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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4433/2022

ATA/649/2023 du 20.06.2023 ( FPUBL ) , ADMIS

Descripteurs : DROIT DE LA FONCTION PUBLIQUE;FONCTIONNAIRE;QUALITÉ POUR RECOURIR;INTÉRÊT DIGNE DE PROTECTION;ACTE MATÉRIEL;ACCÈS À UN TRIBUNAL;DÉCISION;DROIT D'OBTENIR UNE DÉCISION;DROIT À L'AUTODÉTERMINATION EN MATIÈRE D'INFORMATIONS PERSONNELLES
Normes : CEDH.8.par1; Cst.13.al2; Cst.29a; PA.25a; CO.328b; LPD.5.al1; Cst-GE.21.al2; LPA.4; LPA.4A; LPA.60.al1.leta; LPA.60.al1.letb; LIPAD.1.al2; LIPAD.3.al1.leta; LIPAD.4.leta; LIPAD.36.al1.letb; RPAC.17
Résumé : recours d'une fonctionnaire contre le refus de l'autorité intimée de délivrer un décompte d'absence corrigé. Examen de l'existence d'un acte attaquable au sens de l'art. 4A LPA. Le refus de rendre une décision fondée sur l'art. 4A LPA est une décision, sujette à recours. Examen de la réalisation des conditions de l'art. 4A LPA (droit à un acte attaquable), soit l'existence d'un intérêt digne de protection et le fait que des droits et obligations soient touchés par l'objet de la contestation. Conditions réunies en l'occurrence. En effet, chaque membre du personnel étatique doit pouvoir bénéficier d'un dossier contenant des informations exactes, et le droit à disposer d'un décompte exact d'heures de travail et d'absence découle tant de l'art. 8 § 1 CEDH que des art. 13 al. 2 Cst. et 26 al. 1 let. b LIPAD. Recours admis dans la mesure de sa recevabilité et cause renvoyée à l'autorité inférieure pour nouvelle décision dans le sens des considérants.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4433/2022-FPUBL ATA/649/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 juin 2023

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Romain JORDAN, avocat

contre


DÉPARTEMENT DE L'ÉCONOMIE ET DE L'EMPLOI intimé


EN FAIT

A. a. A______ est titulaire d'un certificat fédéral de capacité d'employée de commerce.

Elle a été nommée fonctionnaire le 1er novembre 1998, puis promue, le 1er janvier 2014, à la fonction de responsable RH 2 (RRH2) à la direction des ressources humaines de l’ancien département de la sécurité et de l’économie.

Du 11 novembre 2019 au 31 juillet 2020, elle a été incapacité de travail totale pour cause de maladie.

b. Le 5 février 2020, le Conseil d’État a ordonné l’ouverture d’une enquête et suspendu provisoirement A______ de ses fonctions avec effet immédiat et maintien des prestations à charge de l'État.

c. Le 14 octobre 2020, le Conseil d’État l'a révoquée avec effet immédiat.

d. Par arrêt du 6 juillet 2021 (ATA/715/2021), la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a partiellement admis le recours formé par A______, annulé l’arrêté du Conseil d’État et renvoyé la cause à ce dernier pour nouvelle décision dans le sens des considérants, soit la réintégrer dans un poste correspondant à sa formation et aux années d'expérience acquises au 14 octobre 2020.

e. Par décision du 22 décembre 2021, déclarée exécutoire nonobstant recours, le département de l'économie et de l'emploi (ci-après : DEE) a prononcé le changement d’affectation de A______.

f. Par arrêt du 12 avril 2022 (ATA/389/2022), la chambre administrative a rejeté le recours interjeté par celle-ci contre la décision du 22 décembre 2021.

A______ a interjeté recours auprès du Tribunal fédéral contre l'arrêt précité, lequel est toujours pendant.

g. La précitée est en incapacité de travail depuis le 3 janvier 2022.

