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Décisions | Chambre civile

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C/6445/2020

ACJC/1464/2024 du 14.11.2024 sur OTPI/233/2024 ( SDF ) , CONFIRME

Normes : CC.179; CPC.276.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6445/2020 ACJC/1464/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU JEUDI 14 NOVEMBRE 2024

 

Entre

Madame A______, domiciliée ______, appelante d'une ordonnance rendue par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 11 avril 2024,

et

Monsieur B______, domicilié ______, intimé, représenté par Me Marie BERGER, avocate, BRS Berger Recordon & de Saugy, boulevard des Philosophes 9, case postale, 1211 Genève 4.

 

 


EN FAIT

A. Par ordonnance OTPI/233/2024 du 11 avril 2024, le Tribunal de première instance (ci-après: le Tribunal), statuant dans le cadre du divorce opposant les époux B______ et A______, a rejeté la demande de mesures provisionnelles formée le 15 décembre 2023 par cette dernière (chiffre 1 du dispositif), arrêté les frais judiciaires à 500 fr. en les renvoyant à la décision finale (ch. 2 et 3) et débouté les parties de toutes autres conclusions (ch. 4).

B. a. Par acte expédié à la Cour de justice le 19 avril 2024, A______, comparant en personne, forme appel contre cette décision, concluant à son annulation et à ce que la contribution d'entretien versée en sa faveur soit modifiée et augmentée à 7'000 fr. par mois. Subsidiairement, elle sollicite le renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision.

A l'appui de son appel, elle produit des pièces figurant déjà au dossier, des éléments de procédure, ainsi qu'un budget la concernant établi par ses soins.

b. Dans sa réponse, B______ conclut à l'irrecevabilité de l'appel, ainsi que des pièces produites à son appui, et subsidiairement à ce que A______ soit déboutée de toutes ses conclusions d'appel et à la confirmation de l'ordonnance querellée.

Il produit également des pièces, comportant des courriers d'avocats d'octobre 2018 à février 2024.

c. Les parties ont répliqué et dupliqué et se sont encore déterminées les 28 juin, 15 juillet, 29 juillet et 12 août 2024, persistant dans leurs conclusions respectives. Elles ont chacune produit des pièces complémentaires.

d. Par avis de la Cour du 6 septembre 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

C. Les faits pertinents suivants résultent de la procédure.

a. B______, né en 1956 et A______, née en 1957, se sont mariés le ______ 1989 à Genève.

b. Après avoir divorcé une première fois en 2013, les parties se sont remariées au mois de ______ 2016.

c. Depuis leur second mariage, B______ a versé un montant de 3'500 fr. par mois en faveur de son épouse jusqu'au mois de janvier 2021.

d. Au décès de son père en 2015, B______ a hérité de biens mobiliers et immobiliers, soit notamment deux immeubles à C______ [VD], en nue-propriété, l'usufruit ayant été attribué à sa mère. Cette dernière est décédée au mois de ______ 2022.

e. Le 1er avril 2020, B______ a déposé une nouvelle demande unilatérale en divorce, dans le cadre de laquelle les parties s'opposent depuis lors.

f. Par ordonnance rendue sur mesures provisionnelles le 22 juillet 2021, confirmée par arrêt de la Cour le 17 décembre 2021, B______ a été condamné à verser à son épouse 1'000 fr. par mois dès le 1er février 2021 à titre de contribution à son entretien.

Il a été retenu que B______ était à la retraite depuis le 1er février 2021, et que ses revenus mensuels avaient drastiquement diminué, passant de 14'590 fr. à 6'316 fr., puis à 5'720 fr. dès le 1er novembre 2021, de sorte que son disponible était réduit à 1'562 fr. A______ avait également atteint l'âge légal de la retraite. Elle avait néanmoins poursuivi son activité indépendante de traductrice et perçu quelques revenus. Elle faisait face à des charges de 4'020 fr. par mois et à un déficit de 504 fr. dès le 1er novembre 2021. Au regard de la nouvelle situation des parties, la contribution de 1'000 fr. par mois en faveur de A______ permettait à cette dernière de couvrir son déficit et de bénéficier, en sus, d'une part à l'excédent dans une mesure appropriée.

g. Par jugement JTPI/4564/2022 du 8 avril 2022, le Tribunal a prononcé le divorce des époux, dit que ces derniers ne se devaient aucune contribution d'entretien, procédé au partage des avoirs de prévoyance en octroyant à A______ une rente viagère calculée sur le montant de 330 fr. prélevé sur la rente de B______ et réservé la liquidation du régime matrimonial.

Les parties ont toutes deux appelé de ce jugement.

h. Par arrêt ACJC/108/2023 du 19 janvier 2023, la Cour de justice a annulé le jugement précité en tant qu'il portait sur l'entretien et la liquidation du régime et a renvoyé la cause au Tribunal pour nouvelle décision sur ces points.

Sur la question de l'entretien, la Cour a notamment retenu que la situation financière des parties n'était pas suffisamment établie. Il n'était pourtant pas contesté que B______ avait hérité de nombreux bien immobiliers et semblait avoir renoncé à une partie de ses droits en faveur de sa mère, laquelle était désormais décédée. Des revenus locatifs devaient être vraisemblablement établis et pris en compte. Il apparaissait donc envisageable que celui-ci bénéficie d'une fortune suffisante pour lui permettre d'assumer ses obligations de droit de la famille envers A______, soit en entamant sa substance, soit en utilisant ses fruits. Dès lors, il convenait de déterminer les charges et revenus respectifs des parties et d'examiner l'éventualité de mettre leur fortune à contribution pour l'entretien de la famille.

i. A réception de l'arrêt de renvoi, le Tribunal a repris la procédure et invité les parties à se déterminer sur la suite de celle-ci.

j. Les parties ont toutes deux sollicité de leur partie adverse la production de pièces concernant leur situation financière respective.

Par courrier du 11 mai 2023, A______ a requis la production de documents de B______, notamment en lien avec la succession de ses parents et les revenus locatifs provenant des différents biens immobiliers acquis par succession.

k. Aucune ordonnance de preuve n'a été rendue, les parties ayant continué à déposer des écritures sur faits nouveaux.

l. Par courrier du 12 décembre 2023, le conseil de A______ a cessé d'occuper et révoqué l'élection de domicile.

D. a. Par courrier du 15 décembre 2023, A______, plaidant en personne, a déposé une requête de mesures provisionnelles tendant à modifier la contribution d'entretien en sa faveur et a conclu au paiement d'une contribution de 7'000 fr. par mois.

Dans un courrier de quelques paragraphes, elle a allégué que depuis juillet 2022, les revenus de B______ étaient bien supérieurs à ce qu'ils étaient auparavant et que celui-ci s'enrichissait tous les mois à ses dépens. Par conséquent, elle demandait une contribution "conforme à l'évolution à la fois de la hausse des revenus de Monsieur B______ et de [sa] condition de retraitée, à savoir 7'000 fr. par mois".

b. Lors de l'audience du 9 février 2024, A______, assistée d'un nouveau Conseil, a persisté dans sa requête et déposé un chargé de pièces complémentaires.

Elle a exposé que sa requête de mesures provisionnelles se fondait sur le fait que les revenus de son époux avaient augmenté à la suite du décès de sa mère en juin 2022, du fait qu'il percevait depuis lors pleinement les revenus locatifs des immeubles dont sa mère était, de son vivant, usufruitière. Elle a insisté sur sa propre situation financière difficile. Elle percevait une rente AVS (2'450 fr.), mais aucune rente LPP et vivait grâce au bénéfice réalisé de la vente d'un bien immobilier sis à D______ (Jura).

B______ a conclu à l'irrecevabilité de la requête, subsidiairement à son rejet. Il a expliqué avoir hérité de sa mère une part de copropriété de 1/128ème d'un immeuble situé à E______, à Zurich, qui avait été vendu en 2023. S'agissant des biens dont sa mère était usufruitière, ils comprenaient deux immeubles situés à C______. L'un d'entre eux avait été détruit et un nouveau projet de construction était en cours. L'autre faisait l'objet d'une rénovation dont les revenus locatifs étaient inférieurs aux frais des travaux. Selon B______, les travaux devraient se terminer en 2025. Son épouse connaissait ces projets de reconstruction et de rénovation, qui dataient du vivant de sa mère.

Les parties ont sollicité la production de pièces complémentaires, ainsi qu'un nouvel interrogatoire des parties après la production des titres requis.

A l'issue de l'audience, le Tribunal a gardé la cause à juger sur les réquisitions de preuve et, cas échéant, sur mesures provisionnelles et réservé la suite de la procédure au fond.

E. Dans l'ordonnance attaquée, le Tribunal a considéré que A______ n'avait pas rendu vraisemblable que les revenus de son époux avaient augmenté de manière essentielle et durable, l'état locatif actuel des immeubles n'ayant, lui non plus, pas été rendu vraisemblable.

EN DROIT

1. 1.1 L'appel a été formé auprès de l'autorité compétente (art. 120 al. 1 let. a LOJ), selon la forme écrite requise par la loi (art. 130, 131 et 311 CPC) et dans le délai utile de dix jours (art. 142, 248 let. d et 314 al. 1 CPC), à l'encontre d'une décision sur mesures provisionnelles (art. 308 al. 1 let. b CPC) statuant sur des conclusions de nature pécuniaire dont la valeur litigieuse est supérieure à 10'000 fr. (art. 92 al. 2 et 308 al. 2 CPC).

1.2.1 L'intimé soulève l'irrecevabilité de l'appel, arguant que celui-ci repose pour l'essentiel sur des faits nouveaux irrecevables et ne répond pas aux exigences de motivation.

Pour satisfaire à l'obligation de motivation résultant de l'art. 311 al. 1 CPC, l'appelant doit démontrer le caractère erroné de la motivation de la décision attaquée et son argumentation doit être suffisamment explicite pour que l'instance d'appel puisse la comprendre, ce qui suppose une désignation précise des passages de la décision qu'il attaque et des pièces du dossier sur lesquelles repose sa critique (ATF 138 III 374 consid. 4.3.1). L'appelant doit donc tenter de démontrer que sa thèse l'emporte sur celle de la décision attaquée. Il ne saurait se borner simplement à reprendre des allégués de fait ou des arguments de droit présentés en première instance, mais doit s'efforcer d'établir que, sur les faits constatés ou sur les conclusions juridiques qui en ont été tirées, la décision attaquée est entachée d'erreurs. Il ne peut le faire qu'en reprenant la démarche du premier juge et en mettant le doigt sur les failles de son raisonnement (arrêt du Tribunal fédéral 5A_356/2020 du 9 juillet 2020 consid. 3.2).

1.2.2 En l'espèce, il est vrai que, dans son acte d'appel, l'appelante complète son argumentaire de première instance sans tenir compte des conditions de recevabilité applicables aux nova. Il n'en demeure pas moins que son acte permet de comprendre, indépendamment des faits nouveaux, qu'elle reproche au premier juge d'avoir considéré que l'augmentation de la fortune et des revenus de l'intimé n'était pas rendue vraisemblable et d'avoir en conséquence rejeté sa requête, qui reposait précisément sur ce point. On ne saurait lui faire grief de ne pas avoir critiqué davantage la motivation de la décision attaquée dès lors que celle-ci était, elle aussi, très succincte. Son appel, rédigé par elle-même puisqu'elle plaide à nouveau en personne devant la Cour, répond ainsi aux exigences de motivation posées par l'art. 311 al. 1 CPC.

1.3 L'appel est en conséquence recevable.

1.4 La présente cause, qui porte sur le versement d'une contribution entre époux, est soumise aux maximes inquisitoire simple (art. 272 CPC) et de disposition (art. 58 al. 1 CPC).

La maxime inquisitoire ne dispense pas les parties de collaborer activement à la procédure et d'étayer leurs propres thèses. Il leur incombe ainsi de renseigner le juge sur les faits de la cause et de lui indiquer les moyens de preuves disponibles (ATF 130 III 102 consid. 2.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_616/2021 du 7 novembre 2022 consid. 8.3).

1.5 L'appel peut être formé pour violation du droit (art. 310 let. a CPC) et constatation inexacte des faits (art. 310 let. b CPC).

Les mesures provisionnelles étant soumises à la procédure sommaire, la cognition du juge des mesures provisionnelles est limitée à la simple vraisemblance des faits et à un examen sommaire du droit. Les moyens de preuve sont limités à ceux qui sont immédiatement disponibles (ATF 139 III 86 consid. 4.2; 131 III 473 consid. 2.3; arrêt du Tribunal fédéral 5A_916/2019 du 12 mars 2020 consid. 3.4).

2. Les parties ont produit des pièces nouvelles devant la Cour.

2.1 Selon l'art. 317 al. 1 CPC, les faits et les moyens de preuve nouveaux ne sont pris en considération en appel que s'ils sont invoqués ou produits sans retard (let. a) et s'ils ne pouvaient pas être invoqués ou produits devant la première instance bien que la partie qui s'en prévaut ait fait preuve de diligence (let. b).

A teneur de l'art. 151 CPC, les faits notoires ou notoirement connus du tribunal ne doivent pas être prouvés. Sont notamment assimilés à des faits notoires les faits ressortant d'une autre procédure entre les mêmes parties (arrêt du Tribunal fédéral 5A_610/2016 du 3 mai 2017 consid. 3.1).

2.2 En l'espèce, les parties produisent pêle-mêle des pièces devant la Cour.

L'appelante produit bon nombre de pièces qui figurent déjà au dossier de première instance ou qui constituent des éléments de la procédure, lesquels ne sont dès lors pas des faits nouveaux et peuvent être pris en considération sans autre examen. Elle produit, en outre, un budget établi par ses soins, ainsi qu'un décompte de ses revenus relatifs au mois de mai 2024. Cette dernière pièce est recevable puisqu'elle se rapporte à des faits postérieurs à la décision querellée. En revanche, avec la diligence requise, le budget aurait pu être produit devant le Tribunal, ce d'autant plus que l'appelante a déposé des pièces pour établir ses charges lors de l'audience du 9 février 2024. Quoi qu'il en soit, ces dernières pièces ne sont pas déterminantes pour l'issue du litige au vu des développements qui vont suivre.

L'intimé produit pour sa part des échanges de courriers d'avocats dépourvus de toute pertinence. Il produit également ses dernières déclaration fiscale et décision de taxation, postérieures à la décision entreprise et donc recevables.

3. L'appelante reproche au Tribunal de ne pas avoir retenu la hausse de revenus de sa partie adverse alléguée à la base de sa requête.

3.1 Dans le cadre d'une procédure de divorce (art. 274 ss CPC), le juge ordonne les mesures provisionnelles nécessaires en vertu de l'art. 276 al. 1 CPC; les dispositions régissant la protection de l'union conjugale étant dès lors applicables par analogie.

3.1.1 Une fois ordonnées, les mesures protectrices de l'union conjugale demeurent en vigueur même au-delà de l'ouverture de la procédure de divorce et ne peuvent être modifiées par le juge des mesures provisionnelles qu'aux conditions de l'art. 179 CC, applicable par renvoi de l'art. 276 al. 1 CPC (ATF 137 III 614 consid. 3.2.2; arrêts du Tribunal fédéral 5A_253/2020 du 25 mars 2021 consid. 3.1.1; 5A_436/2020 du 5 février 2021 consid. 4.1).

La modification des mesures protectrices ou des mesures provisionnelles ne peut être obtenue que si, depuis leur prononcé, les circonstances de fait ont changé d'une manière essentielle et durable, à savoir si un changement significatif et non temporaire est survenu postérieurement à la date à laquelle la décision a été rendue, si les faits qui ont fondé le choix des mesures provisoires dont la modification est sollicitée se sont révélés faux ou ne se sont par la suite pas réalisés comme prévu, ou encore si la décision de mesures provisoires est apparue plus tard injustifiée parce que le juge appelé à statuer n'a pas eu connaissance de faits importants (ATF 143 III 617 consid. 3.1; 141 III 376 consid. 3.3.1 arrêts du Tribunal fédéral 5A_253/2020 précité, ibidem; 5A_436/2020, précité, ibidem). En revanche, les parties ne peuvent pas invoquer, pour fonder leur requête en modification, une mauvaise appréciation des circonstances initiales, que le motif relève du droit ou de l'établissement des faits allégués sur la base des preuves déjà offertes; pour faire valoir de tels motifs, seules les voies de recours sont ouvertes, car la procédure de modification n'a pas pour but de corriger le premier jugement, mais de l'adapter aux circonstances nouvelles (ATF 137 III 604 consid. 4.1.1;
131 III 189 consid. 2.7.4; arrêt du Tribunal fédéral 5A_1035/2021 du 2 août 2022 consid. 3).

La modification selon l'art. 179 CC ne doit pas se substituer aux voies de droit permettant de contester une décision infondée, ni permettre de remettre librement en cause en tout temps la réglementation arrêtée. Une partie ne peut ainsi invoquer des faits antérieurs qui lui étaient connus et dont elle aurait pu se prévaloir plus tôt, voire qu'elle avait déjà tenté d'invoquer dans une procédure antérieure (Tappy, in Commentaire romand CPC, 2ème éd. 2019, n. 69b ad art. 273 CPC et les références citées).

Il appartient au requérant d'alléguer et de rendre vraisemblable le changement essentiel et durable des circonstances ou le fait que la décision de mesures protectrices reposait sur des constatations inexactes. Il doit en outre montrer que ces éléments justifient l'adaptation des mesures précédemment prononcées (Pellaton, in Commentaire pratique, Droit matrimonial, 2016, n. 29 et 38 ad art. 179 CC; Isenring/Kessler, in Basler Kommentar, ZGB I, 2022, n. 5 ad art. 179 CC).

3.1.2 Pour fixer la contribution d'entretien, le revenu de la fortune est pris en considération au même titre que le revenu provenant de l'exercice d'une activité lucrative (ATF 117 II 16 consid. 1b; arrêts du Tribunal fédéral 5A_376/2020 du 22 octobre 2020, consid. 3.3.2; 5A_690/2019 du 23 juin 2020 consid. 3.3.1 et les références; 5A_744/2019 du 7 avril 2020 consid. 3.3).

La détermination des rendements futurs de la fortune procède toujours d'une estimation (arrêts du Tribunal fédéral 5A_679/2019 du 5 juillet 2021 consid. 8.3; 5A_376/2020 du 22 octobre 2020 consid. 3.3.2; 5A_690/2019 du 23 juin 2020 consid. 3.3.2). Dans plusieurs arrêts, le Tribunal fédéral a retenu qu'un rendement de la fortune mobilière estimé à 3% l'an n'était pas arbitraire (arrêts du Tribunal fédéral 5A_959/2013 du 1er octobre 2014 consid. 5; 5A_48/2013 du 19 juillet 2013 consid. 4.1.1 et 4.2 et 5A_662/2008 du 6 février 2009 consid. 3.2). Plus récemment, il a considéré adéquat de retenir un rendement de la fortune situé entre 1,5% et 2% (arrêts du Tribunal fédéral 5A_679/2019, 5A_681/2019 du 5 juillet 2021 consid. 8; 5A_690/2019 du 23 juin 2020 consid. 3.3).

Lorsque les revenus (du travail et de la fortune) suffisent à l'entretien des conjoints, la substance de la fortune n'est normalement pas prise en considération. Dans le cas contraire, l'entretien peut, en principe, être assuré par des prélèvements dans la fortune des époux, le cas échéant même par les biens propres (ATF 138 III 289 consid. 11.1.2; 134 III 581 consid. 3.3; arrêts du Tribunal fédéral 5A_405/2019 du 24 février 2020 consid. 4.1; 5A_608/2019 du 16 janvier 2020 consid. 4.2.1).

Suivant la fonction et la composition de la fortune des époux, l'on peut ainsi attendre du débiteur d'aliments - comme du crédirentier - qu'il en entame la substance. Si celle-ci est en particulier accumulée dans un but de prévoyance pour la vieillesse, il est justifié de l'utiliser pour assurer l'entretien des époux après leur retraite alors que tel ne serait en principe pas le cas lorsque les biens patrimoniaux ne sont pas aisément réalisables, qu'ils ont été acquis par succession ou investis dans la maison d'habitation (ATF 129 III 7 consid. 3.1.2; arrêt du Tribunal fédéral 5A_170/2016 précité ibid. et les arrêts cités). Savoir si et dans quelle mesure il peut être exigé du débirentier qu'il entame sa fortune pour assurer l'entretien courant doit être apprécié au regard des circonstances concrètes (arrêts du Tribunal fédéral 5A_608/2019 du 16 janvier 2020 consid. 4.2.1; 5A_170/2016 du 1er septembre 2016 consid. 4.3.5).

Pour respecter le principe d'égalité entre les époux, l'on ne saurait cependant exiger d'un conjoint qu'il entame sa fortune pour assurer l'entretien courant que si l'on impose à l'autre d'en faire autant, à moins qu'il n'en soit dépourvu (arrêts du Tribunal fédéral 5A_608/2019 du 16 janvier 2020 consid. 4.2.1 et 5A_524/2017 du 9 octobre 2017 consid. 5.1.3).

3.2 En l'espèce, la requête en modification se fonde sur la nouvelle situation de l'intimé à la suite du décès de sa mère. Bien que la requête soit succincte et peu motivée, l'on comprend néanmoins de par la procédure et de la position adoptée par l'appelante depuis l'arrêt de renvoi que les motifs invoqués à l'appui de sa requête en modification se rapportent aux revenus supplémentaires que percevrait désormais l'intimé, résultant des biens acquis par succession, soit en particulier les revenus locatifs provenant des immeubles situés à C______ qu'il détient désormais en pleine propriété. L'appelante l'a d'ailleurs clairement indiqué lors de l'audience du 9 février 2024.

La question des revenus locatifs fait précisément l'objet de la décision de renvoi de la Cour du 19 janvier 2023 et donne lieu actuellement à une instruction complémentaire dans le cadre du litige au fond. Il revient, en effet, au juge du fond de statuer sur les requêtes en production de pièces requises de part et d'autre et sur la suite de la procédure, comme cela ressort du procès-verbal d'audience du 9 février 2024. Si un certain temps s'est certes écoulé depuis la décision de renvoi, force est de constater que cela provient, entre autres, des multiples écritures spontanées sur faits nouveaux déposées par les parties.

A ce stade de la procédure, la situation n'est pas encore établie. Les pièces et éléments figurant au dossier ne permettent pas, en l'état, de retenir, même au degré de la simple vraisemblance, une éventuelle hausse des revenus de l'intimé ou l’existence d’une fortune dont il pourrait librement disposer. S'il apparaît certes que ce dernier a acquis en pleine propriété une fortune brute totale de plusieurs millions de francs, il apparaît également vraisemblable que celle-ci est pour l'essentiel immobilisée et grevée de dettes de même ampleur, voire supérieures, qu’il conviendra d’investiguer.

En particulier, il ressort des documents fiscaux que la fortune de l'intimé est composée d'une fortune mobilière brute comprenant principalement un crédit de construction (5'188'123 fr.) et d'une fortune immobilière brute de 3'055'932 fr., comprenant essentiellement les deux immeubles situés à C______, grevée d'une dette hypothécaire de 8'560'000 fr. (état au 31.12.2023). Contrairement à l'avis de l'appelante, on ne peut se fonder uniquement sur les actifs de l'intimé, sans tenir compte de leur nature non liquide et de l'état des passifs.

S'agissant des revenus locatifs, il apparait également vraisemblable à teneur des documents fiscaux que les frais d'entretien ont été supérieurs aux revenus locatifs perçus durant ces deux dernières années concernant l'immeuble en rénovation. S'agissant de l'immeuble en construction, aucun revenu locatif ne peut en l'état être retenu puisque la construction est encore en cours.

Par ailleurs, l'intimé semble avoir acquis ces immeubles par succession alors que ceux-ci étaient déjà en cours de construction et rénovation, dans la mesure où la demande de préavis et l'avant-projet datent du 31 juillet 2017 et que les travaux d'envergure découlant de ces projets vont prochainement arriver à leur terme, devant se terminer, selon les déclarations de l'intimé, courant 2025.

Partant, il paraît à ce stade vraisemblable que les biens acquis par succession par l'intimé ne lui procurent pas (encore) de revenus supplémentaires. Au stade des mesures provisionnelles, il ne se justifie pas d'examiner la question d'un éventuel revenu hypothétique calculé sur le rendement de la fortune de l'intimé, ni a fortiori de lui en imputer un.

A défaut de tout autre grief, document ou explication relatif à la composition de la fortune de l'intimé, la requête en modification s'avère prématurée et doit en l'état être rejetée. Il appartiendra au juge du divorce de poursuivre sans délai son instruction sur cette question afin de déterminer les éléments de fortune des parties et l'éventualité de les mettre à contribution pour l'entretien de la famille, ce qui dépasse le cadre des mesures provisionnelles.

Pour sa part, l'appelante ne rend pas vraisemblable la nécessité de modifier la contribution d'entretien servie à titre provisionnel. Si elle allègue certes d'une manière toute générale une situation financière difficile, elle ne chiffre ni ses revenus ni ses charges. Seule une faible partie d'entre eux peuvent être déduits du dossier. Les quelques pièces versées lors de l'audience du 9 février 2024 ou en cours de procédure ne sont en effet pas exhaustives, ne permettent pas de justifier la contribution de 7'000 fr. réclamée et ne se rapportent à aucun allégué. Le budget sur lequel elle se fonde, établi par ses soins, n'est que partiellement corroboré. Il n'est ainsi pas rendu vraisemblable que ses charges ne seraient pas couvertes le temps de la procédure.

En définitive, les changements intervenus dans la situation de l'intimé ne justifient pas, en l'état, l'adaptation des mesures précédemment prononcées, étant ici rappelé que cet aspect du litige est actuellement en cours d'instruction au fond et qu'il conviendra d'en tenir compte dans la décision finale.

Infondé, l'appel sera rejeté et l'ordonnance entreprise confirmée.

4. Les frais judiciaires de la procédure d'appel seront fixés à 800 fr. (art. 31 et 37 RTFMC), mis à la charge de l’appelante, qui succombe et entièrement compensés avec l'avance de même montant, laquelle demeure acquise à l'Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

L’appelante sera en outre condamnée à verser à l’intimé la somme de 1'000 fr., débours et TVA compris, à titre de dépens d’appel.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

A la forme :

Déclare recevable l'appel interjeté le 19 avril 2024 par A______ contre l'ordonnance OTPI/233/2024 rendue le 11 avril 2024 par le Tribunal de première instance dans la cause C/6445/2020.

Au fond :

Confirme cette ordonnance.

Déboute les parties de toutes autres conclusions.

Sur les frais d'appel :

Arrête les frais judiciaires d'appel à 800 fr., les met à la charge de A______ et dit qu'ils sont entièrement compensés par l'avance de frais fournie, qui reste acquise à l’Etat de Genève.

Condamne A______ à verser à B______ la somme de 1'000 fr. à titre de dépens d’appel.

Siégeant :

Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, président; Madame Pauline ERARD, Madame Paola CAMPOMAGNANI, juges; Madame Camille LESTEVEN, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 72 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF) par-devant le Tribunal fédéral par la voie du recours en matière civile.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.

 

Valeur litigieuse des conclusions pécuniaires au sens de la LTF supérieure ou égale à 30'000 fr.