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Décisions | Cour d'appel du Pouvoir judiciaire

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CAPJ/3/2023

ACAPJ/5/2024 (1) du 24.06.2024 , Rejeté

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;RAPPORTS DE SERVICE DE DROIT PUBLIC;PÉRIODE D'ESSAI;RÉSILIATION;LICENCIEMENT ADMINISTRATIF;POUVOIR D'APPRÉCIATION;INTERDICTION DE L'ARBITRAIRE;PROPORTIONNALITÉ
Normes : Cst..117; LPAC.2; LPAC.6.al1; LOJ.41.al1.letJ
Par ces motifs

 

 

 

rÉpublique et canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

Cour d’appel du Pouvoir judiciaire

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrêt du 24 juin 2024

 

CAPJ 3_2023 ACAPJ/5/2024

 

 

 

 

Madame A______, recourante
représentée par Maître Claudio FEDELE, avocat

 

 

contre

 

 

La COMMISSION DE GESTION DU POUVOIR JUDICIAIRE, intimée


 

EN FAIT :

1.      A______ (ci-après : l’intéressée ou la recourante) a commencé à travailler le 15 janvier 2011 en tant que commise-greffière à temps partiel, puis à plein temps, au Ministère public du canton de Genève (ci-après : MP). En septembre 2011, son statut a changé pour celui de greffière. Le 1er juillet 2011, elle a acquis le statut d’employée puis celui de fonctionnaire, le 1er janvier 2013.

Dès le 1er juillet 2021, elle a accédé au statut de cadre, sa fonction étant devenue celle de « greffière-référente ».

2.      Au cours de ces années, les compétences professionnelles de l’intéressée ont toujours été qualifiées d’excellentes.

Un premier entretien d’évaluation et de développement du personnel (ci-après : EEDP) a eu lieu au mois d’avril 2011. L’intéressée avait rapidement assimilé les aspects généraux du métier. Les compétences étaient soit maîtrisées, soit « à améliorer », s’agissant d’aspects rédactionnels et orthographiques. Le critère « communication » était maîtrisé.

L’EEDP réalisé au mois d’août 2012 relevait aussi les compétences et l’investissement de l’intéressée. S’agissant du critère « communication », il était mentionné que l’intéressée « est une personne franche et qui va droit au but, tout en respectant les procureurs, les justiciables et la hiérarchie. Il lui arrive toutefois parfois de parler de manière un peu sèche à ses collègues ou à sa hiérarchie. Elle doit, dans ces cas-là, faire preuve d’un peu plus de réflexion et être attentive à son franc-parler ».

Un troisième EEDP a eu lieu au mois de janvier 2013, dans lequel les excellentes compétences professionnelles, de même que la qualité de l’investissement de l’intéressée étaient relevées. Il était précisé que cette dernière avait tenu compte des remarques faites au sujet de son style de communication, qualifié de direct lors de l’EEDP précédent.

Un dernier EEDP a été réalisé au mois d’octobre 2018, qui relevait les excellentes capacités professionnelles de l’intéressée. Elle coachait des nouveaux collaborateurs dès 2012 et elle faisait montre d’une grande pédagogie en étant très patiente avec eux, expliquant clairement les différents actes et s’adaptant à ses interlocuteurs. Il était proposé que l’intéressée soit promue à la fonction d’experte-référente. S’agissant de la rubrique « compétences interpersonnelles », un objectif avait été fixé, soit « continuer à développer ses compétences en matière de transmission de connaissances notamment en améliorant la qualité de sa communication en s’appropriant et en intégrant de manière consciente les principes de l’écoute active qui représentent des clés indispensables pour une communication efficace ».

3.      L’intéressée a participé aux formations suivantes :

·         « prévenir le stress et se protéger de la violence » au mois d’avril 2012 ;

·         « module de procédure pénale » au mois de janvier 2013 ;

·         « construire, animer et évaluer une formation » les 6 et 13 mai 2019 ;

·         « la posture du formateur, instaurer un climat favorable à l’apprentissage » le 3 juin 2019.

4.      Par décision du 30 juin 2021, la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire (ci-après : la Commission) a prononcé une sanction disciplinaire à l’encontre de l’intéressée, laquelle avait été condamnée pénalement pour avoir violé son secret de fonction : le retour au statut d’employée en période probatoire, jusqu’au 30 juin 2023.

Pendant l’enquête pénale, la recourante avait été déplacée dans une autre juridiction. À son terme, elle a retrouvé sa fonction de greffière-référente au MP.

5.      Le 20 avril 2023, B______, collaboratrice du MP depuis le printemps 2015 et greffière-référente depuis le mois de janvier 2023, a demandé à s’entretenir et a été reçue par C______, l’un des responsables de secteur des greffières et greffiers. Elle était accompagnée de D______, greffière-référente au MP.

En substance, elle lui a indiqué qu’elle faisait l’objet, en présence de tiers, de moqueries blessantes – présentées comme étant des plaisanteries – provenant de l’intéressée et d’un autre greffier-référent, E______. L’intéressée se montrait régulièrement cassante et générait en elle un sentiment de peur, ressenti par d’autres collaboratrices également. L’intéressée et E______ parlaient régulièrement de certaines collègues en termes vulgaires.

