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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3268/2015

ATA/577/2017 du 23.05.2017 sur JTAPI/794/2016 ( LDTR ) , REJETE

Recours TF déposé le 03.07.2017, rendu le 23.11.2017, REJETE, 1C_361/2017
Descripteurs : CHANGEMENT DE PRATIQUE ; FRAUDE À LA LOI ; PRINCIPE DE LA BONNE FOI ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ; VENTE ; AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL) ; PESÉE DES INTÉRÊTS ; INTÉRÊT PUBLIC ; LOGEMENT ; MARCHÉ LOCATIF ; ÉMOLUMENT
Normes : Cst.8; Cst.9; RDTR.12.al1; RDTR.16; RDTR.17.al2; LDTR.39; LDTR.25; RDTR.11; RDTR.13; RDTR.18
Résumé : Changement de pratique du DALE en raison de tentatives de fraudes à la loi. Selon l'ancienne pratique, il n'y avait pas d'« aliénation » au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR dans le cas d'opérations visant à liquider des sociétés immobilières d'actionnaires-locataires (SIAL) et à transformer les cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'unités d'étages. En l'espèce, des opérations successives, se terminant par la liquidation d'une SIAL récemment créée ont été mises sur pied afin de pouvoir artificiellement bénéficier de cette pratique. Il y a eu tentatives de fraudes à la loi. Ne s'agissant pas d'un cas isolé, il existe des motifs sérieux et objectifs justifiant le changement de pratique, conforme au droit. Vu l'existence d'aliénations, les transferts de lots de PPE étaient soumis à autorisation selon l'art. 39 LDTR. Refus de délivrance des autorisations d'aliéner conformes au droit. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3268/2015-LDTR ATA/577/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 23 mai 2017

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Christophe Gal, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE- OCLPF

et

ASSOCIATION GENEVOISE DES LOCATAIRES (ASLOCA)

représentée par Me Romolo Molo et Me Roman Seitenfus, avocats

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 août 2016 (JTAPI/794/2016)


EN FAIT

1) Le 12 juillet 2002, Monsieur B______ a acquis l'immeuble comportant vingt-deux appartements sis au C______, sur la parcelle n° 1______, feuille ______ de la commune Carouge, située en zone de développement 2
(ci-après : l'immeuble).

2) M. B______ est l'administrateur-président de A______, société inscrite au registre du commerce de Genève le 24 novembre 2011 ayant initialement pour but les « achats et ventes immobilières ; exploitation d'immeubles ».

3) Le 30 mai 2012, A______, par M. B______, a vendu ses actions aux personnes suivantes (ci-après : les acquéreurs) :

- D______(anciennement E______), vingt-huit actions regroupées dans le certificat d'actions n°17 ;

- Madame F______, vingt-huit actions, regroupées dans le certificat d'actions n°20.

4) Le 15 juin 2012, M. B______ a vendu l'entier de l'immeuble à A______.

5) Le 25 juin 2012, A______ a modifié ses statuts, devenant une société immobilière d'actionnaires-locataires (ci-après : SIAL). L'art. 38 des nouveaux statuts prévoyait que « la propriété d'un certificat de la société confère à l'actionnaire le droit de louer une partie déterminée des immeubles sociaux et/ou de leurs dépendances » Cette disposition comprenait un tableau de concordances entre les lots de propriété par étages (ci-après : PPE) et les certificats d'action.

6) Dès le 29 juin 2012, l'immeuble a été soumis au régime de la PPE.

7) Par actes instrumentés par Maître G______, notaire, les 3 février et 12 mars 2014, A______ a transféré à D______la propriété du lot 5.05 de l'immeuble (appartement de deux pièces sis au 3ème étage), respectivement à Mme F______ la propriété du lot 6.04 de l'immeuble (appartement de deux pièces sis au 4ème étage), correspondant à leurs certificats d'actions.

Sous le chapitre relatif à la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (mesures de soutien en faveur des locataires et de l'emploi) du 25 janvier 1996 (LDTR - L 5 20), ces actes précisaient que « le transfert à l'actionnaire n'emportant pas de changement de l'ayant droit économique, il n'[était] dès lors pas assujetti à l'autorisation prévue à
l'art. 39 LDTR, selon l'interprétation du département compétent ».

8) Suite à ces transferts, Me G______ a déposé des réquisitions auprès du registre foncier (ci-après : RF) - rattaché à l'office du RF et de la mensuration officielle, lui-même rattaché au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie (ci-après : DALE) - visant l'inscription des nouveaux propriétaires audit registre.

9) Du fait du dépôt de ces réquisitions, les actes de transfert ont été inscrits au journal du RF.

10) Le 9 avril 2014, le RF a adressé aux études de notaires genevoises une note relative aux opérations de liquidation des SIAL et transformation des cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'étages. Me G______ a reçu cette note le 11 avril 2014. Depuis 1995 au moins, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC), rattachée au DALE, considérait que ces opérations n'étaient pas soumises à autorisation de vente au regard de la LDTR, de sorte que le RF avait toujours validé ces cas de transfert sans exiger des notaires qu'ils les soumettent préalablement à cette dernière. Il était toutefois apparu récemment que l'application de cette pratique posait certains problèmes et que par diverses opérations juxtaposées, les exigences de la LDTR se trouvaient contournées. Sur décision du secrétariat général du DALE, cette pratique était dès lors momentanément suspendue et les opérations en cause devraient dorénavant être soumises à la DAC pour décision sur la question de l'assujettissement ou non à la LDTR.

Les dossiers ayant trait à ce type de transfert déjà déposés auprès du RF mais non encore validés seraient retournés aux notaires concernés. Les dossiers récemment déposés et non encore publiés ne feraient l'objet d'une publication dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève
(ci-après : FAO) que lorsque le RF aurait reçu la décision de la DAC.

11) Le 5 mai 2014, le RF a adressé à Me G______ des fiches de mise en communication lui demandant de soumettre les actes de transfert à la DAC pour examen de la question de l'assujettissement ou non à la LDTR.

