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Décisions | Chambre des baux et loyers

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C/11450/2019

ACJC/558/2024 du 03.05.2024 sur JTBL/540/2023 ( OBL ) , CONFIRME

En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/11450/2019 ACJC/558/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre des baux et loyers

DU VENDREDI 3 MAI 2024

Entre

 

A______ SARL et Monsieur B______, domiciliés ______ [GE], appelants d'un jugement rendu par le Tribunal des baux et loyers le 28 juin 2023, représentés par Me Maud VOLPER, avocate, boulevard Georges-Favon 14, 1204 Genève

 

et

 

1) C______ SA, sise ______ [BS], intimée, représentée par Me Philippe EIGENHEER, avocat, rue Bartholoni 6, case postale 1211 Genève 4,

 

2) ETAT DE GENEVE, représenté par le Département des infrastructures, Office cantonal des bâtiments, case postale 32, 1211 Genève 8, dénoncé et autre intimé.

 

 

 


EN FAIT

A. Par jugement JTBL/540/2023 du 28 juin 2023, le Tribunal des baux et loyers a donné acte à l’ETAT DE GENEVE de ce qu’il avait accepté la dénonciation d’instance (ch. 1 du dispositif), a ordonné à C______ SA de procéder, dans un délai de 60 jours dès l’entrée en force dudit jugement, aux travaux, parmi ceux listés en page 6 du rapport d’expertise du 30 juin 2022, point 9 et sous remarques et explications complémentaires, qui concernent la parcelle dont elle est propriétaire (ch. 2), a réduit de 5% le loyer des locaux commerciaux situés au 2ème étage de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ loués par A______ SARL et B______ à C______ SA, ceci du 13 septembre 2018 et jusqu’à la réalisation, par C______ SA et l’ETAT DE GENEVE, des travaux listés en page 6 du rapport d’expertise du 30 juin 2022, point 9 et sous remarques et explications complémentaires (ch. 3), a validé la consignation de loyer opérée par A______ SARL et B______ auprès des Services financiers du Pouvoir judiciaire (avis 14L 2019 2______) (ch. 4), a ordonné aux Services financiers du Pouvoir judiciaire de libérer les loyers consignés à concurrence de la réduction octroyée en faveur de A______ SARL et B______ sous chiffre 3 et, pour le solde, en faveur de C______ SA (ch. 5), a débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 6) et a dit que la procédure était gratuite (ch. 7).

En substance, les premiers juges ont admis l’existence d’un défaut et ont considéré que les travaux permettant d’y remédier pouvaient être aisément mis en œuvre. Les juges ont retenu que les nuisances n’étaient pas permanentes, voire étaient devenues ponctuelles à partir de la fin de l’année 2019, et ont estimé que la réduction de loyer en raison du défaut, sur l’ensemble de la période visée, pouvait être fixée à 5% en raison des circonstances de l’espèce.

B. a. Par acte expédié le 1er septembre 2023 à la Cour de justice, A______ SARL et B______ forment appel contre ce jugement. Ils sollicitent l'annulation du chiffre 3 de son dispositif et l’octroi d’une réduction de loyer de 40% dès le 13 septembre 2018 jusqu’à réalisation des travaux prévus au chiffre 4 du dispositif de la décision entreprise.

b. Dans sa réponse du 2 octobre 2023, l’ETAT DE GENEVE conclut, principalement, à la confirmation du jugement entrepris.

c. Dans sa réponse du 3 octobre 2023, C______ SA conclut, principalement, à la confirmation du jugement entrepris.

d. Le 9 novembre 2023, A______ SARL et B______ ont répliqué et persisté dans leurs conclusions.

e. Par dupliques des 11 et 14 décembre 2023, l’ETAT DE GENEVE, respectivement C______ SA, ont persisté dans leurs conclusions respectives.

f. Les parties ont été avisées le 23 janvier 2024 par le greffe de la Cour de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure :

a. A______ SARL et B______, locataires, et C______ SA, bailleresse, sont liés par un contrat de bail portant sur la location de locaux commerciaux d’environ 128 m2 au 2ème étage de l’immeuble sis à la rue 1______ no. ______ à Genève.

Le bail a été conclu pour une durée initiale de dix ans, du 1er septembre 2016 au 31 août 2026, reconductible tacitement de dix ans en dix ans, sauf résiliation respectant un préavis de six mois.

Le loyer a été fixé à 3'300 fr. par mois, les acomptes de frais de chauffage à 200 fr. et les acomptes pour frais accessoires à 500 fr. Le loyer a été augmenté à 3'333 fr. par mois dès le 1er mai 2019.

L’immeuble est géré par la régie D______ SA (ci-après : la régie).

b. La parcelle voisine de celle sur laquelle l’immeuble est situé appartient à l’ETAT DE GENEVE et est affectée à une salle de spectacle dénommée Salle E______, utilisée notamment par le collège F______.

Cette parcelle voisine bénéficie d’une servitude pour canalisations d’eaux usées et d’une servitude d’usage de fosse de pompage.

En 2017 et 2018, l’ETAT DE GENEVE a entrepris des travaux de rénovation de la Salle E______.

Les travaux ont consisté en la mise en conformité au feu de la salle, l’amélioration du fonctionnement de la scène, la création d’une sortie de secours et la réfection de l’étanchéité de la toiture; ils n’ont pas concerné les canalisations.

c. Le 13 septembre 2018, les locataires se sont plaints à la régie d’odeurs insupportables survenant plusieurs fois dans la journée.

La régie a émis un bon de travail le lendemain.

Le 18 septembre 2018, les locataires ont remercié la régie pour le bon, tout en lui indiquant que le problème concernait tout l’immeuble et nécessitait qu’un responsable technique vienne sur place. Ils ont précisé que le matin même les odeurs étaient tellement insupportables côté direction et salle de conférence qu’ils n’avaient pu ni travailler ni recevoir de clients.

La régie a répondu le 27 septembre 2018 que son responsable technique et une entreprise s’attelaient à résoudre le problème.

d. Le 18 septembre 2018 également, l’entreprise G______ SA est intervenue afin de rechercher la cause des mauvaises odeurs et a effectué un test de fumée sur les écoulements. Elle a constaté l’absence de fuite et a estimé que les nuisances provenaient des immeubles voisins.

e. Le 19 février 2019, les locataires se sont à nouveau plaints de mauvaises odeurs, subies plusieurs fois par jour.

Par courrier du 21 février 2019, les locataires ont mis en demeure la propriétaire de remédier au problème d’odeurs, sous menace de consignation de loyers.

Le 19 mars 2019, le conseil des locataires a fixé un ultime délai à la propriétaire pour remédier aux odeurs d’ici au 27 mars 2019, à défaut de quoi le loyer serait consigné.

f. Par pli du 28 mars 2019, la régie, faisant suite à une visite sur place du 25 mars 2019 en présence de son gérant technique, H______, de l’entreprise I______ SA et de plusieurs employés de la locataire, a indiqué qu’il avait été constaté que les odeurs provenaient de la terrasse qui se trouvait dans la cour intérieure, soit au-dessus de la salle de musique du collège F______. Ainsi, le problème venant du bâtiment voisin, la régie allait prendre contact avec le service technique du collège afin de trouver une solution. Elle sollicitait un délai supplémentaire pour résoudre le problème.

Le 1er avril 2019, les locataires ont confirmé à la régie qu’en l’état, ils ne consigneraient pas le loyer vu les démarches entreprises. Toutefois, ils réclamaient une réduction de loyer de 40% dès le mois de septembre 2018 et jusqu’à la suppression du défaut.

g. Le 18 avril 2019, la régie a informé le collège F______ de plaintes de locataires relatives à de mauvaises odeurs et d’une demande de réduction de loyer. Elle attendait les déterminations du collège F______, précisant que la problématique émanait du bâtiment abritant le collège.

h. Le même jour, la régie a transmis aux locataires le courrier adressé au collège F______ et leur a indiqué que, pour le moment, elle ne pouvait pas accéder à la demande de réduction de loyer.

i. Le 9 mai 2019, plusieurs locataires de l’immeuble sis à la rue 1______ no. ______ ont signé une pétition concernant les odeurs nauséabondes présentes par intermittence depuis l’été 2018.

j. Les 5, 22 et 25 juillet 2019, 13, 22 et 23 août 2019, ainsi que 3 septembre 2019, les locataires ont informé la régie que les odeurs étaient insupportables au point qu’ils ne pouvaient ni travailler ni recevoir de clients.

Le responsable technique de la régie, H______, a indiqué s’être rendu à plusieurs reprises sur place à la demande de locataires, sans constater la présence d’odeurs. J______, employée de la régie K______ SA, en charge de la gestion de l’immeuble sis rue 3______ no. ______, a confirmé par courriel du 11 juin 2019 ne rien sentir malgré les plaintes des locataires, tout en admettant sentir parfois de mauvaises odeurs dans ses locaux. Il ressort des pièces que L______, employée de la régie, a affirmé également s’être rendue sur place le 20 août 2019 et n’avoir rien senti alors que les locataires avaient appelé à 16h08 et qu’elle s’y était rendue à 16h18.

k. Le 15 août 2019, les locataires ont à nouveau mis la régie en demeure de régler le problème des odeurs d’ici au 16 septembre 2019, sous menace de consignation des loyers.

l. Le 2 septembre 2019, l’entreprise G______ SA a informé la régie que durant 9 jours entre avril 2018 et mai 2019, elle était intervenue sur les canalisations, nécessitant l’ouverture des regards qui avaient laissé s’échapper les odeurs. Ainsi, à ces dates, il était justifié que les locataires de l’immeuble sis rue 1______ no. ______ se plaignent des odeurs.

m. Les locataires ont consigné le loyer dès le mois d’octobre 2019 (avis 14L 2019 2______).

n. Le 2 octobre 2019, l’entreprise G______ SA a établi un rapport sur son intervention de septembre 2019 visant à procéder à une inspection vidéo des quatre traînasses suspendues dans le local poubelles au 1er sous-sol. Lors de son intervention, elle a effectué des essais avec de la fluorescéine sur toutes les installations sanitaires des parcelles n°4______ de la rue 1______ no. ______ et n°5______ de la rue 3______ no. ______. Elle est arrivée à la conclusion que le problème venait des écoulements de l’immeuble sis rue 3______ no. ______, la configuration de la cour intérieure mal ventilée augmentant la perception des odeurs des immeubles adjacents.

En effet, la fumée qui partait de l’immeuble rue 1______ no. ______ ressortait dans la cour de l’immeuble rue 3______ no. ______, par la descente des eaux pluviales, sur un collecteur qui récoltait également les eaux usées. En principe, la descente des eaux pluviales devait être siphonnée pour éviter les odeurs des eaux usées mais, dans le cas présent, soit il n’y avait pas de siphon, soit il était vide et ne pouvait ainsi pas fonctionner.

o. Le 25 octobre 2019, la régie a informé les locataires des résultats des recherches entreprises et a confirmé que la problématique devait être résolue par le propriétaire de l’immeuble voisin, à savoir l’ETAT DE GENEVE.

p. Le 6 novembre 2019, le conseil de C______ SA s’est adressé au Conseiller d’état, M______, afin de lui faire part des odeurs, précisant que le problème semblait venir d’un raccordement non autorisé des écoulements du collège F______ aux canalisations faisant partie intégrante de l’immeuble lui appartenant, raccordement réalisé lors de la rénovation de l’aula du collège.

q. Parallèlement à ces échanges, par requête déposée le 20 mai 2019 par-devant la Commission de conciliation en matière de baux et loyers, déclarée non conciliée lors de l’audience du 3 septembre 2019 et portée devant le Tribunal le 13 septembre 2019, les locataires ont conclu à ce que le Tribunal condamne la bailleresse à entreprendre toutes les démarches nécessaires en vue de supprimer le problème d’odeurs présent dans l’immeuble sis rue 1______ no. ______ et dans leurs locaux au 2ème étage et dise que le loyer serait réduit de 40% dès le 1er septembre 2018 jusqu’à suppression complète du problème d’odeurs. Le numéro de procédure C/11450/2019 a été attribué à la cause.

r. Par mémoire de réponse avec dénonciation d’instance du 28 novembre 2019, C______ SA a conclu, préalablement, à ce que le Tribunal dénonce l’instance à l’ETAT DE GENEVE et, principalement, à ce qu’il déboute A______ SARL et B______ de leurs conclusions.

s. Le 17 décembre 2019, l’ETAT DE GENEVE a conclu, préalablement, à ce que le Tribunal l’autorise à intervenir dans la procédure et, principalement, à ce qu’il déboute les locataires de leurs conclusions.

Il a notamment produit un contrat d’entretien de l’immeuble « [rue] 6______ no.______ - no. ______ » conclu avec l’entreprise N______ du 23 août 2005 concernant le curetage haute pression des canalisations EU, la vidange et le nettoyage de la fosse, de la pompe et des arrivées EU et l’évacuation des boues à la décharge.

Ce contrat porte sur l’entretien, une fois par an ou une fois tous les deux ans, des canalisations de la salle E______, consistant à nettoyer les canalisations (regards d’eaux usées, grilles de sol et fosses, notamment celle située à la rue 1______ no. ______).

t. Par une deuxième requête déposée le 10 octobre 2019 par-devant la Commission, déclarée non conciliée lors de l’audience de la Commission du 8 janvier 2020 et portée devant le Tribunal le 9 janvier 2020, les locataires ont conclu, préalablement, à ce que le Tribunal ordonne la jonction de cette nouvelle cause avec la procédure C/11450/2019 et, principalement, à ce qu’il constate la validité de la consignation du loyer, les autorise à consigner le 100% du loyer et des charges jusqu’à suppression du défaut et ordonne la libération des loyers consignés à due concurrence des conclusions prises dans la cause parallèle. Le numéro de procédure C/23001/2019 a été attribué à cette cause.

u. Lors de l’audience du 10 mars 2020, le Tribunal a ordonné la jonction des causes C/11450/2019 et C/23001/2019 sous le numéro de procédure C/11450/2019.

B______ a confirmé que les odeurs de canalisation et d’excréments persistaient encore la semaine précédant l’audience. L’existence des odeurs était très aléatoire, celles-ci pouvant survenir trois fois par semaine, puis plus pendant une dizaine de jours. Selon lui, il y existait une corrélation avec les précipitations et la température, les odeurs étant ressenties par temps sec et chaud. Avant 2018, ces odeurs étaient beaucoup moins prononcées mais existaient tout-de-même depuis le début du bail. Il a ajouté qu’étant bailleur lui-même, il avait un grand seuil de tolérance et, s’il s’était plaint, c’était en raison du fait que les odeurs étaient insupportables. Elles étaient davantage ressenties du côté collaborateurs et réception, le côté direction étant touché en été lorsque les fenêtres étaient ouvertes. Il lui était arrivé de libérer ses employés pour une demi-journée à cause de cette problématique. Il a confirmé que certains rendez-vous, pour la location d’objets de luxe notamment, avaient été déplacés par crainte de ressentir des odeurs. Si le problème perdurait, il envisageait de quitter les locaux, notamment pour une question d’image.

v. Le Tribunal a procédé à l’audition de plusieurs témoins.

O______, P______, employées, ainsi qu’Q______, R______ et S______, ex-employés de A______ SARL ont tous confirmé la présence de fortes odeurs d’égouts dans les bureaux, plus prononcées côté collaborateurs et salle de conférence et plus fortes en été, à raison de plusieurs fois par jour, les odeurs étant tout-de-même présentes en hiver et perceptibles même avec les fenêtres fermées. Les odeurs arrivaient par vagues et disparaissaient ensuite, si bien qu’il était difficile de les faire constater par quelqu’un venant de l’extérieur. Ces odeurs les contraignaient à faire des pauses. Cette problématique avait un impact sur la clientèle et sur la productivité.

T______, U______ et V______, ayant tous travaillé dans l’immeuble sis rue 1______ no. ______ et ayant signé la pétition, ont déclaré qu’ils avaient ressenti des odeurs fortes d’égouts, surtout en été et les fenêtres ouvertes, pendant environ un mois, et qu’ils en avaient été gênés. La problématique avait été réglée suite à une intervention en 2019, selon V______, ou début 2020, selon T______, cette dernière ayant ajouté que les odeurs apparaissaient en matinée durant deux à trois heures, deux à trois fois par semaine en moyenne.

W______, locataire au 3ème étage de l’immeuble litigieux, ayant signé la pétition, a également confirmé la présence de mauvaises odeurs provenant de l’extérieur, son bureau donnant sur la cour intérieure. Les odeurs étaient selon lui assez fortes, duraient toute la journée, selon son impression tous les jours, et ce jusqu’en octobre 2020 environ.

A______ SARL et B______ ont produit des pièces complémentaires à savoir les courriels adressés à la régie entre septembre 2019 et septembre 2021 (à savoir les 3 septembre, 8 novembre 2019, 21, 27 février, 26 mai, 16, 22 et 26 juin, 5 et 7 août, 16 septembre 2020, 20 janvier, 2, 5 et 10 mars, 20, 26 et 31 mai, 17, 18, 22 et 28 juin, 9 juillet, 4 août, 2 et 3 septembre 2021), dans lesquels ils se plaignent des odeurs ressenties.

O______ et P______ ont indiqué que des emails étaient envoyés lorsque les odeurs étaient fortes mais, selon P______, pas systématiquement à la survenance d’une odeur.

w. Par ordonnance du 22 octobre 2021, le Tribunal a confié une mission d’expertise à X______.

x. L’expert a établi son rapport le 30 juin 2022, à teneur duquel les odeurs provenaient bien des garnitures des eaux pluviales de la cour intérieure entre


l’immeuble situé à la rue 1______ no. ______ et celui situé à la rue 3______ no. ______. Une conduite de ventilation primaire des sanitaires des 1er et 2ème sous-sols de l’immeuble situé rue 3______ no. ______, en liaison avec les canalisations de l’immeuble, était raccordée sur le collecteur eaux pluviales reprenant les eaux de la cour. Les odeurs dégagées dans ces conduites venaient buter sur le siphon du collecteur des eaux pluviales et remontaient dans ce collecteur. Le phénomène était accentué lors d’utilisations de sanitaires, ainsi que lors du fonctionnement des pompes de la fosse de pompage des eaux usées. Les odeurs ressortaient par les garnitures qui se trouvaient le long de la façade, sous les fenêtres de l’immeuble à la rue 1______ no. ______.

L’expert a préconisé certaines interventions pouvant être faites en trois jours de travail pour un coût de 6'000 fr., à savoir:

-         Intervenir sur le collecteur général des eaux pluviales avant siphon, modifier le raccordement de la ventilation des eaux usées et la raccorder après siphon;

-         Raccorder la conduite des eaux pluviales de l’arrière-cour dans la courette de l’immeuble rue 3______ no. ______ sur le collecteur des eaux pluviales;

-         Ventiler la fosse des eaux usées, en raccordant celle-ci sur le collecteur des eaux usées 3 au 1er sous-sol;

-         Modifier le raccordement de la vidange du sprinkler.

L’expert a recommandé les interventions supplémentaires suivantes:

-         Raccorder la grille du sol du local poubelle et les écoulements du local nourrice de l’immeuble situé rue 1______ sur les canalisations des eaux usées, ceux-ci étant actuellement raccordés dans le regard des drainages;

-         Nettoyer la canalisation entre le regard des eaux mixtes (EM1) et la fosse de pompage des eaux claires bouchée;

-         Remplacer le couvercle de la fosse de pompage des eaux usées qui était déformé et donc plus étanche;

-         Entretenir les sols des 1er et 2ème sous-sols qui étaient très sales et dégageaient de mauvaises odeurs qui pouvaient remonter par la cage d’escalier.

y. Lors de l’audience du 6 mars 2023, le conseil de C______ SA a précisé que les travaux préconisés par l’expert à la charge de C______ SA avaient immédiatement été entrepris, en 2022 et 2023. En revanche, les travaux à la charge de l’ETAT DE GENEVE n’avaient pas encore été faits. Il a produit un devis de l’entreprise G______ SA du 11 août 2022 concernant des travaux de modification de l’acheminement des traînasses des eaux usées et des eaux claires.

La représentante de l’ETAT DE GENEVE a confirmé que celui-ci était disposé à mettre en œuvre les travaux préconisés par l’expert, qu’elle aurait toutefois souhaité pouvoir se coordonner avec C______ SA, mais qu’elle apprenait à l’audience que cette dernière avait déjà entrepris ses travaux. Elle allait ainsi mettre en œuvre le service compétent pour que les travaux soient effectués dans les plus brefs délais.

A l’issue de l’audience, les parties ont procédé aux plaidoiries finales. A______ SARL et B______ ont complété leurs conclusions, s’agissant de la conclusion n° 1, précisé que les démarches à entreprendre étaient celles visées en page 6 du rapport d’expertise, point 9 et les deux tirets de la même page, sous remarques et explications complémentaires, soit ceux qui suivent « Immeuble [de la rue] 1______ ». Ils ont conclu par ailleurs à ce qu’un délai de 60 jours dès l’entrée en force du jugement soit fixé à C______ SA pour exécuter ces travaux, sous la menace d’une amende d’ordre de 1'000 fr. par jour d’inexécution et/ou de retard. Pour le surplus, ils ont persisté dans leurs conclusions.

C______ SA a conclu au rejet des nouvelles conclusions et a persisté dans les siennes. L’ETAT DE GENEVE a également persisté dans ses conclusions.

Le Tribunal a ensuite gardé la cause à juger.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel est recevable contre les décisions finales et les décisions incidentes de première instance (art. 308 al. 1 let. a CPC). Dans les affaires patrimoniales, l'appel est recevable si la valeur litigieuse au dernier état des conclusions est de 10'000 fr. au moins (art. 308 al. 2 CPC).

Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, les contestations portant sur l'usage d'une chose louée sont de nature pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 4A_388/2016 du 15 mars 2017 consid. 1).

1.2 Dans le cas d'espèce, le loyer mensuel s’élève à 3’333 fr. Une réduction de 40% sur la période du 18 septembre 2018 jusqu’au 30 juin 2022, date de l’expertise judiciaire, à tout le moins, dépasse la somme de 10'000 fr.

La voie de l'appel est dès lors ouverte.

1.3 L’appel, écrit et motivé (art. 311 al. 1 CPC), a été interjeté dans le délai prescrit par la loi (art. 130, 131, 311 al. 1 CPC). Il est ainsi recevable.

1.4 Selon l'art. 243 al. 2 let. c CPC, la procédure simplifiée s'applique aux litiges portant sur des baux à loyer d'habitations et de locaux commerciaux en ce qui concerne la consignation du loyer, la protection contre les loyers abusifs, la protection contre les congés ou la prolongation du bail. La maxime inquisitoire sociale régit la procédure (art. 247 al. 2 let. a CPC).

2. Les appelants reprochent au Tribunal d’avoir procédé à une constatation manifestement inexacte des faits, en retenant, d’une part, que les mauvaises odeurs se faisaient rarement ressentir, soit aux dates des courriels de plainte des locataires à la régie ou à leur conseil, et, d’autre part, que le problème semblait s’être grandement amélioré, voire avoir disparu depuis 2019.

2.1 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC). L'instance d'appel dispose ainsi d'un plein pouvoir d'examen de la cause en fait et en droit; en particulier, le juge d'appel contrôle librement l'appréciation des preuves effectuée par le juge de première instance (art. 157 CPC en relation avec l'art. 310 let. b CPC) et vérifie si celui-ci pouvait admettre les faits qu'il a retenus (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1).

2.2 En l’espèce, la Cour n’est pas limitée à l’arbitraire dans l’examen de l’établissement des faits. Les éléments de faits que les appelants considèrent comme constatés de manière inexacte ou insuffisante par le Tribunal ont, sur la base des actes et pièces de la procédure, été intégrés dans la partie EN FAIT du présent arrêt dans la mesure utile. L’appréciation des éléments de faits établis relève en revanche du droit et sera traitée ci-dessous dans le cadre de l’examen du second grief formulé par les appelants.

3. Les appelants font grief au Tribunal d’avoir violé l’article 259d CO et la jurisprudence en leur accordant une insuffisante réduction de loyer de 5%.

3.1 En vertu de l'art. 259d CO, si un défaut entrave ou restreint l'usage pour lequel la chose a été louée, le locataire peut exiger du bailleur une réduction proportionnelle du loyer à partir du moment où le bailleur a eu connaissance du défaut et jusqu'à l'élimination de ce dernier. 

3.1.1 Le défaut de la chose louée est une notion relative; son existence dépend des circonstances du cas concret; il convient de prendre en compte notamment la destination de l'objet loué, l'âge et le type de la construction, ainsi que le montant du loyer (ATF 135 III 345 consid. 3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 4A_395/2017 du 11 octobre 2018 consid. 5.2 ; 4A_582/2012 du 28 juin 2013). En l'absence de précision dans le bail, l'usage est apprécié objectivement selon toutes les circonstances du cas d'espèce, soit notamment le montant du loyer, la destination de l'objet loué, l'environnement des locaux, l'âge de l'immeuble et son état apparent, les normes usuelles de qualité et les règles de droit public applicables, ainsi que les usages courants (ACJC/173/2018 du 12 février 2018 consid. 3.1 et les références). 

Le locataire doit compter, selon le cours ordinaire des choses, avec la possibilité de certaines entraves mineures inhérentes à l'usage de la chose qui ne constituent pas un défaut. En revanche, si l'entrave est plus importante et sort du cadre raisonnable des prévisions, elle devient un défaut (ACJC/173/2018 du 12 février 2018 consid. 3.1 ; SJ 1985, p. 575).

Un défaut est grave lorsqu'il exclut ou entrave considérablement l'usage pour lequel la chose a été louée (art. 258 al. 1 et 259b let. a CO). Tel est notamment le cas lorsque le locataire ne peut pas habiter le logement ou ne peut pas faire usage des pièces importantes (cuisine, salon, chambre à coucher, salle de bains) pendant un certain temps (arrêt du Tribunal fédéral 4A_395/2017 précité ibid. ; ACJC/173/2018 du 12 février 2018 consid. 3.1 et les références).

Le locataire qui entend se prévaloir des art. 258ss CO doit donc prouver l'existence du défaut (ACJC/173/2018 du 12 février 2018 consid. 3.1 et les références).

3.1.2 La réduction de loyer que peut exiger le locataire en application de l'art. 259d CO doit être proportionnelle au défaut et se détermine par rapport à la valeur de l'objet sans défaut. Elle vise à rétablir l'équilibre des prestations entre les parties (ATF 130 III 504 consid. 4.1; 126 III 388 consid. 11c). Lorsqu'un calcul concret de la diminution de valeur de l'objet entaché du défaut n'est pas possible, notamment lorsque l'intensité des nuisances est variable et se prolonge sur une longue période, de sorte que les preuves de l'intensité des nuisances et de l'entrave à l'usage ne peuvent être fournies au jour le jour, le tribunal procède à une appréciation en équité, par référence à l'expérience générale de la vie, au bon sens et à la casuistique (ATF 130 III 504 consid. 4.1; arrêt du Tribunal fédéral 4C.219/2005 du 24 octobre 2005 consid. 2.3 et 2.4 ; ACJC/1016/2017 du 28 août 2017 consid. 3.1).

3.1.3 En matière de défauts liés à des nuisances olfactives, la Cour a procédé aux réductions suivantes : 5% pour des émanations occasionnelles de fumées restreignant l'usage d'une terrasse (ACJC du 8 octobre 1984); 5% pour des odeurs d'acide dans la salle de douche ainsi que de cuisine et de poubelle dans le hall d'entrée et la salle à manger présentes occasionnellement durant plusieurs années (ACJC/100/2019 du 24 janvier 2019 confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 4A_108/2019 du 22 janvier 2020); 5% entre le 31 mars et le 30 juin 2015 pour des odeurs de cannabis s'immisçant dans un appartement dont la fréquence, la durée et l'intensité n'ont pas été démontrées (ACJC/932/2018 du 12 juillet 2018); 5% pour des odeurs d'égouts et d'œufs pourris dans un restaurant (ACJC/451/2009 du 20 avril 2009); 8% pour des odeurs de mazout s'étant manifestées de manière irrégulière dans des bureaux entre le 1er février et le 30 septembre 2001 (ACJC/1099/2004 du 4 octobre 2004); 10% pour des émanations occasionnelles de fumées nauséabondes issues du fonds voisin (ACJC du 20 novembre 1989); 10% du 25 juin 2009 au 30 avril 2010, puis du 15 octobre 2010 au 11 mars 2011 pour des odeurs nauséabondes ressenties de manière sporadique dans des bureaux principalement sur les paliers de l'étage et à la réception ainsi que dans le local de la photocopieuse et le vestiaire des employés (ACJC/879/2012 du 18 juin 2012); 10% du 1er mars 2001 au 3 décembre 2003 pour des odeurs de cuisine ainsi que des odeurs difficiles à définir qui obligeaient le locataire à se lever pour aérer (ACJC/624/2006 du 16 juin 2006); 10% entre le 1er avril 1996 et le 31 mars 1999 pour des odeurs incommodantes présentes quelques jours par an dans certaines pièces d'une villa (ACJC/686/2001 du 22 juin 2001); 10% pour des odeurs d'égouts ayant incommodé les clients d'une petite salle de restaurant du 1er janvier au 21 décembre 1995, dont la constance n'a pas pu être établie précisément (ACJC/293/2000 du 13 mars 2000).

Dans les hypothèses où ce calcul est malaisé à opérer - par exemple parce que les nuisances occasionnées sont d'intensité variable et se prolongent sur une longue période, si bien que la preuve de l'entrave à l'usage ne peut alors être fournie au jour le jour (ATF 130 III 504 consid. 4.1; arrêts du Tribunal fédéral 4C_219/2005 du 24 octobre 2005 consid. 2.4) - une appréciation en équité est admissible. Le juge se réfère alors à l'expérience générale de la vie, au bon sens et à la casuistique (Commentaire SVIT, Le droit suisse du bail à loyer, 2011, no 14 ad art. 259d CO). Il tient également compte des particularités de l'espèce, au nombre desquelles la destination des locaux joue un rôle important (arrêts du Tribunal fédéral 4A_490/2010 du 25 janvier 2011 consid. 2.1 et 4C_219/2005 précité consid. 2.4 in fine). Le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation dans la détermination de la quotité de la réduction de loyer (arrêt du Tribunal fédéral 4A_628/2010 du 23 février 2011 consid. 5.1).

3.2 Il s’agit de déterminer, en l’espèce, si le Tribunal a mésusé de son pouvoir d’appréciation en réduisant le loyer de 5% compte tenu de la casuistique et des circonstances de l’espèce.

3.2.1 A l’appui de son raisonnement, le Tribunal a considéré que les odeurs, plus fortes en été qu’en hiver, étaient ponctuelles et ne persistaient pas, qu’elles revenaient parfois plusieurs fois par jour, mais disparaissaient également pendant plusieurs semaines ou mois. Les odeurs affectaient essentiellement l’immeuble du côté donnant sur la cour intérieure. Le Tribunal a également retenu que les odeurs avaient nettement diminué, voire avaient disparu depuis 2019, en-dehors de quelques jours par année, comme en attestaient les emails produits par les appelants. Ces éléments ne permettant pas de déterminer précisément quelles étaient les périodes durant lesquelles le défaut surgissait, il convenait de fixer la réduction de loyer en équité à 5%.

3.2.2 Les appelants critiquent cette approche, soutenant que le Tribunal aurait dû retenir une fréquence et une importance plus grande de nuisances. De plus, l’impact des nuisances sur l’exécution du travail, la productivité et leur type de clientèle aurait dû être considéré comme important. Une restriction considérable de l’usage des locaux loués aurait dû être constatée. Ainsi, c’est contrairement au droit que le Tribunal se serait éloigné de la jurisprudence applicable en la matière, qui octroie dans de tels cas à tous le moins 15% de réduction.

3.2.3 En l’espèce, il convient de retenir, avec le Tribunal, qu’il ne peut être déterminé précisément à quelles périodes, fréquence et durée le défaut surgissait, de sorte que seule une appréciation en équité permet de déterminer quelle quotité de baisse de loyer doit être accordée aux appelants. Il ressort de la procédure que les odeurs auraient essentiellement cessé en 2020 plutôt qu’en 2019. Par ailleurs, les signalements d’odeurs en 2020 et 2021 par les appelants, quelques jours par année, portaient sur des odeurs particulièrement fortes, sans qu’il ne soit possible de déterminer à quelle fréquence des odeurs moins prégnantes auraient continué de se répandre.

Par ailleurs, il ne ressort pas du jugement que le Tribunal aurait apprécié dans quelle mesure l’usage de la chose louée et en particulier la destination des locaux convenue contractuellement se trouvait limitée. Il convient de retenir que, s’agissant de locaux à usage professionnel, le défaut a eu un impact négatif sur la clientèle et sur la productivité des appelants, sans toutefois que l’ampleur de ce défaut n’ait été établi dans la procédure.

Enfin, il sied de prendre en compte le fait que, quand bien même il ne ressort pas clairement de la procédure quand le défaut aurait pris fin et dans quelle mesure des odeurs sont encore apparues par la suite, le Tribunal a octroyé une réduction de loyer jusqu’à complète exécution des travaux, soit à tout le moins jusqu’au 6 mars 2023, date à laquelle l’ETAT DE GENEVE a indiqué qu’il procéderait rapidement aux travaux nécessaires. Cette réduction s’étend sur une période particulièrement longue et y compris plusieurs années après que les odeurs auraient, pour l’essentiel, cessé. Ainsi, si la quotité octroyée est relativement faible en elle-même compte tenu de l’intensité des nuisances rapportées, elle est contrebalancée par la très longue période durant laquelle la réduction est consentie, de sorte que le résultat final est approprié.

Au vu de la casuistique et de l’ensemble des circonstances du cas d’espèce, il n’apparaît pas que la réduction de loyer de 5% en équité sur l’ensemble de la période retenue par le Tribunal soit contraire au droit, de sorte que le jugement sera confirmé.

4. A teneur de l'art. 22 al. 1 LaCC, il n'est pas prélevé de frais dans les causes soumises à la juridiction des baux et loyers (ATF 139 III 182 consid. 2.6).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
La Chambre des baux et loyers:

A la forme:

Déclare recevable l’appel interjeté le 1er septembre 2023 par A______ SARL et B______ contre le jugement JTBL/540/2023 rendu le 28 juin 2023 par le Tribunal des baux et loyers dans la cause C/11450/2019.

Au fond:

Confirme le jugement entrepris.

Dit que la procédure est gratuite.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

 

Siégeant :

Madame Nathalie LANDRY-BARTHE, présidente; Madame Sylvie DROIN, Monsieur Laurent RIEBEN, juges; Monsieur Serge PATEK, Madame Zoé SEILER, juges assesseurs; Madame Maïté VALENTE, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF ; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 15'000 fr.