Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/768/2015

ATA/92/2016 du 02.02.2016 ( EXPLOI ) , REJETE

Descripteurs : AUTORISATION D'EXPLOITER ; CAFETIER-RESTAURATEUR ; CERTIFICAT DE CAPACITÉ ; DROIT D'ÊTRE ENTENDU ; EXPLOITANT ; HOMME DE PAILLE ; RESTAURANT
Normes : Cst.29.al2; LPA.70.al1; aLRDBH.1.leta; aLRDBH.2.al1.leta; aLRDBH.4.al1.2; aLRDBH.5.al1.letc; aLRDBH.12; aLRDBH.15.al3; aLRDBH.21.al1; aLRDBH.74.al1
Résumé : L'exploitation de tout établissement public est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter. Le bénéficiaire a l'obligation d'assurer une exploitation personnelle et effective de son établissement et il lui est formellement interdit de servir de prête-nom. Lorsque les tâches essentielles liées à la bonne marche de l'établissement sont de fait assumées par une personne ne bénéficiant pas d'une autorisation d'exploiter, l'autorité est en droit de lui infliger une sanction administrative (amende).
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/768/2015-EXPLOI ATA/92/2016

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 2 février 2016

2ème section

 

dans la cause

 

Madame A______
représentée par Me Philippe Girod, avocat

contre

SERVICE DU COMMERCE

 



EN FAIT

1. Madame A______, née le ______ 1981 à B______, au Sénégal, pays dont elle est originaire, habite à Genève au bénéfice d’une autorisation d’établissement. Sa sœur, Madame C______, née le ______ 1979 à D______, au Sénégal, vit également à Genève et est aussi titulaire d’une autorisation d’établissement.

Monsieur E______, né le ______ 1949, domicilié au ______, rue F______, est titulaire de deux autorisations d’exploiter deux cafés-restaurants sous les enseignes Le G______ et Le H______ situés respectivement au _______, rue F______, et ______, boulevard I______.

2. Le 25 octobre 2008, le restaurant La J______ – établissement sis à la rue K______, et fermé depuis –, représenté par M. E______, a signé avec Mme A______ un contrat de travail d’une durée indéterminée avec effet au 1er décembre 2008.

L’intéressée était engagée en qualité de directrice responsable de l’établissement.

3. Le 3 février 2014, M. E______ et Mme A______ ont fait inscrire au registre du commerce (ci-après : RC), comme associés disposant chacun d’une signature individuelle, une société en nom collectif ayant pour raison sociale « E______ & A______, Le H______ » et son siège à _______, boulevard I______. Le but de la société est l’exploitation du café-restaurant Le H______.

4. Le 11 avril 2014, Mme A______ a, comme titulaire ayant un droit de signature individuelle, fait inscrire au RC une entreprise individuelle sous la raison sociale « Le L______ - A______ » ayant son siège ______, rue M______, et pour but l’exploitation du café-restaurant Le L______.

5. Le 14 mai 2014, M. E______ a requis du service du commerce (ci-après : Scom) du département de la sécurité et de l’économie (ci-après : DSE) l’autorisation d’exploiter le café-restaurant Le L______, propriété de N______ Sàrl, une société à responsabilité limitée inscrite au RC le 8 avril 2010.

Il devait restituer les locaux de La J______ en juin 2014 souhaitait reprendre un nouvel établissement et le confier à Mme A______ ou le lui remettre par suite, après l’autorisation du Scom. Les deux s’étaient adressés à une agence locale qui leur avait proposé un bar fréquenté par une clientèle africaine.

6. Par décision du 30 juin 2014, le Scom a accordé l’autorisation sollicitée.

Cette autorisation était personnelle et intransmissible. Une nouvelle requête devait être déposée notamment en cas de changement de l’exploitant ou de modification de ses conditions. M. E______ avait notamment l’obligation de la gestion personnelle et effective du L______ et l’interdiction de prête-nom. Il devait aussi y assurer le maintien de l’ordre, le contrôle du personnel et le droit d’accès de l’autorité. Il devait enfin inscrire les noms de l’exploitant et l’enseigne sur le restaurant.

7. Le 14 juillet 2014, le Scom a informé Mme A______ que la commission d’examen du certificat de capacité de cafetier, restaurateur et hôtelier (ci-après : le certificat de capacité) avait validé sa réussite aux examens de la session qui s’était déroulée les 20 et 21 mai 2014.

L’intéressée était invitée à venir retirer son certificat de capacité dès le 18 août 2014.

8. Le 5 septembre 2014, la police a, suite à un contrôle effectué la veille à 17h30 au L______, dressé un rapport dénonçant le remplacement de l’exploitant par une personne non compétente et non instruite des devoirs de la fonction qui lui était confiée et l’obstruction de la gérante à un libre accès à toutes les parties et dépendances de l’établissement par l’autorité.

Elle s’était rendue de manière inopinée devant Le L______ et avait remarqué à l’intérieur de l’établissement des individus qui avaient un comportement suspect. Mme A______, qui avait déclaré être la responsable du restaurant, s’était d’abord opposée au contrôle d’identité de deux d’entre eux en faisant barrage de son corps, en gesticulant et en criant. Face à la détermination des agents, elle avait ensuite obtempéré. Les individus contrôlés avaient sur eux de la cocaïne et de la marijuana.

9. Le 10 décembre 2014, la police a, suite à un contrôle effectué le même jour à 14h08 au L______, dressé un autre rapport dénonçant le remplacement de l’exploitant par une personne non compétente et non instruite des devoirs de la fonction qui lui était confiée, l’absence de registre du personnel, de nom du propriétaire et/ou de l’exploitant sur la porte d’entrée de l’établissement.

Elle avait procédé à ce contrôle suite à plusieurs doléances des habitants du quartier. Elle avait trouvé trois individus assis à une table au fond de la salle, sous laquelle elle avait découvert un sachet contenant trente-six boulettes de cocaïne d’un poids total de 40,5 gr conditionnées pour la vente. Elle avait également découvert dans le sac à dos d’un des trois individus trois autres boulettes de cocaïne d'un poids total de 2,4 gr. Elle avait en outre trouvé dans une poubelle sous le bar de la serveuse des « doigts » de cocaïne vides utilisés pour transporter la drogue et plusieurs sachets cellophane vides destinés à emballer la drogue en petites boulettes.

La fouille des locaux avait permis de découvrir trois sachets d'un poids total de 6,5 gr de marijuana dissimulés dans le faux-plafond des toilettes de l’établissement. Un trou dissimulé par des plaques métalliques permettait de passer la main dans le plâtre du plafond.

Mme C______ s’était annoncée comme la responsable sur place. Elle n’avait rien vu concernant la présence de vendeurs de drogue dans son commerce. Interrogée au sujet des devoirs d’un exploitant d’un établissement public, elle n’était pas au courant de ses obligations.

Appelé sur place, M. E______ avait indiqué ne pas détenir un registre du personnel. Il n’était pas au courant du trafic de drogue dans son établissement. Il restait une heure environ tous les jours au L______. Son activité se limitait à effectuer des courses. Il n’avait pas formé Mme C______ à la gestion d’un établissement public. Celle-ci exerçait son activité temporairement. Elle possédait néanmoins les clés du restaurant. Le nom du propriétaire et celui de l’exploitant ne figuraient pas sur la porte d’entrée.

D’après les constatations de la police, l’établissement était dans un état d’hygiène déplorable. Un inspecteur du service de la consommation et des affaires vétérinaires, dépêché sur place, avait ouvert une procédure pour ce motif. Un officier de police de service, avisé des faits, avait ordonné la fermeture immédiate de l’établissement en y apposant des scellés, pour une durée de quatre jours.

10. Le 11 décembre 2014, le Scom a informé M. E______ de son intention de prononcer pour une durée d’un mois la fermeture du restaurant et lui a, compte tenu de l’urgence de la situation et de la gravité des faits dénoncés par la police, imparti un délai d’un jour, prolongé de trois jours suite à un entretien téléphonique avec l’intéressé, pour formuler ses observations soit oralement, soit par télécopie ou courriel.

11. Le 8 janvier 2015, le Scom a informé Mme A______ de son intention de lui infliger une amende administrative pour avoir exploité Le L______ sans avoir obtenu au préalable une autorisation d’exploiter et lui a imparti un délai au 21 janvier 2015 pour formuler ses observations par écrit.

M. E______ qui avait obtenu l’autorisation n’exploitait pas Le L______ de manière personnelle et effective et lui servait de prête-nom.

a. Selon les déclarations de ce dernier, il avait repris le restaurant dans le but de le lui remettre, celle-ci ne disposant pas d’un certificat de capacité de capacité au moment où l’autorisation d’exploiter Le L______ avait été octroyée. Elle était désignée sur la vitrine de l’établissement comme exploitante. Elle détenait les factures du restaurant à régler et le registre du personnel.

b. D’après les rapports de police établis les 5 septembre et 10 décembre 2014, l’établissement n’était en réalité pas exploité par M. E______, mais par l’intéressée.

12. Le 21 janvier 2015, Mme A______ a invité le Scom à renoncer à toute sanction, le cas échant, à fixer une amende proportionnée à la réalité des faits.

Elle travaillait avec M. E______ depuis plusieurs années. Celui-ci demeurait du reste son employeur. Ce dernier ayant accepté de lui permettre d’être active à titre indépendant au sein d’un seul commerce, elle avait débuté son activité au L______. Son envie d’être indépendante au sein de cet établissement avait pris le pas sur les diverses démarches formelles et administratives à accomplir. Elle était allée très vite en besogne en inscrivant son nom sur la porte de l’établissement. Tout était demeuré néanmoins dans le cadre de son contrat de travail. Il s’agissait d’une période transitoire vers une exploitation indépendante.

13. Par décision du 29 janvier 2015, le Scom a retiré à M. E______ l’autorisation d’exploiter Le L______, lui a infligé une amende administrative de CHF 3'500.- et l’a averti qu’en cas de nouvelle infraction son certificat de capacité serait suspendu pour une durée de six mois au moins.

14. Par décision du 2 février 2015, le Scom a infligé à Mme A______ une amende administrative de CHF 1'500.-.

Selon les contrôles de police effectués les 4 septembre et 10 décembre 2014, elle était présente au L______, et M. E______ absent. Elle s’était présentée comme la responsable de l’établissement. Elle était l’exploitante de fait du restaurant.

Les faits relatifs au trafic de drogue dénoncés par la police étaient graves. Elle avait toléré ce trafic dont elle était au courant. Lors de l’intervention du 4 septembre 2014, elle s’était opposée avec véhémence aux policiers qui souhaitaient contrôler les trafiquants de drogue se trouvant dans l’établissement. Ces faits constituaient des antécédents qui seraient pris en considération dans le cadre de l’examen de son éventuelle requête en vue d’exploiter un établissement public.

Pour le surplus, le Scom a repris le contenu de son courrier du 8 janvier 2015 et celui de la lettre de l’intéressée du 21 janvier 2015.

15. Le 23 février 2015, la raison individuelle « Le L______ – A______ » a été radiée du RC par suite de cessation de l’exploitation.

16. a. Par acte expédié le 5 mars 2015, Mme A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du Scom du 2 février 2015, en concluant préalablement à son annulation et principalement à ce qu’il soit dit que les faits qui ont donné lieu à la décision entreprise ne sauraient par avance constituer des antécédents, ou être d’ores et déjà qualifiés comme tels par l’autorité intimée, que celle-ci ne pouvait pas les verser dans son dossier en vue de l’examen de toute requête ultérieure. Elle a également conclu à ce qu’il soit renoncé à toute sanction administrative à son endroit et à toute inscription d’antécédents dans son dossier. Subsidiairement, elle a conclu à l’audition des auteurs des rapports de police des 5 septembre et 10 décembre 2014. Le recours a été enregistré sous le n° de procédure A/768/2015.

Le L______ était exploité par M. E______ à travers sa société N______ Sàrl qui prenait en charge toutes les démarches financières et administratives. Elle avait l’intention de reprendre la gestion de cet établissement, après l’obtention des autorisations nécessaires. Elle avait créé une entreprise individuelle et obtenu son certificat de capacité dans cette perspective. Seule son impatience pouvait lui être reprochée. Elle n’était pas une exploitante peu soucieuse de la légalité.

L’inscription d’antécédents dans son dossier constituait une entrave à son avenir professionnel.

b. Par acte du 2 mars 2015, M. E______ a recouru contre la décision du Scom du 29 janvier 2015 auprès de la chambre administrative. Le recours a été enregistré sous le n° de procédure A/685/2015.

Pour le surplus, elle a repris le contenu de son courrier du 21 janvier 2015.

17. Le 7 mai 2015, le Scom a préalablement conclu à la jonction des causes A/685/2015 et A/768/2015. Il a aussi sur le fond conclu au rejet du recours et à la confirmation de sa décision en cause.

Les causes susmentionnées devaient être jointes s’agissant d’éventuelles mesures d’instruction et, le cas échéant, être disjointes au moment du prononcé de l’arrêt.

L’intéressée ne contestait pas avoir assumé la fonction d’exploitante du L______. Elle ne remettait pas en cause sa gestion personnelle et effective avérée de l’établissement. Cette exploitation n’était pas transitoire, aucune démarche visant l’autorisation d’exploiter un établissement public par Mme A______ n’ayant été entreprise. Celle-ci avait exploité le restaurant dès son ouverture. Elle s’était servie de M. E______ comme prête-nom.

Pour le surplus, le Scom a repris ses arguments antérieurs.

18. Le 11 juin 2015, Mme A______ a persisté dans les termes et les conclusions de son recours. Elle a en outre requis sa propre audition au sujet notamment du trafic de drogue au L______.

19. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. La recourante a requis son audition et celle des auteurs des rapports de police des 5 septembre et 10 décembre 2014.

b. Tel que garanti par les art. 29 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), qui n’a pas de portée différente dans ce contexte, le droit d’être entendu comprend notamment le droit pour le justiciable de s'expliquer avant qu'une décision ne soit prise à son détriment, celui de fournir des preuves quant aux faits de nature à influer sur le sort de la décision (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1062/2015 du 21 décembre 2015 consid. 3.1), celui d'avoir accès au dossier, celui d'obtenir qu'il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, celui de participer à l'administration des preuves, d'en prendre connaissance et de se déterminer à leur propos (ATF 140 I 60 consid. 3.3 p. 64 ; arrêt du Tribunal fédéral 8C_702/2014 du 16 octobre 2015 consid. 4.2 ; ATA/1296/2015 du 8 décembre 2015). Il ne comprend pas le droit d'être entendu oralement ni celui d'obtenir l’audition de témoins (ATF 130 II 425 consid. 2.1 p. 428 ; ATA/311/2015 du 31 mars 2015).

Le droit de faire administrer des preuves n’empêche pas le juge de renoncer à l’administration de certaines preuves offertes et de procéder à une appréciation anticipée de ces dernières, en particulier s’il acquiert la certitude que celles-ci ne l’amèneront pas à modifier son opinion (arrêts du Tribunal fédéral 2C_235/2015 du 29 juillet 2015 consid. 5 ; 2C_1073/2014 du 28 juillet 2015 consid. 3.1) ou si le fait à établir résulte déjà des constatations ressortant du dossier (ATF 136 I 229 consid. 5.2 p. 236 ; ATA/1296/2015 précité).

c. L’audition de témoins est ordonnée lorsque les faits pertinents ne peuvent être éclaircis autrement (art. 28 al. 1 LPA).

d. En l’espèce, les parties ont eu l’occasion de s’exprimer par écrit durant la procédure, d’exposer leur point de vue et de produire les pièces qu’elles jugeaient utiles à l’appui de leurs allégués. La chambre de céans dispose d'un dossier complet et les pièces, notamment les rapports de police détaillés et précis des 5 septembre et 10 décembre 2014, qui y figurent suffisent pour trancher tous les éléments de fait pertinents. Elle renoncera par conséquent, par une appréciation anticipée des preuves, aux auditions sollicitées.

3. a. L’autorité intimée a demandé la jonction de la présente cause à celle A/685/2015 visant M. E______.

b. À teneur de l’art. 70 al. 1 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune.

Selon la jurisprudence de la chambre de céans, il n’y a pas lieu de procéder à une jonction de causes lorsque des procédures portant sur des décisions rendues par la même autorité et prises en vertu des dispositions de la même loi, visent un complexe de faits différent ou ne concernent pas les mêmes parties (ATA/961/2014 du 2 décembre 2014 ; ATA/702/2014 du 2 septembre 2014).

c. En l’espèce, les complexes de faits sur lesquels reposent les procédures A/685/2015 et A/768/2015 sont certes fondés pour l’essentiel sur les rapports de police des 5 septembre et 10 décembre 2014. Toutefois, les infractions retenues par le Scom contre les parties sont différentes. Les parties ne sont pas non plus les mêmes, puisque la cause A/685/2015 oppose M. E______ au Scom, alors que la présente cause oppose Mme A______ au Scom. Les deux causes, bien que faisant l’objet de deux décisions de la même autorité, en l’occurrence le Scom, et fondées en partie sur les mêmes dispositions légales, ne présentent pas la connexité requise à leur jonction. Il n’y a dès lors pas lieu de faire droit à la requête de l’autorité intimée.

4. a. La loi sur la restauration, le débit de boissons et l’hébergement du 17 décembre 1987 (aLRDBH - I 2 21) et son règlement d’exécution du 31 août 1988 (aRRDBH - I 2 21.01) ont été abrogés respectivement par la loi sur la restauration, le débit de boissons, l’hébergement et le divertissement du 19 mars 2015 (LRDBHD - I 2 22) et son règlement d’exécution du 28 octobre 2015 (RRDBHD - I 2 22.01), entrés en vigueur le 1er janvier 2016. L’art. 65 al. 5 RRDBHD dispose que les faits constatés avant l'entrée en vigueur de la loi se poursuivent selon le nouveau droit. Cette disposition ne contient cependant aucune indication relative à l’application du nouveau droit dans le cadre des procédures de recours.

b. En principe, le nouveau droit s’applique à toutes les situations qui interviennent depuis son entrée en vigueur. Les procédures administratives contentieuses et non contentieuses se prolongeant sur une certaine durée, il se peut qu’un changement de droit intervienne alors que la procédure est encore pendante. Se pose alors la question de savoir si le cas doit être tranché selon l’ancien droit, en vigueur au moment où la procédure s’est ouverte, ou bien selon le nouveau droit, en vigueur au moment où l’autorité statue. Concernant les autorisations faisant suite à une requête, le droit applicable est en principe celui qui est en vigueur au moment où la décision est prise, à défaut d’une disposition transitoire réglant différemment la question. Dès lors qu’une telle décision vise à régler un comportement futur, il n’y a en effet pas de raison de ne pas appliquer le droit en vigueur au moment où la légalité de ce comportement se pose (Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 132 n. 403 et p. 133 n. 410).

c. Conformément aux principes généraux posés par la jurisprudence fédérale en cas de recours contre une décision rendue sous l’ancien droit, l’autorité de recours doit appliquer l’ancien droit, sauf dans deux cas. Le premier concerne l’existence d’un intérêt public important justifiant l’application immédiate du nouveau droit entré en vigueur dans l’intervalle (arrêt du Tribunal fédéral 1P_421/2006 du 15 mai 2007 consid. 3.4.3 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 134 n. 412). Le second concrétise le principe de l’économie de procédure et exclut l’application de l’ancien droit si le nouveau droit est plus favorable au requérant (ATF 127 II 209 consid. 2b p. 211 ; ATA/317/2015 du 31 mars 2015 ; Pierre MOOR/Alexandre FLÜCKIGER/Vincent MARTENET, Droit administratif, vol. 1, 2012, p. 187 s. et p. 194 s. ; Thierry TANQUEREL, op. cit., p. 133 n. 410).

d. En l’espèce, la décision attaquée ayant été rendue sous l’ancien droit, c’est celui-ci qui sera appliqué à la présente cause, étant en outre précisé qu’aucun intérêt public important ne justifie l’application immédiate du nouveau droit et que les modifications entrées en vigueur le 1er janvier 2016 n’instaurent pas un régime plus favorable à la recourante dans le cas particulier.

5. Le litige porte sur l’amende administrative infligée à la recourante par le Scom pour avoir exploité un établissement public sans autorisation préalable en se servant d’un prête-nom.

a. L’aLRDBH régit notamment l’exploitation à titre onéreux d’établissements voués à la restauration et au débit de boissons à consommer sur place (art. 1 let. a aLRDBH). Elle a pour but d'assurer qu'aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l'ordre public, en particulier la tranquillité, la santé et la moralité publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu'en raison de sa construction, de son aménagement, de son implantation (art. 2 al. 1 let. a aLRDBH).

b. À teneur de l’art. 4 al. 1 aLRDBH, l’exploitation de tout établissement régie par cette loi est soumise à l’obtention préalable d’une autorisation d’exploiter. Celle-ci doit être requise lors de chaque création, changement de catégorie, agrandissement et transformation d’établissement, changement d’exploitant ou de propriétaire de l’établissement ou modification des conditions de l’autorisation antérieure (art. 4 al. 2 aLRDBH). Il revient au Scom de recevoir et d’instruire les requêtes et de délivrer les autorisations prévues par l’aLRDBH, de même qu’il prononce les mesures et les sanctions administratives prévues par celle-ci (art. 1 al. 2 aRRDBH).

L'autorisation d'exploiter est notamment subordonnée à la condition que le requérant soit titulaire d'un certificat de capacité (art. 5 al. 1 let. c aLRDBH). Elle est strictement personnelle et intransmissible (art. 15 al. 3 aLRDBH). L'exploitant est ainsi tenu de gérer son établissement de façon personnelle et effective (art. 21 al. 1 aLRDBH). La gestion personnelle et effective doit permettre de limiter le nombre d'établissements dont une même personne peut être exploitante (Mémorial du Grand Conseil (MGC) 1985 34/III, p. 4240). Elle consiste en la prise en charge des tâches administratives liées, d'une part, au personnel notamment pour ce qui est des engagements, des salaires, des horaires et des remplacements et, d'autre part, à la bonne marche de l'établissement s’agissant par exemple des commandes de marchandises, de fixation des prix, de composition des menus, de contrôle de la caisse et de l’inventaire (ATA/182/2006 du 28 mars 2006 ; ATA/489/2005 du 19 juillet 2005 ; ATA/664/2004 du 24 août 2004). Elle requiert la présence régulière de l’exploitant durant une grande partie des heures d’ouverture de l’établissement (ATA/182/2006 précité).

Si l’obligation de gérer son établissement de façon personnelle et effective n’interdit pas à l’exploitant de s'absenter quelques heures par jour, voire quelques jours, par exemple pendant les périodes de vacances ou de service militaire, il n'en demeure pas moins qu'il lui est formellement interdit de servir de prête-nom (art. 12 aLRDBH ; ATA/588/2000 du 26 septembre 2000 ; MGC 1985 34/III, op. cit., p. 4244 et 4248). Sert de prête-nom, au sens de la loi, l’exploitant qui ne gère pas personnellement et effectivement l’établissement pour lequel il a sollicité et obtenu une autorisation d’exploitation.

L’interdiction de prête-nom vise à prévenir l'exploitation d'établissements par des personnes qui ne répondraient pas à des conditions de capacité et d'honorabilité bien déterminées, avec tout ce que cela comporte comme risque pour le public (ATA/588/2000 précité). Les travaux préparatoires de l’aLRDBH relèvent que la loi entend protéger l'ordre public contre les perturbations que l'exploitation d'un établissement est susceptible d'engendrer et que c'est dans ce but que les dispositions visant à garantir l'exploitation personnelle et effective de l'établissement par l'exploitant autorisé ont été édictées (ATA/609/2007 du 27 novembre 2007 ; MGC 1985 34/III, op. cit., p. 4234).

c. À teneur de l’art. 74 al. 1 aLRDBH, le département peut infliger une amende administrative de CHF 100.- à CHF 60'000.-, indépendamment du prononcé de l’une des sanctions prévues aux art. 70 à 73 aLRDBH, en cas d’infraction à la présente loi et à ses dispositions d’application, ainsi qu’aux conditions particulières des autorisations qu’elles prévoient.

Les amendes administratives prévues par les législations cantonales sont de nature pénale, car aucun critère ne permet de les distinguer clairement des contraventions pour lesquelles la compétence administrative de première instance peut au demeurant aussi exister. C’est dire que la quotité de la sanction administrative doit être fixée en tenant compte des principes généraux régissant le droit pénal (ATA/346/2015 du 14 avril 2015 ; ATA/282/2015 du 17 mars 2015 ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, Les actes administratifs et leur contrôle, vol. 2, 2011, p. 160 ss ch. 1.4.5.5).

Les dispositions de la partie générale du code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) s'appliquent à titre de droit cantonal supplétif, sous réserve de celles qui concernent exclusivement le juge pénal (art. 1 let. a de la loi pénale genevoise du 17 novembre 2006 - LPG - E 4 05). Il est ainsi nécessaire que le contrevenant ait commis une faute, fût-ce sous la forme d’une simple négligence (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 6ème éd., 2010, p. 271 n. 1179). L’administration doit faire preuve de sévérité afin d’assurer le respect de la loi et jouit d’un large pouvoir d’appréciation pour infliger une amende (ATA/346/2015 précité ; ATA/282/2015 précité). La chambre de céans ne revoit une amende qu’en cas d’excès ou d'abus (ATA/134/2014 du 4 mars 2014). Sont prises en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de la proportionnalité (ATA/685/2014 du 26 août 2014 ; ATA/700/2012 du 16 octobre 2012). Enfin, l’amende doit respecter le principe de la proportionnalité (ATA/533/2010 du 4 août 2010).

L’autorité qui prononce une mesure administrative ayant le caractère d’une sanction doit également faire application des principes applicables à la fixation de la peine contenus aux art. 47 ss CP, soit tenir compte de la culpabilité de l’auteur et prendre en considération, notamment, les antécédents et la situation personnelle de ce dernier (art. 47 al. 1 CP). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP ; ATA/134/2014 précité).

d. Il y a abus du pouvoir d’appréciation lorsque l’autorité, tout en restant dans les limites du pouvoir d’appréciation qui est le sien, se fonde sur les considérations qui manquent de pertinence et sont étrangères au but visé par les dispositions légales applicables ou viole des principes généraux de droit, tels que l’interdiction de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement, le principe de la bonne foi et le principe de la proportionnalité (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 73 ; 123 V 150 consid. 2 p. 152 ; ATA/950/2014 du 2 décembre 2014).

Une décision est arbitraire au sens de l'art. 9 Cst. lorsqu’elle viole gravement une norme ou un principe juridique indiscuté ou lorsqu’elle heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité. À cet égard, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que lorsque celle-ci est manifestement insoutenable, qu’elle se trouve en contradiction claire avec la situation de fait, si elle a été adoptée sans motif objectif ou en violation d’un droit certain. L’arbitraire ne résulte pas du seul fait qu’une autre solution pourrait entrer en considération ou même qu’elle serait préférable. Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que la motivation formulée soit insoutenable, il faut encore que la décision apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 128 I 177 consid. 2.1 p. 182 ; arrêt du Tribunal fédéral 4P.149/2000 du 2 avril 2001 consid. 2 ; ATA/872/2014 du 11 novembre 2014 ; ATA/439/2014 du 17 juin 2014).

Appelée à examiner le caractère arbitraire d’une décision, la chambre de céans suit le raisonnement du Tribunal fédéral en la matière (ATA/971/2014 du 9 décembre 2014 ; ATA/117/2013 du 26 février 2013).

6. En l’occurrence, il est établi que Mme A______ était inscrite sur la porte d’entrée du L______ comme exploitante du restaurant et qu’elle était en possession des factures à payer et d’un éventuel registre du personnel lors du contrôle du 10 décembre 2014, alors qu’elle ne disposait pas d’une autorisation d’exploiter cet établissement. Ses déclarations à la police confirment en outre qu’elle était la responsable du L______. Il ressort également du rapport de police du 5 septembre 2014 qu’elle était présente lors du contrôle du 4 septembre 2014. De plus, au cours de la présente procédure, elle a admis que M. E______ ayant accepté de lui permettre d’être active à titre indépendant au sein d’un seul commerce, elle avait débuté son activité au L______. Son envie d’être indépendante au sein de cet établissement avait pris le pas sur les diverses démarches formelles et administratives à accomplir. Elle était allée très vite en besogne en inscrivant son nom sur la porte de l’établissement.

Par ailleurs, les faits résultant du dossier prouvent que M. E______ n’assumait pas les tâches essentielles liées à la bonne marche de l’établissement. Ils confirment aussi que les activités de ce dernier dans le restaurant étaient ponctuelles et marginales. Celui-ci a en effet admis dans ses déclarations du 10 décembre 2014 à la police, malgré ses dénégations ultérieures, avoir été présent au L______ pendant une heure par jour et que son activité se résumait à l’achat des marchandises. Cette présence limitée à une heure par jour et cette activité de s’occuper des commandes du restaurant ne remplissent pas les critères légaux et jurisprudentiels d’une gestion personnelle et effective d’un établissement public. L’intéressé a ainsi servi de prête-nom à la recourante qui assurait une exploitation de fait personnelle et effective du restaurant par le truchement de son entreprise individuelle « Le L______ - A______ » qu’elle avait inscrite au RC dans ce but.

Le principe d'une amende pour violation des dispositions légales applicables à l’interdiction d’exploiter un établissement public sans autorisation préalable est dès lors justifié. Compte tenu du fait que la violation de cette interdiction remonte à l’ouverture du L______, cette situation n’ayant pas été transitoire, comme le prétend la recourante, aucune démarche visant son autorisation d’exploiter un établissement public n’ayant été entreprise dès l’obtention de son certificat de capacité, la quotité de l’amende fixée à CHF 1'500.- échappe à la critique. Celle-ci paraît aussi proportionnée par rapport à la situation personnelle de la recourante, qui allègue être toujours employée de M. E______.

L'amende de CHF 1'500.- infligée par le Scom à la recourante est dès lors conforme au droit.

7. La chambre de céans n’examinera pas la question des antécédents qui seraient pris en considération par le Scom dans le cadre d’une éventuelle requête de la recourante en autorisation d’exploiter un établissement public, l’autorité intimée n’ayant intégré dans le dispositif de sa décision aucune mesure dans ce sens.

8. Ce qui précède conduit au rejet du recours.

Vu l’issue du litige, un émolument de CHF 500.- sera mis à la charge de la recourante, qui succombe (art. 87 al. 1 LPA), et aucune indemnité de procédure ne lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 5 mars 2015 par Madame A______ contre la décision du service du commerce du 2 février 2015 ;

 

au fond :

le rejette ;

met à la charge de Madame A______ un émolument de CHF 500.- ;

dit qu’il ne lui est pas alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Philippe Girod, avocat de la recourante, ainsi qu'au service du commerce.

Siégeants : M. Verniory, président, MM. Thélin et Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Husler Enz

 

le président siégeant :

 

 

J.-M. Verniory

 

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

la greffière :