Aller au contenu principal

Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

1 resultats
A/3486/2017

ATA/776/2018 du 24.07.2018 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; RÉGIME DE LA DÉTENTION ; EXÉCUTION ANTICIPÉE DES PEINES ET DES MESURES ; CELLULE ; COMPÉTENCE RATIONE LOCI ; QUALITÉ POUR RECOURIR ; INTÉRÊT ACTUEL ; PRINCIPE DE LA BONNE FOI ; INTERDICTION DE LA TORTURE ; INTERDICTION DES TRAITEMENTS INHUMAINS ; GARANTIE DE LA DIGNITÉ HUMAINE
Normes : LOJ.132; LPA.60.al1; LPA.19; CPP.439.al1; CP.76; RIPP.1; CP.63; CEDH.3; Cst.7; Cst.10.al3; CPP.3.al1; CP.74
Résumé : Le recourant a été détenu dans une cellule où il bénéficiait de moins de 4m2 de surface individuelle pendant deux cent trente-neuf jours considérés comme consécutifs. Durant la période pendant laquelle il travaillait 4h30 par jour, son confinement a été restreint et ses conditions de détention ont été allégées, de sorte que ces dernières étaient difficiles licites. Elles étaient en revanche illicites durant la période où il n'a pas travaillé, respectivement lorsqu'il ne travaillait qu'une heure, et ce même si la perte temporaire de sa place de travail relevait de son propre comportement. Recours partiellement admis.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3486/2017-PRISON ATA/776/2018

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 24 juillet 2018

en section

 

dans la cause

 

Monsieur A______
représenté par Me Samir Djaziri, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE LA SÉCURITÉ

 



EN FAIT

1) Monsieur A______ a été incarcéré à la prison de B______
(ci-après : la prison) le 1er mars 2013 et y a été détenu jusqu'au 9 mai 2014 en détention provisoire.

2) Par jugement du Tribunal correctionnel du 9 mai 2014, il a été condamné à une peine privative de liberté de trois ans et six mois, sous déduction de quatre cent trente-six jours de détention avant jugement, cette peine étant partiellement complémentaire avec celle prononcée par le Ministère public le 21 septembre 2012, pour infractions aux art. 140 ch. 1 et 305bis ch. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) et à l'art. 115 al. 1 let. b de la loi fédérale sur les étrangers du 16 décembre 2005 (LEtr - RS 142.20).

3) M. A______ a été détenu à la prison en exécution de peine du 9 mai 2014 au 26 mai 2016, date de son transfert à l’établissement fermé C______.

4) Le 20 juillet 2015, l'intéressé a sollicité du Tribunal d'application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) qu'il examine ses conditions de détention au sein de la prison.

5) Le 28 août 2015, la prison a transmis au TAPEM un rapport, daté du même jour, relatif aux conditions de détention de M. A______ au sein de la prison.

Il ressortait notamment dudit rapport qu'il avait séjourné du 25 février au
21 octobre 2014 dans une cellule de 10,18 m2 net (11,95 m2 brut) avec deux autres détenus, lui procurant ainsi une surface individuelle nette de 3,39 m2 (3,98 m2 brut), à l'exception du 30 avril et du 21 octobre 2014, dates auxquelles il a bénéficié d'une surface de 5,09 m2 (5,97 m2 brut). Il avait bénéficié d'une place de travail à l'atelier polyvalent, soit quatre heures trente par jour, cinq jours par semaine, du 12 août 2013 au 1er mars 2014. Il avait perdu sa place suite à un refus de réintégrer sa cellule. Du 29 avril au 15 juillet 2014, il avait travaillé en qualité de nettoyeur de table, une heure par jour, sept jours sur sept. Depuis le 16 juillet 2014, il travaillait à l'atelier conditionnement, cinq heures par jour, cinq jours sur sept. Du 28 juin au 27 septembre 2013, l'un de ses codétenus avait exercé l'activité de nettoyeur de table (une heure par jour, sept jours sur sept). Durant les périodes du 28 juin au 8 juillet 2013, du 12 août au 27 septembre 2013 et du
28 septembre 2013 au 21 janvier 2014, l'un de ses codétenus avait travaillé à l'atelier polyvalent (quatre heures trente par jour, cinq jours par semaine). L'intéressé avait reçu trente-deux visites lors de son séjour carcéral.

6) Le 30 septembre 2015, l'intéressé a conclu à ce que le TAPEM constate que ses conditions de détention avaient été illicites durant quatre cent quarante jours, soit du 10 mai au 10 août 2013, du 8 octobre 2013 au 24 janvier 2014, du
25 février au 30 avril 2014 et du 1er mai au 21 octobre 2014, et à ce qu'une indemnité pour tort moral de CHF 88'000.- lui soit octroyée.

7) Faute de compétence pour juger des conditions de détention de l'intéressé, le TAPEM a transmis l'entier du dossier au département de la sécurité et de l'économie, devenu le 1er juin 2018 le département de la sécurité (ci-après : le département).

8) Le 25 février 2016, le département a rendu une décision concernant les conditions de détention de l'intéressé durant son exécution de peine du 9 mai 2014 au 21 octobre 2014, mais n'a pas examiné celles relatives à sa détention avant jugement.

9) Le 24 mars 2016 M. A______ a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du département du 25 février 2016. Le recours a été enregistré sous le numéro de cause A/947/2016.

10) Par décision du 24 juillet 2017, le département a déclaré irrecevable la requête en indemnisation pour un montant de CHF 88'000.- de M. A______ (ch. 1) et recevable celle relative à l'examen des conditions de détention provisoire et en exécution de peine (ch. 2). Les conditions dans lesquelles s'était déroulée la détention de l'intéressé étaient illicites pour la période du 1er mars au 27 juin 2013 (ch. 3) et licites pour période du 28 juin 2013 au 25 mai 2016 (ch. 4). La décision était signée par le conseiller d'État en charge du département.

Le parcours cellulaire de l'intéressé devait être scindé en sept périodes, dont six devaient faire l'objet d'un examen approfondi dans la mesure où la surface individuelle à disposition était inférieure à 4 m2. Du 1er mars au 27 juin 2013, les conditions de détention de M. A______ devaient être considérées comme illicites. La période du 28 juin au 28 septembre 2013 avait été entrecoupée par deux périodes interruptives. Par ailleurs, l'intéressé bénéficiait d'un espace plus grand la journée dans la mesure où ses codétenus travaillaient. Il avait également pu bénéficier d'une place de travail à l'atelier polyvalent, ce qui lui permettait d'être en dehors de sa cellule quatre heures trente par jour. Ses conditions de détention étaient donc licites. Du 28 septembre 2013 au 1er mars 2014, il avait continué à travailler. Au vu de ses possibilités concrètes de sortie, ses conditions de détention étaient licites. À compter du 2 mars 2014, lesdites conditions s'étaient détériorées, puisqu'il s'était vu supprimer son poste à l'atelier polyvalent, suite à son refus de réintégrer sa cellule. La perte de travail résultait uniquement de son propre comportement, sans lequel il aurait continué à occuper son poste et à subir un confinement atténué. Les conditions de détention devaient donc être considérées comme licites. Dès le 29 avril 2014, ses conditions de détention s'étaient améliorées car il avait occupé un poste de nettoyeur de tables. Son confinement avait ainsi été réduit. Dès le 16 juillet 2014, son confinement s'était encore réduit après qu'il avait recommencé à travailler en atelier quatre heure trente par jour.

Ses codétenus avaient par ailleurs occupés différents postes durant les périodes litigieuses, soit notamment, pour l'un d'eux, un poste à la cuisine du
15 mars au 11 avril 2014 l'occupant tous les jours entre trois heures (semaine 1) et cinq heures quarante-cinq (semaine 2) par semaine.

11) Le 24 juillet 2017, le département a conclu à ce que le recours en registré sous le numéro de cause A/947/2016 soit déclaré sans objet en raison de la nouvelle décision rendue et notifiée le même jour à l'intéressé.

12) Par arrêt du 31 juillet 2017, la chambre administrative a rayé la cause A/947/2016 du rôle, compte tenu de la nouvelle décision rendue le 24 juillet 2017 (ATA/1127/2017).

13) Par acte mis à la poste le 24 août 2017, M. A______ a interjeté recours par devant la chambre administrative contre la décision du département du 24 juillet 2017 concluant, principalement, à l'annulation du point n°4 de ladite décision selon lequel les conditions de détention de l’intéressé du 28 juin 2013 au 25 mai 2016 étaient licites. La chambre administrative devait constater que les conditions de sa détention avaient été illicites pendant une période supplémentaire de quatre cent dix-neuf jours, soit du 28 juin au 10 août 2013, du 10 septembre 2013 au
24 janvier 2014 et du 25 février au 21 octobre 2014, le tout « sous suite de frais et dépens ».

Entre le 28 juin et le 10 août 2013, à l'exclusion de la nuit du 4 au 5 août 2013, puis du 10 septembre 2013 au 24 janvier 2014, à l'exception du 4 au
8 octobre 2013, du 25 février au 30 avril 2014 et enfin du 1er mai au 21 octobre 2014, il avait partagé une cellule individuelle avec deux autres détenus, bénéficiant d'une surface individuelle nette de 3,39 m2. Au vu de la durée de ces périodes et de la surface de sa cellule, les conditions de sa détention étaient illicites, et ce quand bien même il avait travaillé à compter du
15 juillet 2014.

14) Dans ses observations du 15 septembre 2017, le département a conclu au rejet du recours et à ce que M. A______ soit condamné aux frais de la procédure.

Les conditions de détention entre le 28 juin et le 28 septembre 2013 étaient licites dès lors que cette période avait été interrompue à deux reprises entre le
10 et le 20 août 2013 et le 29 août et 8 septembre 2013, que ses codétenus travaillaient une heure, respectivement quatre heure trente par jour, et qu'il travaillait lui-même quatre heure trente par jour.

Les conditions de sa détention étaient également licites entre le
10 septembre 2013 et le 24 janvier 2014, quand bien même son espace individuel était inférieur à 4 m2, dès lors qu'il s'absentait de sa cellule quatre heure trente par jour pour travailler, en sus des heures de promenade et de sport.

S'agissant de la période du 25 février au 21 octobre 2014, il avait bénéficié d'un espace personnel de 3,39 m2. Il ne contestait pas qu'en termes d'hygiène, d'aération, d'accès à l'eau ou de soins, les conditions de détention étaient convenables. Ces dernières conditions s'étaient dégradées par sa propre faute, suite à une sanction disciplinaire.

15) Le 30 octobre 2017, M. A______ a persisté dans ses conclusions.

La période du 28 juin et le 10 août 2013 était consécutive à celle du 1er mars 2013 au 27 juin 2013, durant laquelle le département avait considéré que ses conditions de détention étaient illicites. Il s'agissait dès lors de prendre en compte la période globale allant du 1er mars au 10 août 2013 pour examiner la licéité de ses conditions de détention. Or, une surface de 3,39 m2 pendant une telle durée permettait d'aboutir au constat que tel n'était pas le cas, et ce même si l'un ou l'autre de ses codétenus exerçaient une activité. La période du 28 juin au 10 août 2013 n'était par ailleurs aucunement interrompue par les périodes durant lesquelles il avait bénéficié d'une surface supérieure à 3,39 m2. Par ailleurs, le fait qu'il n'ait bénéficié que d'une surface de 3,39m2 entre le 10 septembre 2013 et le 24 janvier 2014 impliquait l'illicéité de ses conditions de détention, peu importait qu'il ait ou non travaillé durant cette période. Il en allait de même pour la période de plus de huit mois allant du 25 février au 21 octobre 2014.

