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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/3233/2015

ATA/38/2017 du 17.01.2017 sur JTAPI/487/2016 ( LDTR ) , REJETE

Recours TF déposé le 27.02.2017, rendu le 23.11.2017, REJETE, 1C_124/2017
Descripteurs : CHANGEMENT DE PRATIQUE ; FRAUDE À LA LOI ; PRINCIPE DE LA BONNE FOI ; ÉGALITÉ DE TRAITEMENT ; VENTE ; AUTORISATION OU APPROBATION(EN GÉNÉRAL) ; PESÉE DES INTÉRÊTS ; INTÉRÊT PUBLIC ; LOGEMENT ; MARCHÉ LOCATIF ; ÉMOLUMENT
Normes : Cst.8; Cst.9; RDTR.12.al1; RDTR.16; RDTR.17.al2; LDTR.39; LDTR.25; RDTR.11; RDTR.13; RDTR.18
Résumé : Changement de pratique du DALE en raison de tentatives de fraudes à la loi. Selon l'ancienne pratique, il n'y avait pas d'« aliénation » au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR dans le cas d'opérations visant à liquider des sociétés immobilières d'actionnaires-locataires (SIAL) et à transformer les cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'unités d'étages. En l'espèce, des opérations successives, se terminant par la liquidation d'une SIAL récemment créé ont été mises sur pied afin de pouvoir artificiellement bénéficier de cette pratique. Il y a eu tentatives de fraude à la loi. Ne s'agissant pas d'un cas isolé, il existe des motifs sérieux et objectifs justifiant le changement de pratique, conforme au droit. Vu l'existence d'aliénations, les transferts de lots de PPE étaient soumis à autorisation selon l'art. 39 LDTR. Refus de délivrance des autorisations d'aliéner conformes au droit. Recours rejeté.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3233/2015-LDTR ATA/38/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 17 janvier 2017

 

dans la cause

 

A______
représentée par Me Christophe Gal, avocat

 

Monsieur B______

Monsieur C______
D______
E______
F______
G______
Madame H______
Monsieur I______
Monsieur J______
Monsieur K______
L______
Monsieur M______
Monsieur N______
O______
Monsieur P______
Q______
Monsieur R______
S______
T______
U______
V______
représentés par Me Christophe GAL, avocat

contre

DÉPARTEMENT DE L'AMÉNAGEMENT, DU LOGEMENT ET DE L'ÉNERGIE

_________


Recours contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 mai 2016 (JTAPI/487/2016)


EN FAIT

1) Le 3 décembre 2003, la société A______ (ci-après : A______) est devenue propriétaire de l'immeuble comportant trente-quatre appartements et sis avenue W______, sur la parcelle no 1______, feuillet 2______ de la commune X______, située en troisième zone de construction, en zone de développement (ci-après : l'immeuble).

2) Dès le 21 septembre 2007, l'immeuble a été soumis au régime de la propriété par étages (ci-après : PPE).

3) Les 7, 25 et 26 février 2013, Monsieur Y______, en sa qualité d'actionnaire de A______, a vendu les actions de la société aux personnes suivantes (ci-après : les acquéreurs) :

- Q______, dont M. Y______ est administrateur président, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 32,

- Monsieur K______, vingt-cinq actions regroupées dans le certificat d'actions no 30,

- Monsieur J______, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 29,

- T______, dont M. Y______ est administrateur président, vingt-cinq actions regroupées dans le certificat d'actions no 26,

- V______, dont M. Y______ est administrateur président, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 25,

- Monsieur B______, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 24,

- D______, dont M. Y______ est administrateur président, trente-six actions regroupées dans le certificat d'actions no 23,

- Monsieur N______, vingt-cinq actions regroupées dans le certificat d'actions no 22,

- Monsieur M______, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 21,

- Monsieur R______, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 20,

- L______, dont M. Y______ est administrateur président, trente-six actions regroupées dans le certificat d'actions no 19,

- E______, dont M. Y______ est administrateur, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 17,

- Monsieur P______, trente-six actions regroupées dans le certificat d'actions no 15,

- S______ (ci-après : S______), dont M. Y______ est administrateur président, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 13,

- Monsieur I______, trente-six actions regroupées dans le certificat d'actions no 11,

- Madame H______, vingt-cinq actions regroupées dans le certificat d'actions no 10,

- F______, dont M. Y______ est administrateur président, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 9,

- G______, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 8,

- U______, dont M. Y______ est administrateur, vingt-cinq actions regroupées dans le certificat d'actions no 6,

- O______, dont M. Y______ est administrateur, trente-deux actions regroupées dans le certificat d'actions no 1, et

- Monsieur C______, vingt-cinq actions regroupées dans le certificat d'actions no 2.

4) Le 9 avril 2013, M. Y______ est devenu administrateur président de A______.

5) Le 6 mai 2013, les statuts de A______ ont été modifiés, comportant désormais un nouvel art. 38, à teneur duquel « [l]a propriété d'un certificat d'action de la société conf[érait] à l'actionnaire le droit de louer une partie déterminée des immeubles sociaux et/ou de leurs dépendance, selon le tableau de concordance ». A______ est ainsi devenue une société immobilière d'actionnaires-locataires (ci-après : SIAL).

6) Entre les mois de janvier et avril 2014, par actes instrumentés par Maître Z______, notaire, A______ a transféré à ses actionnaires-locataires la propriété des différents lots de PPE de l'immeuble correspondant à leurs certificats d'actions (ci-après : les actes de transfert) :

- le 17 janvier 2014, en faveur de U______ la propriété du lot no 3______,

- le 28 janvier 2014, en faveur de O______ la propriété du lot no 4______, d'G______ la propriété du lot no 5______, d'F______ la propriété du lot no 6______, de la S______ la propriété du lot no 7______, d'E______ la propriété du lot no 8______, de L______ la propriété du lot no 9______, de D______ la propriété du lot no 10______, de V______ la propriété du lot no 11______, de T______ la propriété du lot no 12______, et de Q______ la propriété du lot no 13______,

- le 10 mars 2014, en faveur de M. C______ la propriété du lot no 14______, de M. R______ la propriété du lot no 15______, et de M. K______ la propriété du lot no 16______,

- le 14 mars 2014, en faveur de M. J______ la propriété du lot n17______,

- le 2 avril 2014, en faveur de Mme H______ la propriété du lot no 18______, de M. M______ la propriété du lot no 19______, et de M. N______ la propriété du lot no 20______, ainsi que

- le 3 avril 2014, en faveur de M. I______ la propriété du lot no 21______, de M. B______ la propriété du lot no 22______, et de M. P______ la propriété du lot no 23______.

Sous le chapitre LDTR, ces actes précisaient que « le transfert à l'actionnaire n'emportant pas de changement d'ayant droit économique, il n'[était] dès lors pas assujetti à l'autorisation prévue à l'art. 39 LDTR, selon l'interprétation du département compétent ».

7) Suite à ces transferts, Me Z______ a déposé des réquisitions auprès du registre foncier (ci-après : RF) - rattaché à l'office du registre foncier et de la mensuration officielle, lui-même rattaché au DALE - visant l'inscription des nouveaux propriétaires audit registre.

8) Du fait du dépôt de ces réquisitions, les actes de transfert ont été inscrits au journal du RF.

9) Le 9 avril 2014, le RF a adressé aux études de notaires genevoises une note relative aux opérations de liquidation des SIAL et transformation des cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'étages. Depuis 1995 au moins, la direction des autorisations de construire (ci-après : DAC), rattachée au DALE, considérait que ces opérations n'étaient pas soumises à autorisation de vente au regard de la LDTR, de sorte que le RF avait toujours validé ces cas de transfert sans exiger des notaires qu'ils les soumettent préalablement à cette dernière. Il était toutefois apparu récemment que l'application de cette pratique posait certains problèmes et que par diverses opérations juxtaposées, les exigences de la LDTR se trouvaient contournées. Sur décision du secrétariat général du DALE, elle était dès lors momentanément suspendue et les opérations en cause devraient dorénavant être soumises à la DAC pour décision sur la question de l'assujettissement ou non à la LDTR.

Les dossiers ayant trait à ce type de transfert déjà déposés auprès du RF mais non encore validés seraient retournés aux notaires concernés. Les dossiers récemment déposés et non encore publiés ne feraient l'objet d'une publication dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) que lorsque le RF aurait reçu la décision de la DAC.

10) Le 5 mai 2014, le RF a adressé à Me Z______ des fiches de mise en communication lui demandant de soumettre les actes de transfert à la DAC pour examen de la question de l'assujettissement ou non à la LDTR.

11) Par arrêt du 12 mars 2015 (5A_981/2014), le Tribunal fédéral a confirmé l'irrecevabilité des recours - interjetés par Me Z______, A______, deux autres sociétés dont M. Y______ est également administrateur président, ainsi qu'une quatrième société contre la note du 9 avril 2014 -, prononcée par jugement du Tribunal administratif de première instance (ci-après : TAPI) du 11 juin 2014 (JTAPI/626/2014) et confirmée par arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du 28 octobre 2014 (ATA/871/2014).

12) Les 8 et 11 mai 2015, le RF a imparti des délais aux 8 et 12 juin 2015 à Me Z______ pour retourner les actes de transfert munis de l'autorisation d'aliéner ou de la décision de non assujettissement à la LDTR. À défaut de régularisation dans le délai imparti, les réquisitions au RF seraient rejetées sans autre avis.

13) Par requêtes déposées entre les 15 et 22 juin 2015, AA______, dont M. Y______ est administrateur président, a sollicité une autorisation d'aliéner les appartements concernés par les actes de transfert.

14) Par vingt-et-un arrêtés de contenu identique du 27 juillet 2015 (VA 24______ à VA 25______), le DALE a refusé la délivrance des autorisations d'aliéner sollicitées et fixé l'émolument administratif à CHF 330.- pour chaque décision.

Les cessions des actions de A______ survenues en février 2013 avaient pour but d'individualiser les appartements de l'immeuble et auraient dû faire l'objet de requêtes en autorisation d'aliéner. Tel n'avait pas été le cas et il y avait eu infraction à la LDTR. Les appartements concernés avaient été offerts à la location et leur aliénation était soumise à autorisation. Lesdits appartements rentrant dans des catégories de logements dans lesquelles sévissait la pénurie, il était indispensable de sauvegarder leur affectation locative. L'intérêt privé de A______ était de nature commerciale. L'intérêt privé des acquéreurs relevait de la pure convenance personnelle. L'immeuble n'était soumis au régime de la PPE que depuis septembre 2007 et A______ possédait encore trente-deux appartements de ce dernier. Les conditions de délivrance des autorisations d'aliéner n'étaient pas réalisées. Des décisions de refus n'apparaissaient pas disproportionnées, A______ demeurant libre de revendre les appartements en bloc et la qualité d'actionnaires des acquéreurs n'étant en rien péjorée.

15) Par vingt-et-un actes du 14 septembre 2015, référencés sous causes A/3233/2015, A/3234/2015, A/3270/2015 à A/3272/2015, A/3274/2015, A/3277/2015, A/3278/2015, A/3280/2015 à A/3282/2015, A/3284/2015 à A/3287/2015, A/3289/2015, A/3292/2015, A/3294/2015, et A/3296/2015 à A/3298/2015, A______ a recouru auprès du TAPI contre ces arrêtés.

Elle a conclu à leur annulation, au constat que les transferts de propriété n'étaient pas soumis à autorisation ou à l'autorisation desdits transferts, à leur inscription au grand livre du RF, au constat que les décisions de non assujettissement n'étaient pas sujettes à émolument administratif ou à leur exonération de tout émolument ou encore à la fixation dudit émolument à CHF 220.- au maximum, ainsi qu'à la condamnation du DALE en tous les « dépens ».

Le DALE avait constaté les faits de manière inexacte et incomplète. Les cessions des actions, antérieures à la constitution de A______ sous la forme d'une SIAL, n'étaient pas soumises à autorisation. Le DALE devait examiner l'opération à l'aune des circonstances, de l'état du droit et de la pratique à la date des réquisitions de transfert. Les opérations considérées, intervenues avant la suspension de la pratique, n'étaient pas soumises à autorisation. Les acquéreurs étaient en réalité les détenteurs économiques des appartements concernés. A______ ne possédait plus aucun appartement dans l'immeuble depuis la modification de ses statuts en mai 2013.

S'agissant de transferts de parts de PPE à des propriétaires d'actions auxquelles la jouissance des lots était rattachée statutairement, les opérations n'étaient pas assimilables à des aliénations, en raison de l'absence de modification des détenteurs économiques.

Par sa note d'avril 2014, le DALE avait modifié une pratique constante depuis près de vingt ans. La nouvelle pratique interprétait de façon plus stricte les règles applicables et ne pouvait s'appliquer que pour l'avenir, d'autant plus vu l'absence de circonstance nouvelle. La note lui donnait un effet rétroactif, les actes signés et inscrits au journal du RF, mais non validés au 9 avril 2014, ne pouvant être inscrits au grand livre sans soumission préalable au DALE. L'effet rétroactif portait atteinte à la sécurité et à la prévisibilité du droit. Le DALE ne pouvait modifier sa pratique sans en informer au préalable les administrés et les notaires. Le principe de la légalité avait été violé.

