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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/344/2000

ATA/588/2000 du 26.09.2000 ( JPT ) , REJETE

Descripteurs : RESTAURANT; HOMME DE PAILLE; JPT
Normes : LRDBH.4
Résumé : Prête-nom confirmé à l'encontre de celui qui, bien que présent quotidiennement dans l'établissement, ne le gère pas effectivement.
En fait
En droit

 

 

 

 

 

 

 

 

 

du 26 septembre 2000

 

 

 

dans la cause

 

 

Monsieur A__________

 

et

 

Monsieur D__________

représentés par Me Gilles Crettol, avocat

 

contre

 

 

 

 

DÉPARTEMENT DE JUSTICE ET POLICE ET DES TRANSPORTS

 



EN FAIT

 

 

1. a. Monsieur D__________, domicilié à Genève, est titulaire du certificat de capacité de cafetier depuis décembre 1991. À ce titre, le 14 octobre 1997, il a sollicité l'autorisation d'exploiter le café-restaurant à l'enseigne "Le P__________", situé __________ à Genève, propriété de Messieurs A__________ et B__________. L'établissement dispose d'une surface de 46 m2 et est fermé en fin de semaine (du samedi 2h au lundi à 8h). Il emploie quatre personnes.

 

b. Le 14 janvier 1999, le département de justice et police et des transports (ci-après: le département) a fait droit à sa demande.

 

 

2. a. Le 2 février 1998, il a également sollicité l'autorisation d'exploiter le café-restaurant à l'enseigne "T__________" (ci-après: le T__________), situé __________ à Genève, propriété de T__________ S.A.. À l'appui de sa requête, il a produit un contrat de gérance libre conclu avec la société T__________ S.A.. L'établissement occupe une surface de 67 m2 et est ouvert chaque jour dès 16h.

 

b. L'autorisation d'exploiter lui a été délivrée le 9 septembre 1998.

 

3. Le 30 mars 1998, le département a infligé à M. D__________ une amende administrative de CHF 200.- pour fermeture tardive de l'établissement "Le P__________". Lors de l'infraction, M. D__________ était remplacé par M. A__________, propriétaire des murs. L'amende a été payée le 15 avril 1998.

 

4. Le 12 janvier 1999, le département a à nouveau infligé une amende administrative à M. D__________ pour fermeture tardive, trouble de la tranquillité publique et service de boissons alcooliques à des personnes déjà en état d'ébriété. Lors de l'infraction, il était de nouveau remplacé par M. A__________. L'amende de CHF 400.- a été payée le 25 janvier 1999.

 

5. À la demande du département, les gendarmes du poste de Pécolat ont effectué des contrôles dans l'établissement "Le P__________" afin de savoir qui en assurait réellement l'exploitation. Plusieurs passages ont été effectués entre le 30 septembre et le 31 octobre 1999. Lors de leurs premiers passages, ils n'ont pas rencontré fréquemment M. D__________. Ce dernier a été entendu le 1er novembre par les gendarmes. Il a notamment précisé qu'il exploitait "Le P__________" depuis le mois de septembre 1997. Il était présent cinq jours sur sept de 12h.00 à 15h.00 et vérifiait que tout se déroulait bien. Il s'occupait également de la comptabilité et n'était pas payé pour ses activités. Cependant, il pouvait se restaurer gratuitement. Son activité au T. lui prenant le reste de son temps, il ne pouvait pas se rendre le soir au "P__________", raison pour laquelle il n'était pas dans l'établissement lors de certains contrôles de la gendarmerie.

 

Les auteurs du rapport de renseignement ont conclu de la manière suivante: "En examinant notre relevé de surveillance, nous avons effectivement remarqué que l'intéressé se trouvait présent aux heures qu'il nous a indiquées et jamais le soir. De ce fait, nous avons estimé que M. D__________ exploitait suffisamment l'établissement concerné et nous avons mis un terme au contrôle demandé".

 

6. Le 18 novembre 1999, le département a invité les agents de Pécolat à effectuer des contrôles supplémentaires auprès de l'établissement "Le P__________". Lors des passages effectués entre le 20 et le 26 novembre 1999, M. D__________ a été rencontré à plusieurs reprises en début d'après-midi.

 

Toujours dans le cadre de ce rapport de renseignement, M. A__________, propriétaire de l'établissement concerné, a été entendu. Il a déclaré qu'il s'occupait seul de l'engagement du personnel et de son instruction. Il était également responsable de la commande de marchandises. Il a également confirmé que M. D__________ était présent cinq jours par semaine de 12h à 15h, qu'il s'occupait un peu de la comptabilité et qu'il vérifiait que tout se passait bien.

 

7. Le 31 janvier 2000, le département a fait part à MM. D__________ et A__________ de sa volonté de fermer l'établissement "Le P__________", de suspendre la validité du certificat de capacité de M. D__________ et de leur infliger une amende administrative. Ces mesures étaient justifiées par les rapports de renseignement ainsi que par la surveillance mise en place par la gendarmerie durant le mois d'octobre 1999. Il était reproché à M. D__________ de ne pas avoir exploité personnellement et effectivement "Le P__________". Quant à M. A__________, il lui était reproché d'avoir exploité l'établissement sous le couvert d'un prête-nom sans être ni au bénéfice d'une autorisation d'exploiter, ni titulaire du certificat de capacité. Un délai leur était imparti pour qu'ils répondent aux griefs qui leur étaient reprochés.

 

8. Le 29 février 2000, MM. D__________ et A__________ ont fait part au département de leurs observations. Ils ont notamment précisé que la loi ne contenait aucune disposition au sujet de la présence de l'exploitant dans l'établissement. De toute façon, les rapports de la gendarmerie avaient démontré que M. D__________ était présent cinq jours par semaine. Enfin, M. D__________ exploitait deux établissements et devait donc répartir son temps de travail. Ceci ne l'empêchait cependant pas de gérer effectivement et personnellement "Le P__________". Une suspension de la validité du certificat de capacité aurait pour conséquences la mise au chômage de plusieurs personnes. MM. D__________ et A__________ ont donc demandé au département de renoncer aux sanctions prévues.

 

9. a. Le 23 mars 2000, le département a ordonné la cessation immédiate de l'exploitation du café-restaurant "Le P__________" et a infligé à M. A__________ une amende administrative de CHF 2'000.-. Cette décision était exécutoire nonobstant recours.

 

b. Parallèlement, le département a également décider de suspendre la validité du certificat de capacité de M. D__________ pour une durée de six mois et de lui infliger une amende administrative de CHF 2'000.-.

 

10. MM. A__________ et D__________ ont recouru auprès du Tribunal administratif par acte déposé au greffe le 28 mars 2000. Ils ont conclu à la restitution de l'effet suspensif en ce qu'elle contenait l'obligation de fermeture immédiate de l'établissement "Le P__________".

 

Ils ont insisté sur le fait que M. D__________ était présent dans l'établissement de 12h à 15h chaque jour, ce que la loi et la récente jurisprudence du Tribunal administratif autorisaient. Les recourants se sont étonnés de la sévérité du département, la décision de fermeture immédiate d'un établissement ne pouvant se concevoir que dans des cas graves, tels que trafic de drogue, bagarres, meurtres, etc. En outre, l'intérêt privé des recourants était prépondérant.

 

11. Le 31 mars 2000, le département a répondu à la demande de restitution de l'effet suspensif. Il a conclu à ce que le tribunal de céans rejette la demande susmentionnée en se fondant sur trois décisions récentes du Tribunal administratif (décisions S. du 27 juillet 1999; D. du 24 juin 1999 et N. du 14 mai 1999). Le département ne s'est en revanche pas opposé à la restitution de l'effet suspensif concernant l'amende administrative.

 

12. La restitution de l'effet suspensif a été admise par décision présidentielle du 6 avril 2000.

 

13. Par un acte déposé le 26 avril 2000, les recourants se sont prononcés sur le fond. Ils ont conclu à l'annulation des décisions du département et à l'octroi d'un émolument à titre de dépens. M. D__________ exploitait personnellement et effectivement l'établissement "Le P__________", mais il devait partager son temps avec l'exploitation du "T__________". Il n'y avait dès lors aucune violation de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 17 décembre 1987 (I 2 21 - LRDBH).

 

14. Le 26 mai 2000, le département a répondu au recours. Il a conclu à son rejet dans toutes ses conclusions. Le département a estimé qu'il était établi à satisfaction de droit que M. D__________ n'avait pas exploité personnellement et effectivement "Le P__________", qu'il avait servi de prête-nom à M. A__________ et qu'il n'avait pas annoncé au département sa fin d'activité réelle et effective, en violation des articles 12, 21 alinéa 1, et 27 lettre b LRDBH. Quant à M. A__________, il était établi qu'il avait exploité "Le P__________" sous le couvert d'un prête-nom sans être ni au bénéfice d'une autorisation d'exploiter, ni titulaire du certificat de capacité et qu'il avait omis d'informer le département de la fin d'activité réelle et effective de M. D__________, en violation des articles 4, 5 alinéa 1 lettre c, et 19 LRDBH.

15. Dans leur réplique du 30 juin 2000, les recourants ont maintenu leurs conclusions tout en apportant quelques précisions. La jurisprudence concernant l'exploitation de plusieurs établissement était applicable au cas d'espèce et il convenait de s'y référer. L'absence de rémunération ne constituait pas un indice de prête-nom. Vu le caractère sommaire des rapports de police, ils ont demandé à être convoqué en audience de comparution personnelle.

 

16. Le 4 août 2000, le département a dupliqué. Il s'est opposé aux arguments des recourants et a maintenu ses conclusions.

 

Le même jour, le greffe du tribunal a informé les parties que la cause était gardée à juger.

 

 

EN DROIT

 

 

1. Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 56A de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 - LOJ - E 2 05; art. 63 al. 1 litt. a LPA).

 

2. La LRDBH a pour but d'assurer qu'aucun établissement qui lui est soumis ne soit susceptible de troubler l'ordre public, en particulier la tranquillité, la santé et la moralité publiques, du fait de son propriétaire ou de son exploitant, ainsi qu'en raison de sa construction, de son aménagement, de son implantation (art. 2 al. 1 let. a LRDBH).

 

3. L'exploitation de tout établissement régi par la LRDBH est soumise à l'obtention préalable d'une autorisation d'exploiter délivrée par le département (art. 4 al. 1 LRDBH). Cette autorisation doit en particulier être requise lors de chaque création, changement de catégorie, agrandissement et transformation d'établissement, changement d'exploitant ou modification des conditions de l'autorisation antérieure (art. 4 al. 2 LRDBH).

 

a. L'autorisation d'exploiter est notamment subordonnée à la condition que le requérant soit titulaire d'un certificat de capacité (art. 5 al. 1 let. c LRDBH). Elle est strictement personnelle et intransmissible (art. 15 al. 3 LRDBH). L'exploitant est ainsi tenu de gérer son établissement de façon personnelle et effective (art. 21 al. 1 LRDBH).

 

Si cette obligation ne lui interdit pas de s'absenter quelques heures par jour, voire quelques jours, par exemple pendant les périodes de vacances ou de service militaire, il n'en demeure pas moins qu'il lui est formellement interdit de servir de prête-nom pour l'exploitation d'un établissement (art. 12 LRDBH; Mémorial des séances du Grand Conseil, 1985 34/III 4244 et 4248).

 

b. Cette interdiction vise à prévenir l'exploitation d'établissements par des personnes qui ne répondraient pas à des conditions de capacité et d'honorabilité bien déterminées, avec tout ce que cela comporte comme risque pour le public (ATA L. du 2 février 1999).

 

c. Si le détenteur enfreint cette règle, le département peut prononcer la suspension pour une durée de six à vingt-quatre mois de la validité du certificat de capacité dont le titulaire sert de prête-nom pour l'exploitation d'un établissement (art. 73 LRDBH).

 

Il peut en outre infliger une amende administrative de CHF 100.-- à CHF 60'000.-- en cas d'infraction à la loi et à ses dispositions d'application (art. 74 al. 1 LRDBH).

d. Un exploitant peut être autorisé à exploiter au maximum trois établissements pour autant qu'ils soient situés à proximité les uns des autres (art. 31 al. 1 du règlement d'exécution de la loi sur la restauration, le débit de boissons et l'hébergement du 31 août 1988 - RLRDBH - I 2 21.01).

 

4. En l'espèce, M. D__________ est titulaire de deux autorisations d'exploiter deux établissements situés dans deux quartiers différents. Ces autorisations ont été délivrées par le département compétent qui a donc admis de facto que les conditions de l'article 31 RLRDBH étaient remplies.

 

5. Dans la présente affaire, le tribunal tiendra pour établie la présence quasi quotidienne de M. D__________ au café-restaurant "Le P__________". Cependant, une simple présence ne saurait être suffisante au regard des dispositions légales qui exigent que l'exploitant gère l'établissement de façon personnelle et effective. Cette gérance effective passe notamment par la prise en charge des tâches administratives et liées au personnel (engagements, salaires, horaires, remplacement, etc.) et à la bonne marche de l'établissement (commandes de marchandises, fixation des prix, composition des menus, contrôle de la caisse, inventaires, etc.).

 

Or, il ressort des déclarations de M. A__________ faites aux gendarmes que c'est lui qui s'occupe, avec son cuisinier, de la commande des marchandises. Il dit également se charger de l'engagement du personnel et de son instruction. Dès lors, il s'avère que M. D__________ ne gère pas effectivement et personnellement l'établissement dont il est l'exploitant. Le fait d'être présent quotidiennement et de vérifier le bon déroulement du service et les comptes établis par une fiduciaire de la place ne suffit pas et ne répond pas au caractère personnel et effectif exigé par la loi.

 

6. Étant donné le contenu et la concordance des déclarations faites par les recourants à la gendarmerie, le tribunal se dispensera d'ordonner une audience de comparution personnelle.

7. Au vu de ce qui précède, le Tribunal administratif admettra que le département était fondé à reprocher à M. D__________ de ne pas avoir exploité personnellement l'établissement "Le P__________", d'avoir servi de prête-nom et de ne pas avoir annoncé le fait qu'il avait cessé d'avoir une activité réelle et effective. Partant, les reproches faits à M. A__________ seront également admis.

 

8. a. Le département peut infliger une amende administrative de CHF 100.-- à CHF 60'000.-- en cas de violation de la loi (art. 74 LRDBH).

 

b. Pour fixer le montant de la sanction, l'administration jouit d'un large pouvoir d'appréciation (ATA P. du 2 mars 1999 et les références citées). La juridiction de céans ne la censure qu'en cas d'excès. Le département prend en considération la nature, la gravité et la fréquence des infractions commises dans le respect du principe de la proportionnalité (Mémorial des séances du Grand Conseil, 1985, III p. 4275).

 

Par ailleurs l'application des principes généraux du droit pénal aux sanctions administratives n'est plus contestée (ATF non publié E. du 14 janvier 1999; ATA S. du 13 avril 1999 et les références citées).

 

c. Selon la jurisprudence constante du Tribunal administratif, le prononcé d'une amende de CHF 3'000.-- infligée à la personne qui a servi de prête-nom est conforme à la pratique (ATA S. du 15 février 2000 et les références citées). L'amende administrative peut être plus élevée en cas de dessein de lucre notamment (ATA L. du 31 juin 1996; ATA S. - C. du 4 octobre 1994). Le Tribunal administratif revoit ce montant à la baisse lorsque des circonstances particulières le justifient, notamment une situation familiale et personnelle difficile ou une situation financière précaire (ATA R. du 4 avril 2000; S. du 15 février 2000; R. du 9 février 1999; L. du 10 novembre 1998; D. du 18 avril 1992).

 

En l'espèce, le tribunal de céans estime que la présence quotidienne de M. D__________ au sein de l'établissement ne suffit pas pour conclure qu'il exploite celui-ci de façon personnelle et effective.

 

Les décisions importantes relatives à la gestion de cet établissement étaient prises par M. A__________, selon ses propres déclarations. En particulier, M. A__________ s'occupait seul de l'engagement du personnel et de son instruction et il était responsable de la commande de marchandises. L'on se trouve ainsi dans la situation proscrite par la loi, où M. D__________ a mis à disposition de M. A__________ son certificat de capacité.

 

En ayant fixé à CHF 2'000.- l'amende infligée à M. D__________, le département s'est écarté de sa pratique habituelle, le montant de l'amende étant en général de CHF 3'000.-, ayant ainsi tenu compte de l'absence alléguée de rémunération (ATA V. du 24 novembre 1998).

 

Au surplus, le Tribunal administratif relève que la durée de la suspension a été fixée au minimum prévu à l'article 73 LRDBH, soit six mois, si bien qu'elle sera confirmée.

 

Concernant M. A__________, l'amende entrant en adéquation avec la jurisprudence du tribunal de céans, elle sera confirmée (ATA S. du 21 avril 1998 et références citées). La fermeture de l'établissement sera également confirmée (art. 67 LRDBH) à moins que M. A__________ ne régularise la situation.

 

9. Le recours sera ainsi rejeté. Un émolument de CHF 750.- sera mis à la charge de M. D__________.

 

Quant à M. A__________, un émolument de CHF 750.- sera mis à sa charge.

 

 

PAR CES MOTIFS

le Tribunal administratif

à la forme :

 

déclare recevable le recours interjeté le 26 avril 2000 par Monsieur A__________ et Monsieur D__________ contre la décision du Département de justice et police et des transports du 23 mars 2000;

 

au fond :

 

rejette le recours de MM. D__________ et A__________;

 

confirme la suspension de six mois du certificat de capacité de M. D__________;

 

inflige un émolument de CHF 750.- à la charge de M. D__________ et de CHF 750.- à celle de M. A__________;

 

communique le présent arrêt à Me Gilles Crettol, avocat des recourants, ainsi qu'au Département de justice et police et des transports.

 


Siégeants : M. Schucani, président, M. Thélin, Mme Bonnefemme-Hurni, M. Paychère, juges, M. Peyrot, juge suppléant

 

Au nom du Tribunal administratif :

la greffière-juriste : le vice-président :

 

V. Montani Ph. Thélin

 


Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le la greffière :

 

Mme M. Oranci