12) Par arrêt du 12 mars 2015 (5A_981/2014), le Tribunal fédéral a confirmé l'irrecevabilité des recours - interjetés par Me G______, deux autres sociétés dont M. B______ était également administrateur-président, ainsi qu'une quatrième société contre la note du 9 avril 2014 -, prononcée par jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) du 11 juin 2014 (JTAPI/626/2014) et confirmée par arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 28 octobre 2014 (ATA/871/2014).

13) Les 8 et 11 mai 2015, le RF a imparti des délais aux 8 et 12 juin 2015 à Me G______ pour retourner les actes de transfert munis de l'autorisation d'aliéner ou de la décision de non assujettissement à la LDTR. À défaut de régularisation dans le délai imparti, les réquisitions au RF seraient rejetées sans autre avis.

14) Par requêtes du 26 juin 2015, A______ , par la régie H______ - dont M. B______ est l'administrateur-président -, a sollicité l'autorisation d'aliéner les appartements concernés par les actes de transfert.

Le lot 6.04 que voulait acquérir Mme F______ était alors loué par Monsieur I______. Le lot 5.05 que voulait acquérir
D______ avait été offert en location, mais ne l'était plus.

Dans les deux cas, le motif de vente était la « liquidation de la SIAL PPE », avec pour but le « transfert en nom du lot PPE susmentionné au propriétaire du certificat d'actions auquel la jouissance dudit lot est rattachée statutairement ».

15) Par arrêtés du 29 juillet 2015 de contenu identique (VA 2______ et 3______), le DALE a refusé la délivrance des autorisations d'aliéner et fixé un émolument administratif de CHF 330.- pour chaque arrêté.

Les cessions des actions de A______ survenues en mai 2012 avaient pour but d'individualiser les appartements en cause et auraient dû faire l'objet de requêtes en autorisation d'aliéner. Tel n'avait pas été le cas et il y avait eu infraction à la LDTR. Les appartements concernés avaient été offerts à la location et leur aliénation était soumise à autorisation. Lesdits appartements rentrant dans des catégories de logements dans lesquelles sévissait la pénurie, il était indispensable de sauvegarder leur affectation locative. L'intérêt privé de A______ était de nature commerciale. L'intérêt privé des acquéreurs relevait de la pure convenance personnelle. L'immeuble n'était soumis au régime de la PPE que depuis juin 2012 et A______ possédait deux appartements de l'immeuble. Les conditions de délivrance des autorisations d'aliéner n'étaient pas réalisées. Des décisions de refus n'apparaissaient pas disproportionnées, A______ demeurant libre de revendre les appartements en bloc et la qualité d'actionnaires des acquéreurs n'étant en rien péjorée.

16) Par deux actes séparés du 14 septembre 2015 référencés sous cause A/3268/2015, A______ a recouru auprès du TAPI contre ces arrêtés.

Elle a conclu à leur annulation, au constat que les transferts de propriété n'étaient pas soumis à autorisation ou à l'autorisation desdits transferts, à leur inscription au grand livre du RF, au constat que les décisions de non assujettissement n'étaient pas sujettes à émolument administratif ou à leur exonération de tout émolument ou encore à la fixation dudit émolument à CHF 220.- au maximum, ainsi qu'au versement d'une indemnité de procédure.

Le DALE avait constaté les faits de manière inexacte et incomplète. Les cessions des actions étaient antérieures à l'achat de l'immeuble, de sorte qu'il n'y avait alors pas pu y avoir d'infractions à la LDTR. Le DALE devait examiner l'opération à l'aune des circonstances, de l'état du droit et de la pratique à la date des réquisitions de transfert. Les opérations considérées, intervenues avant la suspension de la pratique, n'étaient pas soumises à autorisation. Les acquéreurs étaient en réalité les détenteurs économiques des appartements concernés. A______ ne possédait plus aucun appartement dans l'immeuble depuis la modification de ses statuts en juin 2012.

S'agissant de transferts de parts de PPE à des propriétaires d'actions auxquelles la jouissance des lots était rattachée statutairement, les opérations n'étaient pas assimilables à des aliénations en raison de l'absence de modification des détenteurs économiques.

Par sa note du 9 avril 2014, le DALE avait modifié une pratique constante depuis près de vingt ans. La nouvelle pratique interprétait de façon plus stricte les règles applicables et ne pouvait s'appliquer que pour l'avenir, d'autant plus compte tenu de l'absence de circonstances nouvelles. La note lui donnait un effet rétroactif, les actes signés et inscrits au grand livre sans soumission préalable au DALE. L'effet rétroactif portait atteinte à la sécurité et à la prévisibilité du droit. Le DALE ne pouvait modifier sa pratique sans en informer au préalable les administrés et les notaires. Le principe de la légalité avait été violé.

A______, les acquéreurs et le notaire, confortés dans la pratique du DALE, avaient engagé des frais, pris des dispositions et contracté des garanties bancaires, qui avaient été complètement exécutées. Une interdiction des transferts causerait des dommages, risques et inconvénients qui ne pouvaient être imposés à la société, aux cessionnaires et aux banques. Leur bonne foi, qui commandait à tout le moins la mise en place d'un régime transitoire, devait être protégée.

Les transferts n'étant pas soumis à autorisation, aucun émolument ne pouvait être perçu. De pratique constante, qu'il ne pouvait modifier ainsi, le DALE exonérait les décisions de refus de tout émolument. Ils étaient par ailleurs excessifs, vu la similarité des septante requêtes déposées. En l'absence de publication dans la FAO, il justifiait de facturer moins qu'en cas de décision favorable, soit CHF 220.- au maximum.

17) Le 20 novembre 2015, l'association genevoise des locataires
(ci-après : ASLOCA) a sollicité son appel en cause, que le TAPI a ordonné par décision du 23 décembre 2015, après avoir donné aux parties la possibilité de se déterminer.

18) Dans ses observations du 2 décembre 2015, le DALE a conclu au rejet du recours.

