Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public
ATA/1363/2024 du 19.11.2024 sur JTAPI/231/2024 ( LCI ) , PARTIELMNT ADMIS
En droit
république et | canton de genève | |||
| POUVOIR JUDICIAIRE A/403/2022-LCI ATA/1363/2024 COUR DE JUSTICE Chambre administrative Arrêt du 19 novembre 2024 3e section |
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dans la cause
DÉPARTEMENT DU TERRITOIRE - OCEAU - SERVICE DOMAINE PUBLIC LACUSTRE ET DE LA CAPITAINERIE recourant
contre
A______ SA
représentée par Me Jean-Marc SIEGRIST, avocat
et
B______
représenté par Mes Romain JORDAN et Stéphane GRODECKI, avocats intimés
_________
Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du
14 mars 2024 (JTAPI/231/2024)
A. a. B______ est propriétaire des parcelles nos 6'599 et 9'845 de la commune de C______ (ci-après : la commune). La seconde, qui abrite une maison d’habitation, est située à proximité immédiate du lac Léman, en bordure de la réserve naturelle de D______, à l’adresse ______, chemin E______ à F______.
b. A______ SA (ci-après : A______) est une société active notamment dans le domaine de la construction. Elle exploite des corps-morts et des barges destinées à des travaux lacustres, lesquelles sont amarrées sur le lac à l'aval de D______, sur la parcelle n° 8'346 de la commune. Les barges litigieuses sont destinées à l’exploitation de chantiers lacustres et appelées à recevoir des engins de chantier.
B. a. Dans le cadre d'un processus qui a impliqué différentes décisions de justice, le département de l'urbanisme, devenu depuis lors le département du territoire (ci‑après : le département), a ordonné à A______ en 2013 de déposer une demande d'autorisation de construire concernant l'installation de ses barges.
b. A______ a donné suite à cette injonction en déposant le 31 janvier 2017 une requête en autorisation de construire pour trois amarrages forains provisoires 1____________, 2____________ et 3____________ enregistrée sous DD 4______. Ultérieurement, A______ a précisé que les trois barges seraient arrimées dans le fond du lac par des vis d'ancrage. Celles-ci avaient une surface respective de 204 m², 178 m² et 144 m², pour un poids respectif de 70 t, 62 t et 49 t.
c. Par décision DD 4______ du 25 juillet 2018, le département a délivré l'autorisation requise, laquelle a été annulée sur recours d'une association de protection de la nature par jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) du 2 juillet 2019 (JTAPI/633/2019). Le TAPI a renvoyé le dossier au département pour complément d’instruction. Le recours déposé par des riverains a quant à lui été déclaré irrecevable en l’absence de qualité pour recourir.
d. Le 25 juillet 2018 également, la direction générale de l'eau (ci-après : DGEau) a délivré à A______ une autorisation spéciale LCR 5______ en vertu de la loi fédérale sur la pêche du 21 juin 1991 (LFSP - RS 923.0).
e. Le recours d’A______ contre le jugement du TAPI du 2 juillet 2019 auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) a été déclaré irrecevable s’agissant d’une décision incidente. Aucune des deux conditions alternatives de recours contre une telle décision n'était réalisée (ATA/1124/2020 du 10 novembre 2020).
f. Dans le cadre de la reprise de l'instruction du dossier d'autorisation de construire DD 4______ par le département, A______ a adressé deux propositions alternatives de déplacement des barges en direction de l'aval, reçues par le département le 2 juillet 2021.
g. Par préavis du 3 septembre 2021, l'office cantonal de l'eau (ci-après : OCEau) s'est déclaré défavorable aux deux variantes de déplacement proposées pour les amarrages forains et a par conséquent demandé le maintien en l'état des positions et amarrages existants.
h. Par décision DD 4______ délivrée le 9 mars 2022, le département a autorisé A______ à mettre en place trois corps-morts provisoires ainsi que des barges sur la parcelle n° 8'346 de la commune.
i. Par acte du 8 avril 2022, B______ a recouru contre l'autorisation DD 4______ auprès du TAPI en concluant principalement à son annulation. Ce recours a été enregistré sous le no de cause A/1167/2022.
j. Par jugement du 27 avril 2023 (JTAPI/454/2023), le TAPI a partiellement admis le recours, dans la mesure où la validité de l’autorisation serait limitée à six ans dès l'entrée en force du jugement. Le jugement retenait que les installations litigieuses n'étaient pas soumises à une obligation de planification, étaient imposées par leur destination à leur emplacement et aucun intérêt contraire prépondérant n'était violé.
k. Par arrêt du 26 septembre 2023 (ATA/1059/2023), la chambre administrative, laissant ouverte la question de sa qualité pour recourir, a rejeté le recours de B______ contre le jugement du TAPI.
En définitive, après nouvelle instruction, le département avait délivré une autorisation correspondant à la situation prévalant depuis plusieurs dizaines d’années. La pesée des intérêts incluait l’intérêt privé du recourant à jouir d’une vue dégagée sur le lac et le Jura. À cet égard, il ne pouvait être dénié que les trois structures en cause lui offraient, à 350 m de sa propriété, une vue déplaisante. Il était toutefois relevé que les barges n’étaient pas présentes à demeure, puisqu’elles évoluaient sur le lac au gré des chantiers et n’étaient généralement attachées aux trois corps-morts qu’en cas d’intempéries et pendant les vacances. Ce désagrément visuel ne suffisait pas à contrebalancer les intérêts collectifs précités.
l. Par acte du 6 novembre 2023, B______ a formé recours contre cet arrêt auprès du Tribunal fédéral (1C_597/2023). La procédure est en cours.
C. a. D'avril à août 2021, B______ s'est adressé au département afin de se plaindre de l'installation progressive, sur le lac et à quelques distances de sa propriété, de bouées, corps-morts, plates-formes de travaux et grues, dont il demandait l'enlèvement.
Ses sollicitations ont reçu des réponses de l'office des autorisations de construire (ci-après : OAC) ainsi que de l’OCEau.
Par courriel du 4 août 2021, B______ a fixé au département un ultime délai au 11 août 2021 pour faire procéder à l’enlèvement de ces installations, au-delà duquel un recours pour déni de justice serait déposé.
Par courrier du 8 septembre 2021 adressé à l'OCEau, B______ a soutenu qu'aucune autorisation n'avait été délivrée pour permettre l'occupation des eaux publiques que constituait l'amarrage des barges. Par conséquent, une décision devait être prononcée, ordonnant le retrait avec effet immédiat des installations litigieuses.
b. Par acte du 4 octobre 2021, B______ a saisi le TAPI d'un recours en concluant principalement à ce que le déni de justice commis par le département soit constaté. Ce recours a été enregistré sous no de cause A/3398/2021.
Dans le cadre de l’instruction de ce recours, le TAPI a, par décision sur mesures provisionnelles du 12 novembre 2021, fait interdiction au département, jusqu'à droit jugé au fond, d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens, à l'emplacement où se trouvaient immergés les corps-morts auxquels étaient amarrées les barges dont le précité s'était plaint dans ses courriers et courriels des 27 avril et 4 août 2021 (DITAI/535/2021).
Le 24 novembre 2021, A______ a déposé au TAPI une requête en précision ou modification de sa décision sur mesures provisionnelles, en ce sens qu'il ne lui serait pas interdit d'amarrer ses barges aux corps-morts identifiés par B______. Si elle ne pouvait plus amarrer ses barges à D______ sans solution de repli, elle devrait mettre un terme à ses engagements contractuels et licencier des employés spécialisés de son département lacustre.
Le 24 novembre 2021, A______ a également recouru à la chambre administrative contre la décision sur mesures provisionnelles du TAPI. Par arrêt du 5 avril 2022, la chambre administrative a déclaré sans objet ce recours (ATA/378/2022).
Le 27 juin 2022, une autorisation de construire ayant été délivrée, le TAPI a jugé sans objet le recours déposé pour déni de justice (JTAPI/676/2022). La cause A/3398/2021 a été rayée du rôle.
D. a. Par décision du 22 décembre 2021, le département a déclaré que B______ ne disposait pas de la qualité de partie à la procédure (chiffre 1 du dispositif), a déclaré irrecevable la requête qu'il avait présentée à cette autorité le 8 septembre 2021 (chiffre 2 du dispositif) et a interdit à A______ de déposer des engins de chantier, notamment des grues ou pelles à câble sur ses barges au mouillage dans le site de D______ (chiffre 3 du dispositif).
La qualité de partie de B______ devait être écartée en application de la jurisprudence relative à la qualité de partie d'un dénonciateur, car, en recourant auprès du TAPI pour déni de justice en invoquant le droit de la construction, il avait pu agir par un autre moyen de droit pour protéger ses intérêts.
b. Par acte du 1er février 2022, A______ a recouru contre la décision du département auprès du TAPI en concluant à l'annulation du chiffre 3 du dispositif et à sa confirmation pour le surplus. Ce recours a été enregistré sous le no de cause A/422/2022.
c. Par acte du 2 février 2022, B______ a également recouru auprès du TAPI contre cette décision en concluant principalement à la réforme de cette dernière, en ce sens que sa qualité de partie à la procédure lui soit reconnue, à ce qu'il soit interdit à toute personne l'utilisation des corps-morts installés sans autorisation ainsi que l'amarrage de toute barge ou autre bateau à ces corps-morts, et à la confirmation du chiffre 3 de la décision entreprise. Cette procédure a été enregistrée sous n° de cause A/403/2022.
d. Par courrier du 23 février 2022, A______ a saisi l'OCEau d'une demande de reconsidération de sa décision du 22 décembre 2021, en ce sens que le chiffre 3 de son dispositif soit annulé. Elle a expliqué en particulier que seul le mouillage actuel des barges les protégeait contre les intempéries et qu'à défaut, elle devrait les ramener à terre en les démontant, puis en les remontant le moment venu. Une telle opération durait entre six et sept jours et coûtait entre CHF 60'000.- et CHF 70'000.‑. En réalité, dans ces conditions, l'amarrage entraînerait l'arrêt de l'exploitation des barges et la résiliation des engagements contractuels de la société.
e. Le 25 avril 2022, l'OCEau a rendu une décision sur reconsidération annulant le chiffre 3 du dispositif de sa décision du 22 décembre 2021 faisant interdiction à A______ d'utiliser les barges litigieuses. Cela étant, l'OCEau devait mener une nouvelle phase d'instruction concernant ces mêmes éléments et par conséquent, les parties à la procédure en reconsidération devaient être clairement déterminées. À cet égard, comme le recours de B______ pendant devant le TAPI dans la cause A/403/2022 portait justement sur cette question, il se justifiait de suspendre l'instruction que l'OCEau voulait mener.
f. Par acte du 6 mai 2022, B______ a recouru contre la décision sur reconsidération de l’OCEau auprès du TAPI en concluant à son annulation. Ce recours a été enregistré sous le n° A/1495/2022.
g. Par décision du 27 juin 2022 (DITAI/308/2022), le TAPI a prononcé la jonction des causes A/403/2022 et A/1495/2022 sous le n° de procédure A/403/2022.
h. A______ a formé recours le 16 août 2022 devant la chambre administrative contre la décision du TAPI du 27 juin 2022 dont elle a demandé l’annulation, ainsi que le renvoi de la cause au TAPI pour la poursuite de l’instruction (cause A/422/2022).
Par décision du 12 septembre 2022 (ATA/906/2022), la chambre administrative, après avoir recueilli les déterminations de parties sur ce point, a ordonné la suspension de la cause A/422/2022 dans l’attente de l’issue de la procédure A/403/2022.
Les questions à trancher dans le cadre de ces deux procédures étaient celles de l’interdiction du dépôt des engins de chantier et autres d’A______ dans le lac Léman, secteur de D______. L’instruction de la cause A/422/2022 n’avait pas commencé devant la chambre administrative, alors que celle de la procédure A/403/2022 était plus avancée. Le prononcé d’un arrêt dans ladite cause aurait une incidence sur celui à venir dans la cause A/422/2022. Par économie de procédure, il convenait de suspendre la cause A/422/2022 dans l’attente de l’issue de la procédure A/403/2022 concernant la question des seules mesures provisionnelles, étant relevé que le TAPI restait saisi de la procédure sur le fond et qu’il n’existait a priori aucun obstacle dirimant à ce qu’il en poursuive l’instruction.
Par arrêt du 11 décembre 2023 (ATA/1325/2023), la chambre administrative a déclaré sans objet le recours d'A______ dans la cause A/422/2022.
i. Par écritures du 29 juin 2022, B______ a sollicité du TAPI, sur mesures provisionnelles, de déclarer exécutoire, le chiffre 3 de la décision de l'OCEau du 22 décembre 2021, fasse interdiction à l'État de Genève et à A______, d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens, à l'emplacement où se trouvaient immergés les corps-morts auxquels étaient amarrées les barges dont il s'était plaint à l'autorité intimée dans ses courriers et courriels des 27 avril et 4 août 2021, ce jusqu'à droit jugé au fond et sous menace des peines prévues à l’art. 292 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0).
Par courrier du 8 juillet 2022, il a informé le TAPI que, suite à sa requête de mesures provisionnelles, ses parties adverses s'étaient d'ores et déjà vengées en installant de nouvelles machines et structures, en décrochant certaines attaches des amarres de façon à ce que même un vent léger provoque un cliquetis sonore désagréable et en procédant dès 5 heures du matin à de nombreuses opérations bruyantes, ce qui l'avait réveillé lui-même, ainsi que sa famille.
j. Le 11 juillet 2022, A______ a maintenu sa conclusion tendant à l'irrecevabilité du recours de B______. Le recours du 6 mai 2022 était également irrecevable. Dans sa décision du 25 avril 2022, l'OCEau avait annulé le chiffre 3 du dispositif de sa décision du 22 décembre 2021 et suspendu l'instruction de la procédure jusqu'à l'issue de la procédure A/403/2022. Il en découlait que la capitainerie cantonale devait mener une nouvelle phase d'instruction sur l'exploitation des barges litigieuses et qu'il convenait ainsi de déterminer au préalable le cercle des parties à la procédure. L'objectif de l'OCEau consistait ainsi à savoir, dans un premier temps, si le recourant disposait de la qualité pour recourir eu égard à l'usage des eaux publiques et, dans un second temps, l'OCEau pourrait mener la procédure relative à l'usage des eaux publiques. La décision du 25 avril 2022 avait été qualifiée de décision incidente à juste titre, puisqu'elle constituait une étape dans la procédure. Le recourant ne démontrait aucun préjudice irréparable et ne démontrait pas que les conditions de recevabilité de son recours étaient remplies. La question de la reconnaissance ou non de la qualité de partie du recourant était centrale.
En outre, s'agissant de la prétendue violation du principe de la légalité au motif que l'autorité aurait de facto accordé une autorisation à titre précaire, il n'en était rien. Par sa décision du 25 avril 2022, l'OCEau avait signifié son refus de prendre des mesures urgentes face à une situation vieille de plus de 50 ans et objet d'une procédure de régularisation en cours. L'OCEau ne s'était pas déterminé sur le fond, ce qui devait faire l'objet d'une instruction complète sur l'occupation des eaux publiques. Cette instruction n'avait pas pu être entamée en raison du recours contre l'autorisation de construire DD 4______, dont l'entrée en force constituait un préalable logique et indispensable à l'autorisation subséquente liée aux objets pouvant s'implanter sur la construction concernée.
k. Le 12 juillet 2022, le département a dupliqué. Le recours interjeté le 6 mai 2022 par B______ était irrecevable. La décision du 25 avril 2022 se limitait à annuler le chiffre 3 du dispositif de la décision de la capitainerie cantonale du 22 décembre 2021 afin de compléter l'instruction sur ce point. L'autorité avait donc réouvert l'instruction de la procédure concernant la présence d'engins de chantier sur les barges d'A______ au mouillage dans le site de la Point-à-la-Bise, laquelle prendrait fin par une nouvelle décision qui pourrait soit constater que l'interdiction de déposer des engins de chantier sur lesdites barges devait être confirmée, soit dire que ladite interdiction devait être revue et modifiée, soit encore l'annuler. Il s'agissait donc bien d'une décision incidente. Par ailleurs, la décision du 22 décembre 2021, frappée de deux recours lorsque la décision sur reconsidération du 25 avril 2022 avait été rendue n'était ni définitive ni exécutoire.
B______ n'alléguait aucun préjudice irréparable et rien n'indiquait que cette condition de recevabilité serait d'emblée réalisée. Par ailleurs, il n'était ni allégué ni prouvé que la réouverture de l'instruction décidée par la capitainerie cantonale entrainerait une procédure probatoire longue et coûteuse. Enfin, dans la décision du 25 avril 2022, la capitainerie avait suspendu l'instruction de la procédure jusqu'à l'issue de la procédure A/403/2022, afin que la question de la qualité de partie du recourant pût être tranchée et que celui-ci pût exercer ses droits dans l'hypothèse où cette qualité lui serait reconnue.
l. Par décision du 14 juillet 2022, le TAPI a rejeté la demande de mesures provisionnelle formulée par B______ le 29 juin 2022.
Le 28 juillet 2022, B______ a formé recours contre cette décision auprès de la chambre administrative, concluant à son annulation, à ce que le chiffre 3 du dispositif de la décision de l’OCEau du 22 décembre 2021 soit déclaré exécutoire jusqu’à droit jugé sur le fond, et à ce qu’il soit fait interdiction au département et à A______, jusqu'à droit jugé au fond et sous la peine menace de l'art. 292 CP, d'installer ou d'ériger de quelconques installations en hauteur à l’emplacement des corps-morts immergés, respectivement de laisser procéder à tout acte dans ce sens. Il devait être dit que les mesures provisionnelles étaient exécutoires nonobstant recours.
Par arrêt du 8 novembre 2022, la chambre administrative a déclaré irrecevable le recours de B______ interjeté le 28 juillet 2022 (ATA/1133/2022).
Par arrêt du 12 juin 2023, le Tribunal fédéral a rejeté le recours interjeté par B______ contre l'arrêt de la chambre administrative du 8 novembre 2022. En substance, il relevait que le droit à la vue n'était pas, en tant que tel, protégé en droit public et que la perte de vue momentanée et partielle sur le lac subie par le recourant ne lui causait pas de préjudice irréparable, laissant ouverte la question de la légitimité du recourant à recourir en raison d'une restriction à sa vue (1C_660/2022 consid. 2.3).
m. Par jugement du 14 mars 2024, dans la cause A/403/2022, le TAPI a déclaré irrecevable le recours déposé par B______ contre la décision du département du 25 avril 2022 (ch. 1 du dispositif) et recevable celui déposé contre la décision du département du 22 décembre 2021 (ch. 2). Le recours était partiellement admis (ch. 3) et les chiffres 1 et 2 de la décision du département annulés (ch. 4), la qualité pour recourir devant être reconnue à B______ et la décision sur le fond devant lui être notifiée. Les ch. 5 à 7 du dispositif portaient sur les émoluments et indemnités de procédure.
B______ avait une vue directe et dégagée sur les barges litigieuses, de manière plus spéciale que l’ensemble des autres riverains de la portion du domaine public concernée. Le critère de la distance n’était pas en soi déterminant. À teneur des éléments du dossier, notamment des photographies produites, même à plus de 300 m de sa propriété, les barges litigieuses avaient un impact visuel indéniable, notamment en raison de leur hauteur et leur volume. Il disposait donc d’un intérêt digne de protection dans le cadre de la dénonciation qu’il avait formée 8 septembre 2021 et la qualité de partie et les droits qui en découlaient devait lui être reconnue dans le cadre de l’instruction de la procédure d’autorisation d’usage accru du domaine public.
E. a. Par envoi du 6 mai 2024, le département a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI, concluant à son annulation dans la mesure où il annulait les chiffres 1 et 2 de sa décision du 22 décembre 2021.
Le TAPI avait appliqué à tort une disposition du règlement concernant l'utilisation du domaine public du 21 décembre 1988 (RUDP - L 1 10.12) au domaine public lacustre alors qu’il ne concernait que l’usage commun des voies publiques cantonales et communales et en avait déduit, à tort, que les voisins étaient protégé par ce règlement. B______ disposait d’autres moyens pour faire protéger son éventuel intérêt digne de protection direct et spécial. En sa qualité de dénonciateur, il ne pouvait pas participer à la procédure ouverte par l’OCEau. Le TAPI avait omis de prendre en compte cette dimension.
b. Le 5 juin 2024, B______ a déposé des observations.
La procédure concernait des installations sans droit situées sur le lac et non l’autorisation de construire DD 4______. Le département mélangeait volontairement deux procédures. S’agissant des corps-morts, le Tribunal fédéral avait déjà jugé que le voisin disposait de la qualité pour recourir et donc celle de partie. Le voisin qui se plaignait de nuisance n’était pas un simple dénonciateur mais une partie à la procédure même si la loi n’était pas conçue en premier lieu pour le protéger. S’agissant de la situation actuelle, il ne disposait d’aucun autre moyen juridique pour contester la présence de ces barges illégales.
c. Le 20 juin 2024, A______ a déposé des observations, concluant à l’admission du recours.
La situation de la parcelle de B______ n’était pas spéciale par rapport à celle des autres riverains. Il avait pu contester l’autorisation de construire portant sur la mise en place de trois corps-morts provisoires et barges. Les griefs de fond formulés étaient d’ailleurs exactement identiques dans les deux procédures. En outre, sans autorisation de construire il n’y aurait pas d’autorisation domaniale, cela était logique, le département n’allant pas délivrer une autorisation de construire des corps-morts destinés à amarrer des barges pour ensuite ne pas délivrer la permission d’user des barges elles-mêmes. La dénonciation à l’OCEau n’était pas l’unique moyen de faire valoir ses droits. Le droit à la vue n’était pas protégé en tant que tel en droit public. En matière d’usage du domaine public, les riverains ne disposaient pas d’un droit au maintien du domaine public ou de son affectation. Ici, la vue sur le lac n’était pas obstruée. À l’échelle du lac, l’admission de la qualité pour recourir dans tous les cas de délivrance de permission ayant un impact visuel même lointain aux riverains du lac aurait d’énormes conséquences.
d. Le 17 juillet 2024, le département a répliqué persistant dans les conclusion prises dans son recours.
La procédure d’autorisation de construire concernait la régularisation des installations existantes, lesquelles avait été considérées par le passé comme étant conformes au droit par les autorités compétentes et n’avait pas pour objet d’autres ou de nouvelles installations. Lorsque B______ avait acquis son bien-fonds en 2016, A______ se trouvait déjà au bénéfice d’une situation acquise qui avait été prise en compte par la chambre administrative. Ce n’était qu’à l’issue de cette procédure d’autorisation de construire que celle de la permission d’occupation des eaux publiques serait traitée, le cas échéant. L’argument du mélange des procédures était faux.
La jurisprudence citée tombait à faux puisque les situations n’étaient pas comparables. En 2012, l’immersion de corps-morts dans le lac n’était pas soumise à autorisation de construire mais seulement à une permission d’occupation des eaux publiques.
La préservation de la vue du voisinage ne constituait ni un intérêt protégé par la loi sur l'occupation des eaux publiques du 19 septembre 2008 (LOEP - L 2 10) ni un élément protégé en tant que tel en droit public.
e. Le 22 juillet 2024, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.
1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 ‑ LPA ‑ E 5 10).
2. Il convient de préciser l’objet du litige.
2.1 L'objet du litige est principalement défini par l'objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu'il invoque. L'objet du litige correspond objectivement à l'objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5). La contestation ne peut excéder l'objet de la décision attaquée, c'est‑à‑dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l'autorité inférieure s'est prononcée ou aurait dû se prononcer (ATA/688/2024 du 10 juin 2024 consid. 2.3 ; ATA/330/2023 du 28 mars 2023 consid. 3a).
2.2 En l’espèce, le recours initial de B______ a été déposé contre une décision de l’OCEau du 22 décembre 2021 constatant sous chiffre 1 qu’il n’avait pas la qualité de partie à la procédure ouverte suite à sa plainte et sous chiffre 2, que sa requête présentée à plusieurs reprises, le 8 septembre, 9 et 16 novembre et 13 décembre 2021 visant au retrait des engins et des barges situées devant sa propriété était irrecevable. S’agissant du chiffre 3 de cette décision, interdisant à A______ de déposer des engins de chantier notamment des grues ou pelles à câble sur ses barges au mouillage dans le site de D______, il a été annulé par une décision du 25 avril 2022. Le recours déposé par B______ contre cette décision a été déclaré irrecevable (ch. 1 du dispositif du JTAPI/231/2024) et le recours déposé par le département ne conclut pas à l’annulation du jugement mais seulement à celle des ch. 2 à 7 du dispositif.
En conséquence, la décision d’interdiction de dépôt d’engins faite à A______ puis annulée, ne fait plus partie de l’objet du litige, lequel ne concerne que la qualité de partie à la procédure ouverte par le département suite, à la dénonciation faite la première fois le 27 avril 2021 par B______.
3. La question litigieuse est celle de la conformité au droit du jugement du TAPI reconnaissant la qualité de partie de l’intimé dans la procédure ouverte par l’OCEau.
3.1 Ont qualité de partie les personnes dont les droits ou les obligations pourraient être touchés par la décision à prendre, ainsi que les autres personnes, organisations ou autorités qui disposent d’un moyen de droit contre cette décision (art. 7 LPA).
3.2 La dénonciation est une procédure non contentieuse par laquelle n’importe quel administré peut attirer l’attention d’une autorité hiérarchiquement supérieure sur une situation de fait ou de droit qui justifierait à son avis une intervention de l’État dans l’intérêt public. La dénonciation est possible dans toute matière où l’autorité pourrait intervenir d’office. En principe, l’administré n’a aucun droit à ce que sa dénonciation soit suivie d’effets, car l’autorité saisie peut, après un examen sommaire, décider de la classer sans suite ; le dénonciateur n’a même pas de droit à ce que l’autorité prenne une décision au sujet de sa dénonciation (ATF 135 II 145 consid. 6.1 ; ATA/176/2024 du 6 février 2024 consid. 2.2 ; ATA/1123/2020 du 10 novembre 2020 consid. 4c et les références citées).
La jurisprudence considère que, dans une procédure non contentieuse, la seule qualité de plaignant ou de dénonciateur ne donne pas le droit de recourir contre la décision prise à la suite de la dénonciation et ne confère donc pas la qualité de partie dans cette procédure. En effet, ce type de procédure a pour but d’assurer l’exercice correct de l’activité soumise à surveillance dans l’intérêt public et non de défendre des intérêts privés des particuliers (ATF 135 II 145 consid. 6.1).
Pour jouir de la qualité pour recourir, le dénonciateur doit non seulement se trouver dans un rapport étroit et spécial avec la situation litigieuse, mais aussi pouvoir invoquer un intérêt digne de protection à ce que l’autorité de surveillance intervienne (ATF 135 II 145 consid. 6.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_98/2023 du 14 juin 2023 consid. 6.4 ; ATA/176/2024 du 6 février 2024 consid. 2.2).
3.3 Savoir si un dénonciateur remplit les conditions précitées et donc jouit de la qualité de partie doit être résolue différemment selon les matières et les circonstances d'espèce. Afin d'opérer une délimitation raisonnable avec le « recours populaire », la jurisprudence reconnaît restrictivement la qualité de partie au dénonciateur, lorsque celui-ci pourrait sauvegarder ses intérêts d'une autre manière, notamment par le biais d'une procédure pénale ou civile (ATF 139 II 279 consid. 2.3 et références citées ; arrêts 2C_214/2018 du 7 décembre 2018 consid. 4.5 et 2C_444/2021 du 19 octobre 2021 consid. 3.4 et références citées). En d’autres termes, le dénonciateur ayant un intérêt digne de protection à l’issue d’une procédure a la qualité de partie si cette procédure est le seul moyen pour lui de voir protégé son intérêt digne de protection, direct et spécial (arrêt du Tribunal fédéral 5A_422/2020 du 25 novembre 2020 consid. 1.4.3.3).
3.4 Avant que la pose de corps-morts et de bouées ne soit soumise à la procédure d’autorisation de construire à Genève, alors qu’elle n’était soumise qu’à une procédure d’autorisation d’usage accru du domaine public pour un usage professionnel, le Tribunal fédéral avait reconnu la qualité de partie au propriétaire riverain du lac qui jouissait d’une vue sans limite sur le lac, la rive opposée et le Jura en arrière-plan et qui subissait une restriction partielle de celle-ci par les bateaux amarrés aux bouées (arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.2.).
3.5 En l’espèce, une autorisation de construire concernant les corps-morts et les barges (DD 4______) a été délivrée et l’intimé a déposé un recours à son encontre. La jurisprudence ci-dessus ne trouve donc plus d’application directe, dans la mesure où la procédure d’autorisation de construire est la procédure principale, réservée par la législation applicable à l’octroi de la permission (art. 2 al. 3 du règlement sur l’occupation des eaux publiques du 15 décembre 1986 (ROEP - L 2 10.01).
3.6 L’occupation des eaux publiques, de leur lit et de leurs rives, excédant l’usage commun, fait l’objet d’une permission ou d’une concession (art. 4 loi sur l'occupation des eaux publiques du 19 septembre 2008 - LOEP - L 2 10).
3.7 En l’espèce, le TAPI a fondé son raisonnement sur RUDP, retenant qu’il était applicable au domaine lacustre. Or, ce règlement est notamment fondé sur la loi sur les routes du 28 avril 1967 (LRoutes - L 1 10) mais non sur la LOEP, laquelle dispose d’un règlement d’exécution propre, s’agissant du ROEP.
Le RUDP s’applique ainsi au domaine public constitué par les voies publiques, comme cela découle de l’art. 1 al. 1 let. a et b RUDP et de l’art. 60 RUDP abrogeant le règlement général concernant les travaux et les empiétements sur ou sous les voies publiques du canton, du 18 décembre 1974 auquel il a succédé.
Pour aboutir à la conclusion que l’intimé disposait d’un intérêt spécial, le TAPI a tenu compte de l’art. 1 al. 3 RUDP lequel prévoit que lors de l’octroi de la permission, l’autorité tient notamment compte des intérêts des voisins.
Fondée sur le RUDP, cette conclusion est erronée.
3.8 Reste à examiner si l’intimé dispose d’un intérêt spécial fondé sur la législation applicable à l’autorisation d’usage.
3.8.1 Une permission ou une concession peut être refusée, suspendue ou soumise à des garanties ou à des conditions, en cas de gêne ou de danger pour la navigation ou pour les installations portuaires, ou pour tout autre motif d’intérêt général, d’ordre esthétique ou environnemental notamment (art. 8 al. 1 LOEP).
3.8.2 Le Tribunal fédéral a reconnu la qualité de partie au voisin d’un établissement public dans une procédure visant à prononcer une mesure telle que changement d’horaire, modalités d’exploitation ou fermeture, suite au dépôt de sa plainte pour nuisances olfactives et sonores.
Dans cet arrêt, il est relevé que le voisin pouvait faire valoir ses intérêts d’autre façon par des procédures du droit civil ou du droit de la construction. Cependant, la situation d’un établissement public à Genève était gérée par une multiplicité de compétences et plusieurs autorités distinctes étaient habilitées à prendre des mesures. Cette fragmentation de la matière créait un contexte propice au renvoi de responsabilité entre les acteurs et le risque que le plaignant ne puisse en définitive pas sauvegarder ses intérêts légitimes de manière suffisante. En conséquence, la qualité de partie devait lui être reconnue (arrêt du Tribunal fédéral 2C_214/2018 du 7 décembre 2018). Les commentateurs de cet arrêt précisent que la règle de subsidiarité, allégée par cet arrêt, était cependant soigneusement cadrée par des conditions, critères ou exigences, soit la multiplicité des procédures ouvertes, les conséquences tirées de l’exigence de coordination des procédures, ainsi que la fragmentation de la matière qui en découlait. Les conditions étaient particulières et le Tribunal fédéral se posait ainsi avant tout en garant de l’exigence d’effectivité de la protection juridique (Romain JORDAN et Stéphane GRODECKI in RDAF 2019 p. 99).
3.8.3 En l’espèce toutefois, comme vu ci-dessus, les installations sont soumises à une procédure d’autorisation de construire, laquelle est menée par le même département et a d’ailleurs fait l’objet d’un recours de la part de l’intimé qui a pu faire valoir ses droits. De plus, en l’absence d’autorisation de construire, l’instruction de la procédure en délivrance d’une permission d’usage accru prend fin, devenant sans objet. Ainsi, dans le cadre de cette procédure de permission d’usage accru, il n’est pas possible de retenir, au regard de conditions mises par notre Haute Cour à la reconnaissance de la qualité de partie du dénonciateur, que l’intimé dispose de cette qualité étant admis que la législation applicable n’a pas pour but spécifique la protection de la vue des riverains comme vu ci-dessus, s’agissant des motifs de refus d’intérêt général prévu à l’art. 8 al. 1 LOEP.
Le recours sera donc admis partiellement et les chiffres 2 à 7 du jugement du TAPI annulés, le jugement étant confirmé pour le surplus.
4. Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de B______ qui succombe (art. 87 al. 1 LPA) et une indemnité de procédure de CHF 1000.- sera allouée à A______ qui y a conclu, à la charge de B______ (art. 87 al. 2 LPA).
* * * * *
PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE
à la forme :
déclare recevable le recours interjeté le 6 mai 2024 par le département du territoire - OCEAU - service du domaine public lacustre et de la capitainerie contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 mars 2024 ;
au fond :
l’admet partiellement ;
annule les chiffres 2 à 7 du dispositif du jugement du Tribunal administratif de première instance du 14 mars 2024 ;
le confirme pour le surplus ;
met un émolument de CHF 1’000.- à la charge de B______ ;
alloue une indemnité de procédure de CHF 1’000.- à A______ SA, à la charge de B______ ;
dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les 30 jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l'envoi ;
communique le présent arrêt au département du territoire - OCEau - service du domaine public lacustre et de la capitainerie cantonale, à Me Jean-Marc SIEGRIST, avocat d’A______ SA, à Mes Romain JORDAN et Stéphane GRODECKI, avocats de B______, ainsi qu’au Tribunal administratif de première instance.
Siégeant : Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, présidente, Patrick CHENAUX, Claudio MASCOTTO, juges.
Au nom de la chambre administrative :
le greffier-juriste :
M. MAZZA
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| la présidente siégeant :
F. PAYOT ZEN-RUFFINEN |
Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.
Genève, le
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| la greffière :
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