A______, les acquéreurs et le notaire, confortés dans la pratique du DALE, avaient engagé des frais, pris des dispositions et contracté des garanties bancaires, qui avaient été complètement exécutés. Une interdiction des transferts causerait des dommages, risques et inconvénients, qui ne pouvaient être imposés à la société, aux cessionnaires et aux banques. Leur bonne foi, qui commandait à tout le moins la mise en place d'un régime transitoire, devait être protégée.

Les transferts n'étant pas soumis à autorisation, aucun émolument ne pouvait être perçu. De pratique constante, qu'il ne pouvait modifier ainsi, le DALE exonérait les décisions de refus de tout émolument. Les émoluments devaient être annulés. Ils étaient par ailleurs excessifs, vu la similarité des septante requêtes déposées. En l'absence de publication dans la FAO, il se justifiait de facturer moins qu'en cas de décision favorable, soit CHF 220.- au maximum.

16) Par réponse du 3 décembre 2015, le DALE a conclu au rejet des recours.

Les appartements de l'immeuble avaient été individualisés de par la modification des statuts de A______ le 6 mai 2013.

Au vu du doute manifeste de l'existence d'une fraude à la loi lors d'opérations successives ayant abouti à l'individualisation d'appartements, notamment ceux de l'immeuble, il y avait suffisamment de motifs sérieux et objectifs pour permettre au DALE de changer sa pratique.

Les appartements en cause avaient été offerts à la location, de sorte que leur aliénation était soumise à autorisation. Dans la mesure où ni l'exception, ni les motifs d'autorisation n'étaient remplis, le DALE avait procédé à la pesée des intérêts en présence. Aucun intérêt privé n'ayant en l'espèce été démontré, le DALE avait à juste titre considéré que l'intérêt public l'emportait.

Les décisions de refus faisaient également l'objet d'un émolument, fixé depuis plusieurs années à CHF 330.- par décision, et pouvant être majoré selon la complexité du dossier. Chacune des requêtes avait fait l'objet de l'ouverture d'un dossier, d'une instruction et de la rédaction d'une décision.

17) Dans les déterminations communes des acquéreurs et de A______ du 9 février 2016, les acquéreurs ont fait leurs les faits, développements et conclusions des actes de recours déposés par la société, dans lesquels celle-ci a par ailleurs persisté.

Ils ont repris et complété l'argumentation développée dans les recours.

Le DALE n'avait pas expliqué en quoi consistait la fraude à la loi, ni pourquoi les opérations successives étaient illicites. La juxtaposition d'opérations licites ne pouvait pas constituer une fraude et le seul fait qu'elles puissent in fine contrarier l'intérêt public poursuivi par la LDTR n'était pas suffisant pour remettre en question leur licéité.

18) Dans ses observations du 29 février 2016, le DALE a maintenu sa position.

Soit l'achat d'actions par les acquéreurs ne comportait pas de droit individualisé sur un appartement, auquel cas les actes de transfert étaient de nouvelles aliénations et devaient être soumises à autorisation, soit les cessions d'actions comportaient la cession de droits individuels et auraient à l'époque dû être soumises à autorisation.

19) Dans leurs déterminations du 11 mars 2016, A______ et les acquéreurs ont précisé qu'en vertu du principe de la primauté du droit fédéral, l'application du droit cantonal ne pouvait faire obstacle à la liquidation d'une SIAL.

20) Par jugement du 17 mai 2016 (JTAPI/487/2016), expédié pour notification le lendemain, le TAPI a ordonné la jonction des vingt-et-une procédures sous le numéro A/3233/2015 et rejeté tous les recours.

Le grief de constatation inexacte et incomplète des faits concernait en réalité une question d'appréciation des faits et donc de droit.

Il n'était pas contesté que les appartements en cause entraient, par leur nombre de pièces, dans les catégories concernées par la pénurie, ni qu'ils avaient eu une affectation locative. En suivant la thèse de A______ et des acquéreurs, aucun acte juridique, depuis l'acquisition de l'immeuble en 2003, n'aurait été soumis à la LDTR, alors que chaque appartement était en passe d'être inscrit au RF en tant que propriété individualisée et que la LDTR visait précisément à éviter que des appartements à louer ne sortent du marché locatif par le biais de quelque forme d'aliénation que ce soit. Les circonstances du cas d'espèce suggéraient fortement une volonté de contourner la loi en créant de toutes pièces un assemblage supposé pouvoir bénéficier de l'ancienne pratique du DALE. Le caractère artificiel de l'édifice juridique s'illustrait dans le fait de constituer une SIAL postérieurement à la soumission de l'immeuble au régime de PPE, puis de la liquider presque immédiatement après. La logique ayant présidé à la constitution de SIAL avant l'apparition de l'institution de la PPE faisait également défaut. Par le jeu d'opérations successives, A______ avait tenté d'aliéner les appartements en cause au mépris des buts de la LDTR, leur finalité entraînant une sortie du marché locatif et donc un changement d'affectation. Prises dans leur ensemble, les circonstances démontraient l'existence d'une fraude à la loi. Le DALE avait légitimement retenu que les requêtes de transfert de propriété des lots de PPE aux actionnaires de A______ étaient soumises à autorisation.

A______ et les acquéreurs ne pouvaient se plaindre d'une modification de la pratique, puisque, même si elle n'avait pas été modifiée, elle n'aurait pas pu trouver application dans les cas d'espèce. Le principe de la bonne foi présupposait que celui qui s'en prévalait soit lui-même de bonne foi, ce qui n'était pas le cas dans une situation de fraude à la loi.

L'intérêt public au maintien du parc locatif genevois l'emportait sur les intérêts privés des acquéreurs et de A______, purement commerciaux ou économiques. Le grief relatif à la force dérogatoire du droit fédéral ne remplissait pas les exigences minimales de motivation.

La jurisprudence fédérale avait admis de longue date que la LDTR pouvait restreindre l'application du droit fédéral lorsque les circonstances le justifiaient.

D'autres arrêtés refusant l'autorisation d'aliéner un appartement versés à la procédure avaient également fait l'objet d'un émolument de CHF 330.-. Ce montant n'était pas disproportionné, le DALE ayant dû, pour chaque requête, ouvrir un dossier et l'instruire, puis rendre une décision motivée en fait et en droit.

21) Par acte du 20 juin 2016, A______ et les acquéreurs ont recouru auprès de la chambre administrative contre ce jugement, concluant à son annulation et reprenant leurs conclusions formulées en première instance.

Ils ont complété l'argumentation développée précédemment.