Au vu du soupçon de l'existence d'une fraude à la loi lors d'opérations successives ayant abouti à l'individualisation d'appartements, notamment ceux de l'immeuble, il y avait suffisamment de motifs sérieux et objectifs pour permettre au DALE de changer sa pratique.

Les appartements en cause avaient été offerts à la location, de sorte que leur aliénation était soumise à autorisation. Dans la mesure où ni l'exception, ni les motifs d'autorisation n'étaient remplis, le DALE avait procédé à la pesée des intérêts en présence. Aucun intérêt privé n'ayant en l'espèce été démontré, le DALE avait à juste titre considéré que l'intérêt public l'emportait.

Les décisions de refus faisaient également l'objet d'un émolument, fixé depuis plusieurs années à CHF 330.- par décision, et pouvant être majoré selon la complexité du dossier. Chacune des requêtes avait fait l'objet de l'ouverture d'un dossier, d'une instruction et de la rédaction d'une décision.

19) Dans ses déterminations du 2 février 2016, l'ASLOCA a conclu au rejet du recours et au versement d'une indemnité de procédure.

La convention de cession d'actions ne pouvait pas avoir d'effet réel, notamment parce que l'immeuble avait été soumis au régime de la PPE le 29 juin 2012, soit postérieurement à la cession d'actions du 30 mai 2012.

Soit l'achat d'actions par les acquéreurs ne comportait pas de droit individualisé sur un appartement, auquel cas les actes de transfert étaient de nouvelles aliénations et devaient être soumises à autorisation, soit les cessions d'actions comportaient la cession de droits individuels et auraient à l'époque dû être soumises à autorisation.

Pour le surplus, elle reprenait en substance l'argumentation du DALE.

20) Le 29 février 2016, le DALE a persisté dans ses conclusions, faisant sienne l'argumentation de l'ASLOCA.

21) Dans ses observations du 9 mars 2016, A______ a confirmé ses conclusions.

En vertu du principe de la primauté du droit fédéral, l'application du droit cantonal ne pouvait pas faire obstacle à la liquidation d'une SIAL.

22) Par acte du 8 avril 2016, l'ASLOCA a persisté dans ses conclusions.

23) Par jugement du 5 août 2016, le TAPI a ordonné la jonction des deux procédures et rejeté les recours.

Le grief de constatation inexacte et incomplète des faits concernait en réalité une question d'appréciation des faits et donc de droit.

Il n'était pas contesté que les appartements en cause entraient, par leur nombre de pièces, dans les catégories concernées par la pénurie, ni qu'ils avaient eu une affectation locative. En suivant la thèse de A______ , aucun acte juridique, depuis l'acquisition de l'immeuble en 2012, n'aurait été soumis à la LDTR, alors que chaque appartement était en passe d'être inscrit au RF en tant que propriété individualisée et que la LDTR visait précisément à éviter que des appartements à louer ne sortent du marché locatif par le biais de quelque forme d'aliénation que ce soit. Les circonstances du cas d'espèce suggéraient fortement une volonté de contourner la loi en créant de toutes pièces un assemblage supposé pouvoir bénéficier de l'ancienne pratique du DALE. Le caractère artificiel de l'édifice juridique s'illustrait dans le fait de constituer une SIAL de façon concomitante à la soumission de l'immeuble au régime de la PPE, puis de la liquider presque immédiatement après. La logique ayant présidé à la constitution d'une SIAL avant l'apparition de l'institution de la PPE faisait également défaut. Par le jeu d'opérations successives, A______ avait ainsi tenté d'aliéner les appartements au mépris des buts de la LDTR, leur finalité entraînant une sortie du marché locatif et donc un changement d'affectation. Prises dans leur ensemble, les circonstances démontraient l'existence d'une fraude à la loi. Le DALE avait légitimement retenu que les requêtes de transfert de propriété des lots de PPE aux actionnaires de A______ étaient soumises à autorisation.

A______ ne pouvait se plaindre d'une modification de la pratique, puisque, même si elle n'avait pas été modifiée, elle n'aurait pas pu trouver application dans les cas d'espèce. Le principe de la bonne foi présupposait que celui qui s'en prévalait soit lui-même de bonne foi, ce qui n'était pas le cas dans une situation de fraude à la loi.

L'intérêt public au maintien du parc locatif genevois l'emportait sur les intérêts privés des acquéreurs et de A______ SA, purement commerciaux ou économiques.

La jurisprudence avait admis de longue date que la LDTR pouvait restreindre l'application du droit fédéral lorsque les circonstances le justifiaient. Le grief relatif à la force dérogatoire du droit fédéral ne remplissait pas les exigences minimales de motivation.

D'autres arrêtés refusant l'autorisation d'aliéner un appartement versés à la procédure avaient également fait l'objet d'un émolument de CHF 330.-. Ce montant n'était pas disproportionné, le DALE ayant dû, pour chaque requête, ouvrir un dossier et l'instruire, puis rendre une décision motivée en fait et en droit.

24) Par acte du 14 septembre 2016, A______ a recouru auprès de la chambre administrative contre le jugement du TAPI du 5 août 2016, concluant à son annulation et reprenant ses conclusions formulées en première instance.

La recourante a complété l'argumentation développée précédemment.

Le TAPI ne pouvait écarter le grief de constatation inexacte et incomplète des faits en retenant qu'il s'agissait d'un grief de droit sans ensuite l'examiner. L'instance précédente avait par ailleurs omis de constater la pratique constante du DALE et de relever les actes accessoires en relation avec le financement des transferts, faits pourtant de nature à influencer le sort des causes.

Il ne pouvait y avoir de fraude à la loi, dans la mesure où elle avait soumis les actes de transfert au DALE. Le choix d'acquérir ou de détenir un immeuble par le fait d'une société dont le capital était partagé entre plusieurs actionnaires n'était pas en soi illégitime ou insolite et présentait des avantages économiques pour chaque investisseur. La transformation d'une société anonyme propriétaire de lots de PPE en SIAL n'était pas soumise à autorisation, ni interdite. Cela permettait à ses actionnaires de rattacher leurs droits à un lot et ne constituait pas une forme d'aliénation. Le fait que l'assemblage puisse conduire à l'individualisation d'appartements ne suffisait pas pour qu'il constitue une fraude. Elle avait simplement utilisé sa liberté d'organisation, sans en abuser. Même à admettre l'existence d'un abus, il n'était pas manifeste, puisque le RF et le DALE avaient maintenu leur pratique dans un cas similaire au début de l'année 2014. Le fait que les transferts requis puissent être opérés sans être soumis à la LDTR résultait d'une lacune et non d'une fraude.

Elle-même, les cessionnaires, le notaire et les banques s'étaient fiés de bonne foi à la pratique de l'État et du RF, confirmée le 20 mars 2014, soit moins de trois semaines avant la notification de la note du 9 avril 2014. Ils avaient engagé des frais importants. Un régime transitoire devait être mis en place.

S'agissant du principe de la primauté du droit fédéral, le refus opposé par l'autorité intimée faisait obstacle à la liquidation de la SIAL. Les restrictions de droit public à la propriété devaient respecter le principe de la proportionnalité qui était violé par les arrêtés entrepris.

25) Le 22 septembre 2016, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative, sans formuler d'observations.

26) Par réponse du 18 octobre 2016, l'ASLOCA a conclu au rejet du recours et au versement d'une indemnité de procédure.

Elle reprenait, en substance, ses arguments développés en première instance.

27) Par réponse du 18 octobre 2016, le DALE a conclu au rejet du recours et persisté dans ses écritures de première instance.

28) Le 18 novembre 2016, la recourante a maintenu l'intégralité de ses conclusions.

29) Par courrier du 21 novembre 2016, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recours porte sur la conformité au droit du jugement du TAPI confirmant les arrêtés du DALE soumettant les actes de transfert à autorisation d'aliéner et refusant la délivrance desdites autorisations.

3) La recourante reproche au TAPI et au DALE d'avoir retenu que les actes de transfert étaient soumis à autorisation.

a.              L'aliénation sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions, de parts sociales), d'un appartement à usage d'habitation jusqu'alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l'appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR). Pour remédier à la pénurie d'appartements locatifs dont la population a besoin, tout appartement jusqu'alors destiné à la location doit conserver son affectation locative, dans les limites du chapitre relatif aux mesures visant à lutter contre la pénurie d'appartements locatifs (art. 25 al. 1 LDTR). Il y a pénurie d'appartements lorsque le taux des logements vacants considéré par catégorie est inférieur à 2 % du parc immobilier de la même catégorie (art. 25 al. 2 LDTR). Les appartements de plus de sept pièces n'entrent pas dans une catégorie où sévit la pénurie (art. 25 al. 3 LDTR).

b.             Selon l'art. 11 al. 3 du règlement d'application de la LDTR du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01), par appartement jusqu'alors offert en location, au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR, il faut entendre, soit l'appartement loué lors du dépôt de la requête en autorisation d'aliéner (let. a), l'appartement vide ou vacant lors du dépôt de la requête en autorisation d'aliéner, mais qui a précédemment été loué par son propriétaire actuel (let. b), ou l'appartement occupé, lors du dépôt de la requête en autorisation d'aliéner, par son propriétaire, si celui-ci a précédemment loué l'appartement considéré (let. c). Nonobstant la teneur de l'art. 11 al. 3 RDTR, une autorisation d'aliéner doit impérativement être requise en cas de vente d'un ou plusieurs appartement(s) acquis par voie d'adjudication (art. 11 al. 4 RDTR).

c.              Les catégories de logements où sévit la pénurie sont déterminées chaque année par arrêté du Conseil d'État en fonction du nombre de pièces par appartement (art. 11 al. 1 RDTR). Le Conseil d'État a constaté, en 2015, 2016 et 2017, qu'il y avait pénurie, au sens des art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories des appartements d'une à sept pièces inclusivement (arrêtés du Conseil d'État déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR du 15 janvier 2015, 13 janvier 2016 et 13 janvier 2017 - ArAppart - L 5 20.03).

d.             Selon la jurisprudence de la chambre administrative, la vente d'un appartement est soumise à autorisation pour autant que ce dernier entre, du fait de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 du 17 janvier 2017 ; ATA/701/2016 du 23 août 2016 ; ATA/356/2012 du 5 juin 2012).

e.              En l'espèce, il n'est pas contesté que les appartements concernés par les actes de transfert entrent, par leur nombre de pièces, dans des catégories de logements où sévit la pénurie et ont été offerts à la location, de sorte que leur aliénation est en principe soumise à autorisation.

4) La recourante fait cependant grief au TAPI de n'avoir pris en compte ni la pratique de l'autorité intimée, ni l'absence d'aliénation - s'agissant de transferts de la propriété juridique aux propriétaires économiques -, éléments qui auraient tous deux dû conduire l'instance précédente à retenir que les actes de transfert n'étaient pas soumis à autorisation d'aliéner.

a. La notion de pratique administrative désigne la répétition constante et régulière dans l'application d'une norme par les autorités administratives. De cette répétition peuvent apparaître, comme en ce qui concerne la jurisprudence, des règles sur la manière d'interpréter la loi ou de faire usage d'une liberté d'appréciation. Elle vise notamment à résoudre de manière uniforme des questions de fait, d'opportunité ou d'efficacité. Cette pratique ne peut être source de droit et ne lie donc pas le juge, mais peut néanmoins avoir indirectement un effet juridique par le biais du principe de l'égalité de traitement (ATA/596/2015 du 9 juin 2015 ; ATA/20/2015 du 6 janvier 2015).

Selon la jurisprudence, pour être compatible avec le principe de la bonne foi, découlant des art. 8 et 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), un changement de pratique administrative doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, c'est-à-dire rétablir une pratique conforme au droit, mieux tenir compte des divers intérêts en présence ou d'une connaissance plus approfondie des intentions du législateur, d'un changement de circonstances extérieures, de l'évolution des conceptions juridiques ou des moeurs. Les motifs doivent être d'autant plus sérieux que la pratique suivie jusqu'ici est ancienne. À défaut, elle doit être maintenue (ATF 135 I 79 consid. 3 ; 132 III 770 consid. 4 ; 127 I 49 consid. 3c ; 127 II 289 consid. 3a ; ATA/596/2015 du
9 juin 2015 ; ATA/857/2014 du 4 novembre 2014).

Par ailleurs, pour que l'égalité de traitement soit respectée, il convient que le changement de pratique s'applique immédiatement, y compris aux affaires pendantes au moment où il intervient. Il doit s'agir d'un véritable changement de pratique et non d'une exception ponctuelle à une pratique qui reste établie (ATA/834/2016 du 4 octobre 2016 ; ATA/240/2013 du 16 avril 2013 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 204 n. 603 et les arrêts cités).

b. Il y a fraude à la loi lorsqu'un justiciable évite l'application d'une norme imposant ou interdisant un certain résultat (norme éludée) par le biais d'une autre norme permettant d'aboutir à ce résultat de manière apparemment conforme au droit (norme éludante ; ATF 132 III 212 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_751/2014 du 23 février 2015 consid. 4.1). Pour décider s'il y a fraude à la loi, il faut interpréter la norme d'interdiction en recherchant si, selon son sens et son but, elle s'applique aussi à l'opération litigieuse, ou si cette dernière est exclue du champ d'application de la norme d'interdiction et est ainsi valable (ATF 140 II 233 consid. 5.1). Il convient d'examiner si la norme éludée entend uniquement prohiber une certaine manière de procéder, ou si elle veut interdire un résultat en soi. Dans cette seconde hypothèse, la norme éludée doit être appliquée nonobstant la construction destinée à la contourner (arrêts du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1 ; 4A_609/2012 du 26 février 2013 consid. 3 ; ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités).

La fraude à la loi est une forme particulière de l'abus de droit, dont l'interdiction se déduit du principe de la bonne foi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1 ; ATA/487/2014 du 24 juin 2014 consid. 3). Un abus de droit doit, pour être sanctionné, apparaître manifeste (arrêts du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1 ; 1C_874/2013 du 4 avril 2014 consid. 4.3). Il n'est pas aisé de tracer la frontière entre le choix d'une construction juridique offerte par la loi et l'abus de cette liberté, constitutif d'une fraude à la loi. Répondre à cette question implique une appréciation au cas par cas, en fonction des circonstances d'espèce (ATF 139 III 145 consid. 4.2.4 et la jurisprudence citée ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1 ; ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités).

c. Le RF donne l'état des droits sur les immeubles (art. 942 al. 1 du code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210). L'inscription à ce registre est nécessaire pour l'acquisition de la propriété foncière (art. 656 al. 1 CC). Le RF n'opère d'inscription au registre que sur réquisition (art. 46 al. 1 de l'ordonnance sur le RF du 23 septembre 2011 - ORF - RS 211.432.1). En cas de vente, cette réquisition est déposée par le vendeur (art. 83 al. 2 let. c et 84 al. 1 ORF) ou par le notaire qui a reçu les actes (art. 963 al. 3 CC et 158 al. 1 de la loi d'application du CC et d'autres lois fédérales en matière civile du 28 novembre 2010 - LaCC - E 1 05). Lorsqu'une telle réquisition d'inscription parvient au RF, elle est portée au journal (art. 81 al. 1 let. a ORF). Lors de son traitement, le RF vérifie que les conditions légales d'une inscription au grand livre sont réunies (art. 83 al. 1 ORF). Il vérifie notamment que les autorisations nécessaires ont été produites (art. 83 al. 2 let. i ORF). L'admission de la réquisition se fait par l'inscription au grand livre (art. 89 al. 1 ORF). Lorsque les conditions de l'inscription au grand livre ne sont pas remplies, le RF rejette la requête (art. 87 al. 1 ORF). Le rejet de la réquisition fait l'objet d'une décision formelle motivée, qui est notifiée aux intéressés (art. 87 al. 3 ORF ; ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités).

d. Selon l'art. 12 al. 1 RDTR, c'est le vendeur qui a l'obligation de solliciter auprès du DALE l'autorisation d'aliéner, cas échéant représenté par son notaire. Les agents immobiliers, les notaires ou autres mandataires professionnels, dont le concours est sollicité en vue de la passation d'un acte de vente d'un appartement jusqu'alors offert en location, ont l'obligation de s'assurer préalablement de la délivrance par le DALE de ladite autorisation (art. 16 RDTR). Le conservateur du RF écarte toute réquisition d'inscription d'une aliénation d'une part de copropriété par étages portant sur un appartement qui n'est pas assortie d'une autorisation du DALE au sens de l'art. 39 LDTR lorsque celle-ci est nécessaire (art. 17
al. 2 RDTR ; ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités).

5) Dans la cause A/115/2013, dans laquelle l'ASLOCA alléguait une fraude à la loi en relation avec la pratique de l'autorité intimée quant à la liquidation d'une SIAL avec transfert des lots de PPE aux actionnaires-locataires, le DALE avait rappelé que la SIAL était une forme de société immobilière qui, à l'instar des coopératives de locataires, s'était constituée à une époque où la PPE n'était pas admise en droit suisse pour mettre des logements à disposition de leurs membres (ATA/947/2014 du 2 décembre 2014 consid. 12 en fait ; Guy FLATTET, Les sociétés immobilières d'actionnaires-locataires, JdT 1949 I 610 ; Peter FORSTMOSER/ Arthur MEIER-HAYOZ, Einführung in das schweizerische Aktienrecht, 3ème éd., 1983, n. 45 page 314). Cette forme de société s'était développée, spécialement en Suisse romande, après la deuxième guerre mondiale et jusqu'en 1965, date de l'introduction dans le CC du régime de la PPE. Postérieurement à cette date, nombre d'immeubles avaient encore été construits et exploités sous cette forme. Le DALE avait dans le cas d'espèce indiqué avoir la volonté de maintenir sa pratique, la société en cause ayant été constituée sous forme de SIAL sous l'ancien droit (ATA/947/2014 précité consid. 12 en fait). La chambre administrative avait dans ce cas renvoyé la cause au DALE pour qu'il examine l'applicabilité de l'art. 39 LDTR et constate s'il existait ou non une fraude à loi (ATA/947/2014 précité consid. 17). Elle avait par ailleurs fait de même dans un deuxième arrêt du même jour, cause dans le cadre de laquelle le DALE n'avait cependant pas formulé d'observations (ATA/948/2014 du 2 décembre 2014 consid. 17 ; ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités).

6) En l'espèce, la pratique instaurée depuis 1995 et dont la suspension a été annoncée en avril 2014 n'est pas contestée par l'autorité intimée. La chambre administrative a, au demeurant, déjà été amenée à constater l'existence de ladite pratique (ATA/817/2014 du 28 octobre 2014 consid. 16). Comme la chambre de céans l'avait alors retenu, la pratique en cause consistait à considérer qu'il n'y avait pas d' « aliénation » au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR dans le cas d'opérations visant à liquider des SIAL et à transformer les cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'unités d'étages. L'idée qui sous-tendait cette pratique était que les immeubles concernés restaient dans ce cas en mains des mêmes détenteurs économiques, les détenteurs des certificats d'action devenant simplement « propriétaires en nom » des biens immobiliers. Il ne s'agissait ainsi pas d'une vente d'appartement impliquant un changement de propriétaire, mais d'un simple changement de régime juridique non soumis à autorisation (ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017, ATA/817/2014 précités).

Or, si par la note du 9 avril 2014, le DALE a simplement suspendu sa pratique en raison d'un doute quant à l'existence de fraudes à la loi et ainsi annoncé l'exercice d'un contrôle par la présidence du département - intervenant en sa qualité d'autorité hiérarchique supérieure du RF et de la DAC et d'autorité de surveillance du RF - afin de vérifier que cette pratique n'était pas détournée à des fins autres que celles poursuivies par la loi (ATA/817/2014 précité consid. 18), les arrêtés rendus suite à ce contrôle ont consacré un changement de pratique, puisqu'il n'est désormais plus automatiquement retenu l'absence d'aliénation au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR dans les cas de liquidation d'une SIAL avec transformation des cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'unités d'étages (ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités).

Ainsi, le changement de pratique réside dans le fait que désormais, même dans le cas de figure visé par l'ancienne pratique de l'autorité intimée - soit de liquidation d'une SIAL avec transfert des unités d'étages aux actionnaires-locataires -, le dossier doit être soumis au DALE pour examen de l'assujettissement ou non à autorisation d'aliéner et, cas échéant, des conditions de délivrance d'une telle autorisation, préalablement à toute inscription au RF (ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités).

7) Il convient dès lors d'examiner si ce changement de pratique est conforme au droit.

L'autorité intimée est revenue sur sa pratique en raison d'un changement des circonstances extérieures, soit l'existence de cas nouveaux, dans lesquels, par la succession de diverses opérations, se terminant par la liquidation d'une SIAL récemment créée avec transfert de la propriété d'unités d'étages aux cessionnaires détenteurs de certificats d'actions, des sociétés tentaient artificiellement d'obtenir l'application de la pratique de l'autorité intimée, ceci afin d'éluder l'art. 39 LDTR et d'aliéner des appartements sans avoir jamais sollicité d'autorisation en ce sens. L'autorité intimée a ainsi changé sa pratique en raison de cas de fraudes à la loi.

Or, ces circonstances nouvelles de tentatives de fraudes à la loi sont avérées, le cas d'espèce lui-même les illustrant par la succession des opérations juridiques suivantes.

Le 30 mai 2012, la recourante - dont M. B______ est administrateur-président - a vendu ses actions aux acquéreurs. Le 15 juin 2012, M. B______ a vendu l'immeuble à A______. Le 25 juin 2012, A______ a changé ses statuts pour devenir une SIAL. Les statuts modifiés prévoyaient désormais, en faveur des actionnaires, un droit de location des appartements de l'immeuble correspondant à leurs certificats d'actions, conformément au tableau de concordance. L'immeuble n'a pourtant été soumis au régime de la PPE que postérieurement, soit le 29 juin 2012. Par acte du 12 mars 2014, la recourante a sollicité le transfert des lots de PPE aux actionnaires en fonction des certificats d'actions qu'ils détenaient, ceci en comptant sur le fait que ces transferts ne seraient pas soumis à autorisation d'aliéner, comme l'indique clairement la disposition concernant la LDTR contenue dans chaque acte de transfert.

Par le biais de ces diverses opérations successives, les appartements sis dans l'immeuble ont été individualisés et les protagonistes ont tenté d'aliéner les appartements locatifs sans jamais solliciter d'autorisation. Ce procédé doit dès lors être considéré comme une tentative de fraude à la LDTR.

Au cours de ces différentes étapes, à suivre l'argumentation de la recourante, aucune autorisation d'aliéner n'aurait jamais dû être sollicitée. Cette succession d'opérations visait pourtant clairement à aboutir à des aliénations au sens de l'art. 39 LDTR, puisqu'elle tendait à obtenir au final le transfert de la propriété de chacun des appartements aux acquéreurs et à les faire inscrire au RF en tant que propriétés individualisées.

Dans de tels cas, l'application de la pratique de l'autorité intimée serait allée à l'encontre de la loi, puisqu'elle aurait abouti à la finalisation des transferts sans examen de l'art. 39 LDTR, malgré la survenance d'aliénations au sens de cet article de par la globalité des différentes opérations.

Il apparaît ainsi évident que ces opérations successives - céder les actions d'une société, propriétaire d'un immeuble, à différents cessionnaires, vendre l'immeuble à la SA pour immédiatement la transformer en SIAL et ensuite soumettre l'immeuble en cause au régime de la PPE, ceci pour finalement liquider la SIAL nouvellement créée et transférer aux actionnaires-locataires les lots de PPE correspondant à leur certificat d'actions - ont été mises sur pied afin de pouvoir artificiellement bénéficier de la pratique de l'autorité intimée et ainsi se soustraire à l'art. 39 LDTR.

Au vu de ce qui précède et de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, le TAPI a, à juste titre, constaté qu'il y avait eu tentatives de fraudes à la loi, visant l'aliénation des appartements en se soustrayant à l'examen requis par l'art. 39 LDTR.

Or, les tentatives de fraudes à la loi du cas d'espèce ne sont pas des cas isolés, comme le démontrent les causes similaires tranchées récemment par la chambre administrative (ATA/39/2017, ATA/38/2017, ATA/37/2017 précités). Toutes concernent des société dont M. B______ est
administrateur-président, comportent une proximité temporelle, les réquisitions au RF ayant été opérées dans les trois cas en février et mars 2014, et s'illustrent par des opérations successives visant à aboutir à la liquidation d'une SIAL avec transferts des lots de PPE aux actionnaires-locataires. Il existait donc une nécessité pour l'autorité intimée de changer sa pratique, afin de s'assurer que
l'art. 39 LDTR ne puisse être éludé par la mise sur pied puis la liquidation d'une SIAL pour masquer des aliénations de parts de PPE correspondant à des appartements.

Par ailleurs, si la pratique en cause est certes ancienne, la nécessité d'éviter des fraudes à la loi constitue en tout état de cause un motif objectif particulièrement sérieux justifiant son changement et l'on ne saurait reprocher au DALE de l'avoir abandonnée pour s'assurer que l'art. 39 LDTR ne soit pas contourné.

Dans ces circonstances, le changement de pratique repose sur des motifs sérieux et objectifs et n'est pas contraire au principe de la bonne foi.

Au surplus, si la recourante se plaint d'une violation du principe de
non-rétroactivité du fait de l'application du changement de pratique alors que les actes de transfert avaient déjà été conclus et les réquisitions d'inscription au RF déposées et portées au journal, il convient au contraire de constater que l'autorité intimée se devait, vu le principe de l'égalité de traitement, d'appliquer ledit changement immédiatement, y compris aux affaires pendantes au moment où il est intervenu, ce qui était le cas en l'espèce, puisqu'aucun transfert n'avait encore été inscrit au grand livre.

Par conséquent, le changement de pratique, justifié par des tentatives de fraudes à la loi, est conforme au droit. L'instance précédente a, à bon droit, constaté que le transfert des lots de PPE aux acquéreurs constituait la dernière étape d'aliénations et était de ce fait soumis à autorisation selon l'art. 39 LDTR.

Les griefs de la recourante relatifs à l'absence de fraude à la loi, à l'absence d'aliénation, à l'illégalité du changement de pratique, ainsi qu'à la violation des principes de l'interdiction de la rétroactivité et de la bonne foi en relation avec ledit changement de pratique seront écartés.

8) Il convient à présent d'examiner si les conditions de délivrance des autorisations d'aliéner étaient réalisées ou non.

a. Le DALE autorise l'aliénation d'un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue (let. a), était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b), n'a jamais été loué (let. c), a fait une fois au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la LDTR (let. d). L'autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d'assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d'habitation ayant été mis en PPE et jusqu'alors offerts en location, avec pour condition que l'acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l'obtention d'une autorisation individualisée (art. 39 al. 4 LDTR).

En cas de réalisation de l'une des hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR, le DALE est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner, ce qui résulte des interprétations tant littérale - le texte indique que l'autorité « accorde » l'autorisation, sans réserver d'exception - qu'historique - l'art. 9 al. 3 aLDTR, dont le contenu est repris matériellement à l'art. 39 al. 4 LDTR, prévoyait expressément que l'autorité ne pouvait refuser l'autorisation - du texte légal. Il n'y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR. Les conditions posées à l'art. 39 al. 4 LDTR sont par ailleurs alternatives, ce qui résulte notamment de l'incompatibilité entre les let. a et b de cette disposition (ATA/1069/2016 du 20 décembre 2016 consid. 4a et les références citées).

b. Au vu de la marge d'appréciation dont elle dispose, lorsqu'aucun des motifs d'autorisation expressément prévus par l'art. 39 al. 4 LDTR n'est réalisé, l'autorité doit rechercher si l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt privé du recourant à aliéner l'appartement dont il est propriétaire (arrêts du Tribunal fédéral 1C_137/2011 ; 1C_139/2011 ; 1C_141/2011 ; 1C_143/2011 du 14 juillet 2011).

Dans le cadre de l'examen de la requête en autorisation, le DALE procède à la pesée des intérêts publics et privés en présence (art. 13 al. 1 RDTR). L'intérêt privé est présumé l'emporter sur l'intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l'appartement par nécessité de liquider un régime matrimonial ou une succession (let. a), par nécessité de satisfaire aux exigences d'un plan de désendettement (let. b), ou du fait de la prise d'un nouveau domicile en dehors du canton (let. c ; art. 13 al. 3 RDTR). Le DALE refuse l'autorisation lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation locative des appartements loués (art. 39 al. 2 LDTR).

La politique prévue par la LDTR procède d'un intérêt public important (arrêt du Tribunal fédéral 1C_143/2011 précité consid. 2.2). Le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas contraire au principe de la proportionnalité, dès lors qu'il est consécutif, de la part de l'autorité administrative, à une pesée des intérêts en présence et à une évaluation de l'importance du motif de refus envisagé au regard des intérêts privés en jeu. En effet, la restriction à la liberté individuelle ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.19/2003 du 8 avril 2003 consid. 2.1 ; ATA/593/2016 du 12 juillet 2016).

c. En l'espèce, aucun des cas de délivrance des autorisations d'aliéner selon l'art. 39 al. 4 et al. 3 LDTR n'est réalisé, de sorte qu'il convient de procéder à la pesée des intérêts conformément à l'art. 39 al. 2 LDTR. Les intérêts qui s'opposent sont, d'une part, les intérêts privés de la recourante à transférer la propriété des appartements en cause aux acquéreurs et ceux de ces derniers à les acquérir ainsi que, d'autre part, l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois.

Or, comme l'ont constaté l'instance précédente et l'autorité intimée, les intérêts privés en cause apparaissent purement commerciaux et de convenance personnelle et ne sauraient l'emporter sur l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois, auquel l'individualisation des appartements concernés se heurterait.

La recourante ne remet au demeurant aucunement en cause la pesée des intérêts effectuée par le TAPI confirmant celle faite par le DALE. Certes, en relation avec des griefs relatifs aux principes de la bonne foi et de la primauté du droit fédéral, ils invoquent les frais générés et les engagements pris en relation avec les actes de transfert, ainsi que les problèmes posés pour la liquidation de la SIAL en cas de confirmation des arrêtés litigieux. Toutefois, ces éléments, même avérés, ne suffiraient pas à faire primer leurs intérêts privés, s'agissant uniquement des conséquences des opérations artificielles sciemment mises sur pied afin de réaliser des fraudes à la loi et de procéder à des aliénations en éludant l'art. 39 LDTR. La recourante n'invoque au surplus pas d'autre fait particulier en relation avec leurs intérêts privés respectifs.

Par conséquent, rien n'indique que le DALE ait abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois était prépondérant et il a, à bon droit, confirmé que les conditions de délivrance des autorisations d'aliéner n'étaient pas réalisées.

9) La recourante affirme que les autorisations d'aliéner auraient dû être délivrées en application du principe de la primauté du droit fédéral, le refus opposé par l'autorité intimée faisant obstacle à la liquidation de la SIAL, régie par les art. 736 ss de la loi fédérale complétant le CC (livre cinquième : droit des obligations) du 30 mars 1911 (code des obligations - CO - RS 220). Les restrictions de droit public à la propriété doivent reposer sur une base légale, être justifiées par un intérêt public suffisant et respecter le principe de la proportionnalité. Elle affirme que ce dernier principe aurait été violé.

a. Le principe de la primauté du droit fédéral découlant de l'art. 49 Cst. fait obstacle à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 119 Ia 348 consid. 2c ; 117 Ia 328 consid. 2b ; ATA/1345/2015 du 15 décembre 2015 consid. 6a).

b. La réglementation mise en place par la LDTR est en soi conforme au droit fédéral et à la garantie de la propriété (ATF 116 Ia 401 consid. 9 p. 414 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_617/2012 du 3 mai 2013 consid. 2.3 ; 1C_358/2010 du 18 janvier 2011 consid. 3.3 ; ATA/695/2012 du 16 octobre 2012).

Le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas une atteinte disproportionnée à la garantie de la propriété, pourvu que l'autorité administrative effectue une pesée des intérêts en présence et évalue l'importance du motif de refus au regard des intérêts privés en jeu (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa p. 137 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_417/2016 du 27 mars 2017). Le grief tiré de la violation de la liberté économique n'a, à cet égard, pas de portée indépendante et se confond avec celui pris de la violation de la garantie de la propriété (ATF 113 Ia 126 consid. 8c p. 139 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_358/2010 du 18 janvier 2011 consid. 3.3).

c. En l'espèce et comme analysé ci-dessus, l'autorité intimée a effectué une pesée des intérêts en présence et est parvenue à juste titre à la conclusion que l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois était prépondérant par rapport aux intérêts privés économiques des acquéreurs et de la recourante. Il est dès lors faux d'affirmer que la LDTR ferait obstacle à l'application du CO quant à la liquidation des SIAL, celle-ci restant possible hormis lorsque ces dispositions sont utilisées pour éluder les dispositions sur la LDTR.

La recourante n'a pas démontré le caractère disproportionné de la restriction à son droit de propriété et à sa liberté économique. Elle demeure libre de revendre les appartements en bloc et la qualité d'actionnaire des acquéreurs n'est en rien péjorée.

Au vu de ce qui précède, le grief, mal fondé, sera écarté.

Les arrêtés attaqués refusant la délivrance des autorisations d'aliéner sont ainsi confirmés.

10) La recourante affirme que l'autorité intimée ne pouvait pas mettre à sa charge un émolument de CHF 330.- par arrêté.

a. Le DALE perçoit un émolument de CHF 220.- à CHF 1'100.- pour toute décision rendue en application de l'art. 39 LDTR (art. 18 RDTR).

b. En l'espèce, dans la mesure où les arrêtés de l'autorité intimée, conformes au droit, sont fondés sur l'art. 39 LDTR, c'est à juste titre qu'elle a fixé un émolument pour chaque décision ainsi prononcée.

L'autorité intimée a dû procéder aux démarches administratives liées à chacune des deux demandes d'autorisation (notamment enregistrement de la requête, ouverture et instruction du dossier, rendu d'un arrêté motivé). L'émolument fixé se situant dans la fourchette inférieure des montants fixés par l'art. 18 RDTR, il n'apparaît pas excessif au vu du travail qui a ainsi dû être fourni.

L'autorité intimée n'a ainsi pas abusé de son pouvoir d'appréciation en fixant l'émolument à CHF 330.-. Le grief sera écarté.

11) Dans ces circonstances, les arrêtés rendu par l'autorité intimée sont conformes au droit et le recours contre le jugement du TAPI, entièrement mal fondé, sera rejeté.

12) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 1'000.- sera mis à la charge de la recourante qui succombe (art. 87 al. 1 LPA). Une indemnité de procédure de CHF 1'000.- sera allouée à l'ASLOCA, dès lors qu'elle y a conclu et a eu recours aux services d'un mandataire (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 14 septembre 2016 par A______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 5 août 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______ un émolument de CHF 1'000.- ;

alloue une indemnité de CHF 1'000.- à l'ASLOCA, à la charge de A______ ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christophe Gal, avocat de la recourante, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie - OCLPF, à Mes Romolo Molo et Roman Seitenfus, avocats de l'ASLOCA, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

A. Piguet Maystre

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

la greffière :