16) Le 22 février 2018, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile, le recours est recevable de ce point de vue
(art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) La chambre administrative est l’autorité supérieure ordinaire de recours en matière administrative (art. 132 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du
26 septembre 2010 (LOJ - E 2 05). Le recours est ouvert contre les décisions des autorités et juridictions administratives au sens des art. 4, 4A, 5, 6 al. 1 let. a et e, et 57 LPA, sauf exceptions prévues par la loi (art. 132 al. 2 LOJ) ou lorsque le droit fédéral ou une loi cantonale prévoit une autre voie de recours (art. 132 al. 8 LOJ), ou encore lorsque la saisine est prévue dans des lois particulières (art. 132 al. 6 LOJ).

3) a. À teneur de l’art. 60 al. 1 let. a et b LPA, les parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, et toute personne qui est touchée directement par une décision et a un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée, sont titulaires de la qualité pour recourir (ATA/391/2018 du 24 avril 2018 consid. 2a ; ATA/646/2017 du 13 juin 2017 consid. 4a). La chambre administrative a déjà jugé que les let. a et b de la disposition précitée doivent se lire en parallèle : ainsi, le particulier qui ne peut faire valoir un intérêt digne de protection ne saurait être admis comme partie recourante, même s’il était partie à la procédure de première instance (ATA/391/2018 précité consid. 2a; ATA/1212/2017 du 22 août 2017 consid. 2a).

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 138 II 162
consid. 2.1.2 ; 137 II 30 consid. 2 ; 137 II 40 consid. 2.6.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_152/2012 du 21 mai 2012 consid. 2.1 ; ATA/263/2017 du 7 mars 2017
consid. 3b).

4). L'art. 49 al. 2 LPA prévoit la possibilité d’intenter une action en constatation si son auteur rend vraisemblable qu’il a un intérêt juridique personnel et concret, digne de protection à l’admission d’une telle demande. Les conclusions de nature constatatoire sont irrecevables lorsque la partie recourante agit en constatation de droit alors qu’elle pourrait le faire en condamnation de sa partie adverse. En vertu du principe de subsidiarité, une décision en constatation ne sera prise qu’en cas d’impossibilité pour la partie concernée d’obtenir une décision formatrice
(ATF 130 V 388 ; ATA/1258/2017 du 5 septembre 2017 consid. 4b ; ATA/695/2016 du 23 août 2016 consid. 2 ; ATA/646/2017 précité consid. 4b ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 283 s n. 822).

5) a. La chambre administrative a retenu qu’il n’était pas exclu que le département puisse prendre en considération une période de détention illicite en phase préventive, mais pour autant que le détenu n’ait pu s’adresser sans faute de sa part à l’autorité judiciaire pénale compétente, cela conformément au principe de la bonne foi (ATA/1258/2017 précité consid. 4d ; ATA/695/2016 précité consid. 2 et la référence citée).

La chambre de recours pénale du canton de Vaud, dans un arrêt du 22 août 2016 (CREP 2016/553 in JdT 2016 III 168), se fondant sur la loi vaudoise sur la responsabilité de l’État, des communes et de leurs agents du 16 mai 1961 (LRECA - RSV 170.11), a considéré qu’il appartenait au détenu qui prétendait avoir subi un tort moral du fait de ses conditions de détention qu’il saisisse l’autorité compétente pour constater lesdites conditions au moment où il subit un tel tort, ou en tout cas dans un délai d’une année dès la fin de la détention subie dans des conditions illicites, sous réserve des cas où il n’aurait pu réaliser que plus tard avoir été détenu dans des conditions illicites.

b. Dans l'ATA/646/2017 précité, la chambre de céans a nié l’intérêt au sens de l’art. 49 al. 2 LPA d'un détenu qui avait requis du département le constat du caractère illicite de ses conditions de détention avant jugement. Celui-ci avait été jugé en première instance le 24 avril 2015 et avait formulé sa requête le 12 avril 2016 pour la période du 16 avril 2014 au 25 février 2016, ramenée par la suite du 3 juillet 2014 au 3 novembre 2014, et du 9 décembre 2014 au 16 mars 2015.

En revanche, dans l'ATA/1258/2017 également précité, la chambre administrative a admis l'intérêt d'un détenu concluant notamment au constat de l’illicéité de ses conditions de détention avant jugement au motif qu'il ne pouvait pas faire valoir ses arguments en lien avec ses conditions de détention devant l’autorité judiciaire pénale compétente, puisqu'il ressortait de son parcours cellulaire que ses conditions de détention n'avaient pas encore atteint le seuil problématique fixé par la jurisprudence pour que cette question soit examinée par le Tribunal criminel.

c. Dans le cadre de différentes affaires portant sur le recours contre une décision du conseiller d’État constatant la licéité des conditions de détention en exécution de peine (ATA/1056/2017 du 4 juillet 2017 ; ATA/263/2017 précité ; ATA/695/2016 précité), la chambre de céans s’est déclarée compétente pour en connaître.

6) L’objet du litige est principalement défini par l’objet du recours (ou objet de la contestation), les conclusions du recourant et, accessoirement, par les griefs ou motifs qu’il invoque. L’objet du litige correspond objectivement à l’objet de la décision attaquée, qui délimite son cadre matériel admissible (ATF 136 V 362 consid. 3.4 et 4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_581/2010 du 28 mars 2011 consid. 1.5 ; ATA/467/2017 du 25 avril 2017 consid. 3b). La contestation ne peut excéder l’objet de la décision attaquée, c’est-à-dire les prétentions ou les rapports juridiques sur lesquels l’autorité inférieure s’est prononcée ou aurait dû se prononcer. L’objet d’une procédure administrative ne peut donc pas s’étendre ou qualitativement se modifier au fil des instances, mais peut tout au plus se réduire dans la mesure où certains éléments de la décision attaquée ne sont plus contestés. Ainsi, si un recourant est libre de contester tout ou partie de la décision attaquée, il ne peut pas prendre, dans son mémoire de recours, des conclusions qui sortent du cadre des questions traitées dans la procédure antérieure (ATA/421/2017 du
11 avril 2017 consid. 5 et les références citées).