Au terme de cet entretien, B______ a refusé que son témoignage soit transmis à la directrice du MP. C______ lui a suggéré d’en parler directement à l’intéressée.

6.      Le 24 avril 2023, B______ a communiqué à C______ que l’intéressée, avec qui elle avait échangé, ne semblait pas vouloir se remettre en question. Le responsable de secteur lui a alors indiqué que sa dénonciation serait soumise à la directrice du MP.

7.      C______ a entendu, le 26 avril 2023, deux autres greffières, à savoir F______ et G______, lesquelles ont indiqué que l’intéressée, très compétente, s’adressait à elles ou parlait d’autres personnes travaillant au MP, de manière peu respectueuse, voire dégradante.

Il a mis au propre les notes qu’il avait prises, sous forme de fiches d’entretiens. Le contenu de ces documents sera repris dans la partie « en droit » du présent arrêt, si nécessaire.

8.      La directrice des ressources humaines du Pouvoir judiciaire, ainsi que la directrice du MP ont entendu divers collaborateurs et collaboratrices, à savoir B______, D______, H______, I______, F______, J______ et K______.

Les éléments recueillis seront, en tant que de besoin, détaillés dans la partie « en droit » du présent arrêt.

9.      Le 12 mai 2023, la directrice du MP a convoqué l’intéressée à un entretien fixé au 22 mai 2023, en présence de la directrice des ressources humaines du Pouvoir judiciaire.

La fin des rapports de service était envisagée, au vu des plaintes reçues, selon lesquelles l’intéressée adoptait parfois une attitude ressentie comme dénigrante et humiliante – certaines des personnes entendues avaient indiqué craindre de venir vers elle – et elle utilisait régulièrement un vocabulaire inadéquat et vulgaire. Si ces éléments étaient avérés, ils pourraient être constitutifs de violation des devoirs de service et d’atteinte à la personnalité des collaboratrices et collaborateurs, aptes à entraîner la résiliation des rapports de service.

L’intéressée était priée de ne pas évoquer cette convocation avec les membres du personnel du MP.

10.   Lors de l’entretien du 22 mai 2023, les reproches recueillis ont été brièvement rappelés à l’intéressée.

Un compte-rendu de l’entretien, reprenant sur près de 10 pages les reproches qui lui avaient été faits, lui a été adressé le 26 mai 2023. Il était de nouveau demandé à l’intéressée de ne pas évoquer la procédure avec les membres du personnel du MP. Un délai échéant au 5 juin 2023, non prolongeable, lui a été octroyé afin qu’elle se détermine, ce qu’elle a fait à cette date de manière circonstanciée.

11.   Par décision du 15 juin 2023, la Commission a résilié les rapports de service de l’intéressée. Cette dernière avait été sanctionnée disciplinairement par une décision de retour au statut d’employée. Les comportements reprochés à l’égard de certaines et certains de ses collègues constituaient des violations des devoirs de service et des atteintes à la personnalité desdits collègues.

Elle était libérée de son obligation de travailler dès le prononcé de cette décision.

12.   Le 16 juillet 2023, l’intéressée, agissant en personne, a recouru contre la décision précitée devant la Cour d’appel du Pouvoir judiciaire (ci-après : la Cour), concluant, au fond, à l’annulation de cette décision et à ce qu’elle soit réintégrée dans ses fonctions de greffière-référente.

Elle sollicitait l’audition de 36 personnes nommément citées, ainsi que de l’ensemble des greffières et greffiers du MP.

13.   Le 15 août 2023, un avocat s’est constitué pour la recourante et a transmis à la Cour une écriture complémentaire, reprenant, développant et complétant le recours initial. C______ était chef de secteur, mais la cheffe de secteur responsable de B______ et de la recourante était L______.

La décision litigieuse violait le droit d’être entendu de l’intéressée, dès lors que son employeur ne lui avait pas rappelé, lors de la convocation à l’entretien du 22 mai 2023, la possibilité de se faire accompagner par une personne de son choix. Elle avait en conséquence été privée de la possibilité d’être assistée et de se défendre efficacement, et probablement différemment, avant le prononcé de la décision.

Le principe de la proportionnalité n’avait pas été respecté. Aucun EEDP n’avait eu lieu depuis le retour de l’intéressée au statut d’employée. Si de tels entretiens avaient été programmés comme ils auraient dû l’être, l’intéressée aurait vu ses capacités, la qualité de son travail et ses compétences évaluées, et des objectifs auraient pu lui être fixés notamment sur la qualité des interactions avec ses collègues. Si un retour concernant son attitude ou son langage lui avait été transmis, elle en aurait tenu compte et aurait procédé aux corrections nécessaires. Le licenciement avait été prononcé sans tenir compte de la qualité des services rendus par la recourante pendant toute la période où elle avait travaillé au MP. Aucune autre alternative, telle qu’un retour à la fonction de greffière de cabinet, cas échéant dans une autre juridiction, n’avait été envisagée.

En dernier lieu, la décision était arbitraire, car fondée sur une instruction secrète et précipitée, seuls les témoignages à charge ayant été retenus.

Préalablement, l’avocat demandait qu’une magistrate et 14 collaboratrices et collaborateurs du MP soient auditionnés par la Cour.

14.   Par acte daté du 28 septembre 2023 et reçu par la Cour le 4 octobre 2023, la Commission a conclu au rejet du recours dans la mesure de sa recevabilité et à ce qu’il soit pris acte, en tout état, de son refus de réintégrer l’intéressée ; enfin, les frais de la procédure devaient être mis à la charge de cette dernière.

L’intéressée avait eu l’occasion de s’exprimer et de déposer des observations circonstanciées dans un délai de 10 jours, après avoir été informée des faits qui lui étaient reprochés et des conséquences envisagées dès le 12 mai 2023.

Dès lors qu’elle était employée, et non fonctionnaire, il n’y avait pas lieu de procéder à une tentative de reclassement. Il n’était pas nécessaire de démontrer un motif objectivement fondé pour la licencier pendant la période probatoire. L’administration disposait d’un large pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de la poursuite ou de l’interruption des rapports de service.

Les faits reprochés à l’intéressée justifiaient la mesure prise, et aucune mesure moins incisive n’aurait permis d’atteindre les mêmes résultats. Les témoignages et les preuves recueillis indiquaient que le comportement de l’intéressée excluait la continuation des rapports de service. La décision n’était en conséquence pas arbitraire.

Si par impossible la décision devait être annulée par la Cour, la Commission s’opposait à la réintégration de la recourante, et si une indemnité devait lui être versée, elle ne pourrait excéder six mois de traitement.

15.   Le 7 novembre 2023, les parties ont été entendues en audience de comparution personnelle.

Lors de la première procédure disciplinaire, la recourante avait été déplacée brièvement au tribunal civil puis elle avait repris tant ses fonctions de greffière pour la procureure M______ que celles de greffière-référente.

Lors de l’entretien du 22 mai 2023, elle n’avait pas été autorisée à contacter les personnes affectées par son mode de communication pour leur présenter ses excuses. Il lui avait été interdit de parler de la procédure à quiconque. Elle avait respecté cette interdiction à la lettre, ne consultant même pas un avocat.

Elle n’a plus été évaluée depuis 2018, date de sa nomination en qualité de greffière-référente.

Elle n’avait pas été informée des problèmes de communication qui lui étaient maintenant reprochés. Une seule collègue lui avait un jour exprimé son mécontentement concernant sa manière de communiquer, et elle lui avait immédiatement présenté ses excuses.

À la suite de son licenciement, elle avait souffert d’une profonde dépression, entraînant une perte de poids, des difficultés à lire et à écrire, des insomnies et des migraines.

Son travail au MP la passionnait, et elle s’y était beaucoup investie.

Les représentantes de la Commission ont expliqué les mesures proposées à la recourante, en particulier la possibilité d’être reçue par la Cellule santé, pendant le processus de licenciement. Elles n’avaient pas d’explication concernant l’absence d’EEDP pendant des années. La directrice des ressources humaines a indiqué qu’à la suite de problèmes de communication, l’intéressée avait assisté à une séance avec les formateurs du MP, à l’automne 2018, pour leur rappeler de manière collective leurs devoirs en matière de communication. La recourante y avait assisté. Une enquête administrative avait été ordonnée à l’encontre de E______, dont le rapport venait d’être remis à la Commission.

16.   Les 16 et 20 novembre 2023, les parties ont transmis leurs listes de témoins.

La recourante demandait à la Cour d'entendre la procureure à laquelle elle était rattachée et dix membres du personnel du MP. Elle avait pris bonne note du fait que la Cour n’ordonnerait pas, en l’état, l’apport de l’enquête administrative contre E______. Un tel apport n’aurait de sens que si les personnes entendues avaient été interrogées au sujet de la recourante, ce qui aurait été déloyal en son absence.

La Commission, quant à elle, souhaitait entendre onze personnes de cette même juridiction. Elle a de plus précisé que la séance collective avec les formateurs du MP avait eu lieu le 8 novembre 2018.

17.   Le 22 janvier 2024, la Cour a tenu une audience d’enquêtes. Les détails des déclarations recueillies seront repris, en tant que de besoin, dans la partie « en droit » du présent arrêt.

a.    N______, greffière-référente, a exposé ses relations professionnelles avec la recourante. Elle n’avait jamais entendu de plainte concernant cette dernière avant 2023. L’ambiance de travail était détendue ; des échanges, parfois un peu grivois, avaient lieu, auxquels tout le monde participait.

b.    B______ a décrit un environnement de travail difficile. Elle s’était sentie harcelée moralement par la recourante. Elle avait ressenti un malaise croissant. Il y avait aussi des tensions avec E______. Elle avait cherché de l’aide auprès de C______. La situation avait entraîné des répercussions psychologiques, péjorant sa santé mentale et son bien-être professionnel. Au terme de l’audience, elle a déposé des copies d’écran de conversations tenues sur un réseau social.

c.    M______ était la procureure avec laquelle la recourante travaillait. Elle ne l’avait jamais entendue tenir des propos dénigrants ou cassants. Elle n’avait pas entendu de plaintes à l’encontre de sa greffière. Elle avait constaté un malaise chez la recourante depuis la fin du mois d’avril 2023, mais n’avait pas pu en savoir la cause, l’intéressée évitant de répondre. À cette époque, la directrice du MP lui avait demandé de ménager sa greffière, sans lui donner plus d’explication et en précisant, à sa demande, que l’intéressée n’était pas autorisée à lui expliquer le problème. Elle n’avait pas constaté l’utilisation d’un langage à connotation sexuelle, ou l’existence de clans au sein du MP.

d.    C______, responsable de secteur, a confirmé la teneur des notes d’entretien qu’il avait rédigées. Il avait pris des notes et les avait fait relire aux personnes concernées, sans leur faire signer le document. B______ était en souffrance lorsqu’elle était venue lui parler, accompagnée de D______. Elle se sentait harcelée par la recourante. Il avait aussi entendu les collègues mentionnées par B______, à savoir G______ et F______. Avant la venue de B______, il n’avait pas recueilli de plaintes concernant l’intéressée. Il avait transmis ces informations à sa hiérarchie en raison de la gravité des accusations.

e.    O______, directrice du MP, a été entendue. Lorsqu’elle avait reçu les informations de C______, elle avait – avec la directrice des ressources humaines du Pouvoir judiciaire – entendu une dizaine de personnes. Elle avait ensuite convoqué la recourante pour lui exposer et lui expliquer les reproches qui lui étaient faits. Lors de l’entretien du 22 mai 2023, la recourante avait admis avoir tenu des propos vulgaires et dénigrants. Avec l’accord de cette dernière, la directrice du MP avait expliqué à M______ que sa greffière rencontrait des difficultés, sans donner de détails.

Elle avait demandé à l’intéressée de ne pas évoquer la situation avec les membres du personnel du MP afin de protéger les personnes qui avaient été entendues. Elle avait aussi fait cette demande à B______, mais pas aux autres personnes entendues, car elle considérait que ces entretiens étaient manifestement confidentiels.

18.   Le 30 janvier 2024, le conseil de la recourante a transmis à la Cour un message vocal adressé par B______ à la recourante à la fin du mois de mars 2023, par la voie d’un réseau social. B______ s’excusait d’être partie à la fin d’une soirée sans lui dire au revoir et lui souhaitait de bien s’amuser au cours de la nuit, d’une manière enjouée et grivoise.

19.   Le 20 mars 2024, la Cour a entendu P______, greffière. Elle avait été très proche de B______ depuis son arrivée au MP au mois de mai 2022, jusqu’à ce que leurs relations se limitent à des contacts cordiaux et professionnels à mi-avril 2023. Cette dernière lui avait parlé de difficultés familiales, ainsi que de celles qu’elle rencontrait au travail avec la recourante. Le 22 avril 2023, P______ avait passé la soirée avec B______ et la recourante. Il n’y avait pas de tension entre les personnes présentes.

Les messages qu’elle avait adressés à B______, produits par cette dernière lors de son audition, lui ont été soumis. Elle ne les écrirait plus ainsi, car lesdits messages réagissaient à des informations qui lui avaient été rapportées et dont elle s’était rendu compte qu’elles n’étaient pas véridiques. Quant à elle, elle n’avait pas entendu d’autres greffiers se plaindre de la recourante.

20.   Le 18 avril 2024, l’autorité intimée a, à la suite des enquêtes, maintenu ses conclusions initiales. La fin des rapports de service, initialement fixée au 30 septembre 2023, avait été reportée au 31 mars 2024, pour des raisons de maladie. Les enquêtes avaient confirmé le bien-fondé de la décision litigieuse. Malgré l’absence d’EEDP récente, l’intéressée était au courant de ses carences dans le domaine de la communication.

Le droit d’être entendue de la recourante avait été respecté. Elle n’avait jamais été découragée de consulter un avocat, bien qu’elle ne disposât pas du droit de se faire accompagner d’un conseil le 22 mai 2023. La seule interdiction de communication qui lui avait été faite concernait les membres du personnel du MP, ce qui l’autorisait à échanger avec sa procureure, son ex-mari ou d’autres tiers.

21.   Le même jour, la recourante a aussi maintenu ses conclusions antérieures, et développé son argumentation, au vu du contenu des enquêtes. Le dossier administratif produit par l’autorité intimée démontrait, au cours des années, la qualité des prestations qu’elle avait fournies et le fait qu’elle avait pris en compte les éventuelles carences qui lui avaient été signalées. Elle n’aurait pas pu accéder au poste de greffière-référente experte si un problème de communication existait. Le Pouvoir judiciaire n’avait pas procédé à un EEDP pendant cinq ans, ce qui démontrait aussi cette absence de problèmes.

22.   À la demande de la recourante, la Cour a tenu une audience de plaidoirie le 3 juin 2024.

Bien que la recourante ne soit pas fonctionnaire, il fallait tenir compte de l’ensemble des années où elle avait œuvré au MP. Ses qualités dans la fonction de greffière n’étaient pas contestées, et elle avait l’entière confiance de ses supérieurs avant que B______ ne parle à C______. Le témoignage de ce dernier était sujet à caution, car il avait fait état d’éléments qu’il n’avait pas mentionnés antérieurement. Il en allait de même pour le témoignage de B______, laquelle avait préparé des documents à charge, pour les remettre à la Cour. Les déclarations de O______ selon lesquelles l’intéressée était autorisée à parler de la procédure en cours à sa procureure étaient contredite par le témoignage de cette magistrate. Au surplus, l’intéressée n'avait jamais nié son franc-parler, qui selon elle, ne constituait pas des atteintes à la personnalité. En conclusion, la décision mettant fin aux rapports de service est choquante et disproportionnée.

L’autorité intimée a, de son côté, souligné trois points. Premièrement, la recourante était employée au moment du prononcé de la décision litigieuse, la décision disciplinaire à l’origine de la destitution du statut de fonctionnaire n’ayant jamais été contestée, ce qui a aujourd’hui des conséquences. Deuxièmement, des difficultés objectives avaient été constatées ; de nombreuses personnes s’étaient plaintes du comportement et du langage de l'intéressée. Cette dernière savait que son franc-parler, qui n’est pas contesté, pouvait heurter et avait en conséquence conscience qu'elles devaient faire attention, ce qui prouve qu'elle ne peut aujourd'hui soutenir que rien ne lui avait été dit. Au surplus, aucun des témoignages n’avait été préparé pour l’audition par le Pouvoir judiciaire. Enfin, un EEDP plus récent n’aurait pas permis de découvrir l’ampleur du problème, et n’aurait pas eu d’effet sur la décision. Le suivi d’une formation portant sur la protection de la personnalité, les entretiens informels avec L______ n'avaient d’ailleurs servi à rien.

Ce dernier élément a été contesté par la recourante dans son ultime prise de parole, soulignant qu’elle ne savait rien et que l’art. 72 du règlement du personnel du pouvoir judiciaire, du 5 novembre 2020 (RPPJ – E 2 05.50), relatif au contenu de l’EEDP était ainsi vidé de son sens.

Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

 

EN DROIT :

1.      À teneur de l’art. 138 let. b de la loi genevoise sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ – E 2 05), la Cour est compétente pour connaître des recours dirigés contre les décisions de la Commission en tant qu’elles touchent aux droits et obligations des membres du personnel du Pouvoir judiciaire.

La Loi sur la procédure administrative, du 12 septembre 1985 (LPA – E 5 10), est applicable aux procédures relevant de la compétence de la Cour (art. 139 al. 1 LOJ).

Le recours a été interjeté dans les formes et dans le délai prescrits par la loi (art. 62 al. 1 let. a, art. 64 al. 1 et art. 65 al. 1 et 2 LPA), auprès de l’autorité compétente pour en connaître. Il est en conséquence recevable.

2.      L’art. 117 de la constitution de la république et Canton de Genève, du 14 octobre 2012 (Cst-GE – A 2 00) garantit l’autonomie du Pouvoir judiciaire (al. 1) et l’indépendance des magistrates et des magistrats (al. 2).

L’art. 52 LOJ indique que le personnel du Pouvoir judiciaire est rattaché hiérarchiquement à la Commission, soit par délégation au Secrétaire général (al. 1). L’al. 2 let. a de cette disposition soumet ce personnel à la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du Pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux, du 4 septembre 1997 (LPAC – B 5 05).

Un projet de modification de la LOJ, déposé par le Conseil d’État le 14 avril 2009 afin de concrétiser l’autonomie du Pouvoir judiciaire, prévoyait expressément que ce personnel serait aussi soumis aux dispositions d’exécution de la LPAC (art. 51 al. 2 let. a du PL 10462 – MGC 2008-2009/VIII A 10922). Il ressort du rapport de majorité de la commission judiciaire du Grand Conseil que cette question avait largement été débattue, cette dernière ayant finalement décidé de supprimer la référence à la réglementation d’application de la LPAC et d’introduire, dans la disposition énumérant les compétences de la Commission, une lettre – soit l’art. 41 al. 1 let. j LOJ – accordant à cette dernière la compétence d’édicter les règlements nécessaires à l’exercice de ses compétences, notamment en matière de personnel (art. 41 al. 1 let. j LOJ). Il s’agissait de clarifier la situation « pour éviter que le Conseil d'État estime les règlements applicables tandis que le Pouvoir judiciaire estimerait qu'ils ne le sont pas » (MGC 2008-2009/XII A 16036).

Les membres du personnel du Pouvoir judiciaire sont donc soumis à la LPAC. À ce titre, ils relèvent de l’autorité de la Commission (art. 2 al. 3 LPAC). Cette dernière est l’autorité d’engagement et de nomination (art. 10 al. 1 LPAC). Elle peut déléguer au Secrétaire général la compétence de procéder à l’engagement et à la nomination des membres du personnel dudit pouvoir (art. 11 al. 3 LPAC), de même que la compétence de résilier les rapports de service (art. 17 al. 4 LPAC). Les membres de ce personnel sont également soumis au RPPJ.

En revanche, le règlement d’application de la LPAC, du 24 février 1999 (RPAC – B 5 05.01), ne leur est pas applicable.

Il ressort de ce qui précède que le litige doit être analysé en appliquant la LPAC et le RPPJ, la recourante étant soumise à ces textes.

3.      Tel qu’il est garanti par l’art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse, du 18 avril 1999 (Cst. – RS 101), le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour l’intéressé d’offrir des preuves pertinentes, de prendre connaissance du dossier, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 73, consid. 7.2.2.1 ; 142 III 48, consid. 4.1.1) Le juge peut cependant renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167, consid. 4.1). Le droit d’être entendu découlant de l’art. 29 Cst. ne garantit pas, de façon générale, le droit d’être entendu oralement (ATF 140 I 68, consid. 9.6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_67/2023 du 20 septembre 2023, consid. 3.1) ni celui d’obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425, consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_521/2022 du 26 avril 2023, consid. 4.2).

En l’espèce, la recourante et l’autorité intimée ont sollicité de nombreuses auditions de témoins. La Cour a procédé à six auditions. Les parties ont eu l’occasion de s’exprimer, tant par écrit que lors des audiences de comparution personnelle et de plaidoirie. En tenant compte du statut d’employée de la recourante, ces actes d’instruction ont permis à la Cour de forger sa conviction, sans que d’autres actes d’instruction soient aptes à la modifier.

En conséquence, les autres demandes d’audition sollicitées seront écartées.

4.      Dans un grief d'ordre formel, la recourante se plaint de la violation, par l’autorité intimée, de son droit d'être entendu. Elle n’aurait pas été valablement entendue avant le prononcé de la décision. L’autorité ne lui avait pas communiqué la possibilité de se faire accompagner par un tiers lors de l’entretien auquel elle avait été convoquée. Elle avait reçu une interdiction de parler de la procédure en cours et, en conséquence, n’avait pas cherché à obtenir les conseils d’un avocat ou de tiers avant le dépôt de son recours. Elle s’était gardée de violer son secret de fonction, car elle avait antérieurement été sanctionnée pénalement et administrativement pour une telle violation.

Le contenu et la portée du droit d’être entendu doivent être évalués en fonction de la situation concrète et des intérêts en présence, notamment l’atteinte aux intérêts de l’administré résultant de la décision à prendre ainsi que l’importance et l’urgence de l’intervention administrative (arrêt du Tribunal fédéral 8C_310/2017 du 14 mai 2018). La jurisprudence a rappelé que des occasions relativement informelles de s’exprimer avant le licenciement peuvent remplir les exigences du droit constitutionnel d’être entendu, pour autant que la personne concernée ait pris connaissance des faits qui lui étaient reprochés et ait compris qu’un licenciement pouvait entrer en ligne de compte à son encontre (ATF 144 I 11, consid. 5.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_37/2020 du 7 septembre 2020, consid. 3.1 et les références citées).

En l’espèce, la recourante a su que son employeur envisageait de mettre fin aux rapports de service, ainsi que les causes de cette éventuelle résiliation, lorsque, le 12 mai 2023, elle a reçu en main propre la convocation pour un entretien fixé au 22 mai 2023. Ce même courrier lui demandait de ne pas évoquer la procédure avec les membres du personnel du MP, ce qui ne peut être compris comme une limitation du droit de consulter une personne extérieure à cette juridiction. Dans le courrier remis en main propre à l’intéressée le 26 mai 2023 – lequel constitue un compte-rendu de l’entretien du 22 mai 2023 – la même demande est formulée, dans les mêmes termes. Ces écrits doivent toutefois être relativisés, dès lors que, oralement, la demande semble avoir été formulée de manière plus restrictive : la Procureure M______ a exposé, lors de son audition devant la Cour, que la directrice du MP l’avait informée de l’interdiction faite à la recourante de lui parler de ce qui lui arrivait.

Comme cela est rappelé ci-dessus, la relation entre la recourante et son employeur est régie par la LPAC et par le RPPJ, lesquels ne contiennent pas l’obligation d’attirer l’attention de l’employée sur la possibilité de se faire accompagner par un tiers lors de l’entretien.

Si la Cour regrette les différences entre les indications données oralement et par écrit, de même que l’absence d’indication de la possibilité pour la membre du personnel d’être accompagnée – à tout le moins par un avocat ou une avocate – lorsque des entretiens pouvant avoir de telles conséquences sont convoqués, ces éléments ne peuvent, ni individuellement ni cumulativement, entraîner une violation du droit d’être entendue, surtout lorsque, comme en l’espèce, la personne convoquée a des connaissances du domaine juridique par son métier et par la procédure disciplinaire qu’elle a dû affronter antérieurement.

Le délai imparti à l’intéressée pour qu’elle se détermine par écrit était de 10 jours, échéant le 5 juin 2023. Il est d’une durée semblable à celle prévue à l’art. 160 al. 1 RPPJ, qui régit le droit d’être entendu des fonctionnaires en cas de licenciement. La recourante a pu le respecter et remettre sept pages dactylographiées.

Dans ces circonstances, il sera constaté que le droit d’être entendue de l’intéressée a été respecté et ce grief sera écarté.

5.      Selon l’art. 4 al. 1 LPAC, le personnel de la fonction publique se compose de fonctionnaires, d’employés, d’auxiliaires, d’agents spécialisés et de personnel en formation. Les employés sont les membres du personnel régulier accomplissant une période probatoire (art. 6 al. 1 LPAC).

5.1. Au cours de cette période, aussi bien l'employeur que l'employé peuvent mettre fin aux rapports de service. L'employé doit être entendu par l'autorité compétente et il peut demander que le motif de la résiliation lui soit communiqué (art. 21 al. 1 LPAC). L’employeur n’a pas à envisager une procédure de reclassement, comme cela est exigé pour les fonctionnaires (art. 162 RPPJ).

5.2. Si le licenciement d’un fonctionnaire requiert l’existence d’un motif fondé conformément aux art. 21 al. 3 et 22 LPAC – soit un motif démontrant que la poursuite des rapports de service n’est plus compatible avec le bon fonctionnement de l’administration en raison notamment de l’insuffisance des prestations, de l’inaptitude à remplir les exigences du poste ou de la disparition durable d’un motif d’engagement – le licenciement d’un employé doit reposer sur une cause qui n’a pas à réunir les conditions d’intensité du « motif fondé » visé à l’art. 22 LPAC. L’administration doit pouvoir jauger, au vu des prestations fournies par la personne en période probatoire et de son comportement, les chances de succès de la collaboration future et pouvoir y mettre fin si nécessaire. Dans ce cadre, elle dispose, de jurisprudence constante, d’un très large pouvoir d’appréciation quant à l’opportunité de la poursuite des rapports de service (ACAPJ/4/2020 du 4 novembre 2020 ; ATA/1008/2017 du 27 juin 2017, consid. 5 c, ATA/1620/2017 du 19 décembre 2017, consid. 6 c, ainsi que les arrêts cités).

Constitue un abus du pouvoir d’appréciation le cas où l’autorité reste dans le cadre fixé par la loi, mais se fonde toutefois sur des considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but des dispositions légales applicables, ou viole des principes généraux du droit tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71, consid. 5.1 ; ATA/1276/2018 du 27 novembre 2018, consid. 4 d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., 2018, n. 515). L’autorité doit exercer son libre pouvoir d’appréciation conformément au droit, ce qui signifie qu’elle doit respecter le but dans lequel un tel pouvoir lui a été conféré, procéder à un examen complet de toutes les circonstances pertinentes, user de critères transparents et objectifs, ne pas commettre d’inégalité de traitement et appliquer le principe de la proportionnalité. Si elle ne respecte pas ces principes, elle abuse de son pouvoir (ATA/827/2018 du 28 août 2018, consid. 2 b ; ATA/845/2015 du 20 août 2015, consid. 2 b ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. I, 3e éd., 2012, p. 743 ss et les références citées).

Le principe de la proportionnalité, garanti par les art. 5 al. 2 et 36 al. 3 Cst., se compose des règles d'aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé –, de nécessité – qui impose qu'entre plusieurs moyens adaptés, l'on choisisse celui qui porte l'atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l'administré et le résultat escompté du point de vue de l'intérêt public (ATF 140 I 218, consid. 6.7.1 ; 136 IV 97, consid. 5.2.2 ; 135 I 169, consid. 5.6 ; ATA/628/2024 du 23 mai 2024, consid. 3.3).

Le grief d'arbitraire ne doit être admis que dans des cas exceptionnels, par exemple lorsque les motifs allégués sont manifestement inexistants, lorsque des assurances particulières ont été données à l'employé ou en cas de discrimination. En revanche, l'autorité de recours n'a pas à rechercher si les motifs invoqués sont ou non imputables à une faute de l'employé ; il suffit en effet que la continuation du rapport de service se heurte à des difficultés objectives, ou qu'elle n'apparaisse pas souhaitable pour une raison ou une autre (arrêts du Tribunal fédéral 8C_774/2011 du 28 novembre 2012, consid. 2.4 ; 1C_341/2007 du 6 février 2008, consid. 2.2 ; ATA/259/2014 du 15 avril 2014, consid. 7 c).

6.      En l'espèce l'intéressée avait, au moment de la décision litigieuse, le statut d'employée du fait de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre. La résiliation des rapports de service est donc uniquement soumise aux règles s'appliquant aux employés, et non à celles régissant la fin des rapports de services des fonctionnaires. L’autorité jouit ainsi d’un large pouvoir d’appréciation, dont elle ne doit pas abuser. Elle est limitée par les principes constitutionnels, en particulier celui de l’arbitraire, et celui de la proportionnalité, dont les composantes sont rappelées ci-dessus.

Les compétences de la recourante dans l'exercice de son métier, tant dans la fonction de greffière que dans celle de greffière-référente, ne sont pas contestées et sont établies par la procédure.

La décision est uniquement fondée sur des reproches portant sur son comportement avec ses collègues dans sa fonction de greffière-référente.

Ces problèmes comportementaux ont été portés à la connaissance de cadres du MP, lorsque B______ a exposé, le 20 avril 2023, à C______ les difficultés qu’elle rencontrait avec cette dernière. Ces difficultés relationnelles ont été confirmées par les autres personnes entendues tout d’abord par C______ puis par les directrices du MP et des ressources humaines du Pouvoir judiciaire.

Les déclarations des personnes entendues n’ont pas été consignées sous forme de procès-verbaux formels, mais sous forme de notes d’entretien rédigées par les personnes ayant mené les auditions. Le contenu de ces notes a été confirmé par leurs rédacteurs devant la Cour.

Même en prenant une distance importante avec les propos de B______, les difficultés de la recourante à entretenir des relations sereines avec ses collègues sont avérées. À cet égard, l’audition de N______ devant la Cour est parlante : elle appréciait les qualités professionnelles et humaines de la recourante, avec qui elle entretenait toujours des relations amicales. Cependant, elle indiquait que le langage de l’intéressée avait pu heurter des collègues, sans même que la recourante ne s’en rende compte. P______, tout en revenant sur les termes qu’elle avait utilisés dans une conversation avec B______ sur un réseau social, a confirmé que cette dernière s’était plainte auprès d’elle de l’attitude de la recourante et de la manière dont celle-ci lui parlait et lui faisait des remarques dans le cadre de son travail.

Cette appréciation ne peut être modifiée par la prise en compte des nombreuses années au cours desquelles la recourante a travaillé au MP en qualité de greffière puis de greffière-référente, ni par le fait qu’après avoir été déplacée dans une autre juridiction pendant la première procédure administrative, elle a immédiatement été réintégrée dans ses fonctions de greffière référente. L’autorité intimée, dans le cadre du très large pouvoir d’appréciation dont elle dispose, peut légitimement vouloir se séparer d’une employée dont elle apprend, peu de temps avant la fin de la période probatoire, que son attitude avec ses collègues génère de la souffrance, même si dans certains cas cette souffrance a probablement, conjointement, d’autres causes que l’attitude de la recourante. Cette attitude, apte à porter atteinte à la personnalité de collègues, oblige l’employeur à prendre des mesures de protection.

De même, s’il est certes établi que, depuis fin 2018, les supérieurs hiérarchiques de l’intéressée n’ont procédé à aucun EEDP, alors même que l’art. 71 RPPJ, en vigueur seulement depuis le 1er janvier 2021, impose un calendrier extrêmement détaillé de la périodicité de ces entretiens, cette carence ne peut modifier l’appréciation déjà faite. En effet, on peut exclure que ces entretiens d’évaluation auraient été aptes à révéler aux supérieurs hiérarchiques de la recourante les souffrances que son attitude causait chez certaines de ses collègues.

Dans ces circonstances, un changement d’affectation – mesure qui, pas plus qu’un reclassement, n’est exigée par le RPPJ pour les employés – soit dans une autre fonction au MP ou dans une autre juridiction pouvait être écarté par l’autorité pour des motifs similaires, car le comportement problématique mis en évidence n’est lié ni à l’activité professionnelle de l’intéressée ni à la juridiction.

La solution retenue par le Pouvoir judiciaire est sévère pour la recourante ; elle reste cependant, au vu des éléments qui précèdent, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont dispose l’autorité au vu du statut d’employée de l’intéressée. Les limites apportées à l’exercice de cette liberté par l’interdiction de l’arbitraire, de même que l’obligation de respecter le principe de la proportionnalité, restent respectés, sans que cette appréciation ne puisse être modifiée par les imprécisions et contradictions relevées par la recourante, notamment lors de l’audience de plaidoirie.

7.      Au vu de ce qui précède, le recours sera rejeté. Un émolument de CHF 1000.- sera mis à la charge de la recourante et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée. (art. 87 al. 1 à 3 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS

LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE

−         Déclare recevable le recours déposé le 16 juillet 2023 par A______ contre la décision de la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire du 15 juin 2023.

−         Le rejette.

−         Met à la charge de la recourante un émolument de CHF 1’000.-.

−         Dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure.

−         Dit que, conformément aux articles 82 et suivants de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF – RS 173.110) le présent arrêt peut être porté dans les 30 jours qui suivent sa notification par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière de droit public. Le délai est suspendu pendant les périodes prévues à l’article 46 LTF. Le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuves et porter la signature du recourant ou de son mandataire. Il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’article 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recours invoquées comme moyens de preuves doivent être joints à l’envoi.

−         Communique le présent arrêt à Me Claudio FEDELE, avocat de la recourante, et à la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire.

 

Siégeant : M. Matteo PEDRAZZINI, président, M. Philippe THÉLIN, vice-président, Mme Marie-Laure PAPAUX VAN DELDEN, juge.

 

AU NOM DE LA COUR D’APPEL DU POUVOIR JUDICIAIRE

Alessia TAVARES DE
ALBUQUERQUE-CAMPAGNOLO
Greffière-juriste

M. Matteo PEDRAZZINI
Président

 

 

 

Copie conforme du présent arrêt a été communiquée à Me Claudio FEDELE et à la Commission de gestion du Pouvoir judiciaire.