B. a. Le 17 octobre 2022, elle a sollicité de la direction administrative et des ressources humaines du DEE (ci-après : la direction administrative) la délivrance d'un décompte détaillé de ses absences.

b. La direction administrative lui a adressé un décompte de ses absences pour la période du 11 novembre 2019 au 31 octobre 2022.

Ont été comptabilisés comme jours d'absence les jours compris dans la période du 5 février 2020 au 31 octobre 2020.

c. A______ a indiqué à la direction administrative que le décompte était erroné, dans la mesure où il tenait compte de ses jours d'incapacité de travail postérieurs au 5 février 2020, alors qu'elle avait été suspendue de ses fonctions à partir de cette date.

Les jours durant lesquels elle n'avait pas eu la possibilité de travailler, en raison de la suspension provisoire prononcée à son endroit, devaient être retranchés du décompte.

Elle a demandé la rectification du décompte et, à défaut, qu'une décision sujette à recours soit rendue.

d. Le 5 décembre 2022, la conseillère d'État en charge du DEE a refusé de rendre une telle décision, les conditions le permettant n'étant pas réunies.

L'administrée n'avait aucun intérêt à requérir une décision concernant un décompte qui ne faisait que concrétiser la jurisprudence parfaitement claire en la matière. Elle ne démontrait pas en quoi sa situation serait affectée par la modification qu'elle sollicitait.

C. a. Par courrier du 20 décembre 2022 adressé au DEE, A______ a persisté à demander le prononcé d'une décision sujette à recours.

Elle disposait d'un intérêt, qui pouvait être de pur fait, à ce que le décompte de ses absences soit correctement établi, celui-ci déterminant notamment la durée de son droit au traitement en cas de maladie.

Dans l'hypothèse où le courrier du 5 décembre 2020 devrait être considéré comme une décision, il y avait lieu de traiter son courrier comme un recours, à transmettre à la chambre administrative.

Elle a conclu à ce que les jours durant lesquels elle était libérée de son obligation de travailler à la suite de l'arrêté du Conseil d'État du 5 février 2020 ne soient pas comptabilisés en tant qu'absence, et à ce qu'un décompte rectifié lui soit délivré.

b. Après avoir transmis à la chambre administrative, comme objet de sa compétence, le courrier du 20 décembre 2022, le DEE a conclu au rejet du recours.

La recourante se contentait d'une vague référence à des prétendus effets sur la durée de son traitement, sans expliquer concrètement en quoi la modification du décompte aurait des effets sur sa situation juridique.

La demande de la recourante de ne pas comptabiliser ses jours d'incapacité de travail durant lesquels elle était suspendue provisoirement n'aurait aucun effet sur la durée de son droit au traitement. Le refus de procéder à cette modification ne touchait pas ses droits et obligations.

c. Dans sa réplique, A______ a conclu à l'annulation de la décision du 5 décembre 2022 et à ce qu'il soit ordonné au DEE de modifier son dossier RH et de lui délivrer un nouveau décompte de ses jours d'absence.

Les parties étaient en litige au sujet des modalités de la réintégration prononcée par la chambre administrative, de sorte que son dossier RH pourrait influencer la fonction à laquelle elle serait affectée au sein de l'administration.

Le dossier RH comportait des indications inexactes sur ses absences pour cause de maladie ; le traitement de données personnelles inexactes constituait une atteinte injustifiée à sa personnalité.

d. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. Il convient en premier lieu de vérifier s'il existe, en l'espèce, un acte attaquable devant la chambre administrative, plus particulièrement si le courrier litigieux peut être qualifié de décision au sens de l'art. 4 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10).

1.1    La compétence de la chambre administrative est définie à l'art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05). Elle est, sous réserve des compétences de la chambre constitutionnelle et de la chambre des assurances sociales, l'autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 LOJ). Selon l'art. 132 al. 2 LOJ, le recours à la chambre administrative est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, et 57 LPA. Sont réservées les exceptions prévues par la loi.