7) En l'espèce, le recours est dirigé contre une décision du département, qui s’est déclaré compétent pour examiner la requête du recourant en tant qu’elle portait sur les conditions de détention pour l’entier de la période de détention à la prison, soit du 1er mars 2013 au 26 mai 2016, et a constaté que les conditions de détention y relatives étaient illicites du 1er mars au 27 juin 2013 (ch. 3 de la décision précitée) et licites du 28 juin 2013 au 26 mai 2016 (ch. 4 de la décision précitée).

Quand bien même le recourant est sorti de prison, il n’en demeure pas moins que le recours est dirigé contre une décision constatant la licéité - à tout le moins en partie - de ses conditions de détention. Or, le recourant conclut à la constatation de l’illicéité de celles-ci. Compte tenu du fait qu’une décision constatatoire sujette à recours a été rendue par le département, il conserve un intérêt actuel à contester cette dernière et donc la licéité de ses conditions de détention, tout au moins afin de faire valoir ses prétentions en indemnisation (ATA/263/2017 précité consid. 3f).

Dans le cadre de son recours, l’intéressé sollicite uniquement l'annulation du
ch. 4 de la décision du département et prend des conclusions en illicéité de ses conditions de détention pour trois périodes, comprises tant avant qu'après jugement, soit du 28 juin au 10 août 2013, du 10 septembre 2013 au 24 janvier 2014 et du 25 février au 21 octobre 2014.

À l'égard de la jurisprudence susmentionnée, le recours est irrecevable en tant qu'il porte sur l’illicéité des conditions de détention du recourant avant jugement pour les périodes du 28 juin au 10 août 2013 et du 10 septembre 2013 au 24 janvier 2014, faute d’intérêt au sens de l’art. 49 al. 2 LPA. En effet, le recourant n'allègue pas avoir fait état de l’illicéité de ses conditions de détention avant jugement dans le cadre du procès pénal au fond, soit notamment devant le Tribunal correctionnel lors de son audience de jugement du 9 mai 2014. Il n’allègue pas non plus avoir été empêché de faire valoir ses arguments en lien avec ses conditions de détention devant l’autorité judiciaire pénale compétente. Comme le relève la chambre de céans dans l'ATA/646/2017 précité, en ne formulant sa demande de constat qu'après l'entrée en force du jugement pénal, le recourant a mis l’État devant l’impossibilité de réparer une éventuelle détention dans des conditions illicites autrement que par une indemnité. Le recourant ne démontre en conséquence pas avoir un intérêt à la constatation immédiate indépendamment d’une satisfaction équitable, éventuellement pécuniaire
(ATF 140 IV 356 consid. 3.4.2).

En revanche, le recours est recevable en tant qu'il porte sur la période du
25 février au 21 octobre 2014. Quand bien même cette période comprend septante-trois jours de détention avant jugement, le recourant ne pouvait pas faire valoir ses arguments en lien avec ses conditions de détention devant l’autorité judiciaire pénale compétente lors de son procès pénal au fond le 9 mai 2014, puisqu'à cette date ses conditions de détention pour ladite période n'avaient pas encore atteints le seuil problématique fixé par la jurisprudence pour que cette question soit examinée par le Tribunal correctionnel.

Dès lors, compte tenu de ce qui précède et des conclusions prises par le recourant, seules les conditions de détention pour la période du 25 février au
21 octobre 2014 seront examinées ci-après dans le cadre du présent recours.

8) a. Au niveau conventionnel, l'art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101), qui interdit - à l'instar d'autres dispositions constitutionnelles et conventionnelles - la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, impose notamment des standards minimaux en matière de détention
(ATF 124 I 231 consid. 2). Par ailleurs, la Suisse a ratifié la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 27 novembre 1987 (RS 0.106), instituant le comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (ci-après : CPT), habilité à examiner le traitement des détenus dans les États contractants. Sur le plan constitutionnel, l'art. 7 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) prescrit le respect et la protection de la dignité humaine, tandis que l'art. 10 al. 3 Cst. interdit la torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants. Au niveau cantonal, la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 (Cst-GE - A 2 00) prévoit que la torture et tout autre traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants sont interdits (art. 18 al. 2) et que la dignité humaine est inviolable (art. 14 al. 1).

b. Les standards minimaux en matière de détention sont concrétisés par la recommandation Rec(2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes adoptée le 11 janvier 2006 par le comité des ministres du Conseil de l’Europe
(ci-après : RPE), destinée aux États, censés édicter des règles internes s'inspirant de la recommandation. Selon la règle 1 RPE, les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l'homme. Les règles 17 à 22 RPE traitent des locaux de détention, de l'hygiène, de la literie et du régime alimentaire. Les locaux de détention doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d'hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l'espace au sol, le volume d'air, l'éclairage et l'aération (règle 18.1). Les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle dans des conditions normales et pour permettre l'entrée d'air frais, sauf s'il existe un système de climatisation approprié (règle 18.2 let. a). La lumière artificielle doit être conforme aux normes techniques reconnues en la matière (règle 18.2. let. b). Les locaux d'une prison doivent être maintenus en état et propres à tout moment (règle 19.1). Les détenus doivent jouir d'un accès facile à des installations sanitaires hygiéniques et protégeant leur intimité (règle 19.3). Les installations de bain et de douche doivent être suffisantes pour que chaque détenu puisse les utiliser à une température adaptée au climat (règle 19.4). Chaque détenu doit disposer d'un lit séparé et d'une literie individuelle convenable, entretenue correctement et renouvelée à des intervalles suffisamment rapprochés pour en assurer la propreté (règle 21). La nourriture doit être préparée et servie dans des conditions hygiéniques (règle 22.3) et les détenus doivent avoir accès à tout moment à l'eau potable (règle 22.5). Tout détenu doit avoir l'opportunité, si le temps le permet, d'effectuer au moins une heure par jour d'exercice en plein air (règle 27.1).

c. Ces règles ont été encore précisées dans un commentaire établi par le CPT. S'agissant des conditions de logement, le CPT a arrêté quelques standards minimaux : l'espace au sol disponible est estimé à 4 m2 par détenu dans un dortoir et à 6 m2 dans une cellule individuelle, sans qu’il soit précisé si ces standards doivent se comprendre comme une surface brute, comprenant les installations sanitaires et les meubles, ou nette, soit déduction faite de ces installations et meubles (ATF 140 I 125 consid. 3.6.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_404/2013 du 26 février 2014 consid. 2.6.3 ; 1B_369/2013 du 26 février 2014 consid. 3.6.3 ; 1B_336/2013 26 février 2014 consid. 4.6.3 ; 1B_335/2013 du 26 février 2014 consid. 3.6.3 ; ATA/67/2016 du 26 janvier 2016 consid. 8c). Ces standards doivent cependant être modulés en fonction des résultats d'analyses plus approfondies du système pénitentiaire. Le nombre d'heures passées en dehors de la cellule doit être pris en compte. En tout état, ces chiffres ne doivent pas être considérés comme la norme. À titre d'exemple, le CPT considère comme étant souhaitable pour une cellule individuelle une taille de 9 à 10 m2. La taille devrait être comprise entre 9 et 14,7 m2 pour deux personnes et mesurer environ 23 m2 pour trois personnes (Rod MORGAN/Malcolm EVANS, Prévention de la torture en Europe : Les normes du CPT en matière de détention par la police et de détention préventive, 2002, p. 34).

d. Au niveau législatif, en matière de procédure pénale, l'art. 3 al. 1 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP - RS 312.0) rappelle le principe du respect de la dignité humaine. Selon l’art. 74 CP, le détenu et la personne exécutant une mesure ont droit au respect de leur dignité. L'exercice de leurs droits ne peut être restreint que dans la mesure requise par la privation de liberté et par les exigences de la vie collective dans l'établissement. À teneur de l’art. 75
al. 1 CP, l'exécution de la peine privative de liberté doit améliorer le comportement social du détenu, en particulier son aptitude à vivre sans commettre d'infractions. Elle doit correspondre autant que possible à des conditions de vie ordinaires, assurer au détenu l'assistance nécessaire, combattre les effets nocifs de la privation de liberté et tenir compte de manière adéquate du besoin de protection de la collectivité, du personnel et des codétenus.

e. Dans le canton de Genève, les droits et les obligations des détenus sont définis par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04). Chaque cellule est équipée de manière à permettre une vie décente et conforme aux exigences de la salubrité (art. 15 al. 1). Les détenus peuvent se doucher régulièrement (art. 16). En règle générale, ils bénéficient d'une heure de promenade par jour dans les cours réservées à cet usage et peuvent, dans les limites déterminées, se livrer à des exercices physiques (art. 18). Le service médical de la prison prodigue des soins en permanence (art. 29). Les détenus ont droit à un parloir par semaine, limité à deux visiteurs, en présence d'un fonctionnaire de la prison et pendant une heure au maximum (art. 37). Le RRIP ne contient en revanche aucune disposition plus précise concernant l'aménagement, l'équipement, la dimension des cellules ou la surface dont doit bénéficier chaque détenu à l'intérieur de celles-ci (ATA/1056/2017 précité consid. 7e ; ATA/695/2016 précité consid. 4d ; ATA/67/2016 précité consid. 8e).

f. Le 26 février 2014, le Tribunal fédéral a rendu plusieurs arrêts en matière d’examen des conditions de détention, dans le cadre de la détention provisoire, confirmés ultérieurement.

Il a, à cette occasion, rappelé la jurisprudence fédérale existante (ATF 140 I 125 consid. 3.3). Selon cette dernière, le but de la détention doit être pris en compte et il y a lieu de distinguer la détention en exécution de jugement de la détention provisoire, laquelle vise à garantir un déroulement correct de l'instruction pénale et est justifiée par les besoins de l'instruction, un risque de fuite ou un danger de collusion ou de réitération (ATF 97 I 839 consid. 5 ; 97 I 45 consid. 4b). Les conditions de détention provisoire peuvent être plus restrictives lorsque les risques de fuite, de collusion et de récidive sont plus élevés, ou lorsque l'ordre et la sécurité dans la prison sont particulièrement mis en danger (notamment la sécurité du personnel et des détenus ; ATF 123 I 221 consid. 4c et l'arrêt cité). Le Tribunal fédéral a toutefois précisé que cela ne valait que tant que la durée de la détention provisoire était courte. En cas de détention provisoire se prolongeant au-delà d'environ trois mois, les conditions de détention doivent satisfaire à des exigences plus élevées (ATF 140 I 125 consid. 3.3).

Il faut par ailleurs procéder à une appréciation globale de toutes les conditions concrètes de détention (ATF 123 I 221 consid. II/1c/cc). En ce qui concerne la violation de l'art. 3 CEDH, un traitement dénoncé doit atteindre un minimum de gravité, dont l'appréciation dépend de l'ensemble des données de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ainsi que de sa durée (ATF 139 I 272 consid. 4), la durée étant susceptible de rendre incompatible avec la dignité humaine une situation ne l’étant pas nécessairement sur une courte période (ATF 140 I 125 consid. 3.3).

Le Tribunal fédéral a également examiné la jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : CourEDH ; ATF 140 I 125 consid. 3.4 et 3.5), que la Suisse s'est engagée à respecter (art. 46 ch. 1 CEDH et 122 de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 - LTF - RS 173.110).

Selon la CourEDH, en cas de surpopulation carcérale, la restriction de l'espace de vie individuel réservé au détenu ne suffit pas pour conclure à une violation de l'art. 3 CEDH, une telle violation n'étant retenue que lorsque les personnes concernées disposent individuellement de moins de 3 m2 (ACEDH Torreggiani et autres c. Italie du 8 janvier 2013, req. 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, § 68 ; ACEDH Canali
c. France du 25 avril 2013, req. 40119/09, § 49 ; ACEDH Sulejmanovic c. Italie du 16 juillet 2009, req. 22635/03, § 43 ; ACEDH Idalov c. Russie du 22 mai 2012, req. 5826/03, § 101). Dans les cas où la surpopulation n'est pas importante au point de soulever à elle seule un problème de violation de la CEDH, les autres aspects des conditions de la détention doivent être pris en compte, comme l'aération disponible, la qualité du chauffage, le respect des règles d'hygiène de base et la possibilité d'utiliser les toilettes de manière privée (ACEDH Canali précité, §§ 52 et 53). Dans des affaires où chaque détenu disposait de 3 à 4 m2, une violation de l'art. 3 CEDH a été retenue parce que le manque d'espace s'accompagnait, par exemple, d'un manque de ventilation et de lumière (ACEDH Babouchkine c. Russie du 18 octobre 2007, req. 67253/01, § 44), d'un accès limité à la promenade en plein air et d'un confinement en cellule (ACEDH Istvan Gabor Kovacs c. Hongrie du 17 janvier 2012, req. 15707/10, § 26) ou d’une absence d'espace pour se mouvoir combinée à une promenade quotidienne d'une heure dans une cour de taille réduite pendant plus de deux ans, à une faible ventilation, à de la lumière réduite dans la cellule et à l’absence d’intimité offerte par les lavabos (ACEDH Makarov c. Russie du 12 mars 2009, req. 15217/07, §§ 94 à 98).

Ainsi, parmi les facteurs supplémentaires pris en compte par la CourEDH –par rapport à l'exiguïté des cellules – figurent notamment l'accès insuffisant à la lumière et à l'air naturels, la chaleur excessive associée à un manque de ventilation, le partage des lits entre prisonniers, les installations sanitaires dans la cellule et visibles de tous et l'absence de traitement adéquat pour les pathologies du détenu ainsi que la durée de la détention (ATF 140 I 125 consid. 3.5).

Après examen des jurisprudences fédérale et de la CourEDH, le Tribunal fédéral a retenu, en matière de détention provisoire, qu’en cas de surpopulation carcérale telle que la connaît la prison de B______, l'occupation d'une cellule dite individuelle par trois détenus – chacun disposant d'un espace individuel de 4 m2, restreint du mobilier – était une condition de détention difficile, laquelle n’était cependant pas constitutive d'une violation de l'art. 3 CEDH et ne représentait pas un traitement dégradant portant atteinte à la dignité humaine des prévenus. En revanche, l'occupation d'une cellule dite triple par six détenus avec une surface individuelle de 3,83 ou 3,84 m2 – restreinte encore par le mobilier – pouvait constituer une violation de l'art. 3 CEDH si elle s'étendait sur une longue période et s'accompagnait d'autres mauvaises conditions de détention. Il fallait alors considérer la période pendant laquelle le recourant avait été détenu dans les conditions incriminées. Une durée qui s'approchait de trois mois consécutifs apparaissait comme la limite au-delà de laquelle ces conditions de détention ne pouvaient plus être tolérées. En effet, si les conditions de détention provisoire pouvaient être plus restrictives lorsque les risques de fuite, de collusion et de récidive étaient plus élevés, ou lorsque l'ordre et la sécurité dans la prison étaient particulièrement mis en danger, cela ne valait pas lorsque la durée de la détention provisoire était de l'ordre de trois mois. Ce délai ne pouvait cependant pas être compris comme un délai au sens strict du terme mais comme une durée indicative à prendre en compte dans le cadre de l'appréciation globale de toutes les conditions concrètes de détention (ATF 140 I 125 consid. 3.6.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_239/2015 du 29 septembre 2015 consid. 2.4 ; 1B_152/2015 du 29 septembre 2015 consid. 2.4 ; 6B_14/2014 du 7 avril 2015 consid. 5.4.2.1 ; 1B_387/2014 du 22 décembre 2014 consid. 2.1 ; ATA/1056/2017 précité
consid. 7f).

g. Dans un arrêt de principe, la CourEDH s'est écartée de cet ordre de grandeur de 4 m2, déduit des normes établies par le CPT, pour retenir qu'une surface de
3 m2 au sol par détenu en cellule collective constituait la norme minimale pertinente (ACEDH Mursic c. Croatie [Grande Chambre] du 20 octobre 2016,
req. 7334/13, § 110 à 115).

h. Le Tribunal fédéral a également précisé que si de brèves interruptions d'un à deux jours n'étaient pas de nature à interrompre une période de détention dans des conditions illicites, il y avait en revanche lieu d'évaluer des interruptions plus longues dans le cadre d'une appréciation globale, qui tienne compte de toute la durée de la détention, de la durée précédant la période d'interruption et des autres conditions concrètes de détention (nombre journalier d'heures passées hors de la cellule ; possibilité de travailler ; visites ; hygiène ; installations sanitaires ; régime alimentaire ; éclairage ; aération ; arrêts du Tribunal fédéral 1B_152/2015 précité consid. 2.7.2 ; 1B_239/2015 précité consid. 2.5.2).

Le Tribunal fédéral a en outre considéré la possibilité de sortir de la cellule, entre une heure par jour et cinq heures quarante-cinq par jour une semaine sur deux pour travailler, était certes susceptible d'alléger les conditions de détention, mais que cette seule circonstance ne suffisait pas, en soi, dans la situation telle que décrite à la prison de B______, à rendre les conditions de détention conformes à l'art. 3 CEDH. Dès lors, l'hypothèse d'une prise de travail par le détenu ne permettait pas de considérer comme conformes à la dignité humaine les périodes de détentions subies dans un espace confiné de moins de 4 m2 par détenu (in casu cent quatre-vingt-quatre jours et cent quarante-neuf nuits ; arrêt du Tribunal fédéral 1B_239/2015 précité consid. 2.5.3 ; ACPR/650/2015 du
1er décembre 2015 consid. 3.1 ; ATA/1056/2017 précité consid. 7h ; ATA/695/2016 précité consid. 4i ; ATA/67/2016 précité consid. 8h).

Toutefois, dans un arrêt récent du 25 avril 2017 (1B_394/2016), le Tribunal fédéral a examiné la question de savoir si la possibilité de sortir de la cellule pendant trois heures ou cinq heures quarante-cinq par jour – cumulée au fait que les codétenus étaient aussi absents pendant plusieurs heures de la cellule à des moments différents – était un facteur qui permettait d'améliorer suffisamment les conditions de détention au point de les rendre conformes à la dignité humaine (cent quatorze jours consécutifs dans une cellule de moins de 4 m2 de surface individuelle nette avec cinq codétenus). Il est arrivé à la conclusion que le fait de passer durant cent quatorze jours, sept heures et quart en moyenne (cinq heures quarante-cinq de travail en cuisine, une heure de promenade et trente minutes en moyenne de sport par jour), puis en alternance la semaine suivante quatre heures et demie en moyenne hors de la cellule (trois heures de travail en cuisine, une heure et demie de promenade et trente minutes en moyenne de sport par jour) réduisait de manière significative le confinement en cellule et permettait de considérer que la détention dans de telles conditions ne constituait pas un traitement dégradant portant atteinte à la dignité humaine. S'ajoutait à cela que les détenus partageant la cellule étaient absents quotidiennement pendant plusieurs heures de la cellule, à des moments différents, ce qui allégeait encore quelque peu les conditions de détention.

i. Dans sa jurisprudence récente, le Tribunal fédéral a considéré que, pour des durées de détention dans un espace individuel net de 3,39 m2, légèrement inférieures ou supérieures au délai indicatif de trois mois, il y avait lieu de tenir compte des circonstances concrètes du cas d'espèce pour admettre, respectivement dénier le caractère illicite des conditions de détention (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1244/2016 du 31 octobre 2017 consid. 2.2).

j. Le Tribunal fédéral a été appelé à trancher la question de savoir si le refus d'un détenu de s'inscrire pour occuper une place de travail permettait de considérer ses conditions de détention dans une cellule de moins de 4 m2 de surface individuelle nette conforme à l'art. 3 CEDH, dans la mesure où l'exercice d'un travail diminue le temps passé en cellule et améliore ainsi les conditions de détention. Il a alors fait un parallèle avec un arrêt de la CourEDH - ne concernant pas la problématique des conditions de détention mais celle du recours à la force des agents de police à l'encontre d'une personne détenue illégalement en garde à vue - en relevant que cette dernière avait précisé que le comportement du détenu entrait uniquement en considération lorsqu'il avait provoqué l'usage de la force physique. Le Tribunal fédéral est arrivé à la conclusion qu'on ne saurait assimiler un tel acte avec l'attitude, certes désinvolte, du recourant qui avait renoncé à s'inscrire pour obtenir un travail au sein de la prison (arrêt du Tribunal fédéral 1B_239/2015 précité consid. 2.5.3).

9) Selon la jurisprudence de la chambre de céans, le fait que le recourant ait pu faire du sport une heure par semaine dans la grande salle ainsi que deux ou trois fois par semaine, « de manière cyclique » n’était pas de nature à modifier la conclusion selon laquelle le détenu était confiné vingt-trois heures sur
vingt-quatre, vu le temps très limité hors de la cellule que cela représentait (ATA/1056/2017 précité consid. 7i ; ATA/695/2016 du précité consid. 4j ; ATA/259/2016 du 22 mars 2016 consid. 6c).

De même, les visites de la famille, la promenade, et toutes les autres circonstances permettant au détenu de sortir par moments de sa cellule, telles que les visites de l’avocat, les appels téléphoniques, les consultations au service médical ou auprès des assistants sociaux, les offices religieux ou encore les audiences auprès des autorités judiciaires ne sauraient être comptabilisées comme des heures passées en dehors de la cellule (ATA/1056/2017 précité consid. 7i ; ATA/695/2016 précité consid. 4j ; ATA/259/2016 précité consid. 6c).

Cela dit, dans l’ATA/681/2016 du 16 août 2016 et concernant un détenu qui avait séjourné deux cent un jours dans un espace cellulaire inférieur à 4 m2 de surface individuelle, la chambre de céans a retenu que pouvoir travailler dans un atelier cinq heures par jour, cinq jours par semaine pendant les deux cent un jours de détention, avec une heure de promenade par jour à laquelle s’ajoutaient, sur l’ensemble de la semaine, les heures de sport, était un cas limite. L’ensemble de ces éléments contribuait à une amélioration des conditions de détention suffisante pour admettre que lesdites conditions, dans les circonstances décrites, pour difficiles qu’elles fussent, n’étaient pas illicites.

Dans l'ATA/695/2016 précité, la chambre de céans a considéré que les conditions de détention d'un détenu en exécution de peine ayant bénéficié d'une surface nette de 3,70 m2 pendant une période d'un peu plus de trois mois, suivant une période de détention avant jugement de moins de trois mois dans les mêmes conditions, et n'ayant pas occupé de poste de travail, étaient illicites.

De même, dans l'ATA/1056/2017 précité, la chambre de céans a relevé que la détention durant cent douze jours consécutifs dans un espace individuel net inférieur à 4 m2 d'un détenu - lequel ne travaillait pas - était non conforme à la dignité humaine, les possibilités limitées de sortie telles que la promenade et le sport tout comme la sortie d'un codétenu durant une heure par jour pour aller travailler n'étant pas de nature à remettre en question cette constatation.

Enfin, dans l'ATA/1258/2017 précité, la chambre administrative a considéré, notamment, que le fait que le recourant ait séjourné pendant cent vingt-sept jours dans une cellule où il bénéficiait de moins de 4 m2 de surface individuelle représentait des conditions difficiles, mais non illicites, dès lors qu'il avait pu travailler dans un atelier cinq heures par jour, cinq jours par semaine durant la période considérée, qu'il bénéficiait d’une heure de promenade chaque jour et des heures de sport sur l’ensemble de la semaine, ce qui réduisait de manière significative le confinement en cellule et contribuait à une amélioration de ses conditions de détention.

10) En l'espèce, pour les raisons susmentionnées, la période de détention faisant l'objet du présent examen porte uniquement sur la période du 25 février au
21 octobre 2014.

Il résulte du parcours cellulaire du recourant qu'il a séjourné pendant toute la période précitée, soit durant deux cent trente-neuf jours consécutifs, dans une cellule de 10,18 m2 net (11,95 m2 brut) avec deux autres détenus, lui procurant ainsi une surface individuelle nette de 3,39 m2 (3,98 m2 brut), à l'exception du
30 avril et du 21 octobre 2014, dates auxquelles il a bénéficié d'une surface de 5,09 m2 (5,97 m2 brut). Cet élément n'est d'ailleurs pas contesté par les parties. Les deux interruptions précitées - d’un seul jour - ne sont pas suffisantes pour être prises en considération.

Il n'apparaît pas - et le recourant ne le prétend pas - que les autres conditions concrètes de sa détention (état d'hygiène, d'aération et d'approvisionnement en eau, nourriture, chauffage et lumière) n'auraient pas été convenables.

Ainsi, il y a lieu de retenir que le recourant a été détenu dans une cellule où il bénéficiait de moins de 4 m2 de surface individuelle pendant deux cent
trente-neuf jours considérés comme consécutifs, soit pendant près de huit mois, ce qui ne respectait pas les standards minimaux en matière de surface individuelle disponible. Dans l'appréciation globale de toutes les conditions concrètes de la détention, il convient toutefois de relever qu'entre le 25 février et le
1er mars 2014 ainsi qu'entre le 16 juillet et le 21 octobre 2014, le recourant a travaillé en atelier à raison de quatre heure trente par jour, cinq jours par semaine. Ces heures de travail lui ont ainsi permis de réduire son confinement en cellule. Au vu de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral et de la chambre de céans, ces quatre heures trente de travail, couplées à l'heure quotidienne de promenade et aux heures de sport et de visite sur l’ensemble de la semaine dont il bénéficiait, étaient des facteurs constitutifs d'un allégement des conditions de détention du recourant. Ainsi, durant les périodes précitées, soit du 25 février au 1er mars 2014 et du 16 juillet au 21 octobre 2014, les conditions de sa détention, aussi difficiles qu'elles avaient été, n'étaient pas illicites.

En revanche, les conditions de détention du recourant se sont durcies entre le 2 mars et le 15 juillet 2014, soit durant plus de trois mois, dès lors qu'il n'a occupé aucun poste de travail entre le 2 mars et le 29 avril 2014 et un poste de nettoyeur de table une heure par jour du 29 avril au 15 juillet 2014. Le fait qu'il ait pu quitter sa cellule, durant cette deux période, en moyenne une à deux heures par jour grâce aux heures de promenades et de sport, respectivement grâce à son travail de nettoyeur de table à compter du 29 avril 2014, ne sont pas des facteurs suffisants pour considérer la période de détention subie entre le 2 mars et le
15 juillet 2014 dans un espace confiné de 3,39 m2 comme licite. Par ailleurs, s'il apparaît que le recourant a perdu sa place de travail à l'atelier polyvalent à compter du 2 mars 2014 suite à un refus de réintégrer sa cellule, cet élément n'est pas de nature à remettre en cause ce qui précède. En effet, si son comportement semble effectivement avoir causé la perte de son poste de travail à l'atelier polyvalent, il ne peut justifier à lui seul qu'on admette la licéité des conditions de détention d'un détenu confiné entre vingt-deux et vingt-trois heures par jours, pendant plus de trois mois, dans une surface de moins de 4 m2. Enfin, le seul fait qu'un de ses codétenus ait travaillé à la cuisine du 15 mars au 11 avril 2014 en alternance une semaine sur deux durant trois heures (semaine 1), respectivement cinq heures quarante-cinq (semaine 2) n'est pas à lui seul un facteur d'allégement suffisant des conditions de détention permettant de considérer celle-ci comme étant licites.

11) Au vu de ce qui précède, le recours sera partiellement admis, dans la mesure où il est recevable.

La chambre de céans constatera que les conditions de détention du recourant ont été illicites pour la période allant du 2 mars au 15 juillet 2014 eu égard à toutes les conditions concrètes de sa détention.

12) Vu la nature du litige et le fait que le recourant est au bénéfice de l’assistance juridique, il ne sera pas perçu d’émolument (art. 12 al. 1 et 13 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) et une indemnité de procédure réduite de
CHF 400.- lui sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

admet partiellement, dans la mesure où il est recevable, le recours interjeté le 24 août 2017 par Monsieur A______ contre la décision département de la sécurité du
24 juillet 2017 ;

constate que les conditions de détention de Monsieur A______ ont été illicites pour la période allant du 2 mars au 15 juillet 2014 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 400.- à Monsieur A______, à la charge de l'État de Genève ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public, s’il porte sur la responsabilité étatique entre les parties et que la valeur litigieuse n’est pas inférieure à CHF 30’000.- ;

- par la voie du recours en matière de droit public, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 30’000.- et que la contestation porte sur une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF, si la valeur litigieuse est inférieure à CHF 30’000.- ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Samir Djaziri, avocat du recourant, ainsi qu'au département de la sécurité.

Siégeant : M. Verniory, président, M. Thélin, Mme Junod, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

le président siégeant :

 

 

J.-M Verniory

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :