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Décisions | Chambre civile

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C/6795/2021

ACJC/1316/2024 du 22.10.2024 sur ORTPI/242/2024 ( OO ) , IRRECEVABLE

Normes : CPC.319.letb.ch1; LTF.93.al1
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

C/6795/2021 ACJC/1315/2024
ACJC/1316/2024

ARRÊT

DE LA COUR DE JUSTICE

Chambre civile

DU MARDI 22 OCTOBRE 2024

 

Entre

1) Monsieur A______, domicilié ______, Liban,

2) Madame B______, domiciliée ______, Liban, appelants d'ordonnances rendues par la 9ème Chambre du Tribunal de première instance de ce canton le 26 février 2024, tous deux représentés par Me Thomas GOOSSENS, avocat, Chabrier Avocats Sàrl, rue du Rhône 40, case postale 1363, 1211 Genève 1,

et

3) C______ (SUISSE) SA, sise ______ [GE], intimée, représentée par
Me Frédérique BENSAHEL, avocate, FBT Avocats SA, rue du 31-Décembre 47, case postale 6120, 1211 Genève 6.



EN FAIT

A.           a. Le 7 octobre 2021, A______ et B______, domiciliés au Liban, ont saisi le Tribunal de première instance (ci-après : le Tribunal) d’une demande en paiement dirigée contre [la banque] C______ (SUISSE) SA (ci-après : C______ ou la banque), avec siège à Genève. Le dépôt de cette demande faisait suite à l’échec de la tentative de conciliation du 14 juin 2021 et à la délivrance de l’autorisation de procéder.

Les époux A______/B______ ont conclu à la condamnation de C______ à leur payer, conjointement et solidairement, divers montants en USD et en EUR, pour une valeur litigieuse de 1'848'934 fr. 43, avec suite de frais. Ils ont allégué, à l’appui de leur demande, que C______, dont ils étaient les clients, avait effectué pour leur compte de nombreux placements fiduciaires auprès de deux banques libanaises, soit C______ SAL et banque D______ et ce entre les mois d’août 2018 et septembre 2019. A compter du mois d’août 2019, le Liban avait plongé dans une grave crise financière, dont les implications pour les marchés financiers ne pouvaient être ignorées de C______ et de C______ SAL, alors que, ne disposant eux-mêmes d’aucune compétence particulière en matière bancaire et financière, ils n’en avaient aucune connaissance. A______ exerçait en effet la profession d’architecte, son épouse étant femme au foyer. Le 28 août 2019, le dépôt fiduciaire de USD 1'784'000 auprès de C______ SAL avait été renouvelé pour une durée de trois mois, au taux de 5,5%; parallèlement, un dernier placement fiduciaire de EUR 658'000 avait été effectué par C______ auprès de la banque D______ pour la période du 30 août au 2 octobre 2019, au taux de 3%. Puis, ce dépôt avait été transféré, à hauteur de EUR 660'000, auprès de C______ SAL, sur les conseils de C______, au taux de 4%, pour une durée d’un mois dès le 2 octobre 2019. A l’échéance du prêt fiduciaire en EUR, soit le 4 novembre 2019, aucun remboursement n’était intervenu. Le dépôt fiduciaire en USD n’avait pas non plus été remboursé à son échéance du 29 novembre 2019. C______ avait ensuite imposé aux époux A______/B______, selon ces derniers, un échelonnement des dépôts en EUR et en USD, de sorte que de nouveaux placements fiduciaires avaient été effectués. C______ n’avait toutefois, à nouveau, pas respecté les échéances de remboursement. Par courrier du 22 mai 2020 de C______ SAL, les époux A______/B______ avaient été informés de ce que leurs dépôts fiduciaires ne pouvaient être transférés en dehors du Liban et qu’ils seraient remboursés exclusivement dans ce pays. En substance, les époux A______/B______ ont fait grief à C______ d’avoir violé ses obligations de diligence et de fidélité, tant en relation avec les placements en EUR qu’en USD.

b. Dans sa réponse du 14 février 2022, C______ a conclu au déboutement des époux A______/B______ de leurs conclusions, avec suite de frais.

C______ a admis que la situation économique et politique au Liban s’était dégradée dans le courant de l’année 2019. Informés de cette situation, mais confiants dans la capacité du Liban à rebondir, les époux A______/B______ avaient souhaité poursuivre leurs placements auprès de C______ SAL, dont ils connaissaient la solidité financière. Puis, le 17 octobre 2019, alors que les placements fiduciaires des époux n’étaient pas encore arrivés à échéance, l’annonce d’une nouvelle taxe par le gouvernement libanais avait déclenché un soulèvement populaire imprévisible et sans précédent, qui avait empêché un redressement de la situation et plongé le Liban dans un crise économique, politique, monétaire, fiscale et sociale inédite. Cet événement avait conduit à la fermeture du système bancaire pendant deux semaines et à la mise en place, dès le 1er novembre 2019, de restrictions sur le transfert de capitaux vers l’étranger. Ces restrictions avaient rendu impossible le rapatriement des derniers dépôts fiduciaires de EUR 660'000 et USD 1'784'000 instruits par les époux A______/B______ auprès de C______ SAL, qui étaient venus à échéance les 4 et 29 novembre 2019. C______ contestait tout manquement à ses obligations d’agent fiduciaire.

c. Les époux A______/B______ ont répliqué, persistant dans leurs conclusions.

C______ a dupliqué, persistant dans les siennes.

d. Le Tribunal a tenu une audience le 16 novembre 2022, au terme de laquelle la suite de la procédure a été réservée.

e. Par ordonnance ORTPI/326/2023 du 17 mars 2023, le Tribunal a ordonné l’audition des témoins E______ et F______, un délai de 30 jours dès la notification de l’ordonnance étant imparti aux parties pour fournir les questions à poser auxdits témoins en vue de l’exécution d’une commission rogatoire internationale au Liban; le Tribunal a par ailleurs ordonné l’interrogatoire des époux A______/B______, également par commission rogatoire, un délai de 60 jours étant imparti aux parties pour fournir les questions à poser aux époux, en vue de l’exécution d’une commission rogatoire internationale (chiffre 7 du dispositif); le Tribunal a en outre ordonné l’interrogatoire de C______, en la personne de G______, et ordonné une expertise devant porter sur un allégué de la demande et plusieurs allégués de la réponse, un délai de 60 jours étant imparti aux parties afin de présenter des propositions portant sur la personne de l’expert et formuler leurs questions à celui-ci.

Cette ordonnance a été reçue le 20 mars 2023 par toutes les parties.

f. Ladite ordonnance a donné lieu à de nombreux échanges de correspondance entre les parties et le Tribunal.

Ainsi et notamment, les époux A______/B______ ont demandé, par pli du 29 mars 2023 adressé au Tribunal, à être entendus à Genève et non par commission rogatoire, ce qui a, in fine, conduit le Tribunal à modifier son ordonnance du 17 mars 2023 sur ce point par nouvelle ordonnance ORTPI/238/2024 du 26 février 2024.

C______, opposée à la modification de l’ordonnance du 17 mars 2023, a sollicité, par courrier du 26 avril 2023, un délai au 7 juillet 2023 pour fournir les questions à poser aux témoins et aux époux A______/B______, ainsi que pour présenter des propositions portant sur la personne de l’expert et formuler des questions à son attention. Le 2 mai 2023, le Tribunal a accordé la prolongation demandée par un « n’empêche » apposé sur le courrier du 26 avril 2023.

Par courrier du 4 mai 2023, les époux A______/B______ ont indiqué au Tribunal, en se référant à « l’ordonnance de preuve du 17 mars 2023 impartissant aux parties un délai de 30 jours pour fournir leurs questions à F______ et E______ » et « dans le délai imparti », qu’ils n’avaient aucune question à poser à ces derniers.

Par courrier du 4 juillet 2023, C______ a sollicité du Tribunal une nouvelle prolongation de 20 jours du délai déjà prolongé au 7 juillet 2023, « à compter de la détermination du Tribunal sur la requête des demandeurs du 29 mars 2023 visant à la modification du chiffre 7 du dispositif de l’ordonnance de preuve du 17 mars 2023 et à leur audition par comparution personnelle », ne souhaitant pas que les questions qu’elle entendait poser aux époux A______/B______ leur soient soumises si d’aventure le Tribunal devait décider de les entendre à Genève. Le Tribunal a donné une suite favorable à cette requête par « n’empêche » du 5 juillet 2023.

Par pli du 7 juillet 2023, les époux A______/B______, se référant à l’ordonnance du 17 mars 2023 et aux délais « prolongés au 7 juillet 2023 », ont proposé au Tribunal la désignation de l’un des experts suivants; H______ (I______ [GE]), J______ (Liban) ou Dr K______ (Liban). Ils ont par ailleurs fourni une liste de dix-huit questions à l’attention de l’expert à désigner.

Le 28 août 2023, C______ a soumis au Tribunal ses conclusions sur commission rogatoire en vue de l’audition des demandeurs, ses conclusions sur commission rogatoire en vue de l’audition des témoins, ainsi que ses conclusions avant expertise, proposant la désignation du Dr L______ (Liban) en qualité d’expert. C______ a par ailleurs relevé que les époux A______/B______ n’avaient pas sollicité du Tribunal la prolongation des délais qui leur avaient été impartis, de sorte que leur écriture du 7 juillet 2023 était tardive, car présentée hors des délais fixés par l’ordonnance du 23 mars 2023; ladite écriture devait par conséquent être déclarée irrecevable.

Selon ce qui ressort de la procédure, copie de l’écriture de C______ du 28 août 2023 a été transmise aux époux A______/B______ par pli du Tribunal du 12 septembre 2023.

g. Le 13 octobre 2023 s’est tenue devant le Tribunal une audience de débats d’instruction. Les déclarations des conseils des parties ont porté sur les questions relatives au respect des délais fixés par le Tribunal, ainsi que sur la demande des époux A______/B______ d’être entendus à Genève et non par commission rogatoire. Il ne ressort pas du procès-verbal de l’audience que les conseils de ces derniers se sont exprimés sur les propositions d’experts formulées par C______ ou sur les questions qu’ils souhaitaient poser à l’expert qui serait désigné. Les conseils de C______ pour leur part ont requis de pouvoir se déterminer, pour le cas où le Tribunal admettrait la recevabilité des propositions d’experts et des questions formulées par les époux A______/B______.

Au terme de l’audience, le Tribunal a réservé la suite de la procédure.

B.            a. Par ordonnance ORTPI/239/2024 du 26 février 2024 (ci-après également : l’ordonnance 239), le Tribunal a déclaré irrecevable l’acte formé le 28 août 2023 (sic) par les époux A______/B______ portant sur une proposition d’expert et des questions à celui-ci (chiffre 1 du dispositif), désigné en qualité d’expert L______ sur l’allégué 109 de la demande et sur les allégués de la réponse 105, 112, 126, 127 en tant qu’il vise les « acteurs du marché », 129, 131, 135, 143, 144, 147 et 149 (ch. 2), dit que l’expertise sera mise en œuvre par la voie de l’entraide judiciaire internationale en matière civile (ch. 3), arrêté l’avance provisoire des frais d’expertise à 1'500 fr., sans préjudice de l’avance des frais de traduction (ch. 4), imparti aux époux A______/B______ un délai de 30 jours à compter de la notification de l’ordonnance pour payer solidairement une avance de frais de 750 fr. (ch. 5) et imparti à C______ le même délai pour payer une avance de frais de 750 fr. (ch. 6).

En substance, le Tribunal a considéré que l’acte du 28 août 2023 (sic) des époux A______/B______ était tardif, ceux-ci ne pouvant pas profiter de la prolongation du délai accordée à leur partie adverse, alors qu’ils n’avaient pas eux-mêmes sollicité une telle prolongation. L’expertise ordonnée devait porter sur la situation politique, économique et financière prévalant au Liban durant les années 2018 et 2019. C______ avait proposé le Dr L______ en qualité d’expert. Au vu de ses titres académiques (doyen de la faculté M______ à l’Université N______ de Beyrouth, Bachelor en sciences économiques et gestion, MBA, doctorat en ______), il disposait des connaissances spécifiques pour mener à bien l’expertise relative à l’objet des allégués précités.

b. Par acte notifié aux parties le 11 mars 2024, le Tribunal a rectifié le chiffre 1 de son ordonnance du 26 février 2024 en ce sens qu’il a déclaré irrecevable l’acte formé le 7 juillet 2023 (et non le 28 août 2023) par A______ et B______ portant sur une proposition d’expert et des questions à celui-ci.

c. Par ordonnance ORTPI/242/2024 du 26 février 2024 (ci-après également : l’ordonnance 242), le Tribunal a décerné une commission rogatoire internationale à l’autorité compétente du Liban (lettre A), qu’il a invitée à procéder à l’audition, en qualité de témoins, de E______ et F______ (lettre B). Le Tribunal a dressé une liste de 21 questions devant être posées à E______ (lettre C) et de 20 questions devant être posées à F______ (lettre D) et a invité l’autorité judiciaire compétente du Liban à informer le Tribunal de la date, de l’heure et du lieu de l’audition des deux témoins (lettre E).

L’exposé des faits de la cause contient la phrase suivante : « Dans le cadre de la crise économique et financière qui sévissait au Liban en 2019, une restriction du transfert des devises du Liban vers l’étranger a été instaurée ».

Les questions destinées aux deux témoins portent notamment sur, s’agissant de E______ : ses liens de parenté ou d’alliance avec les époux A______/B______, ses liens avec C______ et C______ SAL, ses fonctions au sein de cette dernière, ses connaissances en matière d’investissements financiers, en particulier de placements fiduciaires, sa connaissance, en 2019, de la situation des banques libanaises, le témoin devant être invité à décrire cette situation, sa connaissance des placements effectués par les époux A______/B______ et les éventuelles informations données à ces derniers ; s’agissant de F______ : ses liens de parenté ou d’alliance avec les époux A______/B______, ses liens avec C______ et C______ SAL, était-il auditeur de C______ SAL, avait-il une bonne connaissance de la place bancaire et financière du Liban, sait-il si les époux A______/B______ ont fait des placements fiduciaires auprès de C______ SAL et les aurait-il informés si C______ SAL avait fait face à des difficultés financières de nature à mettre en péril leurs placements fiduciaires.

C.           a. Le 8 mars 2024, A______ et B______ ont formé recours contre l’ordonnance ORTPI/239/2024 du 26 février 2024, reçue le lendemain, concluant à son annulation et à ce que leur acte du 7 juillet 2023 par lequel ils avaient présenté leurs propositions d’expert et formulé des questions à celui-ci soit déclaré recevable. Cela fait, ils ont conclu au renvoi de la cause au Tribunal pour nouvelle décision sur l’expertise. Subsidiairement, ils ont conclu à l’annulation de l’ordonnance attaquée et au renvoi de la cause au Tribunal. Dans toutes les hypothèses, les frais judiciaires devaient être laissés à la charge de l’Etat et C______ condamnée aux dépens.

Les recourants ont par ailleurs sollicité l’octroi de l’effet suspensif.

Concernant la recevabilité de leur recours, les recourants ont soutenu qu’un préjudice difficilement réparable devait être admis dans le cas d’une ordonnance de preuve admettant l’audition de plusieurs témoins par voie de commission rogatoire dans un pays réputé pour sa lenteur en matière d’entraide. Il en allait de même en cas d’expertises particulièrement coûteuses, devant prendre un temps particulièrement long. Les recourants se sont en particulier référés aux arrêts du Tribunal fédéral 4A_480/219 du 30 octobre 2019 et 5A_286/2019 du 10 septembre 2019. Ils ont également allégué que l’exécution d’une commission rogatoire au Liban risquait de s’avérer difficile.

En outre, lorsque le droit d’être entendu des parties était violé en raison d’une ordonnance de preuve ne satisfaisant pas aux exigences de l’art. 154 CPC, par exemple parce qu’elle était imprécise, peu claire ou incorrecte, au point qu’un jugement entaché de vices serait annulé, la doctrine estimait que l’ordonnance de preuves devait également être annulée. Dans le cas d’espèce, c’était à tort que le Tribunal avait déclaré irrecevable leur écriture du 7 juillet 2023, de sorte que leur droit d’être entendus avait été violé. Ils ont en outre allégué une violation du principe de la bonne foi et de l’interdiction du formalisme excessif. Le Tribunal ne leur avait par ailleurs pas donné la possibilité de se déterminer sur la proposition d’expert formulée par leur partie adverse, ce qui constituait également une violation de leur droit d’être entendus. Par ailleurs, le fait d’attendre la décision au fond du Tribunal pour attaquer l’ordonnance litigieuse leur ferait subir un préjudice difficilement réparable. En effet, compte tenu de la complexité du litige, la décision finale du Tribunal n’allait intervenir que dans un futur lointain, dans la mesure où l’administration des preuves nécessitait notamment une entraide judiciaire dans un pays lointain, dans lequel l’obtention de preuves était qualifiée de « difficile » par la Confédération. Si les recourants devaient obtenir gain de cause contre le jugement final, cela rendrait nécessaire une seconde procédure d’entraide. Un tel procédé serait contraire aux principes de célérité et d’économie de procédure. Les recourants ont également fait valoir le fait qu’ils sont « âgés », sans fournir toutefois d’indication sur leur âge ni sur leur état de santé.

Sur le fond, les recourants ont repris leur argumentation développée au sujet de la recevabilité de leur recours concernant la question de la prise en considération de leurs écritures du 7 juillet 2023. Ils ont également soutenu que les prolongations de délais accordées par le Tribunal devaient valoir pour toutes les parties. En procédant par un « n’empêche », le Tribunal avait suscité la confiance des recourants dans leur compréhension que le délai était prolongé pour toutes les parties. C’était d’ailleurs ainsi que l’avait compris l’intimée, puisqu’elle avait indiqué ce qui suit, dans sa demande de prolongation du 4 juillet 2023 : « Nous nous référons à votre « n’empêche » du 2 mai 2023 prolongeant au 7 juillet prochain le délai fixé aux parties pour communiquer les questions à poser aux témoins et aux demandeurs… ». Le fait d’admettre une prolongation des délais uniquement pour la citée constituerait ainsi une violation du respect du principe de l’égalité des armes.

Quoiqu’il en soit, les recourants auraient dû avoir la possibilité de s’exprimer sur les experts proposés par leur partie adverse et les questions qu’elle souhaitait soumettre à l’expert désigné. Or, tel n’avait pas été le cas, les parties n’ayant pas été invitées à s’exprimer sur ces questions lors de l’audience du 13 octobre 2023. Leur droit d’être entendus avait par conséquent été violé, ce qui devait conduire à l’annulation de l’ordonnance attaquée et au renvoi de la cause au Tribunal.

b. Par arrêt ACJC/402/2024 du 26 mars 2024, la Cour a admis la requête des recourants tendant à suspendre le caractère exécutoire de l’ordonnance attaquée et dit qu’il serait statué sur les frais judiciaires et les dépens de la décision dans l’arrêt au fond.

c. Dans sa réponse du 15 avril 2024, C______ a conclu à l’irrecevabilité du recours faute de dommage difficilement réparable, subsidiairement à la confirmation de l’ordonnance attaquée, avec suite de frais à la charge de leurs parties adverses.

d. Les recourants ont répliqué le 24 avril 2024, persistant dans leurs conclusions.

e. C______ a dupliqué le 10 mai 2024, persistant dans les siennes.

f. Par avis du greffe de la Cour du 28 mai 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

D. a. Le 6 mai 2024, A______ et B______ ont formé recours contre l’ordonnance ORTPI/242/2024 du 26 février 2024, reçue le lendemain, concluant à sa modification, en ce sens que la phrase « Dans le cadre de la crise économique et financière qui sévissait au Liban en 2019, une restriction du transfert des devises du Liban vers l’étranger a été instaurée » devait être supprimée (conclusion n. 3). Subsidiairement, les recourants ont conclu à l’annulation de l’ordonnance attaquée (conclusion n. 4) et au renvoi de la cause au Tribunal pour modification de celle-ci dans le sens des considérants (conclusions n. 5). Les frais judiciaires devaient être laissés à la charge de l’Etat et C______ condamnée aux dépens.

A titre préalable, les recourants ont sollicité l’octroi de l’effet suspensif.

S’agissant de la recevabilité de leur recours, les recourants ont repris l’argumentation développée dans celui dirigé contre l’ordonnance ORTPI/239/2024 du 26 février 2024. Ils ont également soutenu que les déclarations des témoins risquaient d’être altérées par la phrase, contestée, contenue dans l’ordonnance 242. Or, l’altération, même potentielle, des déclarations des témoins contrevenait directement à leur droit d’être entendus, dès lors qu’eux-mêmes contestaient l’existence de toute restriction aux transferts de devises au Liban. Par ailleurs, les faits retenus par le Tribunal dans l’ordonnance attaquée, résultant d’une appréciation anticipée des preuves, aurait pour effet de figer toute appréciation subséquente au terme de l’administration des autres moyens de preuve admis par le même Tribunal.

Sur le fond, ils ont rappelé que l’existence, ou non, d’une restriction au transfert de capitaux du Liban vers l’étranger était largement débattue dans la procédure et demeurait un fait crucial à déterminer par le Tribunal. Or, ce dernier avait affirmé qu’une telle restriction existait, sans utiliser le conditionnel ni mentionner qu’il s’agissait d’un allégué de la banque, ce qui renforçait le sentiment de fait constaté par le Tribunal. Ainsi, en tenant pour établi un fait pourtant contesté et débattu par les parties, le Tribunal avait procédé à une appréciation anticipée des preuves de manière illicite, violant le droit d’être entendus des recourants.

b. Par arrêt ACJC/611/2024 du 15 mai 2024, la Cour a admis la requête des recourants tendant à suspendre le caractère exécutoire de l’ordonnance attaquée et dit qu’il serait statué sur les frais judiciaires et les dépens de la décision dans l’arrêt au fond.

c. Dans sa réponse du 21 mai 2024, C______ a conclu à ce qu’il soit pris acte de ce qu’elle acquiesçait aux conclusions n. 3, subsidiairement n. 5 prises par les recourants, avec suite de frais à la charge de ces derniers.

Tout en contestant l’argumentation développée par les recourants et notamment le risque d’un préjudice difficilement réparable, C______ a indiqué que, afin de ne pas retarder inutilement la procédure de première instance et dans la mesure où la substance de l’ordonnance querellée n’était pas susceptible d’être impactée, elle acquiesçait aux conclusions des recourants tendant à la suppression de la phrase litigieuse.

d. Par avis du greffe de la Cour du 10 juin 2024, les parties ont été informées de ce que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1. 1.1.1 Le recours est recevable contre les autres décisions et ordonnances d'instruction de première instance, dans les cas prévus par la loi (art. 319 let. b ch. 1 CPC) ou lorsqu'elles peuvent causer un préjudice difficilement réparable (art. 319 let. b ch. 2 CPC).

1.1.2 En l'espèce, l'ordonnance 239 écarte d’une part du dossier l’écriture d’une partie et désigne d’autre part un expert, tout en énumérant les allégués des parties sur lesquels celui-ci sera amené à se prononcer par la voie de l’entraide internationale en matière civile et fixe l’avance de frais; l’ordonnance 242 décerne une commission rogatoire afin d’entendre deux témoins et liste les questions à poser à ces derniers. L’ordonnance 239 peut être qualifiée « d’autre décision » en tant qu’elle a écarté une écriture du dossier et d’ordonnance d’instruction pour le surplus; l’ordonnance 242 est une ordonnance d’instruction, toutes deux entrant dans le champ d’application de l’art. 319 let. b CPC (ATF 147 III 582; Jeandin, in CR CPC, 2ème éd., 2019, n. 13ss ad art. 319 CPC).

Aucun recours n'est prévu par la loi contre de telles décisions. Il convient dès lors d'examiner si les deux ordonnances attaquées peuvent causer aux recourants un préjudice difficilement réparable (art. 319 al. 2 let. b CPC), étant relevé que le recours a été interjeté dans le délai de dix jours prévu par la loi pour les ordonnances d’instruction (art. 321 al. 2 CPC).

1.2 Par souci d’économie de procédure, les deux recours seront traités dans un seul et même arrêt.

2. 2.1.1 La notion de "préjudice difficilement réparable" est plus large que celle de "préjudice irréparable" au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF (138 III 378 consid. 6.3; 137 III 380 consid. 2, in SJ 2012 I 73).

La notion de préjudice difficilement réparable, condition de recevabilité du recours contre une décision ou une ordonnance d'instruction (art. 319 let. b ch. 2 CPC), doit être distinguée des notions de préjudice difficilement réparable au sens des art. 261 al. 1 let. b et 315 al. 5 CPC. Dans ces derniers cas, le dommage est principalement de nature factuelle; il concerne tout préjudice, patrimonial ou immatériel, et peut même résulter du seul écoulement du temps pendant le procès (ATF 138 III 378 consid. 6.3). Au sens de l'art. 319 let. b ch. 2 CPC en revanche, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constitue pas un préjudice difficilement réparable (ACJC/1244/2015 du 16 octobre 2015 consid. 3.1, ACJC/122/2015 du 6 janvier 2015 consid. 5.1 et ACJC/1089/2014 du 12 septembre 2014 consid. 1.1.1).

Le préjudice sera ainsi considéré comme difficilement réparable s'il ne peut pas être supprimé ou seulement partiellement, même dans l'hypothèse d'une décision finale favorable au recourant (Reich, in Schweizerische Zivilprozessordnung [ZPO], Baker &McKenzie [éd.], 2010, n. 8 ad art. 319 CPC).

Il appartient au recourant d'alléguer et d'établir la possibilité que la décision incidente critiquée lui causerait un préjudice difficilement réparable, à moins que cela ne fasse d'emblée aucun doute (par analogie : ATF 134 III 426 consid. 1.2 et 133 III 629 consid. 2.3.1).

Si la condition du préjudice difficilement réparable n'est pas remplie, la partie doit attaquer l'ordonnance avec la décision finale sur le fond (ACJC/327/2012 du 9 mars 2012 consid. 2.4 et les réf. citées; Message du Conseil fédéral relatif au CPC, FF 2006 6841, p. 6984, Oberhammer, in Kurzkommentar, Schweizerische Zivilprozessordnung ZPO, 2010, n. 13 ad art. 319 CPC; Blickenstorfer, op. cit., n. 40 ad art. 319 CPC).

Le seul fait que le recourant ne puisse se plaindre d'une violation des dispositions en matière de preuve qu'à l'occasion d'un appel sur le fond ne saurait être considéré comme suffisant pour retenir que la décision entreprise est susceptible de lui causer un préjudice difficilement réparable. Retenir le contraire équivaudrait à permettre à un plaideur de contester immédiatement toute ordonnance d'instruction pouvant avoir un effet sur le sort de la cause, ce que le législateur a justement voulu éviter (ACJC/35/2014 du 10 janvier 2014 consid. 1.2.1).

2.1.2 Les autres décisions préjudicielles et incidentes notifiées séparément peuvent faire l’objet d’un recours : a. si elles peuvent causer un préjudice irréparable; b. si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 LTF).

Selon la jurisprudence, le préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF doit être de nature juridique et non susceptible d’être ensuite totalement réparé par une décision finale favorable au recourant. Un dommage économique de pur fait, tel un inconvénient résultant d’un accroissement de la durée et des frais de la procédure, est insuffisant (…). En principe, les décisions relatives à l’administration des preuves ne sont pas de nature à causer un préjudice irréparable, puisqu’il est normalement possible, en recourant contre la décision finale, d’obtenir l’administration de la preuve refusée à tort ou d’obtenir que la preuve administrée à tort soit écartée du dossier. La règle comporte des exceptions, notamment lorsque le moyen de preuve refusé risque de disparaître ou qu’une partie est astreinte à produire des pièces susceptibles de porter atteinte à ses secrets d’affaires ou à ceux de tiers, sans que le tribunal n’ait pris des mesures aptes à les protéger.

Les deux conditions requises par l’art. 93 al. 1 let. b LTF sont cumulatives (…). Tout complément d’instruction entraîne nécessairement des frais et un prolongement de la procédure; cela ne suffit pas pour ouvrir le recours immédiat. Encore faut-il que la procédure probatoire, par sa durée et son coût, s’écarte notablement des procès habituels. Si l’administration des preuves doit se limiter à entendre les parties, à leur permettre de produire des pièces et à procéder à l’interrogatoire de quelques témoins, un recours immédiat n’est pas justifié. Il en va différemment s’il faut envisager une expertise complexe, plusieurs expertises, l’audition de très nombreux témoins ou l’envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains (arrêt du Tribunal fédéral 4A_480/2019 du 30 octobre 2019).

2.2 En l’espèce, les recourants ont conclu à l’annulation de l’ordonnance 239, leur écriture du 7 juillet 2023 devant être déclarée recevable et la cause renvoyée au Tribunal pour nouvelle décision sur l’expertise; en ce qui concerne l’ordonnance 242, ils ont conclu à la suppression d’une phrase de celle-ci, faisant partie du bref résumé des faits de la cause.

Force est toutefois de constater que les recourants ne sont pas parvenus à établir que les ordonnances attaquées, si elles étaient mises en œuvre, leur causeraient un préjudice difficilement réparable.

Les recourants ont fondé leur argumentation sur les deux arrêts du Tribunal fédéral 4A_480/2019 du 30 octobre 2019 et 5A_286/2019 du 10 septembre 2019. Une partie des considérants du premier arrêt a été reprise sous considérant 2.1.2 ci-dessus, étant relevé que le second arrêt contient le même considérant relatif à l’art. 93 al. 1 let. b LTF. Or, les recourants, tout en soutenant que l’ordonnance 239 risquait de leur causer un préjudice difficilement réparable, se sont en réalité fondés, pour le démontrer, sur l’argumentation développée par le Tribunal fédéral non pas en lien avec l’art. 93 al. 1 let. a LTF, mais avec la lettre b de cette disposition, laquelle prévoit une admission du recours si celle-ci peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Les exemples cités par le Tribunal fédéral pour illustrer la notion de procédure probatoire longue et coûteuse, soit notamment l’envoi de commissions rogatoires dans des pays lointains, ne peuvent par conséquent pas être transposés dans l’analyse du préjudice irréparable de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (applicable aux procédures devant le Tribunal fédéral) ou dans celle du préjudice difficilement réparable de l’art. 319 let. b ch. 2 CPC.

En l’espèce, les recourants auront la possibilité, si le jugement final ne devait pas leur être favorable, de contester les ordonnances litigieuses en même temps que le jugement au fond devant la Cour de justice, qui dispose d’un plein pouvoir d’examen, en faisant par conséquent valoir tous leurs moyens. Ils pourront, s’ils s’y estiment fondés, solliciter une contre-expertise et la réaudition des témoins, une simple prolongation de la procédure ou un accroissement des frais ne constituant pas, selon la jurisprudence actuelle, un préjudice difficilement réparable. Pour le surplus, les recourants, tout en mentionnant être âgés, n’ont fourni aucune indication sur leur âge ou leur état de santé, ce qui ne permet pas de tenir compte de ces éléments dans la réflexion relative à la durée de la procédure.

Le fait que l’expert et les témoins à auditionner soient domiciliés au Liban n’est pas non plus de nature à modifier cette analyse. Selon les informations figurant sur le site de la Confédération, actualisées au 19 décembre 2023, sous la rubrique « Entraide judiciaire internationale RHF » (https://www.rhf.admin.ch/rhf/fr/home/ rechtshilfefuerhrer/laenderindex.html), la notification d’actes judiciaires au Liban est certes de l’ordre de 3 à 9 mois et l’obtention des preuves est qualifiée de « DIFFICILE ». Il appartiendra toutefois au Tribunal, compte tenu notamment de la situation particulière dans laquelle se trouve actuellement le Liban, de veiller à éviter que la procédure ne s’enlise et d’éviter un déni de justice, en renonçant, le cas échéant, à l’exécution des commissions rogatoires ordonnées. Il n’est en effet pas exclu que les deux témoins puissent être entendus à Genève et qu’un autre expert, domicilié hors du Liban, puisse être désigné si nécessaire.

Au vu de ce qui précède, les recours formés contre les ordonnances 239 et 242 seront déclarés irrecevables.

Compte tenu de cette irrecevabilité, la Cour n’entrera pas en matière sur l’acquiescement de la partie intimée à la suppression de la phrase litigieuse dans l’ordonnance 242.

3. Les frais judiciaires des deux procédures de recours, comprenant les frais relatifs aux décisions rendues sur effet suspensif, seront arrêtés à 1'800 fr. (art. 41 RTFMC), mis à la charge des recourants, conjointement et solidairement (art. 106 al. 1 CPC) et compensés avec les avances versées, qui restent acquises à l’Etat de Genève (art. 111 al. 1 CPC).

Les recourants seront en outre condamnés à verser à leur partie adverse la somme de 2'000 fr. à titre de dépens.

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PAR CES MOTIFS,
La Chambre civile :

Déclare irrecevables les recours formés par A______ et B______ contre les ordonnances ORTPI/239/2024 du 26 février 2024 et ORTPI/242/2024 du 26 février 2024 rendues par le Tribunal de première instance dans la cause C/6795/2021.

Arrête les frais judiciaires de la procédure de recours à 1'800 fr., les met conjointement et solidairement à la charge de A______ et B______ et les compense avec les avances de frais reçues, qui restent acquises à l’Etat de Genève.

Condamne A______ et B______, conjointement et solidairement, à verser à C______ (SUISSE) SA la somme de 2'000 fr. à titre de dépens.

Siégeant :

Madame Paola CAMPOMAGNANI, présidente; Monsieur Cédric-Laurent MICHEL, Madame Stéphanie MUSY, juges; Madame Sophie MARTINEZ, greffière.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière civile; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 72 à 77 et 90 ss de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110). Il connaît également des recours constitutionnels subsidiaires; la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les
art. 113 à 119 et 90 ss LTF. Dans les deux cas, le recours motivé doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué. L'art. 119 al. 1 LTF prévoit que si une partie forme un recours ordinaire et un recours constitutionnel, elle doit déposer les deux recours dans un seul mémoire.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14.