1.2    En vertu de l'art. 4 al. 1 LPA, sont considérées comme des décisions au sens de l'art. 1 LPA les mesures individuelles et concrètes prises par l'autorité dans les cas d'espèce fondées sur le droit public fédéral, cantonal, communal et ayant pour objet de créer, de modifier ou d'annuler des droits ou des obligations (let. a), de constater l'existence, l'inexistence ou l'étendue de droits, d'obligations ou de faits (let. b), de rejeter ou de déclarer irrecevables des demandes tendant à créer, modifier, annuler ou constater des droits ou obligations (let. c).

À teneur de l'art. 4A al. 1 LPA, intitulé « droit à un acte attaquable », toute personne qui a un intérêt digne de protection peut exiger que l'autorité compétente pour des actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à des droits ou des obligations s'abstienne d'actes illicites, cesse de les accomplir, ou les révoque (let. a), élimine les conséquences d'actes illicites (let. b), constate le caractère illicite de tels actes (let. c). L'autorité statue par décision (art. 4A al. 2 LPA). Lorsqu'elle n'est pas désignée, l'autorité compétente est celle dont relève directement l'intervention étatique en question (art. 4A al. 3 LPA).

1.3 En droit genevois, la notion de décision est calquée sur le droit fédéral (ATA/1656/2019 du 12 novembre 2019 consid. 2b ; ATA/385/2018 du 24 avril 2018 consid. 4b et les références citées). Il ne suffit pas que l'acte querellé ait des effets juridiques, encore faut-il que celui-ci vise des effets juridiques. Sa caractéristique en tant qu'acte juridique unilatéral tend à modifier la situation juridique de l'administré par la volonté de l'autorité, mais sur la base de la loi et conformément à celle-ci (ATA/599/2021 du 8 juin 2021 consid. 5b ; ATA/1656/2019 précité consid. 2c). La décision a pour objet de régler une situation juridique, c'est-à-dire de déterminer les droits et obligations de sujets de droit en tant que tels (Benoît BOVAY, Procédure administrative, 2ème éd., 2015, p. 339 ss).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, en droit public, la notion de « décision » au sens large vise habituellement toute résolution que prend une autorité et qui est destinée à produire un certain effet juridique ou à constater l'existence ou l'inexistence d'un droit ou d'une obligation ; au sens étroit, c'est un acte qui, tout en répondant à cette définition, intervient dans un cas individuel et concret (ATF 135 II 328 consid. 2.1 ; 106 Ia 65 consid. 3 ; 99 Ia 518 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 du 4 décembre 2017 consid. 2.1). La notion de décision implique donc un rapport juridique obligatoire et contraignant entre l'autorité et l'administré (ATF 141 I 201 consid. 4.2). Constitue une décision un acte étatique qui touche la situation juridique de l'intéressé, l'astreignant à faire, à s'abstenir ou à tolérer quelque chose, ou qui règle d'une autre manière obligatoire ses rapports avec l'État (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.2 et les références citées). De simples déclarations, comme des opinions, des communications, des prises de position, des recommandations et des renseignements n'entrent pas dans la catégorie des décisions, faute de caractère juridique contraignant (arrêts du Tribunal fédéral 1C_593/2016 du 11 septembre 2017 consid. 2.2 ; 8C_220/2011 du 2 mars 2012 consid. 4.1.2). Pour déterminer s'il y a ou non décision, il y a lieu de considérer les caractéristiques matérielles de l'acte. Un acte peut ainsi être qualifié de décision (matérielle), si, par son contenu, il en a le caractère, même s'il n'est pas intitulé comme tel et ne présente pas certains éléments formels typiques d'une décision, telle l'indication des voies de droit (arrêt du Tribunal fédéral 2C_282/2017 précité consid. 2.1 et les références citées).

1.4 Un acte matériel est défini comme un acte qui n'a pas pour objet de produire un effet juridique, même s'il peut en pratique en produire, notamment s'il met en jeu la responsabilité de l'État (ATA/1292/2021 du 25 novembre 2021 consid. 2d ; ATA/354/2017 du 28 mars 2017 consid. 3a ; ATA/549/2016 du 28 juin 2016 consid. 2d ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 3ème éd. 2012, p. 12 s ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 52 ; MGC 2007-2008/XI 1 A p. 10926). Les mesures internes, qui organisent l'activité concrète de l'administration, sont assimilables aux actes matériels de celle-ci. Il en résulte qu'elles ne peuvent être attaquées en tant que telles par des recours, qui ne sont en principe ouverts que contre des décisions, voire contre des normes (ATA/1292/2021 précité consid. 2d ; ATA/549/2016 précité consid. 2d ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 666).

1.5 Selon les travaux préparatoires relatifs à l'art. 4A LPA, cette disposition vise en particulier à adapter le droit administratif genevois aux exigences posées par la garantie de l'accès au juge ancrée à l'art. 29a Cst. (exposé des motifs du projet de loi n° PL 10253 modifiant la LOJ, déposé en mai 2003 par le Conseil d'État, in Mémorial du Grand Conseil [ci-après : MGC] MGC 2007-2008/VIII A - 6520). Selon cette disposition constitutionnelle, toute personne a droit à ce que sa cause soit jugée par une autorité judiciaire (phr. 1). La Confédération et les cantons peuvent, par la loi, exclure l'accès au juge dans des cas exceptionnels (phr. 2). Lesdits travaux préparatoires précisent que le droit d'accès au juge peut être soumis à des conditions de recevabilité telles que la qualité pour recourir ou la définition de l'objet attaquable (MGC 2007-2008/VIII A - 6527 s). Sur cet élément-ci, lesdits travaux font référence non seulement aux décisions (MGC 2007-2008/VIII A - 6529 s), mais également aux actes matériels (MGC 2007-2008/VIII A - 6530 ss), pour conclure qu'il ressort de la jurisprudence du Tribunal fédéral et de la doctrine que les cantons sont tenus d'ouvrir la possibilité de demander à l'autorité compétente une décision attaquable et de prévoir une voie de droit analogue à celle de l'art. 25a PA (MGC 2007-2008/VIII A - 6535 ; ATA/141/2020 du 11 février 2020 consid. 1c).

1.6 En l'espèce, la demande de la recourante tend à obtenir deux choses distinctes. Elle sollicite premièrement, et principalement, la modification de son décompte d'absence. En cas de refus, elle demande à se voir notifier une décision motivée sujette à recours, fondée sur l'art. 4A LPA, dans la mesure où elles se plaint des erreurs contenues dans ce décompte. La première demande de l'intéressée vise à obtenir un acte matériel, tandis que la seconde porte sur un acte juridique, celle-ci visant à obtenir une décision constatant que son décompte d'absence n'est pas conforme à la réalité.

On comprend que l'intimé refuse, dans le courrier litigieux, de procéder à la rectification du décompte. Ce refus porte sur une action matérielle de l'État et ne constitue dès lors pas une décision sujette à recours devant la chambre de céans au sens de l'art. 4 LPA.

L'intimé refuse en outre explicitement, dans ledit courrier, de rendre une décision fondée sur l'art. 4A LPA, telle que sollicitée par la recourante. Dans cette mesure, le courrier litigieux doit être qualifié de décision en tant qu'il cristallise le refus de l'intimé de constater, par une décision fondée sur l'art. 4A LPA, le caractère erroné du décompte d'absence de la recourante.

Les autres conditions de recevabilité ne posent en l'occurrence pas de problème. La recourante invoque le droit à obtenir une décision au sens de l'art. 4A LPA en lien avec son décompte d'absence supposé erroné, qu'elle considère contraire à l'art. 36 al. 1 let. b de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD - A 2 08), de sorte que la décision de refus de l'intimée la touche directement dans sa situation juridique (art. 60 al. 1 let. a et b LPA), c'est-à-dire dans son droit d'obtenir une décision fondée sur l'art. 4A LPA en lien avec sa demande, soit dans son droit de l'accès au juge garanti par l'art. 29a de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst - RS 101). L'intérêt digne de protection à recourir contre une décision – rendue sur la base de l'art. 4A LPA – refusant de constater le caractère illicite de l'acte matériel n'implique pas nécessairement que l'intérêt digne de protection au sens de l'art. 4A LPA lui soit reconnu ; le premier intérêt – lié à la qualité pour recourir contre une décision rendue en application de l'art. 4A LPA concrétisant la garantie constitutionnelle précitée s'agissant des actes matériels de l'État – ne doit pas être confondu avec l'intérêt digne de protection prévu, en tant que condition, à l'art. 4A al. 1 LPA (arrêt du Tribunal fédéral 2C_68/2015 du 13 janvier 2016 consid. 4.4 ; ATA/141/2020 du 11 février 2020 consid. 2).

La recourante a en outre agi en temps utile auprès de l'intimé, qui a transmis la décision à l'autorité compétente, soit la chambre de céans (art. 132 al. 1 et al. 2 LOJ ; art. 64 al. 2 LPA).

Par conséquent, le présent recours est recevable, dans la mesure précitée.

2.             Sur le fond, il y a lieu de vérifier si le refus de l'intimé de modifier le décompte est conforme à l'art. 4A LPA. Il s'agit donc de déterminer si les conditions de l'art. 4A LPA sont réalisées en ce qui concerne ledit acte matériel, prenant in casu la forme d'une omission que la recourante reproche à l’intimé.

2.1 L'art. 4A LPA met en œuvre, sur le plan cantonal, le droit à l'accès au juge garanti par l'art. 29a Cst. s'agissant du contrôle des actes matériels de l'administration. Il confère à toute personne ayant un intérêt digne de protection (et non uniquement juridique) le droit d'exiger que l'autorité compétente pour les actes fondés sur le droit fédéral, cantonal ou communal et touchant à ses droits ou obligations statue par décision (arrêts du Tribunal fédéral 8D_3/2022 du 10 janvier 2023 consid. 6.1.4 et la référence citée ; 8C_775/2019 du 17 mars 2020 consid. 3.1 et la référence citée). Il s'agit de mettre en évidence une relation de droit administratif, créée par l'applicabilité d'une norme de droit public à un acte de l'administration : l'objet de la décision est précisément de constater si la norme invoquée par l'administré à quelque chose à dire sur la légalité de l'acte qui le touche (ATF 140 II 315 consid. 3 ; Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 96 ad art. 4A LPA). Cette relation peut concerner des domaines dans lesquels l'administré ne dispose pas d'un droit spécifique, mais est uniquement touché dans un intérêt de fait, digne de protection (Stéphane GRODECKI/Romain JORDAN, Code annoté de procédure administrative genevoise, 2017, n. 96 ad art. 4A LPA).

Le droit à l'acte attaquable suppose ainsi que le requérant soit touché de manière directe, concrète et dans une mesure et avec une intensité plus grandes que la généralité des administrés ; l'intérêt invoqué - qui peut être un intérêt de pur fait - doit se trouver, avec l'objet de la contestation, dans un rapport étroit, spécial et digne d'être pris en considération. Cette disposition est une reprise presque à l'identique de l'art. 25a PA ; il convient par conséquent de se référer à la jurisprudence et aux principes dégagés de cette disposition fédérale dans l'application de l'art. 4A LPA (arrêt du Tribunal fédéral 1C_150/2020 du 24 septembre 2020 consid. 5.3 et les références citées).

2.2 À teneur de l'art. 25a al. 1 de la loi fédérale sur la procédure administrative du 20 décembre 1968 (PA - RS 172.021), l'acte matériel doit toucher à des droits ou des obligations ; cela suppose un rapport juridique de droit administratif au moins latent. Le requérant doit en outre établir un « intérêt digne de protection » à obtenir une décision sur un acte matériel. L'art. 25a PA subordonne ainsi la protection juridique, cumulativement, à un critère relatif à l'acte – c'est-à-dire que l'acte matériel doit toucher à des droits ou obligations – et à un critère relatif au requérant – c'est-à-dire que le requérant a un intérêt digne de protection à obtenir une décision sur un acte matériel. Bien que ces deux critères aillent dans le même sens, l'art. 25a PA les distingue clairement, suivant la distinction traditionnelle entre l'acte attaquable (art. 44 PA) et la qualité pour recourir (art. 48 PA) pour les actes juridiques (ATF 144 II 233 consid. 7.1 = JdT 2019 I p. 58, 62 ; ATF 140 II 315 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 8D_3/2022 du 10 janvier 2023 consid. 6.1.4 et les références citées).

L'intérêt digne de protection suppose une proximité particulière entre le requérant et l'acte matériel. L'intérêt digne de protection peut être juridique ou matériel (c'est-à-dire « de droit ou de fait », RDAF 2015 I p. 300, 303), pour autant que la clarification de la situation juridique, par l'effet d'une décision, revête une utilité pratique pour le requérant (ATF 144 II 233 consid. 7.2 = JdT 2019 I p. 58, 62 et les références citées ; ATF 140 II 315 consid. 4.2 et les références citées). Il peut arriver que le requérant soit touché par l'acte matériel dans ses droits et obligations ; dans ce cas, l'intérêt digne de protection découle précisément de l'atteinte à sa situation juridique ; les deux critères (subjectif et objectif) concordent alors (ATF 140 II 315 consid. 4.3 = RDAF 2015 I p. 300, 303 ; ATA/141/2020 du 11 février 2020 consid. 3e).

Au-delà de la formulation de la loi, les omissions des autorités peuvent aussi être contestées (ATF 146 I 145 consid. 4.1).

Au regard de l'art. 25a PA, il suffit que des droits et obligations soient touchés. Par exemple, une ingérence dans le champ de protection d'un droit fondamental n'est pas nécessaire ; il suffit que le requérant parvienne à démontrer que par un effet réflexe, l'acte matériel mette un droit fondamental en cause au degré caractéristique d'une restriction (ATF 140 II 315 consid. 4.8). La voie de l'art. 25a PA n'est donc disponible qu'en présence d'un « certain degré de gravité ». Cela suppose une intensité minimum, quoique le seuil ne doive pas être excessivement élevé mais pas non plus si insuffisamment élevé qu'il en résulte un afflux de recours (ATF 143 I 336 consid. 4.1 = JdT 2017 I p. 197, 198 s et les références citées). En cas de restriction d'un droit fondamental, que le requérant doit démontrer, le champ d'application de ce droit détermine si l'effet de l'acte suffit à mettre ce même droit en cause. Il faut prendre ici en considération le fait que l'acte matériel doit aussi être apte à toucher des droits et obligations. Cela nécessite en d'autres termes un rapport d'imputabilité, un lien de causalité adéquate entre l'acte et l'incidence sur des droits et obligations. Le rapport d'imputabilité est interrompu, ou il est d'emblée exclu, si des causes externes, indépendantes, s'interposent ou dominent même la chaîne des événements (ATF 144 II 233 consid. 7.3.2 = JdT 2019 I p. 58, 62 s. et les références citées).

Les actes visés par l'art. 25a PA sont des actes illicites, soit des actes simplement non conformes au droit (Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 698 et la référence citée).

Le Tribunal fédéral rappelle que l'art. 25a PA se rattache à la garantie de l'accès au juge ancrée à l'art. 29a Cst. en tant qu'il doit en assurer la réalisation dans le domaine des actes matériels (ATF 143 I 336 consid. 4.2 = JdT 2017 I p. 197, 199). Dans leur domaine de compétence, il est loisible aux cantons d'adopter une conception de la protection juridique des individus contre des actes étatiques sans décision qui soit différente de celle consacrée par le législateur fédéral à l'art. 25a PA. Les cantons peuvent aller au-delà des exigences minimales de la garantie de l'accès au juge et, par exemple, retenir qu'un simple intérêt de fait sera suffisant. L'art. 29a Cst. exige toutefois que la protection juridique soit accessible au moins lorsqu'un acte matériel ou une mesure administrative interne touche des positions juridiques individuelles dignes de protection ; élucider si l'acte ou la mesure porte effectivement atteinte aux droits ou obligations de la personne concernée relève du jugement à porter sur le fond (ATF 143 I 336 consid. 4.2 = JdT 2017 I p. 197, 200).

2.3 En l'espèce, il y a lieu, conformément à la jurisprudence susmentionnée, de distinguer, dans l'examen des conditions posées par l'art. 4A LPA, l'intérêt digne de protection au sens de cette disposition et la condition exigeant de « toucher à des droits ou obligations » de la recourante.

2.3.1 En ce qui concerne l'intérêt digne de protection, quand bien même l'intimé soutient que la modification sollicitée n'aurait en l'occurrence aucune incidence sur la durée du droit de la recourante à son traitement, il convient d'admettre que chaque membre du personnel doit pouvoir disposer d'un dossier personnel contenant des informations conformes à la réalité, ne serait-ce que parce qu'elles rapportent le déroulement des rapports de travail entre l'employeur et l'employé et laissent une trace écrite. De plus, elles sont susceptibles d'être utilisées contre ou en faveur des membres du personnel, notamment lors d'une procédure visant un changement de poste au sein de l'administration (art. 17 du règlement d’application de la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics médicaux du 24 février 1999 – RPAC – B 5 05.01).

Au vu de ce qui précède, et dès lors que la recourante se prévaut également du fait que son dossier personnel pourrait influencer la fonction à laquelle elle sera affectée au sein de l'administration et que sa réaffectation fait encore l'objet d'un recours au Tribunal fédéral, elle dispose ainsi d'un intérêt digne de protection à ce que les informations contenues dans son dossier, en l'occurrence son rapport d'absence, soient conformes à la réalité.

2.3.2 Reste à déterminer si l'acte matériel en cause, à savoir l'établissement de son décompte d'absence, touche ses droits et obligations.

2.3.2.1 Les art. 13 al. 2 Cst. et 21 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) prévoient que toute personne a le droit d’être protégée contre l’emploi abusif des données qui la concernent.

En Suisse, toute personne a le droit de déterminer elle-même si et dans quels buts des informations à son sujet peuvent être traitées (ATF 138 II 346 consid. 8.2 = JdT 2013 I 71). Ce droit fondamental à l’autodétermination en matière informationnelle découle des articles 8 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et 13 al. 2 Cst. (ATF 140 I 381 consid. 4.1). Plusieurs droits spécifiques le composent, notamment le droit de connaître l’existence de données personnelles, de les consulter, de faire rectifier des données inexactes ou de faire radier ses propres données, de s’opposer au traitement de ses données et le droit à la sécurité des données (Marie MAJOR, Questions spécifiques / Le droit d’accès de l’employé à son dossier personnel ; in Jean-Philippe DUNAND/Pascal MAHON [éd.], La protection des données dans les relations de travail, 2017, p. 288 et la référence citée).

2.3.2.2 La LIPAD est constituée de deux volets, correspondant aux deux buts énoncés à l’art. 1 al. 2 LIPAD. Elle a pour premier but de favoriser la libre formation de l’opinion et la participation à la vie publique par l’information du public et l’accès aux documents (art. 1 al. 2 let. a LIPAD ; titre II LIPAD) et pour second but de protéger les droits fondamentaux des personnes physiques ou morales de droit privé quant aux données personnelles les concernant (art. 1 al. 2 let. b LIPAD ; titre III LIPAD ; ATA/488/2022 du 10 mai 2022 consid. 5b).

Elle s’applique notamment aux pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire cantonaux, ainsi que leurs administrations et les commissions qui en dépendent (art. 3 al. 1 let. a).

On entend par données personnelles (ou données), toutes les informations se rapportant à une personne physique ou morale de droit privé, identifiée ou identifiable (art. 4 let. a LIPAD). Les définitions contenues dans l'art. 4 LIPAD sont largement reprises du droit fédéral (MGC 2005-2006 X A 8493), soit en particulier de la loi fédérale sur la protection des données du 19 juin 1992 (LPD ; RS 235.1). La notion de « données personnelles » ou « données » est définie à l’art. 3 let. a LPD comme « toutes les informations qui se rapportent à une personne identifiée ou identifiable ». Ces données peuvent être objectives (p. ex. une expérience professionnelle) ou subjectives (soit un jugement de valeur, p. ex. l’appréciation portée sur le travail d’un employé). En vertu du principe d’exactitude prévu à l’art. 5 al. 1 LPD, les données figurant au dossier personnel doivent être correctes, soit refléter de manière correcte, actuelle et objective les faits ou autres circonstances se rapportant à la personne concernée (Marie MAJOR, op. cit., p. 292).

Les institutions publiques veillent, lors de tout traitement de données personnelles, à ce que ces dernières soient exactes et si nécessaire mises à jour et complétées, autant que les circonstances permettent de l’exiger (art. 36 al. 1 let. b LIPAD).

2.3.2.3 En droit privé, l'art. 328b de la loi fédérale du 30 mars 1911, complétant le Code civil suisse (CO, Code des obligations - RS 220), prévoit que l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail. En outre, les dispositions de la LPD sont applicables. Cet article règlemente les questions liées à la protection des données dans le contrat de travail (Marie MAJOR, op. cit., 2017, p. 289).

À l'instar de ce qui prévaut pour l'art. 328 CO, l'art. 328b CO doit également s'appliquer par analogie en droit public, en l’absence de dispositions expresses prévues par le droit de la fonction publique (ATA/280/2023 du 21 mars 2023 consid. 7b et les références citées).

La jurisprudence ne définit pas la notion de dossier personnel. La doctrine s'accorde à dire qu'il comporte les données concernant le travailleur dans ses rapports de travail avec l'employeur, de la naissance au déroulement et à la fin des rapports de travail (Marie MAJOR, op. cit., p. 291 et les références citées). Font notamment partie des données traitées au cours des relations de travail des décomptes d'heures de travail et d'absence (Marie MAJOR, op. cit., p. 292).

2.3.3 Il ressort de ce qui précède que le droit du membre du personnel étatique à disposer d'un décompte exact d'heures de travail et d'absence, soit une donnée personnelle, découle tant de l'art. 8 § 1 CEDH que des art. 13 al. 2 Cst. et 36 al. 1 let. b LIPAD.

Dès lors, l'établissement du décompte d'absence de la recourante touche ses droits fondamentaux et, contrairement à ce que prétend la recourante, pas uniquement son droit au traitement.

Elle avait donc le droit à ce que l'intimé rende une décision fondée sur l'art. 4A LPA, les conditions le permettant étant réunies.

Le recours sera ainsi admis dans la mesure de sa recevabilité et la cause renvoyée à l'intimé afin qu'il prenne, dans les 30 jours dès l'entrée en force du présent arrêt, une décision motivée, fondée sur l'art. 4A LPA, par laquelle il rejettera la demande de modification du décompte, ou modifiera celui-ci, le cas échéant, dans le sens voulu par la recourante.

3.             Vu l'issue du litige, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à la recourante, à la charge de l'intimé (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 20 décembre 2022 par A______ contre la décision du département de l'économie et de l'emploi du 5 décembre 2022 ;

renvoie la cause au département de l'économie et de l'emploi au sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue à A______ une indemnité de procédure de CHF 1'000.-, à la charge de l’État de Genève, département de l'économie et de l'emploi ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s'il porte sur les rapports de travail entre les parties et que la valeur litigieuse n'est pas inférieure à CHF 15'000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 15'000.- ;le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé, s’il est formé avant le 30 juin 2023, au Tribunal fédéral, Schweizerhofquai 6, 6004 Lucerne et s’il est formé après le 30 juin 2023 au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Romain JORDAN, avocat de la recourante, ainsi qu'au département de l'économie et de l'emploi.

Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Eleanor McGREGOR, Claudio MASCOTTO, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. SCHEFFRE

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. PAYOT ZEN-RUFFINEN

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :