Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/497/2025 du 06.05.2025 ( FPUBL )
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE | ||||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/3952/2024-FPUBL ATA/497/2025 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt sur partie du 6 mai 2025 |
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dans la cause
A______ recourant
représenté par Me Sacha CAMPORINI, avocat
contre
HÔPITAUX UNIVERSITAIRES DE GENÈVE intimés
représentés par Me Anne MEIER, avocate
A. a. A______ a été engagé le 27 janvier 2015 en qualité de B______ par les Hôpitaux universitaires de Genève (ci-après : HUG), avec entrée en fonction le 16 février 2015. Il a été nommé fonctionnaire dès le 1er mars 2017.
b. Selon son cahier des charges, ses activités en tant que transporteur brancardier sont les suivantes : assurer et garantir toutes les prestations de transport des patients ; effectuer le transport de patients décédés et de pièces anatomiques ; acheminer les produits pharmaceutiques et radioactifs ainsi que les prélèvements biologiques et le matériel de site de soins en urgence d'un site de soins à un autre.
c. Dès le 1er septembre 2018, son taux d'activité est passé de 100% à 80%.
B. a. Du 7 octobre 2023 au 14 février 2024, A______ s'est trouvé en incapacité totale de travailler à la suite d'un accident non professionnel.
b. Dans l'intervalle, le 23 janvier 2024, les HUG l'ont informé du fait que puisque son absence dépassait les cinq mois, une réduction serait effectuée progressivement et automatiquement sur son solde de vacances.
c. Le brancardier a repris son activité au taux contractuel (80%) le 15 février 2024.
d. Les HUG l'ont convoqué à un entretien qui s'est déroulé le 27 février 2024, dans la mesure où il les avait informés le 14 février 2024 de son retour au travail pour le lendemain, à « temps plein », avec des limitations. Le but de l'entretien était de faire un point de situation.
e. Dans un certificat médical établi le 13 mars 2024, le médecin traitant de A______ a prescrit une limitation de port de charges à 15 kg, précisant « pas de patients en lit/fauteuil à pousser », du 15 février au 15 avril 2024. Pour le surplus, l'intéressé avait une pleine capacité de travail.
f. Le 22 mars 2024, A______ a consulté, sur requête des HUG, le docteur B______, médecin du travail.
Selon le rapport médical établi par le médecin, l'intéressé était « apte sur son poste moyennant une reprise à un taux partiel d'activité, actuellement fixé à 50%, sans manutention ni manipulation de charges > 15 kg. Restrictions évolutives sur six mois ».
g. Le 9 avril 2024, la responsable des ressources humaines (ci-après : RRH) a informé A______ du fait qu'en raison de la discordance entre le rapport du médecin du travail et le certificat médical de reprise à 100% de son médecin traitant, il serait reçu par le médecin-conseil. Afin de protéger sa santé, les HUG devaient respecter l'avis du médecin du travail et le planifier à hauteur de 50% de son taux de 80% dès le jour même, le reste étant saisi en code 02 absence (qui pourrait être rétroactivement modifié selon l'avis du médecin-conseil).
h. Le même jour, A______ a contesté les conclusions du rapport établi par le Dr B______ et a demandé aux HUG de revenir sur leur décision.
i. Les 12 et 17 avril 2024 ainsi que le 29 mai 2024, le médecin traitant du brancardier a établi de nouveaux certificats médicaux reprenant les termes de celui du 13 mars 2024, les limitations s'étendant cette fois-ci respectivement jusqu'au 17 avril 2024 ainsi que jusqu'aux 17 et 29 mai 2024.
j. Le 17 avril 2024, A______ a consulté une seconde fois le Dr B______.
Dans un courriel adressé le même jour à la RRH, le Dr B______ a indiqué que l'intéressé était « apte sur son poste moyennant une reprise sans manutention ni manipulation de charges > 15 kg. Durée maximale prévisible des restrictions : trois mois ». Aucune restriction relative au taux d'activité n'était mentionnée.
k. Le 29 avril 2024, A______ a contesté ne pas pouvoir exécuter son travail à 100% de son taux contractuel, sous réserve des limitations liées à la manipulation de charges lourdes, et a mis les HUG en demeure de lui fournir du travail.
l. Le 14 mai 2024, les HUG ont répondu qu'il ne relevait pas de leur compétence d'anticiper l'avis du médecin-conseil. En revanche, si la reprise complète devait être confirmée par celui-ci, une régularisation serait opérée afin de lever tous préjudices.
m. Le 29 mai 2024, le médecin traitant de A______ a établi un nouveau certificat médical à teneur duquel la limite du port de charges était portée à 30 kg et selon lequel l'intéressé n'était pas en mesure d'effectuer des transports de patients en lit et de type « métro ». Les limitations s'étendaient du 30 mai au 30 juin 2024.
n. Le 10 juin 2024, l'employé a été reçu par le médecin-conseil des HUG, le docteur C______.
Selon l'avis médical établi par le médecin le 31 juillet 2024, la situation médicale de l'intéressé était encore évolutive compte tenu des progrès en cours. En l'état, celui-ci ne pouvait pas soulever de charges supérieures à 30 kg ni effectuer de tâches nécessitant des poussées ou des tractions de lits. Ces restrictions le rendaient inapte à assumer sa fonction sans réserve puisque le cahier des charges d'un brancardier demandait d'assurer et garantir toutes les prestations de transport des patients en veillant à leur sécurité et à leur confort. Cependant, avec le respect de ces restrictions, il était capable de travailler à 100%.
L'avis médical a été remis à A______ le 11 novembre 2024.
o. Le 1er juillet 2024, ce dernier a réitéré sa disponibilité à son taux contractuel et a mis à nouveau les HUG en demeure de lui fournir du travail pour l'entier de ce taux.
p. Le 9 juillet 2024, il a transmis à son employeur un nouveau certificat médical établi le 3 juillet 2024 par son médecin traitant, selon lequel il était apte à une reprise de travail à 100% avec une levée de toutes les limitations fonctionnelles, dès le 1er juillet 2024.
q. Le 15 juillet 2024, les HUG l'ont autorisé à reprendre son activité au taux contractuel, compte tenu du certificat médical produit sans restriction avec une reprise à 100%.
r. Le 17 septembre 2024, A______ a requis des HUG qu'ils rectifient les périodes d'absences – pour incapacité de travail figurant sur son planning – suivantes : du 9 au 21 avril 2024, du 1er au 9 mai 2024 ainsi que du 20 mai au 11 juillet 2024. Il partait du principe qu'ils admettaient leur erreur d'interprétation concernant son défaut de capacité de travailler depuis le 9 avril 2024.
s. Le 10 octobre 2024, la RRH lui a répondu que son médecin traitant préconisait une reprise à 100% avec des limitations, alors que le Dr B______, médecin du travail, une reprise à 50% avec des limitations similaires. Ce dernier avis étant basé sur la connaissance du poste de B______ et les risques professionnels associés, la reprise avait été effectuée en respectant les recommandations du médecin du travail dans l'attente d'une évaluation complémentaire du médecin-conseil. La pleine capacité sous-tendait que l'état de santé de la personne concernée permettait de répondre aux exigences du poste. Le métier de brancardier impliquait des mobilisations de patients dont les charges étaient variables. Même si des moyens étaient mis en œuvre pour limiter ces impacts physiques, une bonne condition physique restait incontournable. Être dépendant d'une limitation de charges, à l'image de A______, ne pouvait correspondre à une pleine capacité à l'exercice du métier. Partant, la levée des limitations prescrites dans le certificat médical daté du 3 juillet 2024 avait permis la reprise à temps plein effective. Il ne pouvait être question d'admettre une hypothétique erreur d'interprétation justifiant une correction de saisie rétroactive.
C. a. Par acte remis à la poste le 27 novembre 2024, A______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre « la décision de comptabilisation des absences pour cause d'incapacité de travailler du 10 octobre 2024 », concluant à son annulation, à ce qu'il soit constaté qu'il était en capacité de travailler dès le 9 avril 2024 et à ce qu'il soit ordonné aux HUG de rectifier ses plannings de travail en supprimant la mention de son incapacité de travailler à 50% du 9 avril 2024 au 11 juillet 2024. Préalablement, il a requis son audition ainsi que celle du Dr C______.
Son droit d'être entendu avait été violé. La décision avait été prononcée sans qu'il pût se prononcer sur les éléments qui la fondaient, notamment l'avis du médecin‑conseil, alors qu'il avait exprimé à plusieurs reprises sa volonté de se déterminer sur sa situation après réception de cet avis.
Son décompte d'absences entamait son droit au salaire en cas de nouvelle incapacité de travail et son droit aux vacances. Il avait été pleinement capable d'effectuer durant la période du 15 février au 30 juin 2024 les tâches qui lui incombaient et rien ne justifiait un arrêt à un taux de 50% du 9 avril 2024 au 11 juillet 2024.
Certains collègues s'étaient retrouvés dans la même situation que lui mais n'avaient pas été mis à l'arrêt. Cette différence de traitement s'expliquait par son implication au sein d'un syndicat.
b. Les HUG ont conclu à l'irrecevabilité du recours, subsidiairement à son rejet.
Le recours ne portait pas sur une décision sujette à recours. Le refus de modifier un décompte d'absences constituait un acte matériel. Le recourant n'avait pas requis d'eux qu'ils rendent une décision sujette à recours dans le cas où ils refuseraient de modifier le décompte.
Le médecin du travail disposait de connaissances particulières des contraintes et risques professionnels liés aux différentes fonctions exercées au sein de l'établissement. Le recourant, en raison de son état de santé, était incapable de réaliser les tâches de base de sa fonction. Le courrier du 10 octobre 2024 se fondait tant sur les certificats médicaux émis par le médecin traitant du recourant que sur l'avis du médecin du travail et celui du médecin-conseil, ces médecins ayant constaté l'existence de limitations fonctionnelles l'empêchant de remplir les devoirs de sa fonction et le rendant inapte à occuper pleinement son poste. La tâche principale des brancardiers résidant dans le transport de la patientèle, l'impossibilité d'exécuter cette tâche avait rendu le recourant inapte à exercer pleinement sa fonction.
c. Dans sa réplique, le recourant a relevé que les HUG confondaient la question des limitations fonctionnelles et celle de leurs conséquences sur sa capacité de travail à son taux contractuel. Il avait occupé ses fonctions à 100% de son taux d'activité contractuel du 15 février au 8 avril 2024, sans que ces limitations constituent un empêchement à l'exercice de ses fonctions. Son audition et celle du Dr C______ permettraient de déterminer le cahier des charges de l'un et la connaissance de celui‑ci par l'autre.
d. Dans leur duplique, les HUG ont indiqué que compte tenu de leur obligation de protéger la santé de leurs employés, ils étaient obligés de suivre l'avis du Dr B______, à tout le moins dans l'attente de l'avis du médecin-conseil.
e. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.
1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).
2. Les juridictions administratives peuvent rendre des jugements sur partie, ce qui leur permet d'examiner prioritairement des questions préalables telles que leur compétence (ATA/1139/2023 du 17 octobre 2023 consid. 1 ; ATA/94/2023 du 31 janvier 2023 consid. 2 et les arrêts cités).
En l'espèce, le présent arrêt a uniquement pour but d’examiner s'il existe un acte attaquable devant la chambre administrative, question sur laquelle les parties ont eu l'occasion de se déterminer.
3. La compétence de la chambre administrative est définie à l'art. 132 LOJ. Elle est, sous réserve des compétences de la chambre constitutionnelle et de la chambre des assurances sociales, l'autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 LOJ). Selon l'art. 132 al. 2 LOJ, le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, et 57 LPA. Sont réservées les exceptions prévues par la loi.
3.1 En vertu de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions au sens de l'art. 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c). L'art. 4 LPA définit la notion de décision de la même manière que l'art. 5 al. 1 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), de sorte que l'on peut s'inspirer de la jurisprudence rendue en lien avec la PA (arrêt du Tribunal fédéral 2C_39/2025 du 25 mars 2025 consid. 4.2).
On entend par décision une manifestation de volonté contraignante de l’autorité, unilatérale, individuelle et concrète, adoptée en application du droit administratif et destinée à produire des effets juridiques, ou à constater l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'une obligation (ATF 135 II 328 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 du 4 décembre 2017 consid. 2.1) et susceptible d’exécution forcée (ATF 150 I 183 consid. 3.4.1 = JdT 2024 I p. 150, 151 s. ; ATF 141 II 233 consid. 3.1 ; 135 II 38 consid. 4.3). Il ne suffit pas que l'acte querellé ait des effets juridiques, encore faut-il que celui-ci vise des effets juridiques. Sa caractéristique en tant qu'acte juridique unilatéral tend à modifier la situation juridique de l'administré par la volonté de l'autorité, mais sur la base de la loi et conformément à celle-ci. La décision a pour objet de régler une situation juridique, c'est-à-dire de déterminer les droits et obligations de sujets de droit en tant que tels (ATA/649/2023 du 20 juin 2023 consid. 1.3 ; Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2e éd., 2015, p. 339 ss). La notion de décision implique un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré (ATF 141 I 201 consid. 4.2).
De simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_39/2025 du 25 mars 2025 consid. 4.3). Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte (ATF 150 I 183 consid. 3.4.1 = JdT 2024 I p. 150, 152). Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (ATF 143 III 162 consid. 2.2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_107/2024 du 19 août 2024 consid. 5.1 et les références citées).
3.2 À teneur de l'art. 4A al. 1 LPA, intitulé « droit à un acte attaquable », toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l'autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque (let. a), élimine les conséquences d'actes illicites (let. b), constate le caractère illicite de tels actes (let. c). L'autorité statue par décision (art. 4A al. 2 LPA). Lorsqu'elle n'est pas désignée, l'autorité compétente est celle dont relève directement l'intervention étatique en question (art. 4A al. 3 LPA).
L'art. 4A LPA met en œuvre, sur le plan cantonal, le droit à l'accès au juge garanti par l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) s'agissant du contrôle des actes matériels de l'administration. Il confère à toute personne ayant un intérêt digne de protection (et non uniquement juridique) le droit d'exiger que l'autorité compétente pour les actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à ses droits ou obligations statue par décision (arrêts du Tribunal fédéral 8D_3/2022 du 10 janvier 2023 consid. 6.1.4 et la référence citée ; 8C_775/2019 du 17 mars 2020 consid. 3.1 et la référence citée). Il s'agit de mettre en évidence une relation de droit administratif, créée par l'applicabilité d'une norme de droit public à un acte de l'administration : l'objet de la décision est précisément de constater si la norme invoquée par l'administré à quelque chose à dire sur la légalité de l'acte qui le touche (ATF 140 II 315 consid. 3). Cette relation peut concerner des domaines dans lesquels l'administré ne dispose pas d'un droit spécifique, mais est uniquement touché dans un intérêt de fait, digne de protection (ATA/649/2023 précité consid. 2.1).
Le droit à l'acte attaquable suppose que le requérant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés ; l'intérêt invoqué - qui peut être un intérêt de pur fait - doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération. Cette disposition est une reprise presque à l'identique de l'art. 25a PA ; il convient par conséquent de se référer à la jurisprudence et aux principes dégagés de cette disposition fédérale dans l'application de l'art. 4A LPA (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.3 et les références citées).
3.3 Les actes visés par l’art. 25a PA, et donc également par l'art. 4A LPA, sont des actes matériels. Les actes matériels se distinguent des actes juridiques en ceci qu’ils n’ont pas pour but de modifier la situation juridique mais de modifier directement la situation de fait (ATF 144 II 233 consid. 4.1). À l’instar des actes juridiques étatiques, les actes matériels étatiques se répartissent en actes individuels et concrets (par ex. l’arrestation d’une personne ou l’utilisation d'une arme à feu par la police) et en actes généraux et abstraits (notamment certains avertissements et recommandations). En accord avec la doctrine, la jurisprudence consacre une acception ample de l’acte matériel. Celui-ci s'étend à tous les actes de l'administration qui ne sont pas des décisions, des contrats, des concessions ou des plans (Anne-Christine FAVRE, in François BELLANGER/Jérôme CANDRIAN/Madeleine HIRSIG-VOUILLOZ [éd.], Commentaire romand de la loi fédérale sur la procédure administrative, 2024, n. 17 ad art. 25a). L’étendue de la protection juridique doit être délimitée d’après d’autres critères, en particulier d’après celui de l’atteinte dans des droits et obligations, et celui de l’intérêt digne de protection (ATF 146 I 145 consid. 4.2 = JdT 2021 I p. 35, 37 ; ATF 144 II 233 consid. 4.4).
L'acte doit par ailleurs être illicite, ce par quoi il faut entendre non conforme au droit ; selon la doctrine, cela inclut les actes faux ou erronés (Anne-Christine FAVRE, in François BELLANGER/Jérôme CANDRIAN/Madeleine
HIRSIG-VOUILLOZ [éd.], op. cit., n. 18 ad art. 25a).
3.4 L'art. 25a PA subordonne la protection juridique, cumulativement, à un critère relatif à l'acte – c'est-à-dire que l'acte matériel doit toucher à des droits ou obligations – et à un critère relatif au requérant – c'est-à-dire que le requérant a un intérêt digne de protection à obtenir une décision sur un acte matériel. Bien que ces deux critères aillent dans le même sens, l'art. 25a PA les distingue clairement, suivant la distinction traditionnelle entre l'acte attaquable et la qualité pour recourir pour les actes juridiques (146 I 145 consid. 4.4 = JdT 2021 I p. 35, 38 s. ; ATF 144 II 233 consid. 7.1 = JdT 2019 I p. 58, 62 ; ATF 140 II 315 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_3/2022 du 10 janvier 2023 consid. 6.1.4 et les références citées).
3.4.1 Selon la conception dominante, l’exigence relative aux droits ou obligations touchés suppose une atteinte à la sphère juridique individuelle de la personne concernée (ATF 144 II 233 c. 7.3.1, JdT 2019 I 58 ; ATF 140 II 315 c.4.3 et 4.5, chacun avec réf.). Le demandeur doit ainsi démontrer que l'acte matériel à propos duquel il requiert le prononcé d'une décision a réellement pour effet d'affecter ses droits ou ses obligations, quand bien même ce n'est pas son but (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 292 n. 813). Les positions juridiques dignes de protection résultent principalement des droits fondamentaux mais elles peuvent aussi résulter d’autres titres juridiques (ATF 144 II 233 consid. 7.3.1 = JdT 2019 I 58 ; ATF 140 II 315 consid. 4.3). La restriction effective d’un droit fondamental n’est pas indispensable ; il suffit que le requérant parvienne à démontrer que l’acte matériel produise un effet significatif sur sa sphère juridique, susceptible d’atteindre le degré d’une restriction (ATF 140 II 315 consid. 4.8). « Un certain degré de gravité » est exigé (ATF 133 I 49 consid. 3.2). Cela suppose une intensité minimum, quoique le seuil ne doive pas être excessivement élevé mais pas non plus si insuffisamment élevé qu'il en résulte un afflux de recours (ATF 143 I 336 consid. 4.1 = JdT 2017 I p. 197, 198 s. et les références citées). Le champ d’application du droit fondamental détermine si l’effet de l’acte matériel suffit à mettre ce même droit en cause. Il faut prendre ici en considération que l’acte matériel doit aussi être apte à restreindre ce droit. Cela nécessite en d'autres termes un rapport d'imputabilité, un lien de causalité adéquate entre l'acte et l'incidence sur des droits et obligations. Le rapport d'imputabilité est interrompu, ou il est d'emblée exclu, si des causes externes, indépendantes, s'interposent ou dominent même la chaîne des événements (ATF 146 I 145 consid. 4.4 = JdT 2021 I p. 35, 39 ; ATF 144 II 233 consid. 7.3.2 = JdT 2019 I 58).
3.4.2 L'intérêt digne de protection suppose une proximité particulière entre le requérant et l'acte matériel. L'intérêt digne de protection peut être juridique ou matériel (c'est-à-dire « de droit ou de fait », RDAF 2015 I p. 300, 303), pour autant que la clarification de la situation juridique, par l'effet d'une décision, revête une utilité pratique pour le requérant (ATF 144 II 233 consid. 7.2 = JdT 2019 I p. 58, 62 et les références citées ; ATF 140 II 315 consid. 4.2 et les références citées). Il peut arriver que le requérant soit touché par l'acte matériel dans ses droits et obligations ; dans ce cas, l'intérêt digne de protection découle précisément de l'atteinte à sa situation juridique ; les deux critères (subjectif et objectif) concordent alors (ATF 140 II 315 consid. 4.3 = RDAF 2015 I p. 300, 303 ; ATA/141/2020 du 11 février 2020 consid. 3e). Le droit à l'acte attaquable suppose ainsi que le requérant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés, l'intérêt invoqué qui peut être un intérêt de pur fait devant se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération (ATF 140 II 315 consid. 4.2).
3.5 La prétention fondée sur l'art. 25a PA n'existe pas si la législation a exclu la protection juridique contre l'acte matériel ; cette prétention est en outre subsidiaire en ce sens qu'elle cède le pas à d'autres voies si une protection juridique suffisante est assurée d'une autre manière (ATF 140 II 315 consid. 3.1 = RDAF 2015 I p. 300, 302 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_601/2016 du 15 juin 2018 consid. 6.1 et 6.2 non publiés dans l'ATF 144 II 233).
3.6 Les actes matériels ne sont jamais directement applicables, lorsqu'ils tombent dans le champ d'application de l'art. 25a PA. L'accès au juge n'y est pas garanti directement, mais pas le biais d'une procédure administrative subséquente et indépendante (ATF 144 II 233 consid. 3 = JdT 2019 I p. 58, 59 ; ATF 140 II 315 consid. 2.1), qui débouche sur une décision. L'avantage de cette solution est qu'elle permet de créer un acte attaquable, en évitant l'extension de la notion de décision à des actes matériels, avec les conséquences qu'une telle analogie entraînerait du point de vue des règles de procédure (respect du droit d'être entendu et notification notamment). L'art. 25a PA donne à la personne qui fait valoir qu'elle est touchée par un acte matériel le droit de faire ouvrir une procédure administrative pouvant aboutir à la prise d'une décision. La détermination du fondement de la décision sollicitée n'est pas toujours aisée. Tel est notamment le cas lorsqu'un acte matériel se substitue à une décision, que ce soit pour des motifs liés à l'urgence ou parce que des actes matériels incorporent une décision tout en ayant pour objet de modifier la situation de fait (Anne-Christine FAVRE, in François BELLANGER/Jérôme CANDRIAN/Madeleine HIRSIG-VOUILLOZ [éd.], op. cit., n. 5 et 46 ad art. 25a).
3.7 La chambre administrative a déjà considéré qu’un fonctionnaire des TPG jouissait d’un intérêt digne de protection à recourir contre un courrier de ces derniers se prononçant sur son droit à des prestations salariales à la suite de ses incapacités de travail. Le courrier considéré constituait une décision ayant trait aux droits et obligations du fonctionnaire en matière de versement de son salaire en cas d’incapacité de travailler, lui indiquant que celui-ci prendrait fin à la date indiquée (ATA/84/2020 du 28 janvier 2020).
Dans un arrêt de 2023, la chambre administrative a considéré qu'un décompte d’absences touchait les droits fondamentaux d'une fonctionnaire, et pas uniquement son droit au traitement. Ainsi, et dès lors également que l'intéressée avait demandé la rectification de son décompte et, à défaut, qu'une décision sujette à recours fût rendue, elle avait droit à ce que son employeur rende une décision fondée sur l’art. 4A LPA (ATA/649/2023 précité consid. 2.3.3).
Dans un autre arrêt, plus récent, la chambre administrative a dû connaître du cas d'une fonctionnaire ayant recouru à titre principal pour déni de justice, après avoir sollicité à plusieurs reprises le prononcé d’une décision sur la manière de calculer ses absences depuis le 31 mars 2023. Le 26 février 2024, son employeur avait maintenu sa position, expliquant notamment que la collaboratrice était en incapacité de travail à compter du 31 mars 2023 et qu'elle n’était pas en mesure de reprendre une activité depuis cette date. La chambre administrative a constaté que le courrier du 26 février 2024 ne mentionnait pas qu'il s'agissait d'une décision, ni ne comportait d'indication sur la voie et le délai de recours. L'absence d'indication de ces éléments formels ne pouvait toutefois en tant que telle lui dénier la qualité de décision. Le courrier du 26 février 2024 s'inscrivait dans un échange soutenu de correspondance avec la recourante, qui trouvait sa source dans le courriel de son employeur du 23 octobre 2023, par lequel il l'informait de la fin de son droit au salaire à compter du 3 août 2024, et de la réponse de l'intéressée du 30 octobre 2023, par laquelle elle contestait ce calcul et requérait la prise d'une décision formelle. Bien que le courrier litigieux ne répondît ni formellement ni matériellement aux demandes de la recourante, il n'en constituait pas moins une décision, qui avait trait aux droits et obligations de celle‑ci en matière de versement de son salaire en cas d'incapacité de travailler pour cause de maladie, lui indiquant que celui-ci prendrait fin à la date indiquée. En tant que le courrier de l'employeur se prononçait sur son droit à ses prestations salariales à la suite de ses incapacités de travail, la recourante disposait d'un intérêt digne de protection à recourir (ATA/1110/2024 du 24 septembre 2024 consid. 4, 4.1 et 4.2).
3.8 En tant que membre du personnel des HUG, le recourant est soumis au statut du personnel des HUG du 16 décembre 1999 (ci-après : SPHUG) en application de l'art. 1 al. 1 let. e LPAC et de l'art. 7 let. e de la loi sur les établissements publics médicaux du 19 septembre 1980 (LEPM - K 2 05). Il est aussi et notamment soumis à la LPAC (art. 1 al. 1 let. e LPAC) et à son règlement d'application du 24 février 1999 (RPAC - B 5 05.01).
Selon l'art. 29 al. 1 SPHUG, les membres du personnel ont droit à une période de vacances annuelles de la durée suivante : cinq semaines pour les membres du personnel âgés de plus de 20 ans révolus (let. a) ; six semaines pour les membres du personnel jusqu’à l'âge de 20 ans révolus, les fonctionnaires et les employés dès l’âge de 60 ans, ainsi que pour les cadres supérieurs (let. b). En cas d'absence pour cause de service militaire, de service civil, de maladie ou d’accident non professionnel, le droit aux vacances annuelles est réduit proportionnellement après cinq mois d'absence. Il s'éteint après une année d'absence (art. 30 SPHUG).
4. En l'espèce, l'acte attaqué est le courrier des HUG du 10 octobre 2024, par lequel ces derniers ont refusé de modifier le décompte d'absences du recourant.
Ce refus porte sur une action matérielle de l'État, qui ne vise pas à produire des effets juridiques. En effet, le courrier ne vise pas directement à déterminer les droits et obligations du recourant. En particulier, les HUG ne se sont prononcés ni sur le droit du recourant aux prestations salariales à la suite de ses incapacités de travail, contrairement aux situations décrites dans les ATA/84/2020 et ATA/1110/2024 précités, ni sur son droit aux vacances. Ledit courrier ne constitue dès lors pas une décision sujette à recours devant la chambre de céans au sens de l'art. 4 LPA.
Cela ne signifie toutefois pas encore qu'il ne pourrait pas être considéré comme une décision relative à un acte matériel au sens de l'art. 4A LPA, sujette à recours.
4.1 L'établissement d'un décompte d'absences est un acte matériel. Il y a ainsi lieu, conformément à la jurisprudence précitée, de distinguer, dans l'examen des conditions posées par l'art. 4A LPA, l'intérêt digne de protection au sens de cette disposition et la condition exigeant de « toucher à des droits ou obligations » du recourant.
4.1.1 Comme la chambre de céans a déjà eu l'occasion de le préciser dans ATA/649/2023 précité (consid. 2.3.1), chaque membre du personnel doit pouvoir disposer d'un dossier personnel contenant des informations conformes à la réalité, ne serait-ce que parce qu'elles rapportent le déroulement des rapports de travail entre l'employeur et l'employé et laissent une trace écrite. De plus, elles sont susceptibles d'être utilisées contre ou en faveur des membres du personnel, notamment lors d'une procédure visant un changement de poste au sein de l'administration (art. 17 al. 1 et 2 SPHUG).
Le recourant dispose ainsi d'un intérêt digne de protection à ce que les informations contenues dans son dossier, en l'occurrence son rapport d'absences, soient conformes à la réalité.
4.1.2 Reste à déterminer si l'acte matériel en cause, à savoir l'établissement du décompte d'absences du recourant, porte atteinte à ses droits ou obligations par ses effets.
Tel est le cas. Le droit du membre du personnel étatique à disposer d'un décompte exact d'heures de travail et d'absences, soit une donnée personnelle, découle tant de l'art. 8 § 1 CEDH que des art. 13 al. 2 Cst. et 36 al. 1 let. b LIPAD (ATA/649/2023 précité consid. 2.3.3). Dès lors, l'établissement du décompte d'absences du recourant touche ses droits fondamentaux. En outre, dans la mesure où les HUG l'ont avisé, le 23 janvier 2024, qu'une réduction serait effectuée progressivement et automatiquement sur son solde de vacances puisque son absence dépassait les cinq mois, l'établissement du décompte touche directement son droit aux vacances prévu à l'art. 29 al. 1 SPHUG en tant que les périodes d'incapacité à 50% viendront réduire proportionnellement son droit aux vacances, par le mécanisme de l'art. 30 al. 2 SPHUG qui prévoit qu'en cas d'absence pour cause de maladie ou d’accident non professionnel notamment, le droit aux vacances annuelles est réduit proportionnellement après cinq mois d'absence.
Par conséquent, le recourant avait le droit d'obtenir des HUG une décision fondée sur l'art. 4A LPA, par laquelle ceux-ci actaient leur refus de ne pas modifier ledit décompte.
Le courrier du 10 octobre 2024 répond à cette définition, les HUG y ayant indiqué qu'il ne pouvait être question d'admettre une hypothétique erreur d'interprétation justifiant une correction de saisie rétroactive et y ayant exposé les motifs sur lesquels ils se sont fondés. Il est vrai que le recourant n'a pas explicitement sollicité de son employeur qu'il rende une décision fondée sur l'art. 4A LPA. Néanmoins, dans son courrier du 17 septembre 2024 qui a entraîné la réponse du 10 octobre 2024, il a expressément requis des HUG qu'ils rectifient les périodes d'absences.
Le courrier du 10 octobre 2024 constitue donc une décision attaquable devant la chambre de céans au sens de l'art. 4A al. 2 LPA. Ainsi, le recours est recevable et il convient d'entrer en matière sur le fond.
5. Le sort des frais sera réservé jusqu’à droit jugé au fond.
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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
statuant sur partie :
déclare recevable le recours interjeté le 27 novembre 2024 par A______ contre le courrier des Hôpitaux universitaires de Genève du 10 octobre 2024 ;
réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;
dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;
- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;
- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;
- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé, s’il est formé avant le 30 juin 2023, au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;
communique le présent arrêt à Me Sacha CAMPORINI, avocat du recourant, ainsi qu'à Me Anne MEIER, avocate des Hôpitaux universitaires de Genève.
Siégeant : Jean-Marc VERNIORY, président, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
J. PASTEUR
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| le président siégeant :
J.-M. VERNIORY |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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