Les transferts requis n'avaient aucune influence sur l'affectation locative des appartements. Le TAPI ne pouvait écarter le grief de constatation inexacte et incomplète des faits en retenant qu'il s'agissait d'un grief de droit sans ensuite l'examiner. L'instance précédente avait par ailleurs omis de constater la pratique constante du DALE et de relever les actes accessoires en relation avec le financement des transferts, faits pourtant de nature à influencer le sort des causes.

Il ne pouvait y avoir de fraude à la loi, dans la mesure où A______ avait soumis les actes de transfert au DALE. Le choix d'acquérir ou de détenir un immeuble par le fait d'une société dont le capital était partagé entre plusieurs actionnaires n'était pas en soi illégitime ou insolite et présentait des avantages économiques pour chaque investisseur. La transformation d'une société anonyme propriétaire de lots de PPE en SIAL n'était pas soumise à autorisation, ni interdite. Cela permettait à ses actionnaires de rattacher leurs droits à un lot et ne constituait pas une forme d'aliénation. Le fait que l'assemblage puisse conduire à l'individualisation d'appartements ne suffisait pas pour qu'il constitue une fraude. A______ avait simplement utilisé sa liberté d'organisation, sans en abuser. Même à admettre l'existence d'un abus, il n'était pas manifeste, puisque le RF et le DALE avaient maintenu leur pratique dans un cas similaire au début de l'année 2014. Le fait que les transferts requis puissent être opérés sans être soumis à la LDTR résultait d'une lacune et non d'une fraude.

Une grande partie des acquéreurs n'était pas des professionnels de l'immobilier, ni des juristes, et avait agi sur la foi de leur notaire et des pratiques qui leur avaient été exposées. Le TAPI ne pouvait retenir, pour le seul motif qu'ils étaient actionnaires, qu'ils étaient de mauvaise foi. Le constat de mauvaise foi reposait sur la seule fiction d'une fraude à la loi et était arbitraire.

22) Le 27 juin 2016, le TAPI a transmis son dossier à la chambre administrative, sans formuler d'observations.

23) Par réponse du 25 août 2016, accompagnée de l'un des vingt-et-un dossiers (les vingt autres dossiers comportant les mêmes pièces), le DALE a conclu au rejet du recours et persisté dans ses écritures de première instance.

24) Le 30 septembre 2016, A______ et les acquéreurs ont maintenu l'intégralité de leurs conclusions.

25) Le 4 octobre 2016, la cause a été gardée à juger.

26) La chambre administrative juge également ce jour deux autres recours ayant pour objet des complexes de faits similaires, dirigés contres deux jugements du TAPI du 17 mai 2016 (JTAPI/488/2016 et JTAPI/489/2016) et concernant deux autres sociétés pilotées par la même personne (ATA/37/2017 et ATA/39/2017).

EN DROIT

1) Interjeté en temps utile devant la juridiction compétente, le recours est recevable (art. 45 al. 1 LDTR ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) Le recours porte sur la conformité au droit du jugement du TAPI confirmant les vingt-et-un arrêtés du DALE prononçant implicitement la soumission des actes de transfert à autorisation d'aliéner et refusant la délivrance desdites autorisations.

3) Les recourants reprochent au TAPI et au DALE d'avoir retenu que les actes de transfert étaient soumis à autorisation.

a. L'aliénation sous quelque forme que ce soit (notamment cession de droits de copropriété d'étages ou de parties d'étages, d'actions, de parts sociales), d'un appartement à usage d'habitation jusqu'alors offert en location est soumise à autorisation dans la mesure où l'appartement entre, à raison de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (art. 39 al. 1 LDTR). Pour remédier à la pénurie d'appartements locatifs dont la population a besoin, tout appartement jusqu'alors destiné à la location doit conserver son affectation locative, dans les limites du chapitre relatif aux mesures visant à lutter contre la pénurie d'appartements locatifs (art. 25 al. 1 LDTR). Il y a pénurie d'appartements lorsque le taux des logements vacants considéré par catégorie est inférieur à 2 % du parc immobilier de la même catégorie (art. 25 al. 2 LDTR). Les appartements de plus de sept pièces n'entrent pas dans une catégorie où sévit la pénurie (art. 25 al. 3 LDTR).

b. Selon l'art. 11 al. 3 du règlement d'application de la LDTR du 29 avril 1996 (RDTR - L 5 20.01), par appartement jusqu'alors offert en location, au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR, il faut entendre, soit l'appartement loué lors du dépôt de la requête en autorisation d'aliéner (let. a), l'appartement vide ou vacant lors du dépôt de la requête en autorisation d'aliéner, mais qui a précédemment été loué par son propriétaire actuel (let. b), ou l'appartement occupé, lors du dépôt de la requête en autorisation d'aliéner, par son propriétaire, si celui-ci a précédemment loué l'appartement considéré (let. c). Nonobstant la teneur de l'art. 11 al. 3 RDTR, une autorisation d'aliéner doit impérativement être requise en cas de vente d'un ou plusieurs appartement(s) acquis par voie d'adjudication (art. 11 al. 4 RDTR).

c. Les catégories de logements où sévit la pénurie sont déterminées chaque année par arrêté du Conseil d'État en fonction du nombre de pièces par appartement (art. 11 al. 1 RDTR). Le Conseil d'État a constaté, en 2015, 2016 et 2017, qu'il y a pénurie, au sens des art. 25 et 39 LDTR, dans toutes les catégories des appartements d'une à sept pièces inclusivement (arrêtés du Conseil d'État déterminant les catégories de logements où sévit la pénurie en vue de l'application des art. 25 à 39 LDTR du 15 janvier 2015, 13 janvier 2016 et 13 janvier 2017 - ArAppart - L 5 20.03).

d. Selon la jurisprudence de la chambre administrative, la vente d'un appartement est soumise à autorisation pour autant que ce dernier entre, du fait de son loyer ou de son type, dans une catégorie de logements où sévit la pénurie (ATA/701/2016 du 23 août 2016 consid. 3d ; ATA/356/2012 du 5 juin 2012 consid. 8d et 10 ; ATA/826/2001 du 11 décembre 2001 consid. 3b).

e. En l'espèce, il n'est pas contesté que les appartements concernés par les actes de transfert - situés dans un immeuble d'habitation en troisième zone de construction et donc assujettis à la LDTR (art. 2 LDTR) - entrent, par leur nombre de pièces, dans des catégories de logements où sévit la pénurie et ont été offerts à la location, de sorte que leur aliénation est en principe soumise à autorisation.

