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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/818/2024

ATA/972/2024 du 20.08.2024 ( PATIEN ) , ADMIS

Descripteurs : PROFESSION SANITAIRE;SECRET PROFESSIONNEL;MÉDECIN;SPHÈRE PRIVÉE;PROTECTION DE LA PERSONNALITÉ;RESPECT DE LA VIE PRIVÉE;AUTORITÉ DE PROTECTION DE L'ADULTE;PROTECTION DE L'ADULTE;DROIT FONDAMENTAL;ATTEINTE À UN DROIT CONSTITUTIONNEL;PROPORTIONNALITÉ;PESÉE DES INTÉRÊTS
Normes : CEDH.8; Cst.13; Cst.36; CP.321; CC.443.al1; CC.448; LS.12.al1; LS.12.al6; LS.12.al7; LS.86.al1; LS.86.al2; LS.86.al3
Résumé : recours contre le refus de la commission du secret professionnel de lever le secret médical d'une médecin, invitée par le TPAE à établir un certificat médical concernant l'une de ses patientes. Les intérêts privés et publics à la levée du secret, soit notamment la prise de connaissance par le TPAE de la situation concrète de la patiente, qui semble manifestement avoir besoin d'aide et de soins, ainsi que l'intérêt public à la protection des résidents de son immeuble et les intérêts privés des membres de sa famille, sont en l'occurrence nettement supérieurs et doivent primer l'intérêt privé de la patiente au respect de sa sphère privée. La commission ne pouvait donc pas refuser la levée du secret. Admission du recours.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/818/2024-PATIEN ATA/972/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 20 août 2024

1ère section

 

dans la cause

 

A______ et B______ recourants

contre

COMMISSION DU SECRET PROFESSIONNEL

et

C______

et

Docteure E______ intimées

 



EN FAIT

A. a. C______, né en 1958, est l'épouse de B______ ainsi que la mère d'A______, né en 1994, et de D______, née en 1998.

Les époux B______ ET C______ et A______ vivent dans le même appartement, à F______.

b. C______ bénéficie d'un encadrement psychiatrique depuis 1989 et a été hospitalisée plusieurs fois. Elle a consulté à deux reprises, fin 2021 et début 2022, la docteure E______, médecin adjointe au Centre ambulatoire de psychiatrie et psychothérapie intégrée (CAPPI) de la Servette.

c. Dans le courant de l'année 2023, A______ a adressé un signalement au Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après : TPAE) concernant sa mère.

d. Une audience a eu lieu devant le TPAE le 3 novembre 2023, en présence de C______, assistée d'un curateur (d'office) de représentation, ainsi que d'A______ et de B______.

C______ a confirmé ne pas se sentir très bien. Elle ne prenait plus ses médicaments pour la thyroïde en raison de palpitations cardiaques. Son mari avait perdu son travail, ce qui avait généré un conflit entre eux car elle ne supportait pas de toujours devoir le soutenir. Elle avait eu une dispute avec un voisin. Elle reprenait désormais ses médicaments pour la thyroïde. Elle avait été hospitalisée plusieurs années à la clinique de Belle‑idée, sans rien en retirer. Elle prenait de la Depakine mais ne savait pas ce que c'était. Son époux ne s'occupait pas des courses ni des repas, mais au-delà de cela, il n'y avait pas de conflit entre eux.

B______ a indiqué s'occuper des affaires administratives de son épouse et des siennes. Après avoir perdu son emploi, il avait fait une dépression qui s'était échelonnée à divers degrés sur douze à quinze ans. Il était suivi par un psychiatre.

A______ a exposé que l'état de sa mère s'était dégradé en 2008, lorsque son père avait perdu son travail. Elle lui avait servi de béquille et avait été emportée dans la tourmente. Son état variait ; elle était dépressive et violente. Il avait souvent servi de « tampon » auprès de tiers pour excuser son comportement. Courant 2021, elle avait été en hospitalisation volontaire dans une clinique. La situation n'avait pas véritablement changé depuis lors. Il avait fait appel à l'équipe mobile de psychiatrie des HUG. Après trois séances, l'équipe soignante l'avait informé qu'elle ne pourrait rien faire de plus concernant les soins et qu'il fallait envisager une curatelle. Sa mère se trouvait actuellement dans une phase dépressive et il souhaitait qu'elle soit soignée pour pouvoir quitter le domicile en toute quiétude.

À l'issue de l'audience, le TPAE a suspendu la procédure jusqu'au 4 mars 2024 et pris acte de l'engagement de C______ de consulter un psychiatre ainsi que de prendre la médication qui lui serait prescrite. Il l'a avertie que si elle ne tenait pas son engagement, il devrait délibérer pour prendre toutes les mesures utiles (notamment expertise psychiatrique et un éventuel placement à des fins d'assistance) afin qu'elle puisse bénéficier des soins nécessaires.

B. a. Le 11 juillet 2023, le TPAE a demandé à la Dre E______ d'établir un certificat médical concernant C______ en répondant notamment à un certain nombre de questions sur l'intéressée.

b. Le 21 septembre 2023, la Dre E______ a saisi la commission du secret professionnel (ci-après : la commission) d'une demande de levée de son secret professionnel à l'égard de C______, celle-ci ne possédant, d'après elle, pas la capacité de discernement nécessaire pour la lever de son secret. L'objectif de la démarche consistait à pouvoir rédiger à l'attention du TPAE le rapport médical demandé.

Elle avait rencontré C______ à l'initiative de son fils. Celle-ci était en rupture de suivi et de traitement depuis des mois, voire des années, après une dernière hospitalisation en 2017 pour un état d'agitation lors d'un épisode mixte d'un trouble bipolaire. Selon ses enfants, elle alternait des phases dépressives d'aboulie et d'autres périodes marquées par une grande irritabilité et des idées délirantes à thème persécutoire. Elle pouvait se montrer agressive, faire des achats inconsidérés ou adopter des comportements la mettant en danger (risques d'incendie à cause des cigarettes par exemple). Lors du premier entretien, elle tenait un discours globalement projectif avec une conscience morbide balbutiante. Ses enfants étaient épuisés par l'impossibilité de leur mère de s'inscrire dans des soins continus et par la dégradation de sa santé psychique et physique. Avec l'accord de la patiente, celle‑ci avait effectué un séjour à la clinique du Grand-Salève du 10 janvier au 3 février 2022. Sa sortie de clinique avait été précipitée ; après avoir accepté les soins, elle avait demandé avec insistance sa sortie, à l'insu de ses enfants. Aucun suivi infirmer de transition n'avait pu être organisé. Lors de leur dernière séance, son mari l'avait accompagnée. Méfiante et expéditive, elle avait expliqué ne pas avoir besoin de soins ni de traitement, ni souhaiter revoir de psychiatres. Quelques mois après, ses enfants l'avaient informée du fait que la situation de leur mère était à nouveau précaire. Malgré l'intervention à domicile de l'équipe mobile du service de psychiatrie adulte en fin d'été 2022, aucune alliance n'avait pu être établie avec C______, qui avait continué à refuser tout soin psychiatrique.

La Dre E______ estimait ainsi qu'en raison du trouble psychique dont elle souffrait et tant qu'elle refusait de recevoir des soins, C______ était vraisemblablement incapable d'assurer la gestion de ses affaires administratives et financières et de s'occuper d'elle-même de façon autonome. Moyennant un traitement adapté, la conscience de son état morbide pourrait évoluer et elle pourrait retrouver ses capacités, du moins partiellement.

c. C______ a été informée le 13 février 2024 de la demande de la Dre E______. Elle ne s'est pas déterminée dans le délai imparti à cet effet.

d. La Dre E______ a été entendue par la commission le 29 février 2024. Elle a notamment expliqué avoir rencontré C______ à deux reprises et n'avoir plus eu de ses nouvelles depuis juillet 2022. Celle-ci avait été hospitalisée une dizaine de fois. Le médecin de famille pourrait peut-être transmettre des renseignements actualisés au TPAE.

e. Par décision du 29 février 2024, la commission a refusé de lever le secret professionnel de la Dre E______.

Dans la mesure où C______ n'avait plus consulté l'intéressée depuis deux ans, le secret professionnel devait prévaloir. Aucun intérêt public ou privé prépondérant n'avait été établi.

C. a. Par acte remis à la poste le 7 mars 2024, A______ et B______ ont interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci‑après : la chambre administrative) contre cette décision.

Comme l'avait indiqué la Dre E______, C______ n'était pas en mesure de se déterminer valablement sur la levée du secret professionnel de celle‑ci et souffrait d'une dépression, qui l'amenait à ne plus sortir de la maison. Elle refusait de consulter un psychiatre. Dans l'intérêt de toute la famille, les médecins ne devaient pas être empêchés de communiquer entre eux. Le secret médical entre ceux qui l'avaient vue au moins une fois n'avait aucune utilité.

b. La commission a conclu au rejet du recours, persistant dans les termes de sa décision.

c. La Dre E______ a appuyé le recours.

L'intéressée souffrait d'un trouble psychiatrique persistant et sévère qui interférait avec sa capacité de discernement et soutenait son anosognosie. En l'absence de soins adaptés, son état de santé se dégraderait. Son dossier attestait de nombreuses ruptures de soins et de traitement, « secondaire à » une conscience morbide défaillante. Pour que le TPAE puisse se déterminer et prendre d'éventuelles mesures de protection à son endroit, les informations médicales qu'elle détenait étaient capitales.

d. Interpelée par la chambre administrative, C______ ne s'est pas déterminée dans le délai imparti à cet effet.

e. Dans leur réplique, les recourants ont expliqué que le départ définitif de la fille de C______ en octobre 2023 semblait expliquer l'exacerbation de son état psychique. Elle s'inquiétait pour sa fille et passait la plupart de son temps à la maison, couchée. Elle avait eu des mots avec de nouveaux voisins et des techniciens, si bien que la régie leur avait adressé, par courrier du 6 juillet 2023, un avertissement. C______ étant dépressive, un traitement psychiatrique permanent semblait nécessaire à son bien-être, mais elle s'y opposait.

Les recourants ont produit le courrier de la régie susmentionné, dont le contenu sera repris en tant que de besoin dans la partie en droit du présent arrêt.

f. Sur ce, la cause a été gardée à juger, ce dont les parties ont été informées.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10 ; art. 12 al. 5 de la loi sur la santé du 7 avril 2006 - LS - K 1 03).

1.1 Les recourants n'ayant pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée, se pose la question de savoir si le recours répond aux exigences de motivation prévues par la LPA.

1.2 L'acte de recours contient, sous peine d'irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant (art. 65 al. 1 LPA). Il contient également l'exposé des motifs ainsi que l'indication des moyens de preuve (art. 65 al. 2 1ère phr. LPA).

Compte tenu du caractère peu formaliste de cette disposition, il convient de ne pas se montrer trop strict sur la manière dont sont formulées les conclusions du recourant. Le fait que ces dernières ne ressortent pas expressément de l’acte de recours n’est pas en soi un motif d’irrecevabilité, pourvu que le tribunal et la partie adverse puissent comprendre avec certitude les fins du recourant. Une requête en annulation d’une décision doit par exemple être déclarée recevable dans la mesure où le recourant a de manière suffisante manifesté son désaccord avec la décision ainsi que sa volonté qu’elle ne développe pas d’effets juridiques (ATA/642/2024 du 28 mai 2024 consid. 1.2 et l'arrêt cité).

1.3 En l'espèce, bien que les recourants n'aient pas pris de conclusions formelles en annulation de la décision querellée, ils ont expressément indiqué faire recours contre celle-ci et ont exposé de façon claire les raisons pour lesquelles ils la contestaient. Ces éléments suffisent pour comprendre qu'ils sont en désaccord avec ladite décision et qu'ils souhaitent obtenir son annulation ainsi que, de facto, la levée du secret médical de la Dre E______.

Le recours répond ainsi aux exigences de l’art. 65 LPA et est donc recevable. Il convient donc d'entrer en matière sur le fond.

2.             Le litige porte sur la conformité au droit du refus de la commission de lever le secret professionnel de la Dre E______ à l'égard de C______.

2.1 Selon l'art. 321 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0), les médecins qui auront révélé un secret à eux confié en vertu de leur profession ou dont ils avaient eu connaissance dans l'exercice de celle-ci seront, sur plainte, punis d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire (ch. 1) ; la révélation ne sera pas punissable si elle a été faite avec le consentement de l'intéressé ou si, sur la proposition du détenteur du secret, l'autorité supérieure ou l'autorité de surveillance l'a autorisée par écrit (ch. 2) ; demeurent réservées les dispositions de la législation fédérale et cantonale statuant une obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (ch. 3).

Le secret médical couvre tout fait non déjà rendu public, communiqué par le patient à des fins de diagnostic ou de traitement, mais aussi des faits ressortissants à la sphère privée de ce dernier révélés au médecin en tant que confident et soutien psychologique (ATA/675/2024 du 4 juin 2024 consid. 4.1 et l'arrêt cité ; ATA/1051/2023 du 26 septembre 2023 consid. 6.1). Le devoir de garder le secret n'est pas limité dans le temps. Il subsiste au-delà du rapport contractuel, que celui‑ci ait pris fin par son exécution, sa résiliation ou sa révocation, la mort du mandant ou toute autre cause (ATF 117 Ia 349 consid. bb ; 114 III 107 consid. 3a ; 112 Ib 607 ; 87 IV 107 consid. 2).

2.2 En droit genevois, l'obligation de respecter le secret professionnel est rappelée à l'art. 86 al. 1 LS. Elle est le corollaire du droit de toute personne à la protection de sa sphère privée, garanti par les art. 13 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101).

Aux termes de l'art. 86 LS, une personne tenue au secret professionnel peut en être déliée par le patient ou, s'il existe de justes motifs, par l'autorité supérieure de levée du secret professionnel (al. 2) ; sont réservées les dispositions légales concernant l'obligation de renseigner une autorité ou de témoigner en justice (al. 3).

Le droit de délier le professionnel de son secret est strictement personnel. Le consentement doit ainsi provenir de la personne intéressée au maintien du secret dans la mesure où elle est capable de discernement. Si elle est incapable de discernement, son représentant légal peut consentir à la levée dans la mesure où il est le maître du secret, sauf en ce qui concerne des faits de la sphère intime (Benoît CHAPPUIS in Alain MACALUSO/Nicolas QUELOZ/Laurent MOREILLON/Robert ROTH [éd.], Commentaire romand du code pénal II, 2017, n. 141 ad. art. 321 CP). La levée du secret médical par l'autorité est subsidiaire au consentement du patient et entre en considération uniquement lorsque ce consentement ne peut être obtenu (ATF 148 II 465 consid. 8.7.4 ; 147 I 354 consid. 3.3.2).

2.3 Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le respect du caractère confidentiel des informations de santé est capital non seulement pour protéger la vie privée des patients (art. 13 Cst. ; art. 8 CEDH), mais également pour préserver leur confiance dans le corps médical et les services de santé en général. La législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation des données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme à l'art. 8 CEDH, garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale. Ainsi, le devoir de discrétion est unanimement reconnu et farouchement défendu (ACEDH Z. M.S. c/Suède du 27 août 1997, cité in Dominique MANAÏ, Droits du patient face à la biomédecine, 2013, p. 138 s. ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_1049/2019 du 1er mai 2020 consid. 3.3 ; 2C_37/2018 du 15 août 2018 consid. 6.2.3).

Comme tout droit découlant d'une liberté, le droit à la protection du secret médical peut, conformément à l'art. 36 Cst., être restreint moyennant l'existence d'une base légale (al. 1), la justification par un intérêt public ou par la protection d'un droit fondamental d'autrui (al. 2) et le respect du principe de la proportionnalité, par rapport au but visé (al. 3).

La base légale pouvant fonder la restriction est, en cette matière, constituée par l'art. 321 ch. 2 CP et par l'art. 86 al. 2 LS. L'autorité supérieure au sens de ces deux dispositions est, conformément à l'art. 12 al. 1 LS, la commission, qui, bien que rattachée administrativement au département chargé de la santé (art. 12 al. 6 LS), exerce en toute indépendance les compétences que la LS lui confère (art. 12 al. 7 LS).

2.4 L'art. 321 al. 2 CP ne mentionne pas les critères selon lesquels l'autorisation doit être accordée ou refusée. Il convient de procéder à une pesée des intérêts et des biens juridiques en présence, la levée du secret ne devant être accordée que si elle est nécessaire pour sauvegarder des intérêts privés ou publics prépondérants. Seul un intérêt public ou privé nettement supérieur peut la justifier. Dans le cadre de la pesée des intérêts, il faut notamment tenir compte du fait que le secret professionnel est un bien juridique majeur. L'intérêt à la recherche de la vérité matérielle n'est pas en soi un intérêt prépondérant. C'est l'autorité compétente qui détermine dans quelle mesure et à qui les renseignements doivent être donnés. La levée du secret ne doit en principe être autorisée que dans la mesure où elle est nécessaire dans le cas concret, compte tenu de la sphère secrète du maître du secret (arrêts du Tribunal fédéral 2C_683/2022 du 4 janvier 2024 consid. 6.2.1 ; 2C_1049/2019 précité consid. 3.4 ; 2C_37/2018 précité consid. 6.4.2).

Ainsi, parmi les intérêts pris en considération figurent en priorité ceux du maître du secret. Il s'agit là de la cause la plus fréquente en matière médicale où nombre de praticiens demandent régulièrement à l'autorité compétente de pouvoir porter la situation de patient à la connaissance soit de l'autorité de protection de l'adulte soit d'autres professionnels de la santé (Benoît CHAPPUIS in Alain MACALUSO/Nicolas QUELOZ/Laurent MOREILLON/Robert ROTH [éd.], op. cit., n. 154 ad art. 321 CP).

2.5 Il ressort de l'art. 86 al. 2 LS qu'une décision de levée du secret professionnel doit, en l'absence d'accord du patient, se justifier par l'existence de « justes motifs ». Les intérêts du patient ne peuvent pas constituer un « juste motif » de levée du secret, si ce dernier n'a pas expressément consenti à la levée du secret le concernant. La notion de justes motifs se réfère donc uniquement à l’existence d’un intérêt public prépondérant, tel que le besoin de protéger le public contre un risque hétéro‑agressif, ou à la présence d’un intérêt privé de tiers dont le besoin de protection serait prépondérant à celui en cause, conformément à l’art. 36 Cst. (ATA/675/2024 précité consid. 4.3 et les arrêts cités). Les considérations qui précèdent valent cependant seulement pour le patient capable de discernement (ATA/231/2016 du 15 mars 2016 consid. 11a).

L’obligation de respecter le secret médical ne protège donc pas uniquement la santé de l’individu mais tient également compte de la santé de la collectivité. Ainsi, ce dernier élément reste un paramètre essentiel et traduit la pesée des intérêts qui intervient entre secret médical et intérêt collectif dans certains domaines où la santé publique peut être mise en danger (ATA/1051/2023 précité consid. 6.3 ; ATA/202/2018 du 6 mars 2018). Dès lors, le respect du secret médical trouve ses limites dans les principes généraux du droit administratif, notamment celui de la proportionnalité (ATA/510/2020 du 26 mai 2020 consid. 3c ; ATA/717/2014 du 9 septembre 2014 consid. 10c).

2.6 Pour ce qui est plus précisément de la procédure devant l'autorité de protection de l'adulte, soit le TPAE dans le canton de Genève (art. 105 LOJ), l'art. 443 al. 1 du Code civil suisse du 10 décembre 1907 (CC - RS 210) dispose que toute personne a le droit d'aviser l'autorité de protection de l'adulte qu'une personne semble avoir besoin d'aide ; les dispositions sur le secret professionnel sont réservées.

En vertu de l'art. 448 CC, les parties à la procédure et les tiers sont tenus de collaborer à l'établissement des faits ; l'autorité de protection de l'adulte prend les mesures nécessaires pour sauvegarder les intérêts dignes de protection ; en cas de nécessité, elle ordonne que l'obligation de collaborer soit accomplie sous la contrainte (al. 1) ; les médecins, les dentistes, les pharmaciens, les sages-femmes ainsi que leurs auxiliaires ne sont tenus de collaborer que si la personne concernée les y a autorisés ou que, à la demande de l'autorité de protection de l'adulte, l'autorité supérieure les a déliés du secret professionnel (al. 2).

Dans les différentes situations où l'autorité de surveillance ou de contrôle du secret médical est saisie d'une demande de levée, le critère de sauvegarde et de protection de l'intérêt public l'emporte sur le devoir de discrétion du médecin (ATA/1228/2019 du 13 août 2019 consid. 8 ; ATA/378/2013 du 18 juin 2013).

2.7 Selon la jurisprudence de la chambre administrative relative à la divulgation au TPAE d'informations concernant un patient et couvertes par le secret médical, l'intérêt à la levée du secret professionnel réside tout d'abord dans la prise de connaissance par le TPAE, lequel établit d'office les faits et procède à toutes mesures probatoires utiles en application des art. 446 CC et 36 de la loi d'application du code civil suisse et autres lois fédérales en matière civile du 11 octobre 2012 (LaCC - E 1 05), de la situation concrète du patient et, ensuite, dans la possibilité pour la juridiction de prendre des mesures qui, conformément à l’art. 388 CC, garantissent l’assistance et la protection de la personne qui a besoin d’aide (al. 1) tout en préservant et favorisant autant que possible son autonomie (al. 2 ; ATA/439/2019 du 16 avril 2019 consid. 2g ; ATA/202/2018 précité consid. 3b).

2.8 Dans un arrêt de 2019, la chambre de céans a eu à connaître du cas d'un médecin et d'une assistante sociale ayant été levés de leur secret professionnel par la commission et autorisé à transmettre au TPAE les documents qu'ils désiraient adresser à cette instance, le cas échéant à répondre aux questions de la juridiction. Était concerné un patient âgé de 90 ans qui attendait d'être admis dans un établissement médicosocial (ci-après : EMS) et dont la situation était bloquée en raison de ses dettes. Il était urgent qu'une personne soit nommée pour protéger ses intérêts (ATA/1228/2019 précité).

La chambre de céans a retenu que les éléments financiers relevés par le médecin et l'assistante sociale permettaient d'admettre qu'il existait un intérêt public, lequel consistait, d'une part, en la nécessité de pouvoir protéger le patient si nécessaire et, d'autre part, à éviter de le laisser tomber dans une situation où il devrait faire appel à l'assistance financière de l'État. Cet intérêt public primait l'intérêt privé du patient au respect de sa sphère privée. La position de celui-ci, qui ne semblait pas réaliser que l'accueil dont il bénéficiait n'était que temporaire, démontrait la nécessité de pouvoir informer exhaustivement l'autorité de protection de l'adulte de la situation et des capacités dont il disposait encore, afin que cette dernière puisse investiguer la situation et, si nécessaire, prendre les mesures qui s'imposaient (ATA/1228/2019 précité consid. 9).

2.9 Dans un autre arrêt de 2019, la chambre de céans s'est penchée sur le cas d'un infirmier travaillant au sein d'un EMS et ayant obtenu la levée de son secret professionnel à l'égard d'une résidante afin de pouvoir donner au TPAE des renseignements la concernant. Selon le curateur de la résidante, le TPAE souhaitait entendre l'infirmier au sujet du comportement de celle-ci, laquelle avait un problème lié à la consommation d'alcool et un comportement d'accumulation d'objets. Par ailleurs, il y avait des craintes quant à un risque d'incendie en raison des cigarettes qu'elle achetait (ATA/439/2019 précité).

L'intérêt privé de la résidante résidait dans le respect de sa vie et de sa sphère privées par rapport au TPAE. L'intérêt à la levée du secret professionnel résidait tout d'abord dans la prise de connaissance par le TPAE de sa situation concrète. L'audition de l'infirmier permettrait également au TPAE d'examiner s'il y avait lieu de prendre des mesures particulières qui garantissaient l'assistance et la protection de la personne qui avait besoin d'aide tout en préservant et favorisant autant que possible son autonomie. À cela s'ajoutait l'intérêt public à la protection des autres résidents de l'EMS. La décision de levée du secret échappait ainsi à tout grief, dès lors que la situation médicale sur laquelle la commission s'était fondée était effectivement susceptible de conduire au prononcé de mesures complémentaires par le TPAE (ATA/439/2019 précité consid. 2g).

3.             En l'espèce, la commission a refusé de lever le secret professionnel de la Dre E______ pour deux motifs exposés sommairement. D'une part, C______ n'avait plus consulté l'intéressée depuis deux ans. D'autre part, aucun intérêt public ou privé prépondérant n'avait été établi.

L'intérêt privé de la patiente réside dans le respect de sa vie et de sa sphère privées par rapport au TPAE, ce qui n'est pas contesté. En revanche, contrairement à ce que semble prétendre la commission, il existe également des intérêts privés et publics à la levée du secret médical. Le premier d'entre eux réside dans la prise de connaissance par le TPAE de la situation concrète de la patiente, lequel établit d'office les faits et procède à toutes mesures probatoires utiles, comme l'a déjà rappelé à plusieurs reprises la chambre de céans. Le rapport médical que le TPAE a expressément demandé à la Dre E______ doit lui permettre de déterminer s'il y a lieu de prendre des mesures particulières qui garantissent l'assistance et la protection de l'intéressée, laquelle semble manifestement avoir besoin d'aide et de soins, tout en préservant et favorisant autant que possible son autonomie. Ce besoin d'aide et de soins se manifeste en particulier dans son état dépressif et violent ainsi que dans les interruptions non justifiées du suivi psychiatrique qu'elle suivait depuis des années et de ses traitements médicamenteux. Il se traduit également par le signalement de son fils au TPAE, par son discours confus et contradictoire devant celui-ci s'agissant de la prise de ses médicaments et du conflit avec son époux, par son absence de réponse aux invitations de la commission et de la chambre de céans et par le fait que le TPAE a évoqué un éventuel placement à des fins d'assistance pour l'obliger à se soigner.

Doivent ensuite être pris en compte l'intérêt public à la protection des résidents de son immeuble et l'intérêt privé de sa famille. D'une part, il ressort des déclarations de ses enfants à la Dre E______ que l'intéressée ne prend pas toutes les précautions requises lorsqu'elle fume des cigarettes, si bien qu'un risque d'incendie ne peut être écarté en l'absence de mesures de protection et d'accompagnement. La lettre de la régie du 6 juillet 2023 fait état de ce que C______ aurait agressé verbalement une voisine et qu'il ne s'agirait pas d'un incident isolé, plusieurs entreprises étant intervenues dans l'immeuble s'étant plaintes de son comportement agressif, menaçant et grossier. L'altercation avec la voisine a été confirmée par l'intéressé ainsi que par son fils devant le TPAE et les incidents impliquant les entreprises n'ont pas été contestés. Le besoin de protéger le public contre un risque hétéro-agressif est donc établi.

D'autre part, les évènements précités ont conduit la régie à adresser un avertissement aux époux B______ ET C______, leur rappelant les dispositions relatives à la résiliation anticipée du bail. La réitération de tels évènements pourrait dès lors les exposer à une telle résiliation, ce qui irait manifestement à l'encontre de leurs intérêts. Par ailleurs, les intérêts privés du fils de C______, qui vit actuellement avec ses parents, ne doivent pas non plus être négligés. En effet, ce dernier est confronté à l'état dépressif et parfois violent de sa mère, dont il doit parfois excuser les comportements inconvenants auprès de tiers. Malgré les démarches qu'il a entreprises ces dernières années, elle a refusé jusque-là de recevoir des soins. Une aide doit dès lors pouvoir, le cas échéant, être apportée à l'intéressée afin qu'elle se sente mieux, que la situation s'apaise notamment pour son fils (de même que pour son époux) et qu'il puisse, comme il l'a indiqué, « quitter le domicile en toute quiétude ».

Ces intérêts doivent être considérés comme nettement supérieurs et doivent primer l'intérêt privé de la patiente au respect de sa sphère privée, ce d'autant plus qu'elle ne s'est pas expressément opposée à la levée du secret médical de sa médecin, bien qu'invitée à deux reprises à se déterminer. Pour cette raison également et dans la mesure où sa capacité de discernement est en l'état douteuse, comme cela ressort des explications convaincantes de la Dre E______, son propre intérêt à la levée du secret ne saurait être ignoré, pour sa propre protection notamment.

Pour refuser la levée du secret, la commission s'est prévalue du fait que C______ n'avait plus consulté la Dre E______ depuis « deux ans » Or, on ne voit pas pourquoi, et la commission ne l'explique pas, l'écoulement du temps commanderait ici de faire prévaloir le maintien du secret professionnel, ce d'autant plus qu'A______ a indiqué que la situation de sa mère n'avait pas changé depuis son hospitalisation courant 2021, soit avant même que la Dre E______ reçoive l'intéressée en consultation, et que celle-ci est désormais en rupture de suivi selon sa médecin. De surcroît, le fait que C______ n'ait plus consulté la Dre E______ depuis deux ans n'empêche pas que celle-ci puisse détenir sur sa patiente des informations importantes pour le TPAE, surtout qu'elle est l'une des dernières médecins à l'avoir traitée. Par surabondance, on relèvera que la demande du TPAE adressée à la Dre E______ date du 11 juillet 2023, soit sept mois avant le prononcé de la décision querellée, si bien que le délai de deux ans dont se prévaut la commission n'entre pas en considération. Pour toutes ces raisons, la position de celle-ci n'emporte pas conviction.

En définitive, les éléments du dossier démontrent la nécessité de pouvoir informer exhaustivement le TPAE de la situation et des capacités dont C______ dispose encore, afin qu'il puisse investiguer la situation en toute connaissance de cause et, si nécessaire, prendre les mesures qui s'imposent. À cela s'ajoute que la situation médicale et personnelle de l'intéressée telle qu'elle ressort du dossier et a été décrite par la Dre E______ est susceptible de conduire au prononcé de mesures par le TPAE.

Au vu de ce qui précède, en refusant de lever le secret professionnel de la Dre E______, la commission a abusé de son pouvoir d'appréciation. La décision querellée sera donc annulée et la cause renvoyée à la commission pour qu'elle rende une nouvelle décision tenant compte de ce qui précède.

4.             Vu l'issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée, les recourants n'y ayant pas conclu, comparaissant en personne et n'ayant pas exposé avoir engagé de frais pour leur défense (art. 87 al. 2 LPA).

 

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PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 7 mars 2024 par A______ et B______ contre la décision de la commission du secret professionnel du 29 février 2024 ;

au fond :

l'admet ;

annule la décision précitée ;

renvoie la cause à la commission du secret professionnel pour nouvelle décision dans le sens des considérants ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d'indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral suisse, av. du Tribunal fédéral 29, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique le présent arrêt à A______ et B______, à C______, à la Dre E______ ainsi qu'à la commission du secret professionnel.

Siégeant : Michèle PERNET, présidente, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Patrick CHENAUX, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

D. WERFELLI BASTIANELLI

 

 

la présidente siégeant :

 

 

M. PERNET

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :