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Décisions | Chambre des assurances sociales de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2358/2021

ATAS/783/2022 du 09.09.2022 ( PC ) , ADMIS/RENVOI

*** ARRET DE PRINCIPE ***
Normes : LPC.11a.al2; aLPC.11.al1.letg; LPCC.36E.al1; LPCC.36E.al6; RPCFam.2.al3; RPCFam.19.al1
Résumé : Procédant à l’interprétation de l’art. 36E al. 6 LPCC, la Cour de céans a considéré que la question de la renonciation à une contribution d’entretien doit être traitée de manière identique en matière de prestations complémentaires familiales et de prestations complémentaires fédérales, seul le montant éventuellement à prendre en considération à titre de contribution d’entretien potentielle étant différent (forfaitaire en matière de PCFam et calculé en fonction de la capacité contributive du débiteur en matière de PCF). En l’occurrence, contrairement à la procédure prévue par le Tribunal fédéral et les DPC (applicables par analogie en vertu du renvoi de l’art. 2 al. 3 RPCFam), le SPC a pris en compte une contribution d’entretien potentielle sans avoir, au préalable, imparti au recourant un délai de trois mois pour saisir l’autorité compétente d’une demande de fixation de la contribution d’entretien. Or, en l’absence de délai imparti au recourant, il ne peut être considéré que celui-ci a renoncé à faire valoir son droit à un tel revenu. Par conséquent, c’est à tort que le SPC a inclus des contributions d’entretien de CHF 673.- par enfant dans le calcul des PCFam du recourant.
En fait
En droit

rÉpublique et

1.1 canton de genÈve

POUVOIR JUDICIAIRE

 

A/2358/2021 ATAS/783/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre des assurances sociales

Arrêt du 9 septembre 2022

 

 

 

En la cause

Monsieur A______, domicilié rue ______, Carouge

recourant

contre

SERVICE DES PRESTATIONS COMPLÉMENTAIRES, sis route de Chêne 54, GENÈVE

intimé

 


EN FAIT

 

A.           a. Monsieur A______ (ci-après : le requérant ou le recourant), né le ______ 1984, a déposé une demande de prestations complémentaires familiales (ci-après également PCFam) reçue par le service des prestations complémentaires (ci-après v: le SPC ou l’intimé) le 22 septembre 2020.

b. Il ressort du dossier constitué par le SPC que le requérant a trois enfants à charge : B______ et C______, toutes deux nées le ______ 2011 d’une précédente relation avec Madame D______ (cf. acte notarié), et E______, né le ______2018, de son union actuelle avec Madame F______.

Le requérant ne perçoit aucune contribution d’entretien pour B______ et C______.

c. Par décision du 26 novembre 2020, le SPC a octroyé des prestations complémentaires familiales au requérant dès le 1er novembre 2020, incluant notamment dans son calcul une pension alimentaire potentielle annuelle de CHF 16'152.- (soit CHF 673.- par enfant et par mois ; 2 enfants x CHF 673.-/mois x 12 mois).

B.            a. Les prestations reconnues au requérant ont été mises à jour, pour la dernière fois le 9 décembre 2020, afin de tenir compte des modifications du revenu de l’activité lucrative.

b. Par courrier du 4 janvier 2021, le requérant a contesté la prise en considération d’une pension alimentaire potentielle, expliquant qu’il ne percevait aucune contribution de cette nature pour B______ et C______. En effet, leur mère vivait en Espagne et bénéficiait de l’aide du gouvernement espagnol, de sorte qu’elle ne pouvait pas verser de pension alimentaire. Il avait demandé à son ex-compagne de lui fournir un document officiel attestant de sa situation financière, démontrant son incapacité à entretenir ses enfants en versant une pension alimentaire.

c. Le 28 mai 2021, le requérant a transmis au SPC un document officiel espagnol détaillant des versements en faveur de son ex-compagne.

d. Le 8 juin 2021, le SPC a partiellement réformé sa décision du 9 décembre 2020, en ce sens qu’il a maintenu la prise en compte de la pension alimentaire potentielle, toutefois dès décembre 2020 seulement et non plus dès novembre 2020. En effet, pour le service précité, en l’absence de convention d’entretien, il convenait de prendre en considération une pension alimentaire potentielle de CHF 673.- par enfant et par mois. Dès lors que le requérant n’apportait aucune preuve de démarches entreprises pour fixer le montant de la contribution d’entretien ou faire constater son caractère irrécouvrable, la prise en considération des pensions alimentaires potentielles était maintenue dès le 1er décembre 2020. En revanche, le requérant avait produit un document en espagnol, constituant selon toute vraisemblance un décompte des prestations de l’assurance-chômage espagnole perçues entre janvier et novembre 2020. Par conséquent, le SPC retirait les pensions alimentaires potentielles des calculs pour le mois de novembre 2020, considérant que les montants résultant du décompte (EUR 941,26 et EUR 250.-), si tant est qu’ils aient constitué l’entier des revenus de l’ex-compagne du requérant, ne lui auraient pas permis de s’acquitter des pensions alimentaires en question sans entamer son minimum vital. Pour la suite, il incombait au requérant d’entreprendre toute démarche utile en vue de percevoir les éventuelles contributions d’entretien dues à ses filles, soit plus particulièrement de les faire fixer par l’autorité compétente en l’absence de convention ou de jugement à ce sujet. Cela fait, il lui appartenait ensuite de communiquer au SPC le montant des pensions alimentaires dûment établi par l’autorité compétente ou d’apporter la preuve de leur caractère irrécouvrable. Suite à cela, une mise à jour des prestations allait être effectuée.

C.           a. Par acte daté du 5 juillet 2021, le requérant, avec l’aide de son assistante sociale, a interjeté recours contre la décision sur opposition précitée, estimant qu'il était injustifié de retenir une pension alimentaire potentielle, dès lors que la débitrice de celle-ci, soit la mère de ses deux filles, se trouvait dans une situation tellement précaire qu’elle avait décidé de lui laisser la garde complète. La mère de ses enfants avait continué de percevoir des aides financières du gouvernement espagnol entre le 1er décembre 2020 et le 30 juin 2021, étant précisé qu’elle avait quitté l’Espagne début juillet 2021 pour retourner vivre auprès de sa famille dans son pays d’origine, la Guinée Bissau, où elle n’avait aucun revenu.

b. Le 3 août 2021, le recourant a transmis à la Chambre de céans le relevé des indemnités versées par le gouvernement espagnol entre janvier 2020 et juin 2021.

c. Par courrier du 6 août 2021, le service intimé a conclu au rejet du recours et à la confirmation de la décision sur opposition attaquée, considérant que le recourant n’avait ni invoqué d’argument nouveau ni fourni de pièce permettant de conclure à une appréciation différente.

d. Le 29 août 2021, l’intimé a encore relevé, s’agissant des pièces transmises le 3 août 2021, qu’il avait consenti, par bienveillance, à retirer, dans la décision sur opposition querellée, les contributions d’entretien potentielles pour le mois de novembre 2020, sur la base des relevés de l’assurance-chômage espagnole. Il n’était toutefois pas question de retirer lesdites contributions des plans de calcul relatifs aux prestations dès décembre 2020, étant donné que ces documents ne permettaient pas de considérer que les sommes indiquées constituaient l’entier des ressources de l’ex-compagne du recourant sur les périodes litigieuses, à savoir novembre et décembre 2020. En tout état, lesdites pièces ne dispensaient pas le recourant d’entreprendre toutes les démarches nécessaires pour percevoir les éventuelles contributions d’entretien dues à ses filles, soit, en d’autres termes, de les faire fixer par l’autorité compétente, dès lors qu’aucun jugement ni convention ne figuraient au dossier, ou à défaut, de faire constater, par l’autorité compétente, que de telles pensions ne pouvaient être exigées de son ex-compagne compte tenu de ses ressources. Or, force était de constater que le recourant n’avait pas apporté la preuve que de telles démarches avaient été entamées et encore moins qu’elles avaient abouti.

e. Le recourant n’ayant pas formulé d’observations complémentaires, la cause a été gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

1.             Conformément à l'art. 134 al. 3 let. a de la loi sur l'organisation judiciaire, du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05), la chambre des assurances sociales de la Cour de justice connaît en instance unique des contestations prévues à l'art. 43 de la loi cantonale sur les prestations cantonales complémentaires du 25 octobre 1968 (LPCC - J 4 25) concernant les prestations complémentaires familiales au sens de l’art. 36A LPCC en vigueur dès le 1er novembre 2012.

Sa compétence pour juger du cas d’espèce est ainsi établie.

2.             Selon l’art. 1A al. 2 LPCC, les PCFam sont régies par les dispositions figurant aux titres IIA et III de la LPCC (let. a), par les dispositions de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI du 6 octobre 2006 (LPC - RS 831.30) auxquelles la LPCC renvoie expressément et les dispositions d'exécution de la LPC désignées par règlement du Conseil d'État (let. b) ainsi que par la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales, du 6 octobre 2000 (LPGA - RS 830) et ses dispositions d’exécution (let. c), applicables à titre de droit cantonal supplétif (ATF 138 I 232 consid. 2.4 ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_670/2015 du 7 janvier 2016 consid. 3.1).

Quant à l’art. 2 du règlement relatif aux prestations complémentaires familiales, du 27 juin 2012 (RPCFam - J 4 25.04), il décrit notamment, à son alinéa 1, conformément au renvoi de l’art. 1A al. 2 let b LPCC, les domaines dans lesquels les dispositions d’exécution de la LPC s’appliquent, étant précisé que le dessaisissement en fait partie. L’art. 2 RPCFam prévoit en outre, à son alinéa 3, que dans les limites des renvois prévus par la loi, les directives concernant les prestations complémentaires à l'AVS et à l'AI de l'Office fédéral des assurances sociales (DPC) sont applicables par analogie.

3.             Interjeté dans les formes et délais légaux, le recours est recevable (art. 43 LPCC et 89B de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985; LPA – E 5  10).

4.             Le litige porte sur la prise en considération d'une pension alimentaire potentielle dans le calcul des prestations complémentaires familiales pour le mois de décembre 2020 et dès le 1er janvier 2021, l’intimé ayant accepté, dans la décision sur opposition querellée, de ne pas retenir un tel revenu hypothétique pour le mois de novembre 2020.

5.              

5.1. La couverture des besoins vitaux en matière d’assurance-vieillesse et survivants et d’invalidité est une tâche incombant conjointement à la Confédération et aux cantons (art. 112a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101).

Ce principe se trouve concrétisé par l’art. 2 al. 1 LPC, selon lequel la Confédération et les cantons accordent aux personnes qui remplissent les conditions fixées aux art. 4 à 6 LPC des prestations complémentaires destinées à la couverture des besoins vitaux.

L’art. 2 al. 2 phr. 1 LPC prévoit en outre que les cantons peuvent allouer des prestations allant au-delà de celles qui sont prévues par la LPC et fixer les conditions d’octroi de ces prestations. Ils disposent d’une entière autonomie pour prévoir et régler des aides supplémentaires, pour le financement desquelles, toutefois, ils ne reçoivent pas de contributions de la Confédération ni, en vertu de l’art. 2 al. 2 phr. 2 LPC, ne peuvent percevoir de cotisations patronales (Michel VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n. 1 ss ad art. 2).

5.2. Le canton de Genève prévoit ainsi deux types de prestations sociales, en complément ou en marge des prestations complémentaires prévues par la LPC, ciblant deux catégories distinctes de bénéficiaires : d’une part, les personnes âgées, les conjoints ou partenaires enregistrés survivants, les orphelins et les invalides – bénéficiaires pouvant prétendre le cas échéant au versement de prestations cantonales complémentaires à l'assurance-vieillesse, survivants et invalidité (art. 1 al. 1 et 2 à 36 LPCC) –, d’autre part, les familles avec enfant(s) – bénéficiaires pouvant cas échéant prétendre au versement de prestations complémentaires cantonales pour les familles, appelées prestations complémentaires familiales (art. 1 al. 2 et 36A à 36I LPCC ; ATAS/994/2014 du 9 septembre 2014 ; ATAS/955/2014 du 25 août 2014).

6.              

6.1. L'art. 1 al. 2 LPCC prévoit que les familles avec enfant(s) ont droit à un revenu minimum cantonal d'aide sociale, qui leur est garanti par le versement de prestations complémentaires cantonales pour les familles (ou PCFam).

Ont ainsi droit aux prestations complémentaires familiales, selon l'art. 36A al. 1 LPCC dans sa teneur depuis le 1er août 2020, les personnes qui, cumulativement, ont leur domicile et leur résidence habituelle sur le territoire de la République et canton de Genève depuis 5 ans au moins au moment du dépôt de la demande de prestations (let. a); vivent en ménage commun avec des enfants de moins de 18 ans, respectivement 25 ans si l'enfant poursuit une formation donnant droit à une allocation de formation professionnelle au sens de l'art. 3 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les allocations familiales du 24 mars 2006 (let. b) ; exercent une activité lucrative salariée (let. c); ne font pas l'objet d'une taxation d'office par l'administration fiscale cantonale (let. d) et répondent aux autres conditions prévues par la LPCC (let. e).

Selon l’art. 4 al. 1 RPCFam, les prestations se composent de la prestation complémentaire annuelle (let. a) et du remboursement des frais de garde d’enfants et de soutien scolaire (let. b).

Le montant annuel des prestations complémentaires familiales correspond à la part des dépenses reconnues au sens de l'art. 36F qui excède le revenu déterminant au sens de l'art. 36E, mais ne doit pas dépasser le montant prévu à l'art. 15 al. 2 (art 36D al. 1 LPCC). Les dépenses reconnues et les revenus déterminants des membres du groupe familial sont additionnés (art 36D al. 2 LPCC).

6.2. Le revenu déterminant est défini à l’art. 36E LPCC. Selon cette disposition :

1 Le revenu déterminant est calculé conformément à l'article 11 de la loi fédérale, moyennant les adaptations suivantes :

a) les ressources en espèces ou en nature provenant de l'exercice d'une activité lucrative sont intégralement prises en compte ;

b) le revenu déterminant est augmenté d'un cinquième de la fortune calculée en application de l'article 7 de la présente loi ;

c) les bourses d'études et autres aides financières destinées à l'instruction sont prises en compte ;

d) les ressources de l'enfant ou de l'orphelin à charge provenant de l'exercice d'une activité lucrative régulière sont prises en compte à raison de 50%.

2 En cas d'activité lucrative exercée à temps partiel, il est tenu compte, pour chacun des adultes composant le groupe familial, d'un revenu hypothétique qui correspond à la moitié de la différence entre le revenu effectif et le montant qui pourrait être réalisé par la même activité exercée à plein temps.

3 Lorsque l'un des adultes composant le groupe familial n'exerce pas d'activité lucrative, il est tenu compte d'un gain hypothétique qui correspond à la moitié du montant destiné à la couverture des besoins vitaux de deux personnes selon l'article 36B, alinéa 2.

4 En cas d’augmentation du revenu d’une activité lucrative sans modification du taux d’activité, la détermination du gain hypothétique est précisée par règlement du Conseil d’Etat, de manière à éviter une diminution du revenu disponible.

5 Il n'est pas tenu compte d'un gain hypothétique lorsque le groupe familial est constitué d'un seul adulte faisant ménage commun avec un enfant âgé de moins d'un an.

6 Lorsque l'ayant droit, son conjoint ou son partenaire enregistré renonce à faire valoir un droit à une pension alimentaire, pour lui-même ou en faveur d'un enfant, il est tenu compte d'une pension alimentaire hypothétique, dont le montant correspond aux avances maximales prévues par la législation cantonale en matière d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires.

Quant aux dépenses reconnues, elles sont décrites à l’art. 36F LPCC, lequel prévoit que :

Les dépenses reconnues sont celles énumérées à l’art. 10 de la loi fédérale et ses dispositions d’exécution, à l’exclusion des montant suivants :

a)       le montant destiné à la couverture des besoins vitaux est remplacé par le montant destiné à garantir le minimum cantonal d’aide sociale défini à l’art. 36B ;

b)       le loyer ainsi que les charges sont fixés par règlement du Conseil d’Etat.

Les art. 15 à 19 RPCFam apportent des précisions concernant le revenu déterminant. L’art. 19 porte plus particulièrement sur la notion de revenus auxquels il est renoncé. Cette disposition prévoit ainsi à son alinéa 1 que lorsqu’un ayant droit ou un membre du groupe familial renonce à des éléments de fortune ou renonce à faire valoir un droit à un revenu, il est tenu compte d'un revenu hypothétique, conformément à l'art. 11 al. 1 let. g LPC. L’alinéa 2 de cette même disposition porte plus sur des situations qui ne font pas l’objet de la présente procédure.

6.3. Le règlement d’application de la loi sur l’avance et le recouvrement des pensions alimentaires du 2 juin 1986 dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2009 (RARPA - E 1 25.01), auquel y est notamment fait référence à l’art. 36E al. 6 LPCC, prescrit, à son at. 4 al. 1, que le montant de l'avance en faveur d'un enfant correspond à celui de la pension fixée par le jugement ou la convention, mais au maximum à CHF 673.- par mois et par enfant.

6.4.

6.4.1. Font notamment parties des revenus déterminants au sens de l’art. 11 al. 1 LPC dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2020, auquel les art. 36E al. 1 LPCC et 19 al. 1 RPCFam renvoie, les ressources et parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi (let. g). C’est le lieu de relever que depuis le 1er janvier 2021, l’art. 11a LPC porte spécifiquement sur la question de la renonciation à des revenus ou parts de fortune. Ainsi, désormais, l’art. 11a al. 2 LPC prévoit que les autres revenus parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas été renoncé.

On parle de dessaisissement au sens de la disposition fédérale précitée lorsque l’assuré renonce à une part de fortune sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate, lorsqu’il a droit à certains éléments de revenu ou de fortune mais n’en fait pas usage ou s'abstient de faire valoir ses prétentions, ou encore lorsqu'il renonce à exercer une activité lucrative possible pour des raisons dont il est seul responsable (ATF 134 I 65 consid. 3.2 ; ATF 131 V 329 consid. 4.2 ; ATF 123 V 35 consid. 1).

6.4.2. Lors du calcul de la PC ou ultérieurement, il peut arriver que l’organe d’exécution constate que l’assuré a renoncé à des prestations d’entretien auxquelles il pourrait apparemment prétendre ou que ces prestations ne semblent guère adéquates eu égard à sa situation personnelle ou aux moyens financiers du débiteur. En pareilles circonstances, il convient de se demander si l’on est en présence d’une renonciation à des revenus (art. 11 al. 1 let. g LPC). Les prestations complémentaires ont en effet un caractère subsidiaire par rapport aux obligations d’entretien de droit civil, les premières n’étant dues que si les secondes, notamment, ne suffisent pas. Cela signifie, d’une part, que la personne concernée ne saurait renoncer à mettre à profit une source de revenus qui est à sa disposition et, d’autre part, qu’elle mette tout en œuvre afin d’éviter la disparition d’une source de revenus qui pourrait compromettre ses besoins d’existence (Michel Valterio, op. cit., n° 150 ad art. 11).

6.4.3. En matière de renonciation à une contribution d’entretien, le Tribunal fédéral s’est notamment prononcé comme suit.

Dans un arrêt 9C_396/2018 du 20 décembre 2018, notre Haute Cour a rappelé que les organes des prestations complémentaires étaient liés par les décisions que le juge civil avait rendues en matière de contributions d'entretien. Toutefois, si l'administration devait parvenir, après un examen approprié, à la conclusion que le bénéficiaire de prestations complémentaires devait payer des contributions trop élevées par rapport à ses possibilités financières, elle devait lui fixer un délai approprié pour introduire une demande en modification du jugement civil. Ces règles s'appliquaient également dans l'éventualité inverse, quand le bénéficiaire d'une rente de l'assurance-invalidité renonçait par voie extrajudiciaire à des contributions d'entretien qui lui avaient précédemment été accordées par la convention de divorce, puis requérait le versement de prestations complémentaires. Le cas échéant, l'ayant droit aux prestations complémentaires ne pouvait pas se soustraire à l'obligation de se soumettre à une procédure devant le juge civil compétent, à qui il appartient d'examiner si les conditions d'une suppression ou de réduction de la pension alimentaire sont réunies (consid. 5.1). Le procédé de l’administration [à savoir fixer un délai à l’assuré pour qu’il saisisse le juge civil d’une demande de modification] avait été admis par la jurisprudence, laquelle avait été reprise par l'Office fédéral des assurances sociales (OFAS) dans ses directives administratives, elles-mêmes conformes au droit fédéral (consid. 5.2).  

En 2014, le Tribunal fédéral a encore considéré que la question d'un éventuel dessaisissement de ressources au sens de l'art. 11 al. 1 let. g LPC, qui résulterait d'une renonciation du requérant à faire valoir ses droits en vertu de l'art. 179 al. 1 CC, relatif à la contribution d’entretien entre époux, ne pouvait être tranchée en l'état car la situation financière de l’époux n’était pas connue. Conformément à l'art. 43 al. 1 LPGA, il appartenait en première ligne au SPC d’examiner la question des chances de succès d’une demande de pension fondée sur l'art. 179 al. 1 CC. Ce n’était que si le requérant devait renoncer à saisir le juge civil, contrairement aux instructions que le SPC pourrait être amené à lui donner, ou si le montant de la contribution pécuniaire n'était pas fixé dans une convention sur les effets de la séparation, que le SPC serait alors fondé à tenir compte d'une contribution d'entretien dont le montant devrait être déterminé selon les circonstances du cas d'espèce (mais pas de manière forfaitaire ou abstraite) (arrêt du Tribunal fédéral 9C_511/2013 du 8 mai consid. 2).

Dans un arrêt plus ancien, daté du 18 décembre 1990, notre Haute Cour a retenu, en lien avec la nécessité de saisir le juge ou l’autorité compétente d’une demande de modification de la contribution d’entretien, que le seul fait d’indiquer au requérant les moyens de droit ne permettait pas de conclure à un acte de dessaisissement. Il appartenait au contraire à l’administration ou au juge d’attirer l’attention du requérant sur les revenus manquants et de l’inviter à introduire une procédure judiciaire dans un délai approprié. L’administration ou le juge devait joindre l’avertissement qu’en cas d’omission, la prestation complémentaire allait être calculée à l’échéance du délai en tenant compte de ce revenu présumé, ce qui pouvait entraîner une réduction voire une suppression du droit. Ce n’était que lorsque ces conditions étaient remplies qu’il pouvait être considéré que le comportement du requérant constituait un dessaisissement (RCC 1991 p. 143 consid. 4b).

6.4.4.

6.4.4.1. S’agissant de la renonciation à une contribution d’entretien, les DPC prévoyaient plus particulièrement ce qui suit jusqu’au 31 décembre 2016 :

§   Des prestations d’entretien dues et effectivement versées pour le conjoint vivant séparé, l’ex-conjoint divorcé et les enfants étaient entièrement prises en compte dans les revenus. Les prestations d’entretien étaient dues jusqu’à la majorité de l’enfant ou jusqu’au moment où il avait acquis une formation appropriée (n° 3491.01 DPC).

§   Etaient également prises en compte des prestations d'entretien du droit de la famille non versées, à moins que le bénéficiaire de PC ne démontre que le débiteur n’était pas en mesure de les verser (p. ex. preuve d'une poursuite infructueuse, acte de défauts de biens, preuve que le débiteur des prestations n'est pas en mesure de les verser, etc.; RCC 1992 p. 270 ss) et qu'il n'existait aucun droit à obtenir des avances correspondantes (DPC, n° 3491.04).

§   Si la contribution d’entretien reposait sur un contrat qui n’avait pas été approuvé par le juge ou une autorité compétente, l’organe PC devait tenir compte de la contribution convenue pour autant que son montant ne fût pas manifestement trop bas (n° 3491.06 DPC).

§   Si aucune contribution d’entretien n’était prévue en faveur des enfants, l’organe PC devait déterminer une éventuelle obligation y relative et en fixer le montant à prendre en compte sur la base des critères suivants (n° 3493.01).

En principe, les prestations d’entretien en faveur des enfants étaient la règle, étant précisé que le minimum vital devait être garanti dans chaque cas. Pour déterminer le montant des contributions d’entretien en faveur d’enfants dont les parents ne partageaient pas la garde, on devait tenir compte du revenu net, après déduction des allocations pour enfants, à concurrence de 17% pour un enfant, de 27% pour deux enfants et de 35% pour trois enfants (n° 3493.02).

6.4.4.2. Avec le nouveau droit en matière d’entretien de l’enfant, entré en vigueur le 1er janvier 2017, le calcul des contributions d’entretien a gagné en complexité, ce qui a entraîné l’adaptation des DPC. Dans cette optique, les cas dans lesquels les organes PC doivent calculer eux-mêmes le montant d’une contribution d’entretien ont été réduits au minimum et sont clairement réglés dans les DPC. Les organes PC devront procéder à ce calcul uniquement lorsqu’un bénéficiaire de PC ne respecte pas son obligation de collaborer et ne verse pas une contribution d’entretien appropriée. Le calcul du montant de la contribution d’entretien doit être aussi simple que possible pour les organes PC, raison pour laquelle il a été décidé que ceux-ci peuvent se référer à des forfaits pour déterminer la situation économique du débiteur de la contribution d’entretien (DPC - Avant-propos concernant le supplément 6, en vigueur depuis le 1 er janvier 2017).

Désormais, les DPC prévoient que :

§   Des prestations d’entretien dues et effectivement versées pour le conjoint vivant séparé, l’ex-conjoint divorcé et les enfants sont entièrement prises en compte dans les revenus. Peu importe que ces prestations soient fournies en espèces ou en nature (n° 3491.01 DPC). Des prestations d’entretien fixées ou approuvées par le juge ou par une autorité compétente lient les organes PC, sous réserve des cas au sens du no 3497.01 DPC (n° 349102)

§   Des prestations d’entretien dues mais non versées sont entièrement prises en compte dans les revenus, à moins qu’il ne soit dûment démontré qu’elles sont irrécouvrables. Elles peuvent être considérées comme telles lorsque toutes les possibilités légales dont on pouvait raisonnablement escompter qu’elles soient mises en œuvre pour obtenir satisfaction ont été épuisées, ou lorsqu’il est manifeste que le débiteur n’est pas en mesure de remplir ses obligations. Cela peut découler d’attestations officielles (documents des autorités fiscales ou preuve d’une poursuite infructueuse), voire des conditions de revenu et de fortune du débiteur (p. ex. bénéficiaire de prestations d’assistance). La preuve du caractère irrécouvrable de la créance incombe au bénéficiaire de PC (n° 3482.09, 3491.03 DPC).

§   Si la contribution d’entretien repose sur une convention qui n’a pas été approuvée par le juge ou par une autorité compétente, l’organe PC tient compte de la prestation convenue pour autant que son montant ne soit pas manifestement trop bas. L’organe PC peut cependant exiger du bénéficiaire de PC qu’il fasse approuver la contribution d’entretien par l’autorité ou le juge compétents (n° 3491.05 DPC).

§   Si aucune convention d’entretien n’a été conclue ou si le montant de la contribution d’entretien convenue est manifestement trop bas, l’organe PC intime au bénéficiaire de PC de demander à l’autorité ou au juge compétents, dans un délai de trois mois, d’approuver la contribution d’entretien ou d’en fixer le montant. Durant ces trois mois, seules les contributions d’entretien effectivement versées peuvent être prises en compte au titre du revenu (n° 3491.06 DPC). Si le bénéficiaire de PC se conforme dans les trois mois à l’exigence de l’organe PC, seules les contributions d’entretien effectivement versées peuvent être prises en compte jusqu’à ce que l’autorité ou le juge approuve la contribution d’entretien ou en fixe le montant. Après l’approbation de la contribution d’entretien ou la fixation de son montant, le calcul des PC doit, le cas échéant, être adapté rétroactivement (n° 3491.07 DPC). Si le bénéficiaire de PC n’obtempère pas dans les trois mois, l’organe PC fixe lui-même le montant de la contribution d’entretien. Il le calcule conformément aux règles des chapitres 3.4.9.2 à 3.4.9.6 des directives, lesquelles prévoient, notamment, que, pour le calcul de la prestation d’entretien, il faut, dans un premier temps, déterminer les besoins de base et le revenu des deux conjoints ; dans un deuxième temps, il faut déduire leurs besoins de base de leur revenu ; l’excédent éventuel est attribué pour moitié aux deux conjoints. Il est également précisé que les besoins de base correspondent en principe au minimum vital au sens du droit des poursuites (n° 3491.08, 3492.02 et 3492.03 DPC).

6.4.4.3. Les directives de l’administration sont destinées à assurer l’application uniforme des prescriptions légales et n’ont pas force de loi. Elles ne lient dès lors ni les administrés ni les tribunaux; elles ne constituent pas des normes de droit fédéral et n’ont pas à être suivies par le juge. Elles servent tout au plus à créer une pratique administrative uniforme et présentent à ce titre une certaine utilité; elles ne peuvent en revanche sortir du cadre fixé par la norme supérieure qu’elles sont censées concrétiser. En d’autres termes, à défaut de lacune, les directives ne peuvent prévoir autre chose que ce qui découle de la législation ou de la jurisprudence (ATF 131 V 42 cons. 2.3 et les références citées); cela ne signifie toutefois pas que le juge des assurances sociales n'en tienne pas compte. Au contraire, il ne s'en écarte que dans la mesure où les directives administratives établissent des normes qui ne sont pas conformes aux dispositions légales applicables (ATF 133 V 587 cons. 6.1 ; ATF 133 V 257 cons. 3.2).

C’est le lieu de noter que pour le Tribunal fédéral, les DPC ne font que de reprendre sa jurisprudence et la doctrine et sont donc conformes au droit (arrêt du Tribunal fédéral 9C_396/2018 di 20 décembre 2018 consid. 5.2)

7.              

7.1. En matière d'interprétation, il faut, en premier lieu, se fonder sur la lettre de la disposition en cause (interprétation littérale). Si le texte de cette dernière n'est pas absolument clair, si plusieurs interprétations de celui-ci sont possibles, le juge recherchera la véritable portée de la norme en la dégageant de sa relation avec d'autres dispositions, de son contexte (interprétation systématique), du but poursuivi, singulièrement de l'intérêt protégé (interprétation téléologique), ainsi que de la volonté de son auteur telle qu'elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique). Le sens que prend la disposition dans son contexte est également important (ATF 128 II 347 consid. 3.5 ; ATF 128 V 105 consid. 5 ; ATF 128 V 207 consid. 5b ; ATF 125 II 484 consid. 4). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d'interprétation, mais s'inspire d'un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; en particulier, il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s'il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 143 II 202 consid. 8.5 ; ATF 143 I 109 consid. 6.1 ; ATF 134 I 184 consid. 5.1). Par ailleurs, les dispositions d'exception ne doivent être interprétées ni restrictivement ni extensivement, mais conformément à leur sens et à leur but, dans les limites de la règle générale (ATF 131 V 279 consid. 2.4 ; ATF 130 V 229 consid. 2.2 ; ATF 130 V 472 consid. 6.5.6 ; ATF 118 Ia 175 consid. 2d ; ATF 117 Ib 114 consid. 7c ; ATF 114 V 298 consid. 3e).

7.2. L'interprétation littérale consiste en substance à tirer tous les renseignements possibles du sens littéral de la règle. Il s'agit ainsi de comprendre la signification de chaque mot pris individuellement et de se concentrer sur les relations grammaticales entre les mots telles que résultant de la syntaxe (accords, objet d'une négation) ainsi que de l'usage de la ponctuation. En outre, la manière dont le législateur a ordonné les alinéas d'un article, dont il a divisé le texte (au moyen de titres, sous-titres, etc.) et structuré les notes marginales relève également de l'interprétation littérale. Quant à l'interprétation systématique, elle vise à prendre la mesure de la structure formelle dans laquelle la règle s'intègre : l'ordonnancement des titres, des notes marginales, des alinéas et des phrases donnant un rapport hiérarchique aux règles, ce qui permet souvent d'en déterminer le champ d'application. Il y a également lieu d'examiner les liens établis par le texte légal entre certaines règles, au moyen de renvois plus ou moins explicites à d'autres dispositions. Relève également de l'interprétation systématique le fait de comparer des normes et, lorsqu'elles ont des éléments communs et des différences, d'en tirer des conclusions sur les intentions du législateur (Paul-Henri STEINAUER, Le Titre préliminaire du Code civil et Droit des personnes, 2e éd., 2009, n° 262 et ss, p. 87 et ss).

8.              

8.1. Le juge des assurances sociales fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d'être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c'est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu'un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 130 III 321 consid. 3.2 et 3.3 ; ATF 126 V 353 consid. 5b ; ATF 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n'existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l'administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l'assuré (ATF 126 V 319 consid. 5a).

8.2. La procédure est régie par le principe inquisitoire, d'après lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d'office par le juge. Mais ce principe n'est pas absolu. Celui-ci comprend en particulier l'obligation des parties d'apporter, dans la mesure où cela peut être raisonnablement exigé d'elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l'absence de preuves (ATF 125 V 193 consid. 2 ; VSI 1994, p. 220 consid. 4). Car si le principe inquisitoire dispense celles-ci de l'obligation de prouver, il ne les libère pas du fardeau de la preuve. En cas d'absence de preuve, c'est à la partie qui voulait en déduire un droit d'en supporter les conséquences (ATF 117 V 261 consid. 3), sauf si l'impossibilité de prouver un fait peut être imputée à l'adverse partie (ATF 124 V 372 consid. 3 ; RAMA 1999 U 344 p. 418 consid. 3).

9.              

9.1. En l’espèce, l'intimé a retenu une contribution d’entretien hypothétique de CHF 673.- par mois et par enfant, au motif que le recourant n’avait pas démontré avoir entrepris des démarches en vue de fixer des contributions d’entretien pour ses deux filles ou la constatation du caractère irrécouvrable de ces contributions. Le SPC a également indiqué pour la première fois dans sa décision sur opposition du 8 juin 2021 qu’il incombait au recourant d’entreprendre de telles démarches en vue de percevoir des contributions d’entretien. Une fois le montant des pensions alimentaires établi par l’autorité compétente, il appartenait au recourant de l’en informer ou d’apporter la preuve du caractère irrécouvrable de ces revenus potentiels.

C’est le lieu de rappeler qu’en matière de prestations complémentaires fédérales, lorsqu’un assuré ne perçoit aucune contribution d’entretien, alors qu’il pourrait en théorie y prétendre, il convient de se demander si l’on est en présence d’une renonciation à des revenus au sens des 11 al. 1 let. g LPC, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020 ou 11a al. 2 LPC, dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2021. La question qui se pose dans ce contexte est celle de savoir si ces dispositions ainsi que la jurisprudence et les directives y relatives, et notamment la fixation d’un délai de trois mois, sont applicables par analogie compte tenu du renvoi de l’art. 36E al. 1 LPCC ou si l’art. 36E al. 6 LPCC, qui porte spécifiquement sur la question de la prise en considération de contributions d’entretien et qui ne prévoit pas de délai de trois mois, règle la situation de manière exhaustive.

9.2. Se pose donc, dans un premier temps, la question du rapport entre ces deux alinéas. L’alinéa 6 est-il complémentaire à l’alinéa 1 ou doit-on considérer qu’il s’agit d’une lex specialis ?

C’est le lieu de rappeler que les alinéas 1 et 6 de l’art. 36E LPCC sont formulés comme suit :

1 Le revenu déterminant est calculé conformément à l'article 11 de la loi fédérale, moyennant les adaptations suivantes ( ).

( )

6 Lorsque l'ayant droit, son conjoint ou son partenaire enregistré renonce à faire valoir un droit à une pension alimentaire, pour lui-même ou en faveur d'un enfant, il est tenu compte d'une pension alimentaire hypothétique, dont le montant correspond aux avances maximales prévues par la législation cantonale en matière d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires.

9.3. Il convient donc d’interpréter l’art. 36E al. 6 LPCC en examinant, en premier lieu, la lettre de cette disposition.

Selon l’Académie française, le terme « renoncer » signifie s’abstenir de faire valoir un droit, soit par un acte exprès, soit par un abandon pur et simple ; cesser de prétendre ou d’aspirer à quelque chose. Quant au verbe « valoir », il signifie procurer, faire obtenir, produire.

Ainsi, l’expression « renoncer à faire valoir un droit à une pension alimentaire » signifie en substance s’abstenir d’obtenir une contribution alimentaire.

L’interprétation littérale ne donne toutefois pas d’indication sur le rapport entre l’alinéa 6 et l’alinéa 1. Tout au plus peut-on constater que les termes employés sont les mêmes à l’art. 36E al. 6 LPCC et dans la jurisprudence en lien avec l’art. 11 al. 1 let. g LPC.

9.3.1. Avec l'interprétation téléologique, il convient de rechercher le but poursuivi, l'intérêt protégé par la disposition en question. Cette méthode est proche de l'interprétation historique, dont le but est de déterminer la volonté du législateur telle qu'elle ressort des travaux préparatoires. Dans la mesure où le but poursuivi par la disposition à interpréter peut se recouper avec la volonté du législateur, il est difficile de procéder à une interprétation téléologique et à une interprétation historique séparément. Par conséquent, ces deux méthodes seront examinées ensemble pour des questions pratiques.

9.3.2. Il ressort de l’exposé des motifs relatifs au PL 10600 (MGC 2009-2010 III A 2846) que le législateur genevois a voulu aligner le calcul des prestations complémentaires familiales sur celui des prestations complémentaires fédérales (ci-après : également PCF) uniquement dans des cas précis, pour lesquels le droit cantonal comporte un renvoi exprès :

Si les prestations complémentaires familiales ont également pour but de garantir un revenu minimum d'aide sociale, le cercle des bénéficiaires est distinct de celui des prestations complémentaires à l'AVS/AI. De ce fait, les prestations complémentaires familiales ne peuvent pas se calquer sans autre sur le droit fédéral en matière de prestations complémentaires à l'AVS/AI. Il s'agit d'un nouveau régime nécessitant des dispositions spécifiques. Pour cette raison, la lettre b) précise que la loi fédérale sur les prestations complémentaires AVS/AI s'applique seulement dans la mesure où le droit cantonal y renvoie de manière explicite, ce qui est le cas pour le calcul du revenu déterminant (l'article 36E renvoie à l'article 11 de la loi fédérale) et pour le calcul des dépenses (l'article 36F renvoie à l'article 10 de la loi fédérale). Le règlement du Conseil d'Etat déterminera les dispositions de l'ordonnance sur les prestations complémentaires à l'AVS/AI (OPC) qui seront applicables aux prestations complémentaires familiales.

Ce renvoi exprès figure notamment à l’art. 36E al. 1 LPCC comme cela ressort de l’exposé des motifs (MGC 2009-2010 III A 2850) :

Comme c'est le cas pour les prestations cantonales complémentaires à l'AVS/AI, le calcul des prestations complémentaires familiales s'aligne sur celui des prestations fédérales complémentaires à l'AVS/AI. Par conséquent, le revenu déterminant est calculé conformément à la [LPC], par un renvoi explicite à l'[art. 11 LPC], sous réserve des adaptations spécifiques figurant aux lettres a à d. Ces adaptations permettent en outre de rendre compatible le calcul des prestations complémentaires familiales avec celui du revenu déterminant unifié (RDU).

Ce renvoi est également rappelé en lien avec l’alinéa 6 de l’art. 36E LPCC (MGC 2009-2010 III A 2852) :

En vertu de l'article 11 de la loi fédérale, applicable par le renvoi de l'article 36E, alinéa 1, il faut considérer comme revenus tous les éléments de revenu et de fortune auxquels il a été renoncé, y compris la pension alimentaire. Si une telle pension est fixée par jugement, son montant sera intégré dans le calcul de la prestation. Dans un but incitatif, la présente disposition exige la prise en compte d'une pension alimentaire hypothétique lorsque la personne renonce à en faire fixer une par jugement ou qu'elle renonce à exiger le paiement de sa pension et ne s'adresse pas non plus au service cantonal d'avance et de recouvrement des pensions alimentaires (SCARPA). Dans ces cas, le calcul de sa prestation complémentaire familiale prendra en compte une pension hypothétique de 673 F par mois et par enfant et de 833 F par mois pour le conjoint. Cette disposition ne sera bien entendu pas applicable lorsque le créancier d'une pension alimentaire est dans l'impossibilité de la réclamer (par exemple lorsque le débiteur est parti pour une destination inconnue) » (MGC 2009-2010 III A 2852).

9.3.3. Il ressort ainsi des débats parlementaires que le législateur genevois a voulu aligner le calcul des prestations complémentaires familiales sur celui des prestations fédérales complémentaires à l'AVS/AI uniquement dans des cas précis, soit lorsque le droit cantonal y renvoie expressément. Cela est justement le cas pour la notion de revenu déterminant (cf. art. 36E al. 1 LPCC) et ce renvoi a été confirmé en ce qui concerne la renonciation à une contribution d’entretien (cf. exposé des motifs en lien avec l’art. 36E al. 6 LPCC).

En d’autres termes, les interprétations téléologique et historique permettent de considérer que la notion de revenu pertinent pour le calcul des PCFam s’aligne sur celui concernant les prestations complémentaires fédérales, à tout le moins en ce qui concerne la prise en considération d’une contribution d’entretien.

9.4. Avec l'interprétation systématique, on compare notamment les normes et, lorsqu'elles ont des éléments communs et des différences, on en tire des conclusions sur les intentions du législateur.

Dans son ATAS/1195/2020 du 3 décembre 2020, la Chambre de céans a été amenée à examiner la question du rapport entre l’art. 36E al. 1 LPCC et les alinéas 2 à 5 de cette même disposition. Elle a ainsi considéré que les alinéas 2 à 5 constituaient des lex specialis par rapport à l’alinéa 1. Concrètement, la Chambre de céans a estimé que du point de vue de la systématique, l'art. 36E LPCC, s'il renvoie de façon générale à son alinéa 1 à l'art. 11 LPC, prévoit ensuite de façon précise les modalités de prise en compte du gain hypothétique en appréhendant plusieurs situations (personne exerçant une activité lucrative à temps partiel, personne sans activité lucrative, augmentation du revenu de l'activité lucrative sans modification du taux d'activité et exception à la prise en compte du gain hypothétique). Au vu de la structure de cet article, la notion de gain hypothétique prévue aux al. 2 à 5 apparait comme une lex spécialis par rapport à celle, générale, de bien dessaisi de l'art. 11 al. 1 let. g LPC, qui a par ailleurs nécessité des précisions jurisprudentielles. Or, selon le principe de la lex specialis, elle l'emporte sur la loi plus générale (ATF 146 III 37 ; ATF 141 IV 26).

L’ATAS/1195/2020 précité ne s’est toutefois pas prononcé sur le rapport entre l’alinéa 1 de l’art. 36E LPCC et son alinéa 6, lequel concerne le cas où l'ayant droit, son conjoint ou son partenaire enregistré renonce à faire valoir un droit à une pension alimentaire, pour lui-même ou en faveur d'un enfant.

Se pose donc la question de savoir si les principes dégagés dans l’ATAS/1195/2020 susmentionné, au terme de l’interprétation systématique de l’art. 36E, s’appliquent également à l’alinéa 6, étant rappelé que dans l’arrêt précité en question, la Chambre de céans a considéré que les alinéas 2 à 5 constituaient des lex specialis par rapport au principe général figurant à l’alinéa 1.

Tel n’est que partiellement le cas en ce qui concerne l’alinéa 6. En effet, le principe de prise en considération d’une contribution d’entretien potentielle en cas de renonciation à faire valoir le droit à une telle contribution correspond à ce qui est prévu par l’art. 11 al. 1 let. g LPC. Il ne s’agit ainsi pas d’une situation particulière nouvelle prévue par l’alinéa 6. En réalité, la seule nouveauté concerne le montant à prendre en considération. En effet, alors qu’en matière de prestations complémentaires fédérales, le SPC doit calculer le montant de la contribution d’entretien hypothétique en cas de renonciation à une telle contribution, le SPC prend en considération le montant de CHF 673.- en matière de prestations complémentaires familiales.

Dans cette mesure, l’art. 36E al. 6 LPCC constitue uniquement une lex specialis par rapport à l’art. 11 al. 1 let. g LPC en ce qui concerne le montant à prendre en considération – forfaitaire dans le cas des PCFam et calculé en fonction de la capacité contributive du débiteur en matière de PCF –, la question de savoir s’il y a renonciation à une contribution alimentaire se déterminant de manière identique dans les deux cas.

9.5. Au vu de ce qui précède, les interprétations de l’art.36E LPCC conduisent à retenir que la question de la renonciation à une contribution d’entretien doit être traitée de manière identique en matière de prestations complémentaires familiales et de prestations complémentaires fédérales, seul le montant éventuellement à prendre en considération à titre de contribution d’entretien potentielle étant différent (forfaitaire en matière de PCFam et calculé en fonction de la capacité contributive du débiteur en matière de PCF).

10.          

10.1. Dans le cas du recourant, se pose donc la question de savoir si le fait qu’il n’ait pas requis de l’autorité compétente la fixation d’une contribution d’entretien en faveur de ses deux filles constitue une renonciation à faire valoir un tel revenu. Cette problématique s’examine en prenant en considération la jurisprudence relative à l’art. 11 al. 1 let. g LPC (désormais art. 11a al. 2 LPC) et les DPC en la matière, compte tenu notamment du renvoi de l’art. 2 al. 2 RPCFam

Les DPC, qui s’inspirent de la jurisprudence publiée au RCC 1991 p. 143 consid. 4b, prévoient que l’organe PC doit intimer au bénéficiaire de PC de demander à l’autorité ou au juge compétents, dans un délai de trois mois, d’approuver la contribution d’entretien ou d’en fixer le montant. Durant ces trois mois, seules les contributions d’entretien effectivement versées peuvent être prises en compte au titre du revenu (n° 3491.06 DPC). Ce n’est que si le bénéficiaire de PC n’obtempère pas dans les trois mois que l’organe PC fixe lui-même le montant de la contribution d’entretien (n° 3491.08, 3492.02 et 3492.03 DPC).

Or, il ressort du dossier soumis à la Chambre de céans que le SPC a pris en considération une contribution d’entretien potentielle sans avoir au préalable imparti au recourant un délai pour saisir l’autorité compétente d’une demande tendant à la fixation, éventuellement avec un effet rétroactif, d’une telle pension.

Ce faisant, l’intimé n’a pas respecté la procédure prévue par les DPC et le Tribunal fédéral (n° 3491.06 DPC et RCC 1991 p. 143 consid. 4b ci-dessus), dès lors qu’il n’a imparti aucun délai au recourant pour faire les démarches avant de prendre en considération une contribution d’entretien de CHF 673.- par enfant.

Ainsi, en l’absence de délai imparti au recourant, il ne peut être considéré que celui-ci a renoncé à faire valoir son droit à une contribution d’entretien, de sorte qu’aucun revenu fictif de ce type ne doit être pris en considération dans les plans de calcul relatifs à la période litigieuse.

10.2. Aucun délai n’ayant été imparti jusqu’à ce jour, le SPC ne saurait prendre en considération des contributions d’entretien de CHF 673.- par enfant.

Si par la suite, le SPC devait fixer un tel délai pour saisir l’autorité compétente, le recourant pourrait renoncer, par économie de procédure, à le faire, s’il est en mesure de rendre vraisemblable que les contributions d’entretien sont quoi qu’il en soit irrécouvrables. Pour ce faire, le recourant pourrait soit produire des pièces attestant des faibles revenus de son ex-compagne, soit démontrer une différence de niveau de vie entre les deux pays, comme la Chambre de céans l’a fait dans ses ATAS/161/2021 du 18 février 2021 et ATAS/ 277/2020 du 6 avril 2020.

10.3. Au vu de ce qui précède, la décision sur opposition querellée doit être annulée et aucune contribution d’entretien ne doit être incluse dans le calcul des PCFAm tant que l’intimé n’aura pas fixé au recourant un délai de trois mois (cf. ch. 3491.06 à 34091.08 DPC par analogie, compte tenu notamment de l’art. 2 al. 3 RPCFam) pour saisir l’autorité compétente d’une demande de fixation de la contribution d’entretien et/ou pour produire toute pièce attestant du caractère irrécouvrable d’une éventuelle pension alimentaire.

11.         Le recours sera donc admis et la décision sur opposition querellée annulée. La cause sera renvoyée à l’intimé pour nouveaux calculs sans la contribution d’entretien potentielle ainsi que pour nouvelle(s) décision(s) au sens des considérations qui précèdent, pour les périodes qui commencent le 1er décembre 2020.

Bien qu’il obtienne gain de cause, le recourant n’a pas droit à des dépens. Outre le fait qu’il n’est pas représenté mais uniquement assisté par son assistante sociale, cette dernière est employée d’un service de l’administration publique, lequel ne tire pas ses ressources de cotisations ou du soutien financier de ses membres. Il n’y a dès lors pas de justification économique à l’allocation de dépens (cf. par analogie ATF 126 V 11 consid. 5).

Pour le surplus, la procédure est gratuite (art. 61 let. fbis a contrario LPGA et 89H al. 4 LPA).

 

***


 

PAR CES MOTIFS,
LA CHAMBRE DES ASSURANCES SOCIALES :

Statuant

Conformément à l'art. 133 al. 2 LOJ

À la forme :

1.        Déclare le recours recevable.

Au fond :

2.        L’admet et annule la décision sur opposition de l’intimé du 8 juin 2021.

3.        Renvoie la cause à l’intimé pour nouveaux calculs dès le 1er décembre 2020 et nouvelle(s) décision(s), au sens des considérants.

4.        Dit que la procédure est gratuite.

5.        Informe les parties de ce qu’elles peuvent former recours contre le présent arrêt dans un délai de 30 jours dès sa notification auprès du Tribunal fédéral (Schweizerhofquai 6, 6004 LUCERNE), par la voie du recours en matière de droit public, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral, du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110); le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire; il doit être adressé au Tribunal fédéral par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi.

 

La greffière

 

 

 

 

Diana ZIERI

 

La présidente

 

 

 

 

Valérie MONTANI

Une copie conforme du présent arrêt est notifiée aux parties par le greffe le