4) Les recourants font cependant grief au TAPI de n'avoir pris en compte ni la pratique de l'autorité intimée, ni l'absence d'aliénation - s'agissant de transferts de la propriété juridique aux propriétaires économiques -, éléments qui auraient tous deux dû conduire l'instance précédente à retenir que les actes de transfert n'étaient pas soumis à autorisation.

a. La notion de pratique administrative désigne la répétition constante et régulière dans l'application d'une norme par les autorités administratives. De cette répétition peuvent apparaître, comme en ce qui concerne la jurisprudence, des règles sur la manière d'interpréter la loi ou de faire usage d'une liberté d'appréciation. Elle vise notamment à résoudre de manière uniforme des questions de fait, d'opportunité ou d'efficacité. Cette pratique ne peut être source de droit et ne lie donc pas le juge, mais peut néanmoins avoir indirectement un effet juridique par le biais du principe de l'égalité de traitement (ATA/596/2015 du 9 juin 2015 consid. 7d ; ATA/20/2015 du 6 janvier 2015 consid. 9).

Selon la jurisprudence, pour être compatible avec le principe de la bonne foi, découlant des art. 8 et 9 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), un changement de pratique administrative doit reposer sur des motifs sérieux et objectifs, c'est-à-dire rétablir une pratique conforme au droit, mieux tenir compte des divers intérêts en présence ou d'une connaissance plus approfondie des intentions du législateur, d'un changement de circonstances extérieures, de l'évolution des conceptions juridiques ou des moeurs. Les motifs doivent être d'autant plus sérieux que la pratique suivie jusqu'ici est ancienne. À défaut, elle doit être maintenue (ATF 135 I 79 consid. 3 ; 132 III 770 consid. 4 ; 127 I 49 consid. 3c ; 127 II 289 consid. 3a ; ATA/596/2015 du 9 juin 2015 consid. 7d ; ATA/857/2014 du 4 novembre 2014 consid. 4).

Par ailleurs, pour que l'égalité de traitement soit respectée, il convient que le changement de pratique s'applique immédiatement, y compris aux affaires pendantes au moment où il intervient. Il doit s'agir d'un véritable changement de pratique et non d'une exception ponctuelle à une pratique qui reste établie (ATA/834/2016 du 4 octobre 2016 consid. 3a ; ATA/240/2013 du 16 avril 2013 consid. 2a ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 204 n. 603 et les arrêts cités)

b. Il y a fraude à la loi lorsqu'un justiciable évite l'application d'une norme imposant ou interdisant un certain résultat (norme éludée) par le biais d'une autre norme permettant d'aboutir à ce résultat de manière apparemment conforme au droit (norme éludante ; ATF 132 III 212 consid. 4.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_751/2014 du 23 février 2015 consid. 4.1). Pour décider s'il y a fraude à la loi, il faut interpréter la norme d'interdiction en recherchant si, selon son sens et son but, elle s'applique aussi à l'opération litigieuse, ou si cette dernière est exclue du champ d'application de la norme d'interdiction et est ainsi valable (ATF 140 II 233 consid. 5.1). Il convient d'examiner si la norme éludée entend uniquement prohiber une certaine manière de procéder, ou si elle veut interdire un résultat en soi. Dans cette seconde hypothèse, la norme éludée doit être appliquée nonobstant la construction destinée à la contourner (arrêts du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1 ; 4A_609/2012 du 26 février 2013 consid. 3).

La fraude à la loi est une forme particulière de l'abus de droit, dont l'interdiction se déduit du principe de la bonne foi (arrêt du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1 ; ATA/487/2014 du 24 juin 2014 consid. 3). Un abus de droit doit, pour être sanctionné, apparaître manifeste (arrêts du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1 ; 1C_874/2013 du 4 avril 2014 consid. 4.3). Il n'est pas aisé de tracer la frontière entre le choix d'une construction juridique offerte par la loi et l'abus de cette liberté, constitutif d'une fraude à la loi. Répondre à cette question implique une appréciation au cas par cas, en fonction des circonstances d'espèce (ATF 139 III 145 consid. 4.2.4 et la jurisprudence citée ; arrêts du Tribunal fédéral 2C_751/2014 précité consid. 4.1).

c. Le RF donne l'état des droits sur les immeubles (art. 942 al. 1 du code civil suisse du 10 décembre 1907 - CC - RS 210). L'inscription à ce registre est nécessaire pour l'acquisition de la propriété foncière (art. 656 al. 1 CC). Le RF n'opère d'inscription au registre que sur réquisition (art. 46 al. 1 de l'ordonnance sur le RF du 23 septembre 2011 - ORF - RS 211.432.1). En cas de vente, cette réquisition est déposée par le vendeur (art. 83 al. 2 let. c et 84 al. 1 ORF) ou par le notaire qui a reçu les actes (art. 963 al. 3 CC et 158 al. 1 1 de la loi d'application du CC et d'autres lois fédérales en matière civile du 28 novembre 2010 - LaCC - E 1 05). Lorsqu'une telle réquisition d'inscription parvient au RF, elle est portée au journal (art. 81 al. 1 let. a ORF). Lors de son traitement, le RF vérifie que les conditions légales d'une inscription au grand livre sont réunies (art. 83 al. 1 ORF). Il vérifie notamment que les autorisations nécessaires ont été produites (art. 83 al. 2 let. i ORF). L'admission de la réquisition se fait par l'inscription au grand livre (art. 89 al. 1 ORF). Lorsque les conditions de l'inscription au grand livre ne sont pas remplies, le RF rejette la requête (art. 87 al. 1 ORF). Le rejet de la réquisition fait l'objet d'une décision formelle motivée, qui est notifiée aux intéressés (art. 87 al. 3 ORF).

d. Selon l'art. 12 al. 1 RDTR, c'est le vendeur qui a l'obligation de solliciter auprès du DALE l'autorisation d'aliéner, cas échéant représenté par son notaire. Les agents immobiliers, les notaires ou autres mandataires professionnels, dont le concours est sollicité en vue de la passation d'un acte de vente d'un appartement jusqu'alors offert en location, ont l'obligation de s'assurer préalablement de la délivrance par le DALE de ladite autorisation (art. 16 RDTR). Le conservateur du RF écarte toute réquisition d'inscription d'une aliénation d'une part de copropriété par étages portant sur un appartement qui n'est pas assortie d'une autorisation du DALE au sens de l'art. 39 LDTR lorsque celle-ci est nécessaire (art. 17 al. 2 RDTR).

5) Dans la cause A/115/2013, dans laquelle l'AB______ (ci-après : AB______) alléguait une fraude à la loi en relation avec la pratique de l'autorité intimée quant à la liquidation d'une SIAL avec transfert des lots de PPE aux actionnaires-locataires, le DALE avait rappelé que la SIAL était une forme de société immobilière qui, à l'instar des coopératives de locataires, s'était constituée à une époque où la PPE n'était pas admise en droit suisse pour mettre des logements à disposition de leurs membres (ATA/947/2014 du 2 décembre 2014 consid. 12 en fait ; Guy FLATTET, Les sociétés immobilières d'actionnaires-locataires, JdT 1949 I 610 ; Peter FORSTMOSER/Arthur MEIER-HAYOZ, Einführung in das schweizerische Aktienrecht, 3ème éd., 1983, n. 45 p. 314). Cette forme de société s'était développée, spécialement en Suisse romande, après la deuxième guerre mondiale et jusqu'en 1965, date de l'introduction dans le CC du régime de la PPE. Postérieurement à cette date, nombre d'immeubles avaient encore été construits et exploités sous cette forme. Le DALE avait dans le cas d'espèce indiqué avoir la volonté de maintenir sa pratique, la société en cause ayant été constituée sous forme de SIAL sous l'ancien droit (ATA/947/2014 précité consid. 12 en fait). La chambre administrative avait dans ce cas renvoyé la cause au DALE pour qu'il examine l'applicabilité de l'art. 39 LDTR et constate s'il existait ou non une fraude à loi (ATA/947/2014 précité consid. 17). Elle avait par ailleurs fait de même dans un deuxième arrêt du même jour, affaire dans le cadre de laquelle le DALE n'avait cependant pas formulé d'observations (ATA/948/2014 du 2 décembre 2014 consid. 17).

6) En l'espèce, la pratique instaurée depuis 1995 et dont la suspension a été annoncée en avril 2014 n'est pas contestée par l'autorité intimée. La chambre administrative a au demeurant déjà été amenée à constater l'existence de ladite pratique dans une cause à laquelle A______ était partie (ATA/817/2014 précité consid. 16). Comme la chambre de céans l'avait alors retenu, la pratique en cause consistait à considérer qu'il n'y avait pas d' « aliénation » au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR dans le cas d'opérations visant à liquider des SIAL et à transformer les cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'unités d'étages. L'idée qui sous-tendait cette pratique était que les immeubles concernés restaient dans ce cas en mains des mêmes détenteurs économiques, les détenteurs des certificats d'actions devenant simplement « propriétaires en nom » des biens immobiliers. Il ne s'agissait ainsi pas d'une vente d'appartement impliquant un changement de propriétaire mais d'un simple changement de régime juridique, non soumis à autorisation (ATA/817/2014 précité consid. 16).

Or, si par la note du 9 avril 2014, le DALE a simplement suspendu sa pratique en raison d'un doute quant à l'existence de fraudes à la loi et ainsi annoncé l'exercice d'un contrôle par la présidence du département - intervenant en sa qualité d'autorité hiérarchique supérieure du RF et de la DAC et d'autorité de surveillance du RF -, afin de vérifier que cette pratique n'était pas détournée à des fins autres que celles poursuivies par la loi (ATA/817/2014 précité consid. 18), les arrêtés rendus suite à ce contrôle ont consacré un changement de pratique, puisqu'il n'est désormais plus automatiquement retenu l'absence de l'aliénation au sens de l'art. 39 al. 1 LDTR dans les cas de liquidation d'une SIAL avec transformation des cessionnaires détenteurs de certificats d'actions en propriétaires d'unités d'étages.

Ainsi, le changement de pratique réside dans le fait que désormais, même dans le cas de figure visé par l'ancienne pratique de l'autorité intimée - soit de liquidation d'une SIAL avec transfert des unités d'étages aux actionnaires-locataires -, le dossier doit être soumis au DALE pour examen de l'assujettissement ou non à autorisation d'aliéner et, cas échéant, des conditions de délivrance d'une telle autorisation, préalablement à toute réquisition au RF.

7) Il convient dès lors d'examiner si ce changement de pratique est conforme au droit.

L'autorité intimée est revenue sur sa pratique en raison d'un changement des circonstances extérieures, soit l'existence de cas nouveaux, dans lesquels, par la succession de diverses opérations, se terminant par la liquidation d'une SIAL de création récente - postérieure à l'adoption des dispositions sur la PPE - avec transfert de la propriété d'unités d'étages aux cessionnaires détenteurs de certificats d'actions, des sociétés tentaient artificiellement d'obtenir l'application de la pratique de l'autorité intimée, ceci afin d'éluder l'art. 39 LDTR et d'aliéner des appartements sans avoir jamais sollicité d'autorisation en ce sens. L'autorité intimée a ainsi changé sa pratique en raison de cas de fraudes à la loi.

Or, ces circonstances nouvelles de tentatives de fraudes à la loi sont avérées, le cas d'espèce lui-même les illustrant.

En effet, après que A______ avait acquis l'immeuble en 2003 et alors que ce dernier était soumis au régime de la PPE depuis 2007, en février 2013, M. Y______, en sa qualité d'actionnaire de la société, a vendu ses actions à différents cessionnaires. Un mois après qu'il en était devenu, en avril 2013, administrateur président, les statuts de A______ ont été modifiés, en mai 2013, pour qu'elle devienne une SIAL, chacun des actionnaires ayant désormais un droit de location des appartements correspondant à ses certificats d'actions, conformément au tableau de concordance. Moins d'un an plus tard, en février et mars 2014, les actes de transfert ont été conclus, prévoyant le transfert des lots de PPE aux actionnaires en fonction des certificats d'actions qu'ils détenaient, ceci en comptant sur le fait que ces transferts ne seraient pas soumis à autorisation d'aliéner, comme l'indique la disposition concernant la LDTR contenue dans chaque acte de transfert.

Au cours de ces différentes étapes, à suivre l'argumentation des recourants, aucune autorisation d'aliéner n'aurait jamais dû être sollicitée. Cette succession d'opérations visait pourtant clairement à aboutir à des aliénations au sens de l'art. 39 LDTR, puisqu'elle tendait à obtenir au final le transfert de la propriété de chacun des appartements en cause de A______ aux acquéreurs et à les faire inscrire au RF en tant que propriétés individualisées.

Ainsi, dans de tels cas, l'application de la pratique de l'autorité intimée serait allée à l'encontre de la loi, puisqu'elle aurait abouti à la finalisation des transferts sans examen de l'art. 39 LDTR, malgré la survenance d'aliénations au sens de cet article de par la globalité des différentes opérations.

Il apparaît ainsi évident que ces opérations successives - céder les actions d'une société propriétaire d'un immeuble à différents cessionnaires, pour créer une SIAL deux mois plus tard alors même que l'immeuble est soumis au régime de la PPE depuis plusieurs années, ceci pour liquider la SIAL nouvellement créée moins d'un an plus tard et transférer aux actionnaires-locataires les lots de PPE correspondant à leur certificats d'actions - ont été mises sur pied afin de pouvoir artificiellement bénéficier de la pratique de l'autorité intimée et ainsi se soustraire à l'art. 39 LDTR.

Au vu de ce qui précède et de l'ensemble des circonstances du cas d'espèce, le TAPI a, à juste titre, constaté qu'il y avait eu tentatives de fraudes à la loi, visant l'aliénation d'appartements en se soustrayant à l'examen requis par l'art. 39 LDTR.

Or, les tentatives de fraudes à la loi du cas d'espèce ne sont pas des cas isolés, comme le démontrent les causes A/3194/2015 et A/3314/2015, similaires - toutes concernent des sociétés dont M. Y______ est administrateur président, comportent une proximité temporelle, les réquisitions au RF ayant été opérées dans les trois cas en février et mars 2014, et s'illustrent par des opérations successives visant à aboutir à la liquidation d'une SIAL avec transferts des lots de PPE aux actionnaires-locataires -, de sorte qu'il existait une nécessité pour l'autorité intimée de changer sa pratique, afin de s'assurer que l'art. 39 LDTR ne puisse être éludé par la mise sur pied puis la liquidation d'une SIAL pour masquer des aliénations de parts de PPE correspondant à des appartements.

Par ailleurs, si la pratique en cause est certes ancienne, la nécessité d'éviter des fraudes à la loi constitue en tout état de cause un motif objectif particulièrement sérieux justifiant son changement et l'on ne saurait reprocher au DALE de l'avoir abandonnée pour s'assurer que l'art. 39 LDTR ne soit pas contourné.

Dans ces circonstances, le changement de pratique repose sur des motifs sérieux et objectifs et n'est pas contraire au principe de la bonne foi.

Au surplus, si les recourants se plaignent d'une violation du principe de non-rétroactivité du fait de l'application du changement de pratique alors que les actes de transfert avaient déjà été conclus et les réquisitions d'inscription au RF déposées et portées au journal, il convient au contraire de constater que l'autorité intimée se devait, vu le principe de l'égalité de traitement, d'appliquer ledit changement immédiatement, y compris aux affaires pendantes au moment où il est intervenu, ce qui était le cas en l'espèce, puisqu'aucun transfert n'avait encore été inscrit au grand livre.

Par conséquent, le changement de pratique, justifié par des tentatives de fraudes à la loi, est conforme au droit et l'instance précédente a, à bon droit, constaté que le transfert des lots de PPE aux acquéreurs constituait la dernière étape d'aliénations et était de ce fait soumis à autorisation.

Les griefs des recourants relatifs à l'absence de fraude à la loi, à l'absence d'aliénation, à l'illégalité du changement de pratique, ainsi qu'à la violation des principes de l'interdiction de la rétroactivité et de la bonne foi en relation avec ledit changement de pratique seront écartés.

8) Il convient à présent d'examiner si les conditions de délivrance des autorisations d'aliéner étaient réalisées.

a. Le DALE autorise l'aliénation d'un appartement si celui-ci a été dès sa construction soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue (let. a), était, le 30 mars 1985, soumis au régime de la PPE ou à une forme de propriété analogue et qu'il avait déjà été cédé de manière individualisée (let. b), n'a jamais été loué (let. c), a fait une fois au moins l'objet d'une autorisation d'aliéner en vertu de la LDTR (let. d). L'autorisation ne porte que sur un appartement à la fois. Une autorisation de vente en bloc peut toutefois être accordée en cas de mise en vente simultanée, pour des motifs d'assainissement financier, de plusieurs appartements à usage d'habitation ayant été mis en PPE et jusqu'alors offerts en location, avec pour condition que l'acquéreur ne peut les revendre que sous la même forme, sous réserve de l'obtention d'une autorisation individualisée (art. 39 al. 4 LDTR).

En cas de réalisation de l'une des hypothèses de l'art. 39 al. 4 LDTR, le DALE est tenu de délivrer l'autorisation d'aliéner, ce qui résulte des interprétations tant littérale - le texte indique que l'autorité « accorde » l'autorisation, sans réserver d'exception - qu'historique - l'art. 9 al. 3 aLDTR, dont le contenu est repris matériellement à l'art. 39 al. 4 LDTR, prévoyait expressément que l'autorité ne pouvait refuser l'autorisation - du texte légal. Il n'y a donc, le cas échéant, pas de place pour une pesée des intérêts au sens de l'art. 39 al. 2 LDTR. Les conditions posées à l'art. 39 al. 4 LDTR sont par ailleurs alternatives, ce qui résulte notamment de l'incompatibilité entre les let. a et b de cette disposition (ATA/1069/2016 du 20 décembre 2016 consid. 4a et les références citées).

b. Au vu de la marge d'appréciation dont elle dispose, lorsqu'aucun des motifs d'autorisation expressément prévus par l'art. 39 al. 4 LDTR n'est réalisé, l'autorité doit rechercher si l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt privé du recourant à aliéner l'appartement dont il est propriétaire (arrêts du Tribunal fédéral 1C_137/2011 ; 1C_139/2011 ; 1C_141/2011 ; 1C_143/2011 du 14 juillet 2011).

Dans le cadre de l'examen de la requête en autorisation, le DALE procède à la pesée des intérêts publics et privés en présence (art. 13 al. 1 RDTR). L'intérêt privé est présumé l'emporter sur l'intérêt public lorsque le propriétaire doit vendre l'appartement par nécessité de liquider un régime matrimonial ou une succession (let. a), par nécessité de satisfaire aux exigences d'un plan de désendettement (let. b), ou du fait de la prise d'un nouveau domicile en dehors du canton (let. c ; art. 13 al. 3 RDTR). Le DALE refuse l'autorisation lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose. L'intérêt public et l'intérêt général résident dans le maintien, en période de pénurie de logements, de l'affectation locative des appartements loués (art. 39 al. 2 LDTR).

La politique prévue par la LDTR procède d'un intérêt public important (arrêt du Tribunal fédéral 1C_143/2011 précité consid. 2.2). Le refus de l'autorisation de vendre un appartement loué lorsqu'un motif prépondérant d'intérêt public ou d'intérêt général s'y oppose n'est pas contraire au principe de la proportionnalité, dès lors qu'il est consécutif, de la part de l'autorité administrative, à une pesée des intérêts en présence et à une évaluation de l'importance du motif de refus envisagé au regard des intérêts privés en jeu. En effet, la restriction à la liberté individuelle ne doit pas entraîner une atteinte plus grave que ne l'exige le but d'intérêt public recherché (ATF 113 Ia 126 consid. 7b/aa; arrêt du Tribunal fédéral 1P.19/2003 du 8 avril 2003 consid. 2.1 ; ATA/593/2016 du 12 juillet 2016 consid. 13).

c. En l'espèce, aucun des cas de délivrance des autorisations d'aliéner selon l'art. 39 al. 4 LDTR n'est réalisé, de sorte qu'il convient de procéder à une pesée des intérêts conformément à l'art. 39 al. 2 LDTR. Les intérêts qui s'opposent sont, d'une part, les intérêts privés de A______ à transférer la propriété des appartements en cause aux acquéreurs et ceux de ces derniers à les acquérir ainsi que, d'autre part, l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois.

Or, comme l'ont constaté l'instance précédente et l'autorité intimée, les intérêts privés en cause apparaissent purement commerciaux et de convenance personnelle et ne sauraient l'emporter sur l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois, auquel l'individualisation des appartements concernés se heurterait.

Les recourants ne remettent au demeurant aucunement en cause la pesée des intérêts effectuée par le TAPI. Certes, en relation avec des griefs relatifs aux principes de la bonne foi et de la primauté du droit fédéral, ils invoquent les frais générés et les engagements pris en relation avec les actes de transfert, ainsi que les problèmes posés pour la liquidation de la SIAL en cas de confirmation des arrêtés litigieux. Toutefois, ces éléments, même avérés, ne suffiraient pas à faire primer leurs intérêts privés, s'agissant uniquement des conséquences des opérations artificielles sciemment mises sur pied afin de réaliser des fraudes à la loi et de procéder à des aliénations en éludant l'art. 39 LDTR. Les recourants n'invoquent au surplus pas d'autre fait particulier en relation avec leurs intérêts privés respectifs.

Par conséquent, rien n'indique que le TAPI ait abusé de son pouvoir d'appréciation en retenant que l'intérêt public à la protection du parc locatif genevois était prépondérant et il a, à bon droit, confirmé que les conditions de délivrance des autorisations d'aliéner n'étaient pas réalisées.

9) Comme déjà mentionné, les recourants affirment toutefois que les autorisations d'aliéner auraient en tout état de cause dû être délivrées en application du principe de primauté du droit fédéral, le refus opposé par l'autorité intimée faisant obstacle à la liquidation de la SIAL, régie par les art. 736 ss de la loi fédérale complétant le CC (livre cinquième : droit des obligations) du 30 mars 1911 (code des obligations - CO - RS 220).

a. Le principe de la primauté du droit fédéral découlant de l'art. 49 Cst. fait obstacle à l'application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l'esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu'elles mettent en oeuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive (ATF 119 Ia 348 consid. 2c ; 117 Ia 328 consid. 2b ; ATA/1345/2015 du 15 décembre 2015 consid. 6a).

b. La réglementation mise en place par la LDTR est en soi conforme au droit fédéral et à la garantie de la propriété (ATF 116 Ia 401 consid. 9 p. 414 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_617/2012 du 3 mai 2013 consid. 2.3).

c. En l'espèce, les recourants n'ont pas développé leur grief malgré la constatation du TAPI de sa motivation insuffisante, et l'on ne discerne pas en quoi les refus de délivrance des autorisations sollicitées empêcheraient toute liquidation de A______ en tant que société anonyme et se heurteraient au principe de la primauté du droit fédéral.

Au vu de ce qui précède, le grief, mal fondé, sera écarté et l'autorité intimée a, à juste titre, refusé de délivrer les vingt-et-une autorisations d'aliéner à A______.

10) Les recourants affirment que l'autorité intimée ne pouvait pas mettre à leur charge un émolument de CHF 330.- par arrêté.

a. Le DALE perçoit un émolument de CHF 220.- à CHF 1'100.- pour toute décision rendue en application de l'art. 39 LDTR (art. 18 RDTR).

b. En l'espèce, dans la mesure où les arrêtés de l'autorité intimée, conformes au droit, sont fondés sur l'art. 39 LDTR, c'est à juste titre qu'elle a fixé un émolument pour chaque décision ainsi prononcée.

Si les recourants affirment que le montant de CHF 330.- par arrêté constituerait un émolument excessif, au regard du fait qu'il existe septante causes parallèles ayant abouti à des arrêtés similaires - en prenant en compte également les arrêtés dans les causes A/3194/2015 et A/3314/2015 -, il n'en demeure pas moins que, comme l'a constaté l'instance précédente, l'autorité intimée a dû, pour chaque demande d'autorisation, enregistrer la requête, ouvrir un dossier, l'instruire - en particulier en examinant les pièces propres à ce dossier -, et prononcer à chaque fois un arrêté distinct. L'émolument fixé se situant dans la fourchette inférieure des montants fixés par l'art. 18 RDTR, il n'apparaît pas excessif au vu du travail qui a ainsi dû être fourni.

L'autorité intimée n'a dès lors pas abusé de son pouvoir d'appréciation en fixant l'émolument à CHF 330.- par arrêté et le grief sera écarté.

11) Dans ces circonstances, les vingt-et-un arrêtés rendus par l'autorité intimée sont conformes au droit et le recours contre le jugement du TAPI, entièrement mal fondé, sera rejeté.

12) Vu l'issue du litige, un émolument de CHF 2'000.- sera mis à la charge des recourants, pris conjointement et solidairement (art. 87 al. 1 LPA). Il ne sera pas alloué d'indemnité de procédure (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 20 juin 2016 par A______, Monsieur B______, Monsieur C______, D______, E______, F______, G______, Madame H______, Monsieur I______, Monsieur J______, Monsieur K______, L______, Monsieur M______, Monsieur N______, O______, Monsieur P______, Q______, Monsieur R______, S______, T______, U______ et V______ contre le jugement du Tribunal administratif de première instance du 17 mai 2016 ;

au fond :

le rejette ;

met à la charge de A______, Monsieur B______, Monsieur C______, D______, E______, F______, G______, Madame H______, Monsieur I______, Monsieur J______, Monsieur K______, L______, Monsieur M______, Monsieur N______, O______, Monsieur P______, Q______, Monsieur R______, S______, T______, U______ et V______, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 2'000.- ;

dit qu'il n'est pas alloué d'indemnité de procédure ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière de droit public ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l'art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l'envoi ;

communique le présent arrêt à Me Christophe Gal, avocat des recourants, au département de l'aménagement, du logement et de l'énergie, ainsi qu'au Tribunal administratif de première instance.

Siégeants : M. Thélin, président, Mme Junod, M. Verniory, Mme Payot Zen-Ruffinen, M. Pagan, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

le président siégeant :

 

 

Ph. Thélin

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :