance sociale, sous peine de sortir du cadre de la politique sociale pour entrer dans celui de la politique économique (arrêt du Tribunal fédéral 1C_357/2009 du 8 avril 2010 consid. 3.3) et qu'un salaire minimum se fondant sur les prestations complémentaires à l'assurance-vieillesse et survivants (ci-après : AVS) et à l'assurance-invalidité (ci-après : AI), destinées à la couverture des besoins vitaux, répondait à la préoccupation énoncée par la jurisprudence en se limitant au cadre de la politique sociale (ATF 143 I 403 consid. 5.4.3). Il n'en va pas différemment de la novelle, même si le montant du salaire minimum se fonde sur les PCC genevoises qui sont supérieures à celles octroyées par le droit fédéral (art. 2 al. 2 de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI du 6 octobre 2006 LPC - RS 831.30), dès lors qu'elles sont également destinées à couvrir les besoins vitaux, comme l'a, à juste titre, relevé le Conseil d'État dans son arrêté du 27 février 2019 sur la validité de l'IN 173.

Dans ce cadre, il ressort de la méthode de calcul utilisée pour parvenir à ce montant horaire minimum de CHF 23.-, résultant de l'arrêté du Conseil d'État précité, qu'au montant forfaitaire desdites prestations complémentaires, de CHF 25'661.-, a été ajouté un montant forfaitaire de CHF 13'200.- pour le loyer ainsi qu'un montant de CHF 6'996.- correspondant à la prime moyenne cantonale d'assurance-maladie, pour 2018, année du lancement de l'IN 173. Au total net ainsi obtenu, de CHF 45'857.-, a été ajouté le montant annuel pour les cotisations aux assurances sociales, estimé à CHF 4'800.65, ce qui donne un revenu annuel brut de CHF 50'657.65 pour une personne seule exerçant une activité à plein temps à raison de quarante-et-une heures par semaine, soit un salaire brut horaire de CHF 23.76, légèrement supérieur au montant résultant de la novelle.

Le montant du salaire minimum est ainsi suffisamment proche du revenu minimal d'assistance résultant de ce calcul pour être conforme à la jurisprudence en la matière, en laissant une certaine marge pour sa fixation. À cet égard, contrairement à ce que soutiennent les recourants, l'indexation à l'IPC n'en fait pas pour autant une mesure de politique économique, puisque ladite indexation n'entre pas en tant que telle dans le calcul pour établir ce salaire minimum. Les recourants ne peuvent pas davantage soutenir qu'une indexation, comme celle prévue à l'art. 39K al. 3, 2ème phr. LIRT, conduirait à une accumulation de majorations, puisqu'elle n'a pas lieu en l'absence d'augmentation de l'IPC et reste inchangée jusqu'à ce que l'IPC dépasse à nouveau le niveau ayant conduit à la précédente indexation. Par ailleurs, le fait que ladite disposition ne prévoie pas d'indexation à la baisse ne conduit pas à un autre résultat, le salaire horaire minimum fixé demeurant toujours suffisamment proche du revenu minimal d'assistance. L'on ne peut ainsi y déceler aucune mesure de politique économique, ce qui n'était du reste pas l'intention poursuivie par les initiants, dont le but était, par l'instauration d'un salaire minimum, de lutter contre la pauvreté à Genève et enrayer le phénomène des travailleurs pauvres, en leur permettant de vivre de leur emploi sans devoir recourir à l'aide sociale étatique.

b. S'agissant de la liberté économique prise dans sa dimension individuelle, dont les recourants se prévalent également, elle est restreinte par l'obligation issue de la novelle, qui impose aux employeurs l'obligation de verser aux travailleurs à bas revenu accomplissant leur activité dans le canton un salaire horaire minimum de CHF 23.-, indexé chaque année en cas d'augmentation de l'IPC. Introduit dans la LIRT, ladite mesure repose sur une base légale formelle et poursuit des objectifs de politique sociale, conformément à ce qui précède, soit un but d'intérêt public admissible au sens de l'art. 36 al. 2 Cst. Par ailleurs, on ne voit pas que l'acte attaqué porterait atteinte à l'essence de la liberté économique (art. 36 al. 4 Cst.).

Bien qu'alléguant que cette mesure serait disproportionnée, les recourants ne démontrent pas en quoi elle le serait, se limitant à évoquer des arguments relatifs à son opportunité, comme ses conséquences économiques sur les entreprises et les employeurs en cas de déflation. Dans un tel cas toutefois, aucune indexation à la hausse n'a lieu, et ce jusqu'à une nouvelle augmentation de l'IPC. La réglementation litigieuse fixe ainsi un mécanisme qui se situe à un niveau raisonnable, étant précisé qu'en tout état de cause, le salaire mensuel obtenu sur la base du salaire minimum de CHF 23.- se situe en dessous des deux tiers du salaire médian à Genève, à savoir en dessous du niveau de bas salaire généralement admis, si bien que même indexé à la hausse seulement, il demeure dans une proportion raisonnable par rapport à son but, qui est de lutter contre la pauvreté et la précarité des travailleurs, en leur évitant de devoir recourir à l'aide sociale. L'art. 39K al. 3, 2ème phr LIRT ne constitue par conséquent pas une atteinte disproportionnée à la liberté économique.

Il s'ensuit que le recours, entièrement mal fondé, sera rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

8) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'500.-, qui tient compte de la décision sur effet suspensif, sera mis à la charge solidaire des recourants, qui succombent (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne leur sera allouée, pas plus qu'au Grand Conseil, qui dispose de son propre service juridique et n'a pris aucune conclusion dans ce sens (art. 87 al. 2 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'500.- sera toutefois allouée au comité intimé, à la charge solidaire des recourants (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE CONSTITUTIONNELLE

rejette, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté conjointement le 30 novembre 2020 par l'Association genevoise des entreprises d'entretien des textiles, la Fédération du commerce genevois, la Fédération des entreprises romandes Genève, le Groupement professionnel des restaurateurs et hôteliers, la NODE « Nouvelle organisation des entrepreneurs, depuis 1922 » et A______ SA contre la novelle correspondant au texte de l'IN 173, promulguée par arrêté du 28 octobre 2020 publié dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève du 30 octobre 2020 ;

met un émolument de CHF 1'500.- à la charge solidaire des recourants ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 1'500.- au comité d'initiative IN 173, à la charge solidaire des recourants ;

dit qu'il n'est pas alloué d'autre indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss LTF, le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Mes Nicolas Wisard et Bettina Fleischmann, avocats des recourants, à Me Christian Bruchez, avocat du comité d'initiative IN 173, ainsi qu'au Grand Conseil.

Siégeant : M. Verniory, président, Mmes Krauskopf et Lauber, MM. Knupfer et Mascotto, juges.

Au nom de la chambre constitutionnelle :

la greffière-juriste :

 

 

C. Gutzwiller

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :