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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3755/2023

ATA/388/2024 du 19.03.2024 ( MARPU ) , REJETE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3755/2023-MARPU ATA/388/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 19 mars 2024

 

dans la cause

 

A______ recourante
représentée par Me Jean-Yves REBORD, avocat

contre

AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE intimé
représenté par Me Nicolas WISARD, avocat



EN FAIT

A. a. L’Aéroport international de Genève (ci-après : AIG ou GA), établissement de droit public autonome, a pour mission de gérer et d’exploiter l’aéroport et ses installations dans le respect du droit supérieur et notamment du plan sectoriel de l’infrastructure aéronautique, en considérant sa situation urbaine et en offrant, de manière efficiente, les conditions optimales de sécurité, d’efficacité et de confort pour ses utilisateurs.

b. A______ (ci-après : A______) est une société ayant son siège à F______, France, active notamment en matière d’acquisition d’établissements se rattachant directement ou indirectement à l’industrie des travaux publics ou à toute forme de construction, études, recherche, obtention et exécution de travaux publics.

c. B______ SA (ci-après : B______) est une société ayant son siège à G______ dont le but consiste notamment en l’acquisition et la construction de terrains, la construction, l’administration et la vente de biens immobiliers.

d. C______ SA (ci-après : C______) est une société ayant son siège principal à H______ et dont le but est notamment le développement, la planification, l’étude de projets et la réalisation de constructions de tous types en tant qu’entreprise de construction, entreprise générale et entreprise totale.

e. D______ (ci-après : D______), ayant son siège en France, est la filiale de D______ CONSTRUCTION, laquelle est « spécialisée dans les projets de bâtiments complexes au grand international ».

f. Le présent litige porte sur la décision d’élimination de A______ du deuxième tour du concours litigieux en raison du prix offert pour la « tranche 1 (ferme) ».

B. a. Le 27 septembre 2021, l’AIG a publié sur la plateforme simap.ch un concours portant sur la conception, la construction et la maintenance du projet intitulé « CAP2030, plateforme multimodale et galerie commerciale CFF ».

b. Le concours était notamment réglementé par des « conditions administratives de l’appel à candidatures » (ci-après : les CAAC ; point 3 du concours).

Selon celles-ci, au vu des besoins futurs d’accueil, l’AIG avait lancé diverses études afin de pouvoir répondre à la demande capacitaire à venir. Le projet CAP2030 était la première étape, qui consisterait à délocaliser, dans une extension du terminal 1 actuel (ci-après : T1), une partie des activités (enregistrement, contrôle sûreté, etc.) Cela permettrait, dans un second temps, de renouveler le terminal existant (hors marché). Une plateforme multimodale, prérequis pour réaliser CAP2030, devait se situer sur la superstructure de la gare CFF et devait permettre de réaménager la galerie commerciale des CFF afin d’apporter une cohérence avec le niveau arrivées projeté dans le cadre de CAP2030.

Le marché, qui devrait se dérouler de 2023 à 2032, serait adjugé à l’entreprise totale (ci-après : ET) recommandée par le jury. L’ET adjudicataire signerait deux contrats distincts, le premier avec l’AIG, le second avec les CFF :

- Le premier contrat portait sur deux ouvrages, à savoir CAP2030 et la plateforme multimodale, au sujet desquels les prestations à exécuter étaient réparties en plusieurs tranches :

- CAP2030 :

- conception et planification (tranche 1 ; tranche ferme) ;

- réalisation (tranche 2 ; tranche conditionnelle) ;

- maintenance (tranche 3 ; tranche conditionnelle)

- Plateforme multimodale :

- conception (tranche 1 ; tranche ferme) ;

- réalisation (tranche 2 ; tranche conditionnelle).

- Le second contrat porterait sur la galerie commerciale de la gare CFF. Il s’agissait d’une option, que les CFF décideraient de commander, ou non, après l’adjudication (art. 2.2.2 CAAC).

c. Le concours devait se dérouler en deux tours, le premier consistant en un appel à candidatures au terme duquel trois candidats seraient sélectionnés et le second en un mandat d’études parallèles (ci-après : MEP) au terme duquel la réalisation du projet serait adjugée à l’un des trois candidats.

« Les mandats d’études parallèles correspondent à "une procédure par laquelle un même mandat est confié à plusieurs prestataires en vue de proposer des solutions relatives à un projet de construction" (cf. art. 2 let. f RMP). Le cœur de cette procédure originale et non discriminatoire est constitué par les échanges entre les candidats et le jury sur le choix des solutions permettant de répondre au mieux aux besoins du maître d’ouvrage. Cette procédure a été retenue compte tenu de la complexité du marché, et notamment l’exigence de maintenir l’activité de l’aéroport international de Genève pendant les travaux. Pendant la phase de mandat d’études parallèles, le jury se réserve la possibilité de demander aux entreprises totales de travailler selon un mode de "design to cost" c’est-à-dire de proposer des optimisations de leur projet pour atteindre la cible budgétaire fixée par le maître d’ouvrage » (art. 3.2 CAAC).

d. S’agissant de la valeur du marché, les CAAC précisaient : « à titre indicatif, la valeur totale du marché est estimée à CHF HT 520 millions (inclus option – hors coûts pour la maintenance). Ce montant n’engage nullement GA. Le candidat ne pourra formuler aucune revendication si le montant du marché attribué et/ou réalisé diffère de cet estimatif. Le prix de la tranche ferme ne pourra, en principe, pas dépasser CHF HT 24.6 millions » (art. 2.2.2 CAAC).

e. Pour être admis à soumissionner, les candidats devaient notamment déposer une garantie bancaire à première demande de CHF 2 millions, valable jusqu’au 31 décembre 2023 (art. 2.3.1 CAAC).

C. a. Le second tour a commencé le 8 juin 2022 avec pour candidates : A______, le consortium formé par C______ et D______ (ci-après : E______) ainsi que B______.

b. Le second tour était notamment réglementé par les conditions administratives MEP (révisées en avril 2023 sur des éléments non pertinents pour la présente cause ; ci‑après : CA-MEP).

ba. Les CA-MEP étaient structurés en sept chapitres : les « prescriptions du projet » (1), les « candidats sélectionnés pour les MEP » (2), la description générale des MEP (3), les exigences relatives à l’offre (4), l’adjudication (5), l’approbation (6) et des annexes (7).

bb. Le point 1.5 (chapitre 1, point 5), objet du présent litige, traitait du « coût maximum admissible » en ces termes :

« Le prix des deux tranches fermes pour la conception et la planification totale des projets CAP2030 et plateforme multimodale de GA (tranche 1) ne pourra pas dépasser CHF HT 24.6 millions. Les prix des deux tranches conditionnelles pour la réalisation des projets CAP2030 et plateforme multimodale de GA (tranche 2) ne pourra, en principe, pas dépasser CHF HT 470 millions. Étant rappelé que l’aménagement de la galerie commerciale CFF est en option, sans tranche ferme ».

bc. Sous le titre « interactions entre les candidats et l’AIG, les CA-MEP précisaient que le but de la procédure était d’aboutir, par des échanges entre les candidats et l’AIG (par le biais du jury et des spécialistes internes et/ou mandataires d’AIG), à des solutions permettant de répondre au mieux à ses besoins. Il était ainsi prévu dans le cadre des MEP que les candidats interagissent avec le jury lors des trois temps forts de la procédure : le lancement des MEP, les critiques intermédiaire et finale. Les candidats auraient par ailleurs l’opportunité d’échanger avec les spécialistes internes d’AIG ou ses mandataires lors des ateliers thématiques (art. 3.4 CA-MEP).

L’atelier 1 était consacré au cadrage général et étude d’implantation ainsi qu’aux phasage et conditions de l’existant. L’atelier 2 devait aborder le flux et expérience passagers, flux bagages, sécurité ainsi que la mobilité. L’atelier 3 traiterait des fonctionnalités, techniques et phasage. L’atelier 4 devait aborder l’entretien/maintenance, les installations et gestion technique ainsi que le concept énergétique et développement durable. L’atelier 5 devait permettre de passer le projet en revue avant le rendu final (art. 3.8 CA-MEP).

Lors de la critique intermédiaire, chaque candidat aurait 90 minutes à disposition pour la présentation de son projet, suivie d’une discussion de 60 minutes avec le jury. À l’issue de celle-ci, le jury établirait des recommandations générales destinées à l’ensemble des candidats, ainsi que des recommandations particulières transmises individuellement (art. 3.9 CA-MEP).

bd. Les offres devaient parvenir à l’AIG soit par voie postale, soit par dépôt en mains propres au plus tard le lundi 28 août 2023 à 11h00 (art. 3.9.3 CA-MEP).

be. L’AIG ne prendrait en considération que les offres qui respectaient les CA‑MEP. « À défaut l’offre serait déclarée irrecevable » (art. 4.3 CA-MEP).

bf. Le chapitre 5 traitait de l’adjudication.

L’art. 5.1 intitulé « critères d’adjudication et leur pondération » évoquait quatre « exigences de base » : 1) respect du programme fonctionnel ; 2) phasage des travaux avec maintien des opérations ; 3) respect de la cible environnementale ; 4) possibilité d’évolution. Il était précisé que le jury écarterait les offres qui ne respectaient pas ces exigences de base.

Les critères d’appréciation étaient le prix (30 %), la fonctionnalité (25 %), la qualité architecturale (20 %), la mise en œuvre et organisation (15 %) et la qualité technique (10 %). Des sous-critères étaient détaillés (art. 5 CA-MEP).

L’art. 5.6 précisait sous « décision d’adjudication » que « GA se réserve toutefois le droit de ne pas adjuger le marché notamment si le montant offert pour la tranche ferme dépasse le crédit d’étude octroyé par le conseil d’administration de GA ».

bg. Les CA-MEP pouvaient faire l’objet d’un recours dans les dix jours dès leur notification (art. 5.10 CA-MEP).

c. Huit rondes de questions-réponses ont eu lieu entre juin 2022 et juillet 2023.

Lors de la deuxième ronde, A______ a posé une question sur les coûts maximaux admissibles pour la tranche 2 (question n° 13) en ces termes : « nous observons que le coût maximal admissible pour la tranche 2 (CHF 470 millions) indiqué dans les CA-MEP du 16 mai 2022 n’a pas évolué par rapport à celui communiqué dans les CAAC qui était fixé en fonction de la planification financière des infrastructures adoptées par le conseil d’administration de GA en 2020. Compte tenu de la situation de marché qui a radicalement changé depuis 2020, le conseil d’administration de GA envisage-t-il de reconsidérer sa planification financière ou GA s’attend-elle à ce que les soumissionnaires adaptent leur prix sans nécessairement tenir compte du coût maximal admissible défini en 2020 ? ».

Dans sa réponse, l’AIG a renvoyé à l’art. 1.5 des CA‑MEP, le citant intégralement et mettant en caractères gras les termes « en principe » relatif au prix des deux tranches conditionnelles et détaillant deux montants, non pertinents en l’espèce, pour la galerie commerciale CFF.

Lors des six rondes de questions complémentaires, la question du « coût maximum admissible » n’a pas été abordée.

d. Les cinq ateliers thématiques ont eu lieu, entre chaque entreprise candidate sélectionnée et l’AIG, hors jury, entre le 31 août 2022 et le 16 juin 2023.

Un chiffrage global était demandé pour la critique intermédiaire, laquelle s’est tenue les 30 et 31 mars 2023 avec chaque entreprise candidate, en présence du jury.

e. Le 28 août 2023, A______ a rendu son offre finale en indiquant un montant global (HT) de CHF 658’920'000.- dont CHF 37’520'000.- pour la tranche 1.

Le même jour, E______ et B______ ont rendu une offre chiffrée finale pour un montant global de, respectivement, CHF 711'962'265.- et CHF 653 millions. La tranche 1 était de CHF 24.6 millions pour les deux soumissionnaires.

f. Les spécialistes internes et externes de l’AIG ont analysé les offres et ont transmis un rapport d’analyse au jury. Un avis de droit d’un professeur d’université, spécialisé en marchés publics, du 26 septembre 2023 intitulé « la possibilité pour GA de déclarer l’offre de A. irrecevable » y était joint.

g. La critique finale s’est tenue du 3 au 5 octobre 2023, avec chaque entreprise candidate sélectionnée, en présence du jury.

Lors de l’audition de A______, le fait que son offre mentionne un montant de CHF HT 37.52 millions, dépassant le coût maximal admissible fixé par l’AIG à CHF HT 24.6 millions pour les deux tranches fermes pour la conception et la planification des projets CAP2030 et plateforme multimodale modale, a été soulevé par les membres du jury.

La société a expliqué, à teneur du procès-verbal de la séance, qu’il était « important pour A______ de remettre une offre pour cette étude qui soit réaliste, en rapport avec la complexité du projet et les objectifs d’obtenir les permis. Ceci basé sur les expériences qu’ils ont des grands projets d’infrastructures. Il ajoute que la durée de la tranche 1 est d’ailleurs importante et que cet objectif de prix fixé ne leur a pas paru atteignable ».

À la question du directeur général de l’AIG de savoir si la société se rendait compte qu’avec cette donnée elle était en contradiction avec les conditions administratives du projet, la société a précisé « qu’ils en étaient conscients tout en ajoutant que cet aspect n’était pas identifié comme une exigence de base, mais seulement comme une précision des conditions administratives ».

h. Les critiques finales ont donné lieu à des recommandations du jury à l’attention du pouvoir adjudicateur à savoir : 1) de déclarer l’offre de A______ irrecevable ; 2) d’adjuger le marché à la suite des MEP CAP2030, plateforme multimodale et galerie CFF à E______.

La recommandation de déclarer irrecevable l’offre de A______ s’appuyait sur les motifs suivants :

– le coût maximum admissible pour la tranche ferme faisait partie des contraintes fixées à l’art. 1.5 CA-MEP ;

– lors de la seconde ronde des questions-réponses, l’AIG avait confirmé que le prix pour les deux tranches fermes devait rester dans la limite de CHF HT 24.6 millions ;

– les deux autres offres respectaient cette règle alors que l’offre de A______ dépassait de 50 % (CHF HT 12.92 millions de dépassement du prix maximum de CHF HT 24.6 millions) ; les offres finales des parties se résumaient comme suit, en milliers de CHF :

 

Candidats

Projets

Tranche 1

Tranche 2

Tranche 3

(CAP2030)

Total

A______

Cap2030 + Plateforme

37'520

551'232

33'402

622'154

Galerie commerciale CFF

2'595

34'810

 

37'405

Total

659'559

 

Candidats

Projets

Tranche 1

Tranche 2

Tranche 3

(CAP2030)

Total

B______

Cap2030 + Plateforme

24’600

585’522

18’626

628’749

Galerie commerciale CFF

0.8

23’450

 

24’250

Total

652’999

 

Candidats

Projets

Tranche 1

Tranche 2

Tranche 3

(CAP2030)

Total

E______

Cap2030 + Plateforme

24’600

614’438

42’468

681’506

Galerie commerciale CFF

0.8

29’655

 

30’455

Total

711’962

 

– A______ avait été reçue comme tous les candidats lors de la critique finale, le jury ayant souhaité entendre ses explications avant de prendre une décision ;

– fort des échanges avec le candidat lors de la critique finale et sur la base des arguments susmentionnés, le jury avait, à l’unanimité, conclu lors de sa délibération à l’exclusion de l’offre de A______ en application des art. 4.3 CA‑MEP et 41 al. 1 let. a RMP ;

– l’offre de A______ n’avait pas été évaluée par le jury en application de l’art. 42 al. 3 RMP.

i. Par décision du 1er novembre 2023, reçue le 6 novembre 2023, l’AIG a informé A______ que son offre était déclarée irrecevable, conformément à l’art. 42 al. 1 let. a RMP, à l’art. 4.3 CA-MEP et à la recommandation d’adjudication des MEP faite par le jury. Elle était exclue de la procédure.

Après vérification de son dossier, le jury avait constaté que son offre ne répondait ni à l’art. 1.5 des CA-MEP, ni à la réponse qui avait été faite à la question n° 13 posée par leurs soins lors de la deuxième ronde de questions. En effet, il était indiqué que le prix des deux tranches fermes pour la conception et la planification totale des projets CAP2030 et la plateforme multimodale de GA (tranche 1) ne devait pas dépasser CHF 24.6 millions HT. En contradiction avec ce qui précédait, A______ avait déposé une offre qui s’élevait pour la tranche 1 à CHF 37'520’000.- HT.

Le tableau d’analyse multicritères n’était pas joint et le nom de l’adjudicataire non précisé.

j. Le 2 novembre 2023, l’AIG a publié sous simap.ch le résultat du concours. Le marché était adjugé à E______.

 

D. a. Par acte du 13 novembre 2023, A______ a interjeté recours devant la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision d’exclusion de son offre du 1er novembre 2023. La cause a été ouverte sous la référence A/3755/2023.

Elle a conclu à son annulation et au constat que son offre était recevable. Préalablement, le recours devait être assorti de l’effet suspensif et A______, respectivement son offre, être provisoirement réintégrée dans la procédure sélective pour le projet CAP2030 jusqu’à la notification de la décision sur le recours. GA devait enfin produire le tableau d’analyse multicritères communiqué aux autres soumissionnaires lors de l’adjudication.

Le principe de transparence (art. 42 al. 1 let. a RMP) avait été violé. Elle développait huit arguments.

L’autorité adjudicatrice avait abusé de son pouvoir d’appréciation et fait preuve de formalisme excessif.

Enfin, les principes de proportionnalité, de bonne foi, de concurrence efficace et de l’obligation d’adjuger en faveur de l’offre économiquement la plus avantageuse avaient été violés.

Les griefs seront détaillés dans la partie en droit du présent arrêt.

b. Le même jour, A______ a déposé un recours contre la décision d’adjudication avec demande d’effet suspensif. La cause a été ouverte sous la référence A/3756/2023.

c. B______ a interjeté recours auprès de la chambre administrative contre la décision d’adjudication. La cause a été ouverte sous les références A/3753/2023.

d. Le 14 novembre 2023, la chambre administrative a fait interdiction à l’AIG et à E______ de conclure les contrats d’entreprise pour la réalisation du marché litigieux.

e. Le 16 novembre 2023, la chambre administrative a octroyé l’effet suspensif au présent recours à titre superprovisionnel.

f. Par pli du 17 novembre 2023, l’AIG a confirmé qu’il ne conclurait pas les contrats avec E______ jusqu’à droit jugé sur le recours et ne s’opposait pas à l’octroi de l’effet suspensif requis dans les trois causes, s’est dit favorable à la transmission à la requérante du tableau d’analyse multicritères/déroulement des analyses remis aux autres candidats et du rapport des experts soumis au jury. Un délai pouvait être accordé à la recourante pour compléter son recours en fonction des documents.

g. Le 22 novembre 2023, l’AIG a fait paraître un communiqué de presse indiquant que le projet CAP2030 avait été adjugé à E______ avec « un investissement estimé à quelque 600 millions de francs ».

h. Par complément de recours du 5 décembre 2023, après prise de connaissance du tableau multicritères, A______ a persisté dans ses conclusions.

Elle avait reçu une note globale de 3.87 contre 3.89 pour E______. Les évaluations étaient très proches.

À l’examen du rapport d’analyse de l’AIG préparé à l’attention du jury par les différents experts d’AIG, elle relevait deux incohérences dans l’attribution des points pour les critères « mobilités et accès logistiques » et « organisation ». Leur correction aurait pour conséquence de changer le classement final en sa faveur. De surcroît, le rapport comprenait des différences d’appréciation significatives sur l’offre de E______ par rapport à celle communiquée à B______ dans la recommandation d’adjudication des MEP, qu’aucun élément objectif ne semblait pouvoir les expliquer. Trois exemples étaient détaillés.

L’avis de droit relatif à la « possibilité pour GA de déclarer l’offre de A. irrecevable » concluait que le jury pouvait considérer l’offre comme irrecevable en se fondant implicitement sur le fait que la limite pour la tranche 1 n’était pas assortie des mots « en principe » dans les CA-MEP, ni dans la réponse n° 13 de la deuxième ronde des questions, contrairement à la limite fixée pour la tranche 2. Selon le rédacteur, « GA a confirmé que[le] respect [de cette limite] était un élément incontournable de la procédure ».

Elle émettait plusieurs critiques à l’encontre de cette analyse, lesquelles seront reprises dans la partie en droit du présent arrêt, à l’instar des griefs relatifs à la possibilité de prescrire un prix maximal et aux questions de clarté et de prévisibilité de l’offre.

i.  L’AIG a conclu au rejet du recours.

L’offre de A______ n’ayant pas été évaluée, il n’entendait pas répondre aux griefs en lien avec la notation que son offre aurait pu/dû recevoir. Cette problématique était exorbitante au litige.

Selon les consignes telles que formulées au chapitre 1.5 des CA-MEP, le prix des deux tranches fermes pour la conception et la planification totale des projets CAP2030 et plateforme multimodale de GA (tranche 1) ne devait pas dépasser CHF HT 24.6 millions. Le fait que ce montant constituât un coût plafond avait été confirmé à la recourante par l’AIG, interpellé par celle-là sur ce point précis lors de la seconde ronde de questions. Dans sa réponse, le mot « en principe » avait été mis en évidence par des caractères gras.

Le respect du prix maximal fixé était un élément essentiel à examiner déjà au stade de la recevabilité de l’offre. Il s’agissait d’un élément incontournable de la procédure, ce que les autres soumissionnaires avaient compris, leur offre respectant cette exigence. En l’état, c’était uniquement la tranche 1, soit la tranche ferme pour la conception et la planification totale des projets CAP2030 et plateforme multimodale de l’AIG que le conseil d’administration de l’aéroport avait validée et pour laquelle un crédit d’études avait été voté. Les tranches conditionnelles n’avaient pas été approuvées par l’organe dirigeant de l’AIG et les crédits de construction y relatifs n’avaient pas été votés.

Le fait que le conseil d’administration de l’AIG ait octroyé un crédit d’études global alloué aux premières démarches à hauteur de CHF 33 millions ne signifiait pas que ce montant équivalait à celui retenu pour le marché lié à la conception et la planification des projets CAP2030 et plateforme multimodale. Ce crédit était également destiné à couvrir d’autres postes, par exemple les coûts des ressources internes de l’aéroport, l’indexation, les honoraires des autres mandataires et, en particulier, ceux de « l’AMO » ainsi qu’une réserve pour les modifications de commandes et les divers imprévus.

En tout état, un crédit voté par l’organe compétent d’une entité publique demeurait une simple « autorisation de dépense » interne. Il n’avait en aucun cas un effet juridique à l’égard des tiers. L’octroi du crédit d’études n’avait pas eu et ne pouvait pas avoir pour conséquence d’augmenter le coût admissible pour la tranche 1 fixée dans les CA-MEP.

Au stade de la critique intermédiaire, le rendu de la recourante comprenait un prix global qui n’était pas décomposé en fonction des tranches fermes et conditionnelles. Ce n’était qu’après avoir reçu l’offre finale que l’AIG avait réalisé que cette dernière ne respectait pas les prescriptions du chapitre 1.5 des CA-MEP.

Même à retenir le montant du crédit d’études, soit 33 millions, l’offre de la recourante était substantiellement supérieure puisque son prix pour la tranche 1 était de 37.52 millions.

j. Dans sa réplique, A______ a relevé que l’AIG ne répondait pas à plusieurs de ses griefs qu’il rappelait.

L’AIG se contentait d’indiquer que les autres soumissionnaires avaient respecté la limite alors qu’il était totalement improbable que les coûts effectifs puissent être exactement les mêmes pour des prestations aussi complexes (planification aéroportuaire) qu’incertaines (obtention des permis de construire). La seule élaboration de son offre représentait déjà quelques 3.7 millions d’Euros ce, sans compter que le dépôt volontaire d’une offre irrecevable pourrait mettre inutilement en péril la restitution de la garantie bancaire déposée pour être admis à soumissionner.

Elle développait la question de la possibilité de fixer un prix plafond en marchés publics, qui sera reprise dans la partie en droit du présent arrêt.

k. Dans une duplique, l’AIG a relevé que la recourante était en tous les cas forclose pour remettre en cause la licéité du prix maximum admissible pour la tranche ferme, n’ayant pas contesté les documents d’appel d’offres lors de leur notification, ni après la seconde ronde de questions au cours de laquelle le pouvoir adjudicateur lui avait confirmé qu’il s’agissait d’un prix maximum.

L’art. 5.6 ne se rapportait pas à la question du prix plafond opposable aux candidats. Il réservait uniquement la faculté dont disposait le pouvoir adjudicateur de ne pas adjuger le marché si l’une des conditions énoncées dans ladite disposition était remplie. Le pouvoir adjudicateur gardait la faculté de ne pas contracter, notamment si ses ressources financières s’avéraient finalement insuffisantes. Cette hypothèse ne pouvait d’ailleurs pas être exclue, le crédit précédemment adopté ne constituant pas la garantie définitive de la disponibilité des ressources nécessaires.

Les termes « en principe » mis en gras dans la réponse à la question n° 13 ne concernaient clairement que la tranche 2. Ils étaient destinés à tenir compte de l’augmentation des prix de construction et, en particulier, de ceux des matières premières. Cette réflexion n’avait cependant pas de raison de s’appliquer à la phase de conception et de planification (tranche 1).

l. Dans une ultime réplique, la recourante a relevé que, selon les informations diffusées publiquement par l’AIG, le financement du projet CAP2030 serait assuré par ses fonds propres, par l’émission d’emprunts obligataires, ainsi que par des subventions. La régie dégageait un bénéfice ordinaire proche de CHF 80 millions par année si l’on faisait exception des exercices 2020 et 2021 lourdement touchés par les conséquences de la pandémie de Covid-19. Le risque d’insuffisance de ressources était « raisonnablement inexistant pour financer la limite/cible de la tranche 1 ».

La question consistait à savoir s’il était admissible d’obliger les soumissionnaires qualifiés après un premier tour d’offrir, sous peine d’irrecevabilité au second tour, des prix d’études inférieurs à leur coût de revient, dans un contexte où l’inflation engendrée par les événements géopolitiques imprévisibles lors de l’appel à candidatures avait non seulement eu un impact sur le prix des constructions étudiées mais également les salaires.

Enfin, on ne pouvait lui reprocher de n’avoir pas recouru contre l’indication de prix maximum dans les CA-MEP dès lors qu’elle n’avait pas conscience de leur prétendu caractère éliminatoire et qu’il avait fallu à l’AIG un avis de droit pour s’en convaincre.

m. Sur ce, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

E. a. Il ressort par ailleurs du dossier les éléments suivants : selon le rapport d’analyse suite à la critique finale, document de 73 pages, sous le chapitre « recevabilité », et le sous-chapitre « coût maximum admissible », B______ et E______ ont « respecté la règle, contrairement à A______ qui a rendu une offre dépassant le coût maximum admissible ». Référence est faite à l’avis de droit, de sept pages, joint au rapport. Il est mentionné que la suite de l’analyse a été faite indépendamment de la réponse à la question de la recevabilité. Les trois sociétés respectaient les exigences de base. Un tableau récapitulait l’évaluation des différents critères. Les notes obtenues étaient de 3.89 pour E______, 3.87 pour A______ et 3.49 pour B______.

b. Dans sa réponse à la question n° 13 de la deuxième ronde, l’AIG a mis les termes « en principe » en caractères gras.

c. Le rendu intermédiaire de A______ comprend un récapitulatif des prix.

Il ressort des recommandations du jury, dans la critique intermédiaire, sous « prix », que « le chiffrage de la partie rénovation du terminal semble élevé, de plus, le coût cible du projet n’est pas respecté. Les périmètres définis dans les conditions administratives doivent être strictement respectés et particulièrement l’interface entre les commerces CFF et la plateforme multimodale. »

d. Dans les CAAC, les termes « en principe » concernaient tant les tranches 1 que 2.

EN DROIT

1.             Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 15 al. 1 de l’accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. c et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01).

2.             Le litige porte sur la contestation d’une décision d’exclusion de la recourante d’une procédure de MEP à deux degrés en procédure sélective.

2.1 La procédure est soumise notamment à l’AIMP et au RMP.

2.2 Non mentionnée expressément dans l’AIMP entré en vigueur pour le canton de Genève le 1er janvier 2008, la procédure des MEP est maintenant prévue par l’art. 22 de l’Accord intercantonal sur les marchés publics du 15 novembre 2019 (RS 731.2-1 - AIMP 2019) qui n’est toutefois pas en vigueur dans le canton de Genève. Selon l’art. 22 AIMP 2019, l’adjudicateur qui organise un concours d’études ou un concours portant sur les études et la réalisation ou qui attribue des MEP définit la procédure au cas par cas, dans le respect des principes énoncés dans l’accord. Il peut se référer aux règles édictées en la matière par les associations professionnelles.

La procédure des MEP figure néanmoins expressément dans la législation genevoise, qui prévoit que le RMP doit être respecté par l’autorité adjudicatrice qui organise un concours ou souhaite attribuer des MEP (art. 4 al. 1 RMP). La chambre de céans a déjà fait application de l’AIMP à cette procédure (ATA/167/2024 du 6 février 2024 ; ATA/733/2005 du 1er novembre 2005 dans une procédure qui n’atteignait toutefois pas la valeur‑seuil).

Sous l’empire du règlement sur la passation des marchés publics en matière de construction du 19 novembre 1997 (RMPC – L 6 05.01), abrogé par l’adoption du RMP et ne mentionnant pas les MEP, la chambre de céans avait déjà retenu, et cela est confirmé par la doctrine, que même en l’absence de dispositions légales de droit genevois ou fédéral consacrées aux MEP, ceux-ci étaient admissibles et leur adjudication était assujettie aux règles du droit commun des marchés publics (ATA/733/2005 du 1er novembre 2005 consid. 8a ; Olivier RODONDI, in Marchés publics 2014, p. 210 ; Jacques DUBEY, note in DC 2010 p. 216 ; Jacques DUBEY, Le concours en droit des marchés publics, 2005, p. 152 et note in DC 2009, p. 80).

2.3 En général, la procédure des MEP est assimilée de façon plus ou moins explicite aux concours, en tant que forme de mise en concurrence spéciale ouvrant la voie à une adjudication de gré à gré en faveur du lauréat. Dans les deux cas, la mise en concurrence est faite sur la base de prestations plutôt que d’offres et le maître doit s’entourer de professionnels de la branche concernée pour apprécier les prestations, le jury du concours étant remplacé par un collège d’experts dans la procédure des MEP. Tous les participants sont rémunérés de manière égale en proportion des prestations fournies dans la procédure des MEP. La distinction entre les procédures tient également à l’absence d’anonymat des concurrents en cas de MEP (Jacques DUBEY, Le nouveau règlement des mandats d’étude parallèles d’architecture et d’ingénierie SIA-143/2009, in DC 4/2009, p. 140 et Jacques DUBEY, Le concours en droit des marchés publics, p. 153).

La particularité de la procédure tient au dialogue que les MEP ont pour objectif d’instaurer, soit une communication directe et orale que le collège d’experts et les participants établissent et entretiennent pendant le déroulement des études, permettant de clarifier les points soulevés par les candidats et de préciser les buts recherchés par le MO. Le règlement SIA 143 impose au minimum un dialogue intermédiaire et un dialogue final. Ces échanges doivent être consignés dans un procès-verbal et sont faits dans le respect de la confidentialité et de l’égalité : à la suite d’une étape de dialogue, les données spécifiques à chaque étude ne sont envoyées qu’au candidat concerné, afin de préserver son avantage concurrentiel ; au contraire, les indications générales sont adressées à l’ensemble des candidats, pour éviter toute discrimination (Jacques DUBEY, op. cit., p. 143).

3.             Pour être considérées en vue de l'adjudication, les soumissions doivent être conformes, au moment de leur ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans les avis ou dans la documentation relative à l'appel d'offres, et avoir été déposées par un fournisseur remplissant les conditions de participation (art. XIII al. 4 let. a de l’accord du 15 avril 1994 sur les marchés publics - AMP - RS 0.632.231.422).

Les principes de transparence et de non-discrimination constituent des valeurs centrales des marchés publics. L’existence du marché et des conditions qui s’y appliquent doivent être connues des concurrents et le pouvoir adjudicateur ne peut pas favoriser des concurrents (Étienne POLTIER, droit des marchés publics, 2023, p. 234). Parmi les principes généraux des marchés publics figurent notamment ceux de non-discrimination et d’égalité de traitement de chaque soumissionnaire, de concurrence efficace, de respect des conditions de récusation des personnes concernées et de traitement confidentiel des informations (art. 11 AIMP).

4.             Dans un premier grief, la recourante se plaint d’une violation du principe de transparence de l’art. 42 al. 1 let. a RMP.

Selon l’intéressée, le pouvoir adjudicateur qualifiait le respect de la limite de prix comme une condition éliminatrice du seul fait que les deux mots « en » et « principe » ne figuraient pas dans la définition du montant à ne pas dépasser, contrairement à ce qui prévalait pour la limite fixée pour la tranche 2. Une telle interprétation n’était pas soutenable. La recourante développait huit arguments en raison desquels il fallait considérer que les CA-MEP manquaient de transparence.

4.1 Les conditions pour être admis à soumissionner sont mentionnées aux art. 31 ss du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

L’offre est écartée d’office notamment lorsque le soumissionnaire a rendu une offre non conforme aux exigences ou au cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a et b RMP). Les offres écartées ne sont pas évaluées. L’autorité adjudicatrice rend alors une décision d’exclusion motivée (art. 42 al. 3 RMP).

4.2 L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics (art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication (art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

4.3 La transparence des procédures de passation des marchés n'est pas un objectif, mais un moyen contribuant à atteindre le but central du droit des marchés publics qui est le fonctionnement d'une concurrence efficace, garanti par l'ouverture des marchés et en vue d'une utilisation rationnelle des deniers publics (ATF 141 II 353 consid. 8.2.3 et les références citées).

Selon la jurisprudence, le principe de la transparence est le principe cardinal et incontournable des marchés publics. Il limite le large pouvoir d'appréciation dont dispose le pouvoir adjudicateur (RDAF 2001 I 403). Il permet d'assurer la mise en œuvre du principe de concurrence, lequel permet la comparaison des prestations et de choisir ainsi l'offre garantissant un rapport optimal entre le prix et la prestation ainsi que le contrôle de l'impartialité de la procédure d'adjudication, autre principe qui doit être respecté. Le principe de transparence exige que le pouvoir adjudicateur se conforme aux conditions qu'il a préalablement annoncées. Ce principe se rapproche dans cet aspect du principe de la bonne foi, qui prohibe les comportements contradictoires de l'autorité (art. 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 - Cst. - RS 101), et du principe de la non‑discrimination. En effet, si le pouvoir adjudicateur s'écarte des « règles du jeu » qu'il a fixées, il adopte un comportement qui se rapproche d'une manipulation, typiquement discriminatoire, du résultat du marché (ATF 141 II 353 consid. 8.2.3 et la référence citée ; ATA/1685/2019 du 19 novembre 2019 consid. 4c et les références citées).

Une violation du principe de transparence n’entraîne l’annulation de l’adjudication que pour autant que les vices constatés aient effectivement influé sur le résultat (ATA/1089/2018 du 16 octobre 2018 consid. 6c). Dans une espèce dans laquelle l’adjudicateur n’avait pas indiqué dans les documents d’appel d’offres qu’une prestation avait préalablement été effectuée en lien avec le marché à adjuger, la chambre de céans a jugé que l’adjudication violait les principes de transparence et d’égalité de traitement. Le fait que le soumissionnaire qui avait réalisé cette prestation n’en retire aucun avantage concurrentiel n’y changeait rien (ATA/265/2022 du 15 mars 2022 consid. 4c).

4.4 En l’espèce, la disposition des CA-MEP traitant du « coût maximum admissible » tient en neuf lignes (art. 1.5 CA-MEP). La première phrase concerne les tranches fermes. Elle indique que « Le prix des deux tranches fermes pour la conception et la planification totale des projets CAP2030 et plateforme multimodale de GA (tranche 1) ne pourra pas dépasser CHF HT 24.6 millions ». Ces termes sont clairs et ne sont pas sujets à interprétation.

Les termes « en principe » ne sont évoqués qu’à la seconde phrase, en lien avec les deux tranches conditionnelles.

La structure, en deux phases distinctes, de l’article querellé et les mots utilisés ne prêtent pas flanc à interprétation.

La recourante conteste ce qui précède et a développé, dans son recours, huit arguments à l’encontre de cette conclusion.

4.4.1 Elle allègue que le montant limite pour la tranche 1 (ferme) pour les études et la planification, était également assorti des mots « en principe » dans les CAAC.

Ceci est exact. Toutefois, les CAAC dataient de septembre 2021. Les CA-MEP interviennent plus de 18 mois plus tard à l’issue du premier tour. Elles ont par ailleurs fait l’objet d’une révision le 4 avril 2023. La formulation de la clause est très différente entre les deux documents. La mention « le prix de la tranche ferme ne pourra, en principe, pas dépasser CHF HT 24.6 millions » apparaît en fin de description du « genre et de l’ampleur du marché », en page 7 des CAAC. La clause litigieuse des CA-MEP (art. 1.5, en p. 8) est située dans l’article spécifique traitant du « coût maximum admissible ». La recourante ne peut en conséquence rien tirer du fait que les termes « en principe » étaient évoqués dans les CAAC, lesquels n’étaient plus applicables au second tour des MEP.

4.4.2 La recourante relève que si certes les deux mots « en principe » ont été supprimés dans les CA-MEP, l’adjudicateur n’a donné aucune raison et surtout n’a pas averti expressément les soumissionnaires que la limite pour la tranche 1 était subitement passée d’indicative à éliminatrice alors que la tranche 2 conservait son caractère indicatif.

Les termes de l’art. 1.5 étant précis et formulés différemment du contenu des CAAC, la recourante ne peut être suivie lorsqu’elle soutient que le pouvoir adjudicateur n’aurait pas averti les soumissionnaires. Elle n’indique pas non plus sur quelle base légale ou réglementaire celui-ci aurait été tenu d’en motiver les raisons. Enfin, elle n’a posé aucune question en lien avec la tranche 1 du prix.

4.4.3 Dans un troisième argument, la recourante considère que, pour un marché estimé à environ CHF 500 millions selon les études de faisabilité, « on » aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que l’adjudicateur précise expressément les conséquences attachées à un dépassement de la première tranche correspondant à environ 5 % des coûts totaux.

La recourante ne peut être suivie. Précisément pour un marché estimé à environ CHF 500 millions, le pouvoir adjudicateur est en droit d’attendre des candidats sélectionnés pour le deuxième tour une lecture attentive des neuf lignes des conditions administratives portant sur la question du prix. Or la seule phrase portant sur la tranche 1 indique clairement qu’elle ne « pourra pas dépasser CHF HT 24.6 millions ».

4.4.4 La recourante considère qu’un avertissement était d’autant plus nécessaire que, tout au long du déroulement des MEP, et déjà au stade du rendu intermédiaire, il était devenu évident que la limite des CHF 470 millions fixés pour la tranche de travaux de construction serait largement dépassée comme le prouvait d’ailleurs le résultat des MEP avec une adjudication en l’état à plus de CHF 711 millions.

À nouveau, les termes pour la tranche ferme étaient clairs. Il aurait appartenu à la recourante d’interpeller le pouvoir adjudicateur sur l’incidence, sur la tranche 1, que pouvaient avoir l’augmentation des coûts et le dépassement de la limite de la tranche 2. La recourante ne pouvait, au vu de la formulation du début de l’art. 1.5 CA-MEP, considérer que l’augmentation de la tranche 2 influait nécessairement la tranche 1 sans interpeller le pouvoir adjudicateur.

4.4.5 La recourante soutient que, sans avertissement exprès, elle ne pouvait pas concevoir que l’adjudicateur maintiendrait, sous peine d’élimination, des coûts d’études et de planification (tranche ferme) au même niveau fixé pour des travaux estimés à CHF 470 millions après qu’il s’était avéré que le coût de ceux-ci dépasserait largement les CHF 600 millions.

L’argument n’est pas fondé pour les mêmes motifs que ceux développés aux considérants qui précèdent. À l’instar du consid. 4.4.4, il appartenait à la recourante d’interpeller l’AIG pour vérifier sa « conception ».

4.4.6 La recourante reproche au pouvoir adjudicateur de n’avoir jamais indiqué que le dépassement de cette limite serait éliminatoire. Elle soutient que tant le jury, lors de sa critique intermédiaire, que les représentants d’AIG lors de l’atelier final, utilisaient le mot « cible » pour qualifier le prix attendu. Or, il aurait suffi, par exemple dans sa réponse à la question n° 13 ou dans le rapport de critique intermédiaire, de relever que le dépassement de la limite des CHF 24.6 millions était éliminatoire. Le minimum de clarté requis à ce niveau d’affaires et d’engagement financier aurait été atteint.

Certes, il aurait été plus clair que les conséquences d’une élimination eussent été mentionnées. Toutefois, la recourante ne conteste pas que le jury a relevé que le coût « cible » du projet n’était pas respecté lors de la critique intermédiaire. En conséquence, son attention a été attirée sur la problématique. Elle n’a toutefois pas posé de questions, ni quant à la signification précise du terme ou du concept « cible » si elle avait un doute, ni quant aux conséquences en cas de non-respect de la « cible ». La recourante évoque les discussions, consignées, sur le prix lors de l’atelier 5. Les points 8 à 23 portent effectivement sur le prix et se terminent par la question du pouvoir adjudicateur : « est-ce que tout est bien clair pour vous ? », la réponse étant « oui ».

4.4.7 La recourante soutient que la limite de la tranche 1 ne figure pas dans les exigences de base pour lesquelles il était, par contre, clairement indiqué que leur non-respect pouvait entraîner l’élimination. Si l’adjudicateur choisissait de désigner expressément des postes comme éliminatoires, « on » pouvait partir du principe que les autres ne l’étaient pas.

Les exigences de base sont décrites sous le chapitre « adjudication ». Elles traitent du respect du programme fonctionnel (tel, par exemple, les détails sur le dimensionnement du projet avec a minima 120 guichets d’enregistrement et 20 machines de sûreté) et du phasage des travaux avec maintien des opérations (à l’instar des précisions du nombre de tapis bagages arrivées pouvant être mis en service en période standard pendant toute la phase des travaux ou du nombre de mises en service simultanées de guichets comprenant le détail de la distance minimale à maintenir devant chacun d’entre eux). Il s’agit en conséquence d’exigences pratiques.

La décision d’élimination est d’ailleurs fondée sur le chiffre 4.3 traitant de la recevabilité de l’offre et précisant que ne seront prises en considération que les offres qui respectent les CA-MEP, l’offre étant, à défaut, déclarée irrecevable. Tel est le cas en l’espèce, où le « coût maximum admissible » pour la tranche 1 a été dépassé par la recourante.

4.4.8 Cette dernière soutient enfin que l’adjudicateur s’est expressément réservé le droit de ne pas adjuger le marché si le prix offert pour la tranche 1 était supérieur au crédit d’études octroyé par le conseil d’administration d’AIG, lequel est supérieur à la limite des CHF 24.6 millions puisqu’il se monte à CHF 33 millions. L’adjudicateur s’était réservé le même droit en cas de dépassement de l’enveloppe budgétaire pour l’ensemble du projet. Ceci implique que le dépassement n’était pas obligatoirement éliminatoire, ce dont témoignait d’ailleurs le fait que les trois offres dépassaient le montant global. Aucune des deux autres n’avait toutefois été déclarée irrecevable.

Il est exact que sous l’art. 5.6 des CA-MEP, intitulé « décision d’adjudication », le pouvoir adjudicateur a prévu qu’il se réservait le droit de ne pas adjuger le marché dans quatre cas, non exhaustifs, notamment si le montant offert pour l’ensemble du projet dépassait l’estimation budgétaire et/ou si le montant offert pour la tranche ferme dépassait le crédit d’étude octroyé par le conseil d’administration de GA. Si certes cette mention pouvait susciter des questions sur le fait que le dépassement de la tranche ferme pourrait ne pas être éliminatoire, la recourante ne pouvait, sans autre, au vu de l’ampleur du marché, de l’importance du critère du prix, du processus impliquant un dialogue entre les sociétés sélectionnées et des représentants du pouvoir adjudicateur, des huit rondes de questions, des différents ateliers et des critiques tant intermédiaires que finales, se contenter de déduire de cette seule phrase le fait qu’elle était autorisée à dépasser le montant clairement mentionné dans la rubrique spécifique compris à l’art. 1.5 CA-MEP.

L’article évoqué par la recourante n’intervient d’ailleurs qu’au stade de la décision d’adjudication, laissant au pouvoir adjudicateur une certaine liberté, dans certaines circonstances, de ne pas adjuger le marché. Si la référence à la tranche ferme est identique, il ne renvoie pas à un montant fixe, tel que défini à l’art. 1.5 CA-MEP, mais au « crédit d’études octroyé par le conseil d’administration ». Il appartenait en conséquence à la recourante de lever toute éventuelle ambiguïté. Elle ne pouvait, de bonne foi, « déduire » une marge de dépassement de cet article.

En conséquence, le grief de manque de transparence des CA-MEP n’est pas fondé.

5.             Dans un deuxième grief, la recourante invoque un abus du pouvoir d’appréciation du pouvoir adjudicateur et un formalisme excessif. Le pouvoir adjudicateur avait motivé sa décision d’exclusion en invoquant un motif d’ordre purement formel, soit le dépassement de la limite fixée pour la tranche 1, sans indiquer pourquoi cette limite était indicative au stade de l’appel à candidatures, qualifiée de « cible » tout au long des MEP, pour devenir prétendument « éliminatrice » lors de l’adjudication. Seul le montant global des offres pour les tranches 1 et 2 était pris en considération dans l’évaluation de l’offre. En conséquence, le prix offert pour la tranche 1 était totalement neutre.

5.1 Il y a abus du pouvoir d'appréciation lorsque l'autorité, tout en restant dans les limites de son pouvoir d'appréciation, se fonde sur des considérations qui manquent de pertinence et qui sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables ou viole des principes généraux du droit tels que l'interdiction de l'arbitraire, l'inégalité de traitement, le principe de la bonne foi ou le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 ; 123 V 150 consid. 2 et les références citées ; ATA/148/2021 du 9 février 2021 consid. 7 et l'arrêt cité).

En matière de marchés publics, le droit matériel laisse en principe une grande liberté d’appréciation au pouvoir adjudicateur, en particulier dans la phase de l’appréciation et de la comparaison des offres, l’autorité judiciaire ne pouvant intervenir qu’en cas d’abus ou d’excès du pouvoir de décision de l’adjudicateur. L’autorité judiciaire n’a toutefois pas à faire preuve de la même retenue lors du contrôle des règles de procédure en matière de marchés publics (ATF 141 II 353 consid. 3 et les références citées ; ATA/914/2018 du 11 septembre 2018 consid. 3b).

5.2 La jurisprudence a tiré de l’art. 29 al. 1 Cst., et de l’obligation d’agir de bonne foi à l’égard des justiciables (art. 5 et 9 Cst.), le principe de l’interdiction du déni de justice formel qui comprend la prohibition de tout formalisme excessif. Un tel formalisme existe lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique sans raison objective la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 145 I 201 consid. 4.2.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_741/2022 du 7 mars 2023 consid. 2.4.2). L'excès de formalisme peut résider soit dans la règle de comportement imposée au justiciable, soit dans la sanction qui lui est attachée (ATF 132 I 249 consid. 5 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_221/2014 du 14 janvier 2015 consid. 5.1). Ainsi en va-t-il lorsque la violation d’une règle de forme de peu d’importance entraîne une sanction grave et disproportionnée, telle par exemple une décision d’irrecevabilité (ATF 133 V 402 consid. 3.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_416/2020 du 4 novembre 2020 consid. 3.3.3).

Le droit des marchés publics est formaliste. L’autorité adjudicatrice doit procéder à l’examen de la recevabilité des offres et à leur évaluation dans le respect de ce formalisme, qui permet de protéger notamment le principe d’intangibilité des offres remises et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l’art. 16 al. 2 RMP (ATA/969/2022 du 27 septembre 2022 consid. 3b ; ATA/1300/2018 du 4 décembre 2018 consid. 3b ; ATA/1446/2017 du 31 octobre 2017 et les références citées). Le respect de ce formalisme est nécessaire pour concrétiser l'obligation d'assurer l'égalité de traitement entre soumissionnaires dans la phase d'examen de la recevabilité des offres et de leur évaluation (ATA/102/2010 du 16 février 2010, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 du 30 avril 2010 consid. 6.4 ; ATA/1193/2021 du 9 novembre 2021 consid. 7a et les arrêts cités).

Toutefois, l’interdiction du formalisme excessif interdit d’exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité ou affectée d’un vice qui ne compromet pas sérieusement l'objectif visé par la prescription formelle violée (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 du 30 avril 2010 consid. 6.1). À cet égard, l’autorité adjudicatrice dispose d’un certain pouvoir d’appréciation quant au degré de sévérité dont elle désire faire preuve dans le traitement des offres (ATA/969/2022 précité et les références citées).

Ces principes valent notamment pour la phase d’examen de la recevabilité des soumissions, lors de laquelle l’autorité adjudicatrice examine si les offres présentées remplissent les conditions formelles pour participer à la procédure d’évaluation (ATA/969/2022 précité ; ATA/1446/2017 précité  et les références citées).

5.3 En l’espèce, la recourante n’indique pas les raisons pour lesquelles il aurait agi contrairement au principe de la bonne foi ou de l’interdiction de l’arbitraire notamment en précisant le critère du prix entre les CAAC et les CA-MEP. Conformément aux considérants qui précèdent, les formulations, différentes dans leur structure et les termes employés, utilisés respectivement dans les CAAC puis les CA-MEP étaient clairs et sans ambiguïté. Il appartenait à la recourante d’interpeller le pouvoir adjudicateur à ce propos en cas de doute.

L’informalité de l’offre ne pouvant pas être considérée comme de peu de gravité, dès lors qu’elle concerne un élément important du marché. Il ne peut, pour le même motif, être reproché au pouvoir adjudicateur de formalisme excessif. Ce dernier bénéficie de surcroît d’un large pouvoir d’appréciation en la matière. En considérant qu’en offrant pour la tranche 1 un montant supérieur à celui maximal autorisé, la recourante ne respectait pas les CA-MEP, le pouvoir adjudicateur s’est fondé sur des considérations pertinentes et conformes au but visé par les dispositions légales applicables. Il a veillé à assurer ainsi le respect des principes généraux du droit tels que, notamment, l'interdiction de l'arbitraire et l'égalité de traitement entre soumissionnaires.

La recourante soutient que seul le montant global des offres devrait être pris en considération. Elle renvoie toutefois dans ses écritures aux CAAC, non pertinentes en l’espèce. Si certes, la notation du prix tel que prévue dans les CA-MEP devait s’effectuer sur le « total HT offre entreprise compris rabais et escompte » en application d’une méthode linéaire pour le critère 1 intitulé « prix études, travaux et entretien/maintenance (tranches 1 à 3) » valant 25 % sur les 30 %, cette évaluation d’un critère d’adjudication n’intervient que si, préalablement, l’offre respecte les CA-MEP.

Le grief n’est pas fondé.

6.             La recourante se plaint d’une violation des principes de proportionnalité, de bonne foi, de concurrence efficace et de l’obligation d’adjuger en faveur de l’offre économiquement la plus avantageuse.

Selon celle-ci, la première tranche se composerait, pour l’essentiel, d’honoraires de concepteurs et d’entrepreneurs qu’elle avait devisés à environ CHF 37.5 millions. Elle serait éliminée pour un dépassement d’honoraires de CHF 13 millions sur la tranche 1. Ce dépassement serait hors de proportion avec les honoraires totaux pour réaliser le projet et quasiment insignifiant par rapport au dépassement total consenti avec une adjudication à plus de CHF 711 millions. Si certes, la tranche 2 était conditionnelle, alors que la tranche 1 était ferme, il était peu vraisemblable que GA commande pour près de CHF 25 millions d’études qui visaient notamment l’obtention des autorisations requises, pour ne pas réaliser les travaux une fois autorisés, ce d’autant plus que l’aéroport en avait de toute façon besoin depuis plusieurs années. Dans la mesure où elle conduirait de surcroît à adjuger le marché en faveur de l’offre la plus chère, pour plus de CHF 50 millions, la décision contestée serait également susceptible de violer le principe de la concurrence efficace et l’obligation d’adjuger en faveur de l’offre économiquement la plus favorable en vue notamment de protéger les deniers publics.

6.1 En vertu de l'art. 43 RMP, l'évaluation est faite selon les critères prédéfinis conformément à l'art. 24 RMP et énumérés dans l'avis d'appel d'offres et/ou les documents d'appel d'offres (al. 1) ; le résultat de l'évaluation des offres fait l'objet d'un tableau comparatif (al. 2) ; le marché est adjugé au soumissionnaire ayant déposé l'offre économiquement la plus avantageuse, c'est-à-dire celle qui présente le meilleur rapport qualité/prix ; outre le prix, les critères suivants peuvent notamment être pris en considération : la qualité, les délais, l'adéquation aux besoins, le service après-vente, l'esthétique, l'organisation, le respect de l'environnement (al. 3).

6.2 Le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 Cst., se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’atteinte la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 140 I 218 consid. 6.7.1 ; 136 IV 97 consid. 5.2.2).

6.3 Ancré à l'art. 9 Cst., et valant pour l'ensemble de l'activité étatique, le principe de la bonne foi exige que l'administration et les administrés se comportent réciproquement de manière loyale (arrêt du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8.1 ; Jacques DUBEY, Droits fondamentaux, vol. 2, 2018, p. 642 n. 3454). En particulier, l'administration doit s'abstenir de tout comportement propre à tromper l'administré et ne saurait tirer aucun avantage des conséquences d'une incorrection ou insuffisance de sa part (ATF 138 I 49 consid. 8.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_596/2022 du 8 novembre 2022 consid. 8). Par ailleurs, la jurisprudence a tiré du principe de la bonne foi et de l’interdiction du formalisme excessif le devoir qui s’impose à l’administration, dans certaines circonstances, d’informer d’office le justiciable qui commet ou s’apprête à commettre un vice de procédure, à condition que celui-ci soit aisément reconnaissable et qu’il puisse être réparé à temps, le cas échéant dans un bref délai (ATF 125 I 166 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 9C_354/2022 du 26 septembre 2022 consid. 3.1).

6.4 En l’espèce, la recourante procède à une comparaison entre le dépassement de CHF 13 millions (soit la différence entre son offre de CHF 37,52 millions pour la tranche 1 et le « coût maximum admissible » de l’art. 1.5 des CA-MEP de CHF 24.6 millions) et les honoraires totaux pour réaliser le projet ainsi que le dépassement total consenti avec une adjudication à plus de CHF 711 millions. Ce faisant, la recourante remet en cause l’art. 1.5 CA-MEP, alors même qu’elle n’a pas recouru dans les 10 jours suivant leur notification. Elle a en conséquence accepté le système de tranches fermes et conditionnelles. De surcroît, la critique contre le montant global de l’adjudication est irrecevable au stade de l’analyse de l’exclusion d’une société de la procédure. En tous les cas, un dépassement n’était pas exclu à teneur des CA-MEP pour la tranche 2. La comparaison entre les CHF 13 millions, non autorisés en tranche 1 et un dépassement beaucoup plus important, mais autorisé, en tranche 2 est sans pertinence, indépendamment de son ampleur.

En conséquence, le grief n’est pas fondé.

7.             Dans son complément au recours, après réception du rapport d’analyse de l’AIG, la recourante a relevé des incohérences dans l’attribution des points.

Ce faisant, elle conteste l’évaluation des différents critères effectuée par le pouvoir adjudicateur. Ces griefs ne sont pas recevables dans le cadre d’un recours dirigé contre une exclusion.

8.             Dans ledit complément au recours, la recourante émet plusieurs critiques contre l’avis de droit relatif à la « possibilité pour GA de déclarer l’offre de A. irrecevable ».

Ledit avis n’étant pas qu’un allégué de partie (ATF 142 II 355 consid. 6) seuls les points repris dans la décision ou à son appui seront examinés.

8.1 Selon elle, l’avis de droit ne comportait « curieusement » aucune appréciation sur la compatibilité de la conclusion en irrecevabilité de l’offre avec l’art. 5.6 CA‑MEP.

Il est exact que l’avis précité n’évoque pas l’art. 5.6 CA-MEP. Il se fonde sur les « informations et documents reçus de GA » par courriel du 5 septembre 2023 et le contenu d’une conversation téléphonique. Rien n’indique en conséquence que son auteur ait eu connaissance de la disposition précitée. La recourante le relève dans ses écritures indiquant que l’intéressée ne semble pas avoir eu accès à l’entier des faits pertinents. Comme mentionné dans les considérants qui précèdent, l’art. 5.6 porte sur un stade ultérieur de la procédure, à savoir la décision d’adjudication et n’est donc pas pertinent au stade de l’analyse de la recevabilité de l’offre. La recourante procède à une interprétation de l’art. 5.6 pour en déduire que, contrairement à l’art. 1.5 CA-MEP, le montant de CHF HT 24.6 millions pouvait être dépassé. Or, comme précédemment vu, d’une part la formulation de l’art. 1.5 est sans équivoque. D’autre part, il appartenait au soumissionnaire d’interpeller le pouvoir adjudicateur en cas de doute sur la compatibilité des deux articles. Une seule « interprétation » de ceux-ci n’était pas garante du résultat.

8.2 La recourante critique l’analyse effectuée dans l’avis de droit qui conclut que le principe de la proportionnalité est respecté.

Ce dernier relève trois points : 1) la recourante avait outrepassé « massivement » les deux « montants plafond » de la tranche 1, tous deux confirmés comme impératifs. Autre serait la situation si le dépassement ne concernait que la galerie commerciale CFF, compte tenu du fait qu’elle ne représentait guère que 5 % de la valeur totale du marché et qu’il s’agissait d’une tranche en option ; 2) de manière générale, les limites budgétaires étaient un élément important de tous les projets des collectivités publiques et des autres pouvoirs adjudicateurs ; 3) que GA puisse renoncer à indemniser un candidat et, le cas échéant, faire appel à la garantie en cas d’irrecevabilité d’une offre, n’était pas un motif pour la déclarer recevable alors qu’elle ne remplissait pas les conditions de l’appel d’offres ; une fois l’irrecevabilité prononcée, GA devrait décider s’il indemnisait tout de même le candidat et s’il actionnait la garantie. Les autres concurrents pourraient lui reprocher de ne pas décider l’irrecevabilité si le motif pour cela était que GA ne souhaitait pas être ensuite contraint d’actionner la garantie.

8.2.1 Selon la recourante, l’auteur de l’avis de droit (ci-après : l’auteur) ne prenait pas en compte : a)  le fait que le crédit d’études était de CHF 33 millions, soit bien supérieur à la limite fixée pour la tranche 1 ; b) le fait que 10 % du paiement de la tranche 1 ne devait intervenir au plus tôt que dans les six mois suite à la réception du décompte final et après que la décision soit prise de procéder, ou non, à la tranche 2 ; et enfin c) qu’aucune pesée des intérêts n’avait été effectuée notamment entre le dépassement de CHF 13 millions pour la tranche 1 et de plus de CHF 150 millions pour le budget total, quelle que soit l’offre considérée ni la possibilité pour AIG d’économiser plus de 50 millions en adjugeant à A______ plutôt qu’à E______.

En l’espèce, l’offre de la recourante pour la tranche 1 dépasse non seulement le montant plafond prévu par les CA-MEP, mais aussi le crédit d’études. L’argument tombe en conséquence à faux. On peine par ailleurs à comprendre ce que la recourante tente de déduire de la référence aux art. 8 ch. 6 et 11 du projet de contrat d’entreprise totale, évoqué pour justifier sa seconde critique. Enfin, il n’y a pas lieu de procéder à une pesée des intérêts en cas de non-respect, par un soumissionnaire, des conditions de recevabilité d’une offre lors d’un concours.

8.2.2 L’avis de droit n’expliquait pas, selon la recourante, pourquoi la limite pour la tranche 1 était passée d’indicative à « éliminatrice », ni pourquoi le mot « cible » avait été utilisé.

Conformément aux considérants qui précèdent, ces critiques sont mal fondées. Il ne peut être reproché à l’auteur de l’avis de droit de ne pas avoir abordé ces questions, dès lors que l’on ignore notamment les documents soumis, ainsi que le choix fait par le pouvoir adjudicateur quant à l’étendue du mandat confié.

8.2.3 La recourante reproche à l’avis de droit de ne pas expliquer comment il était possible de tenir des frais d’études au même niveau pour des travaux estimés à moins de CHF 500 millions lorsqu’il s’avérait que ceux-ci atteindraient en réalité CHF 650 millions voire plus si le marché était définitivement adjugé à E______. Le fait que les deux autres soumissionnaires aient arrêté le montant pour la tranche 1 exactement à la limite indiquée constituait pourtant un indice sérieux que son respect était très probablement artificiel et intenable économiquement sans « balancement » d’une partie des frais réels dans la tranche 2.

Toutefois, comme précédemment mentionné, le droit des marchés publics est formaliste. D’une part, la recourante a pu poser toutes les questions utiles sur cette problématique en temps voulu, ce qu’elle n’a que partiellement fait. D’autre part, il ne s’agit que de suppositions sur des reports de coûts de ses concurrentes.

8.2.4 Enfin, la recourante critique la prise de position de l’auteur, selon laquelle les autres soumissionnaires seraient fondés à invoquer une inégalité de traitement dans le cas où son offre serait déclarée recevable et que le marché lui serait adjugé.

L’auteur relevait que les deux autres soumissionnaires avaient fait l’effort de respecter les montants plafond de la tranche 1. Peu importait que leur tranche 2 soit plus élevée, dès lors que la recourante ne respectait pas non plus son montant plafond de (en principe) CHF HT 470 millions. Il constatait que le non‑respect des conditions de l’appel d’offres n’était pas mentionné dans les motifs d’exclusion de 42 RMP. Ceci était toutefois sans incidence in casu dès lors qu’il s’agissait d’écarter l’offre non en raison de circonstances inhérentes au soumissionnaire mais en raison de l’offre elle-même. Une procédure de MEP cumulait des éléments de concours et un appel d’offres. Dans les concours, le régime du non-respect des exigences formulées par l’adjudicateur était plus souple que dans un appel d’offres, le jury procédant à une évaluation des projets sur la base de critères formulés de manière plus large. La doctrine distinguait deux types d’exigences : 1) celles uniquement indicatives qui ne devaient pas mener à l’exclusion des projets qui ne les respectaient pas ; 2) les exigences impératives, voulues comme telles par l’organisateur du concours. Était déterminante à cet égard leur formulation dans le programme. Tel était le cas en l’espèce.

Cette argumentation est convaincante. Il est possible que si le pouvoir adjudicateur n’avait pas décidé l’élimination de la recourante malgré le non-respect du « coût maximum admissible » de l’art. 1.5 CA-MEP pour la tranche 1 et que celle-ci se soit vu adjuger le marché, les concurrents qui auraient respecté cette clause seraient susceptibles de se plaindre d’une inégalité de traitement.

9.             Dans sa réplique, la recourante relève que la position soutenue par l’AIG posait la question de savoir s’il était licite d’imposer aux soumissionnaires un plafond impératif pour le prix d’un marché public.

Selon elle, la question n’a jamais été tranchée par le Tribunal fédéral. Un arrêt du Tribunal administratif du canton de Zurich avait retenu que la fixation d’un prix plafond pourrait tout au plus être pris en compte dans la notation des offres (et non comme condition de recevabilité), lorsque l’autorité adjudicatrice était tenue par une limite budgétaire impérative. La présente situation différait sur deux points : 1) l’AIG était un établissement de droit public autonome. Seul le budget d’exploitation annuel de l’aéroport était soumis à l’approbation du Conseil d’État. La limite/cible fixée par la tranche 1 ne résultait pas d’un budget impératif fixé par une autorité supérieure à la régie mais tout au plus d’un crédit d’études que l’adjudicateur s’était auto-octroyé selon sa propre gouvernance interne ; 2) la limite/cible fixée pour la tranche 1 (ferme) pouvait uniquement être tenue si les soumissionnaires prenaient le risque de reporter une partie des coûts effectifs sur la tranche 2 (conditionnelle). Si cette limite était réellement impérative, elle ne constituait, dans ces circonstances, plus un critère d’évaluation permettant de déterminer l’offre économiquement la plus favorable en conformité avec le droit des marchés publics. Elle constituait une exigence de base dont l’admissibilité était discutable selon la réglementation sur les cartels vu la position occupée par l’AIG dans le domaine aéroportuaire. Si par impossible l’AIG était suivie dans son interprétation des CA–MEP, le résultat ne paraîtrait pas conforme au droit des marchés publics, voire pas non plus aux autres règles dont l’application ressortait à la commission fédérale de la concurrence.

En l’espèce, d’une part deux soumissionnaires ont proposé des offres respectant le critère litigieux. D’autre part, la recourante n’a ni recouru contre les CA-MEP ni posé aucune question sur cette problématique au pouvoir adjudicateur pendant toute la durée, longue, des MEP. Le grief sera écarté sans qu’il soit nécessaire de l’approfondir.

10.         La recourante considère que si le pouvoir adjudicateur a dû s’associer les services de l’un des experts les plus reconnus en matière de marchés publics pour interpréter ses propres documents de soumission afin de savoir si la limite – cible du prix fixé par la tranche 1 était « éliminatrice », l’on pouvait douter que les conditions de l’offre remplissent les exigences de clarté et de prévisibilité imposées par l’art. 42 al. 1 let.  a RMP.

Cette critique sera écartée, la demande d’un avis de droit n’étant pas la preuve d’une absence de clarté d’un document.

11.         La recourante relève que si son offre avait été déclarée recevable, elle aurait obtenu une note si proche de celle de E______ que l’adjudicateur aurait pu choisir d’adjuger le marché à l’un ou à l’autre, en usant opportunément des réserves sur le dépassement du crédit d’études (contre A______) ou sur le dépassement du budget estimatif (contre E______).

Selon la recourante, avec une différence de plus de CHF 50 millions en faveur de A______, il était raisonnablement permis de penser que l’AIG avait estimé comme trop difficile à justifier l’opportunité d’une adjudication en faveur de E______, à tout le moins au regard des limites de son pouvoir d’appréciation. En pouvant exclure l’offre de la recourante pour irrecevabilité, l’AIG s’affranchissait de ce périlleux exercice. Pour parvenir à cette fin, il fallait encore convaincre le jury. C’était dans ce contexte que l’avis de droit avait très probablement été commandé et pour cette raison que son intitulé était « la possibilité pour GA de déclarer l’offre de A. irrecevable », plutôt que : « l’offre de A. est-elle recevable ? ». À ce stade, la décision contestée semblait donc, sous toutes réserves, relever plus de la gestion des risques liés à une adjudication en faveur de l’offre la plus chère que d’un réel souci de respecter les droits des marchés publics. Ce n’était en tout cas pas le communiqué de presse que l’AIG avait fait paraître après l’adjudication avec l’annonce d’un investissement de plus de CHF 100 millions inférieur à l’offre choisie, ni les indices de partialité soulevés par B______ dans son recours et encore moins les incohérences et différences relevées dans les évaluations en faveur de E______ qui permettaient de penser le contraire en l’état.

En l’espèce, s’agissant de l’appréciation subjective de la recourante quant aux motifs ayant pu justifier son élimination et non de griefs juridiques, il ne sera pas donné suite à cette critique.

En tous points infondé, le recours sera rejeté.

12.         Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 2'500.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d’indemnité de procédure à l’AIG qui n’y a, à juste titre, pas conclu (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 13 novembre 2023 par A______ contre la décision d’exclusion de l’Aéroport international de Genève du 1er novembre 2023 ;

 

au fond :

le rejette ;

met un émolument de CHF 2'500.- à la charge de A______ ;

dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision à Me Jean-Yves REBORD, avocat de la recourante, à Me Nicolas WISARD, avocat de l'Aéroport international de Genève, ainsi qu’à la commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Valérie LAUBER, présidente, Florence KRAUSKOPF, Jean-Marc VERNIORY, Francine PAYOT ZEN-RUFFINEN, Eleanor McGREGOR, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. HÜSLER ENZ

 

 

la présidente siégeant :

 

 

V. LAUBER

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :