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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1187/2018

ATA/437/2019 du 16.04.2019 ( MARPU ) , PARTIELMNT ADMIS

Parties : CHILLEMI & CIE SA / FONDATION PROMOTION LOGEMENT BON MARCHE ET HABITAT COOPERATIF, CACCIAMANO, STÉPHANE BERTACCHI, SUCCESSEUR SA, FONDATION NICOLAS-BOGUERET, COOPLOG PONT-ROUGE
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1187/2018-MARPU ATA/437/2019

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 16 avril 2019

 

dans la cause

 

CHILLEMI & CIE SA
représentée par Me Damien Blanc, avocat

contre

FONDATION POUR LA PROMOTION DU LOGEMENT BON MARCHÉ ET DE L’HABITAT COOPÉRATIF
FONDATION NICOLAS BOGUERET
COOPLOG PONT-ROUGE

représentées par Me Bertrand Reich, avocat


et

CACCIAMANO, STÉPHANE BERTACCHI SUCCESSEUR SA, appelée en cause
représentée par Me Jean-Daniel Théraulaz, avocat



EN FAIT

1. Le 19 décembre 2017, la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif (ci-après : FPLC) – institution de droit public –, la Fondation Nicolas Bogueret et Cooplog Pont-Rouge, toutes deux personnes morales de droit privé (ci-après : les entités adjudicatrices) ont fait paraître dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) et sur le site internet www.simap.ch un appel d'offres en procédure ouverte pour un marché public de construction soumis aux accords internationaux, portant sur des travaux de chape à réaliser dans le cadre du projet Adret Pont-Rouge, lots B et C qui comporte six bâtiments destinés au logement.

Les critères d’adjudication avec leur pondération étaient les suivants : prix (45 %), organisation pour l’exécution (15 %), qualités techniques (15 %), organisation qualité du soumissionnaire (15 %) et références (10 %). Le délai de dépôt des offres était fixé au 1er février 2018 à midi.

2. Chillemi & Cie SA (ci-après : la soumissionnaire) et Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA et deux autres entreprises ont soumissionné dans le délai.

3. Par décision du 26 mars 2018, les entités adjudicatrices ont adjugé le marché à Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA (ci-après : l’adjudicataire) et ont informé la soumissionnaire que son offre avait été classée deuxième sur les quatre évaluées.

4. Par acte du 10 avril 2018, la soumissionnaire a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de non-adjudication, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours. Principalement, la décision devait être annulée, le marché devait lui être attribué et les entités adjudicatrices devaient être condamnées aux frais de la procédure.

Son droit d’être entendu avait été violé. La décision querellée n’était pas motivée, elle avait été envoyée juste avant les fêtes de Pâques alors que le responsable du dossier était absent de Genève jusqu’au 9 avril 2018. Il n’avait donc pas pu donner suite à la demande d’entretien qui, selon le cahier des charges, devait être organisé de manière à sauvegarder les droits du soumissionnaire évincé ayant l’intention de déposer un recours. Elle avait uniquement reçu le tableau d’analyse multicritères et la notation du prix. Elle ne comprenait pas sa notation pour les critères organisationnels et estimait anormalement basse l’offre de l’adjudicataire, qui dans un autre marché dont il était adjudicataire, avait déposé une offre qui s’était avérée incomplète.

Sur effet suspensif, son recours avait de réelles chances de succès et aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’opposait à l’octroi de cet effet.

Ce recours a été enregistré sous cause n° A/1187/2018.

5. Le 12 avril 2018, l’adjudicataire a été appelée en cause.

6. Les 27 avril et 4 mai 2018, les entités adjudicatrices et l’adjudicataire ont conclu au rejet de la demande d’octroi d’effet suspensif et le 8 mai 2017, la soumissionnaire a exercé son droit à la réplique.

7. Le 11 mai 2018, tant les entités adjudicatrices que l’adjudicataire ont conclu au rejet du recours au fond.

La procédure d’adjudication était conforme au droit. Il n’y avait pas de violation du droit d’être entendu de la soumissionnaire. L’offre de l’adjudicataire se situait à un niveau de prix moyen, conforme aux conditions actuelles du marché.

8. Le 18 juin 2018 la présidence de la chambre administrative a octroyé l’effet suspensif au recours jusqu’à production par les entités adjudicatrices du dossier intégral de l’offre de l’adjudicataire (ATA/616/2018).

Les pièces produites à ce stade par les entités adjudicatrices faisaient état d’un échange de courriels entre leurs représentants et l’adjudicataire qui pouvait être compris en première lecture comme un complément de l’offre postérieur au délai de dépôt, respectivement comme une modification de ladite offre. Cette dernière n’ayant pas été transmise, il n’était pas possible d’exclure d’entrée de cause une violation manifeste des principes de transparence, d’égalité de traitement entre soumissionnaires et d’intangibilité des offres.

9. Le 21 août 2018, après avoir produit l’intégralité de l’offre litigieuse, les entités adjudicatrices, avec l’aval de la chambre administrative, ont réagi à la décision susmentionnée.

Un document composant l’offre de l’adjudicataire s’était avéré non signé, de sorte qu’elle avait été invitée à réparer cette informalité. Les échanges de courriels entre les entités adjudicatrices et l’adjudicataire relevaient de la clarification de l’offre, sous forme de demande d’explications et d’éléments techniques et financiers. Elles demandaient dès lors que l’effet suspensif soit retiré.

10. Le 5 octobre 2018, le juge délégué a tenu une audience de comparution personnelle des parties, dont sont ressortis les éléments suivants :

Les échanges de courriels entre les entités adjudicatrices et l’adjudicataire s’étaient inscrits dans l’analyse des offres, le second ayant relevé une difficulté potentielle en cas d’épaisseur insuffisante de la chape, ainsi qu’un problème de respect d’une norme SIA dans les exigences du cahier des charges. Le premier point relevé était de la responsabilité du maçon qui supporterait une éventuelle plus-value des coûts. Le second point, mis en évidence seulement par l’adjudicataire, était une erreur du cahier des charges. Les autres soumissionnaires n’en avaient pas été informés car les entités adjudicatrices avaient procédé à un nouveau calcul de l’offre de l’adjudicataire intégrant la plus-value entraînée par une adaptation à la norme SIA et cela n’avait pas modifié le classement. La soumissionnaire quant à elle, a estimé que la norme SIA était respectée, d’une part, et, d’autre part, que le calcul du surcoût était surévalué.

Concernant les sous-traitants, l’adjudicataire en avait mentionné trois dans l’annexe R15. Toutefois, un seul était un véritable sous-traitant, les deux autres étant des fournisseurs pour lesquels il n’y avait pas de formulaire distinct. L’adjudicataire ne pensait pas avoir fourni les attestations requises pour ce sous-traitant, avec lequel elle travaillait à l’année.

Les entités adjudicatrices ont insisté sur la nécessité que les chapes puissent être posées en janvier 2019 dans le premier bâtiment. Le chantier s’inscrivait dans le cadre du CEVA et des aménagements l’entourant. Il y avait des impératifs de coordination.

11. Par décision du 19 octobre 2018, la présidence de la chambre administrative a refusé de retirer l’effet suspensif au recours.

Les explications fournies lors de l’audience susmentionnée par les entités adjudicatrices au sujet de l’échange de courriels intervenu après le dépôt des offres ne permettaient pas d’exclure prima facie une violation du principe de transparence et d’intangibilité des offres, dès lors que suite à la question du respect d’une norme SIA soulevée par l’adjudicataire uniquement, les entités adjudicatrices avaient considéré qu’il y avait une erreur dans le cahier des charges et procédé à un nouveau calcul de l’offre de la seule adjudicataire, sans information aux autres soumissionnaires.

Par ailleurs, le dossier de soumission de l’adjudicataire ne comportait aucune des attestations de son sous-traitant requises par le cahier des charges et elle avait indiqué en cours d’audience qu’elle ne pensait pas les avoir fournies. Les soumissions devant être conformes, au moment de leur ouverture, aux conditions essentielles spécifiées dans la documentation relative à l’appel d’offres (ATA/794/2018 du 7 août 2018 consid. 3a), l’absence de ces documents posait, prima facie, la question de la conformité de l’offre de l’adjudicataire non seulement aux exigences du cahier des charges, mais aussi aux conditions de participation au marché en cause fixées par la réglementation applicable.

12. Le 19 octobre 2019, les parties ont été invitées à se déterminer sur la question de la conformité de l’offre de l’adjudicataire aux conditions par la réglementation applicable, en lien avec l’absence d’attestations de sous-traitant.

La soumissionnaire a persisté dans ses conclusions, estimant que l’offre de l’adjudicataire aurait dû être purement et simplement écartée.

Les entités adjudicatrices ont également persisté dans leurs conclusions, le fait qu’un sous-traitant annoncé n’avait pas fourni les attestations requises ne constituant pas un motif d’irrecevabilité.

L’adjudicataire n’a pas transmis de détermination.

13. Le 27 novembre 2018, par courriers recommandés, les entités adjudicatrices ont informé l’adjudicataire, la soumissionnaire et les deux autres entreprises ayant soumis une offre que l’adjudication contestée du marché litigieux était révoquée, les décisions des 18 juin et 19 octobre 2018 de la présidence de la chambre administrative et les faits exposés de part et d’autre ayant amené les maîtres d’ouvrage à prendre pleinement la mesure de la problématique. Les voie et délai de recours étaient mentionnés.

Par ailleurs, suite à la révocation de l’adjudication, la mise en concurrence était interrompue et les travaux de chapes seraient attribués à nouveau par chacun des maîtres d’ouvrage. Les voies et délai de recours étaient également mentionnés.

Un tirage de ce courrier était adressé à la chambre administrative, avec la proposition de radier la présente cause du rôle en laissant les frais à la charge de l’État.

14. Par acte du 10 décembre 2018, la soumissionnaire a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision d’interruption de mise en concurrence susmentionnée, concluant à l’annulation de celle-ci.

Aucune des conditions réglementaires permettant l’interruption de la procédure n’était réalisée. Il s’agissait d’une manœuvre déloyale destinée à l’écarter du marché qu’elle devait se voir attribuer, étant arrivée deuxième derrière l’adjudicataire. En raison du dommage important auquel elle était exposée, elle demandait à ce que l’effet suspensif soit octroyé à son recours.

Enfin, elle demandait à ce que cette procédure soit jointe à la cause A/1187/2018.

Cette cause a été enregistrée sous cause n° A/4318/2018.

15. Le 14 décembre 2018, les entités adjudicatrices ont transmis leur  détermination finale dans la cause n° A/1187/2018.

Suite à la révocation de l’adjudication et à l’interruption de la mise en concurrence, la FPLC seule avait mis en concurrence le marché des chapes pour ses immeubles, par publication sur le site internet www.simap.ch le 29 novembre 2018. Les deux autres entités étant des sociétés de droit privé, elles n’étaient pas des autorités adjudicatrices par nature et une jurisprudence récente de la chambre administrative avait indiqué qu’une entité qui n’entre pas dans le champ d’application subjectif du droit des marchés publics n’avait pas la faculté de s’y soumettre spontanément. Elles n’avaient par conséquent pas le droit d’adjuger un marché, étant précisé qu’elles s’étaient engagées sur cette voie de bonne foi, dans un souci de transparence, d’économie des deniers publics et de lutte contre le travail au noir. Elles devaient être mises hors de cause. Le marché mis en concurrence initialement ne pouvait plus être adjugé, indépendamment du retrait de la décision d’adjudication querellée. La cause devait être rayée du rôle, subsidiairement le recours devait être rejeté car devenu sans objet et les frais devaient être laissés à la charge de l’État.

16. Le 14 décembre 2018, la soumissionnaire a également transmis sa détermination dans le cadre de la cause n° A/1187/2018.

Si la jonction de causes n° A/11787/2018 et A/4318/2018 n’était pas ordonnée, il y aurait lieu de suspendre la première en raison de son recours contre la décision d’interruption de mise en concurrence. En effet, en cas d’admission de ce recours, le marché devrait lui être adjugé. En cas de rejet dudit recours, il faudrait alors constater le caractère illicite de l’adjudication et elle aurait droit à dédommagement, chiffré en l’état à CHF 34'212.-.

17. Le 19 décembre 2018, les entités adjudicatrices se sont opposées à l’octroi de l’effet suspensif au recours contre la décision d’interruption de mise en concurrence. L’adjudicataire n’avait pas contesté la révocation de l’adjudication ni l’interruption de mise en concurrence. La FPLC avait publié un nouvel appel d’offres pour ses immeubles uniquement, appel d’offres contre lequel la soumissionnaire n’avait pas recouru. Son recours contre la décision d’interruption de mise en concurrence avait peu de chance de succès.

18. Le 10 janvier 2019, les entités adjudicatrices ont conclu au rejet du recours contre la décision d’interruption de mise en concurrence, cette dernière étant conforme au droit. Elle tenait compte d’une part des décisions de la présidence de la chambre administrative des 18 mai et 19 octobre 2018 faisant état d’irrégularités formelles dans le déroulement de la procédure de mise concurrence, ainsi que d’un nouvel examen de la pertinence d’une adjudication commune par les trois entités et d’un assujettissement volontaire au droit des marchés publics de la part des opérateurs privés, eu égard à la jurisprudence développée par la chambre administrative sur ce point, qui n’était pas aussi clair lorsque le projet avait été lancé. Le marché devait être redéfini. Le marché initial ne pouvait être adjugé à la soumissionnaire.

19. Le 10 janvier 2019 également, les entités adjudicatrices se sont opposées à la suspension de la cause n° A/1187/2018 et le 8 février 2019, la soumissionnaire a persisté dans sa demande.

20. Les 31 janvier 2019 dans la cause n° A/4318/2018 et 4 février 2019 dans la cause n° A/1187/2018, la soumissionnaire a contesté que seule la FPLC pouvait être entité adjudicatrice, les deux autres sociétés l’étant également dès lors que leur projet était subventionné à plus de 50 % du coût total par des fonds publics. Elles s’étaient vu confier une activité d’utilité publique dévolue à la FPLC, soit la construction de logements d’utilité publique dans le cadre de la construction de six immeubles sur le site Adrets Pont-Rouge. Elles avaient bénéficié de la mise en valeur des terrains par la FPLC. Elles étaient au bénéfice d’un droit de superficie payé par les futurs locataires. Elles avaient accepté de se soumettre à un contrôle étatique tant au niveau du plan financier de départ que par la suite par le contrôle d’exploitation. Les trois entités adjudicatrices avaient dès le début décidé de réaliser un projet de réalisation de logements d’utilité publique. Les fonds publics pour la réalisation de ce projet représentaient au moins 57,5 % de la totalité des coûts d’ensemble dudit projet, dans un contexte où la FPLC était, à l’évidence, financée par des subventions versées par l’État de Genève.

21. Le 13 février 2019, les parties ont été informées que les causes n° A/1187/2018 et n° A/4318/2018 étaient gardée à juger.

EN DROIT

1. Aux termes de l’art. 70 LPA, l’autorité peut, d’office ou sur requête, joindre en une même procédure des affaires qui se rapportent à une situation identique ou à une cause juridique commune (al. 1) ; la jonction n’est toutefois pas ordonnée si la première procédure est en état d’être jugée alors que la ou les autres viennent d’être introduites (al. 2).

En l’espèce, les causes n° A/1187/2018 et n° A/4318/2018 sont en état d’être jugées. Elles se rapportent au même complexe de faits, concernent l’une comme l’autre l’issue de la procédure de marché public faisant suite à l’adjudication du 26 mars 2018 et doivent être tranchées simultanément.

2. Interjetés en temps utile devant la juridiction compétente, les recours sont recevables de ces points de vue (art. 15 al. 1, al. 1bis let. e et al. 2 de l'accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 - AIMP - L 6 05 ; art. 3 al. 1 de la loi du 12 juin 1997 autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’AIMP - L-AIMP - L 6 05.0 ; art. 55 let. e et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 - RMP - L 6 05.01 ; art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

Leur jonction sera donc ordonnée sous cause n° A/1187/2018.

Cela emporte que la demande de suspension de la cause n° A/1187/2018 dans l’attente de l’issue de la cause n° A/4318/2018 n’a plus d’objet.

3. a. La qualité pour recourir en matière de marchés publics se définit en fonction des critères de l’art. 60 al. 1 let. a et b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10), applicable sur renvoi de l’art. 3 al. 4 L-AIMP. Elle appartient aux parties à la procédure qui a abouti à la décision attaquée, chacune de celles-ci devant néanmoins être touchée directement par la décision et avoir un intérêt personnel digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée. Tel est le cas de celle à laquelle la décision attaquée apporte des inconvénients qui pourraient être évités grâce au succès du recours, qu’il s’agisse d’intérêts juridiques ou de simples intérêts de fait (ATA/1019/2018 du 2 octobre 2018 consid. 3a et les références citées).

b. En matière de marchés publics, l’intérêt actuel du soumissionnaire évincé est évident tant que le contrat n’est pas encore conclu entre le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire, car le recours lui permet d’obtenir la correction de la violation commise et la reprise du processus de passation. Mais il y a lieu d’admettre qu’un soumissionnaire évincé a aussi un intérêt actuel au recours lorsque le contrat est déjà conclu avec l’adjudicataire, voire exécuté, car il doit pouvoir obtenir une constatation d’illicéité de la décision pour pouvoir agir en dommages-intérêts (art. 18 al. 2 AIMP ; art. 3 al. 3 L-AIMP ; ATF 137 II 313 consid. 1.2.2; ATA/516/2018 du 29 mai 2018 consid. 2b). Il dispose d’un intérêt juridique lorsqu’il avait, avant la conclusion du contrat des chances raisonnables de se voir attribuer le marché en cas d’admission de son recours (ATF 141 II 14 consid. 4.6 p. 31 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_203/2014 du 9 mai 2015 consid. 2.1). Cet intérêt existe notamment lorsque le soumissionnaire évincé avait été classé au deuxième rang derrière l’adjudicataire et qu’il aurait, en cas d’admission de son recours, disposé d’une réelle chance d’obtenir le marché (ATF 141 II 14 consid. 4.1 p. 27 ; arrêts du Tribunal fédéral 2D_39/2014 du 26 juillet 2014 consid. 1.1 et 2C_346/2013 du 20 janvier 2014 consid. 1.4.1).

c. Le cas d’une procédure définitivement interrompue doit être traité par analogie comme un contrat conclu, l’autorité de recours constate l’illicéité de la décision lorsque le recours est fondé. Cette décision ouvre la voie à une demande de dédommagement (ATF 134 II 192 consid. 2.3 p. 199 = SJ 2009 I 197, p. 203 ; Dominik KUONEN, Das Einladungsverfahren im öffentlichen Beschaffungsrecht, 2005, p. 209).

d. En l’espèce, la recourante a été classée au deuxième rang. Elle a en outre conclu dans son recours du 10 avril 2018 à l’attribution du marché public en cause. En cas d’admission de son recours, elle avait des chances raisonnables d’obtenir l’adjudication dudit marché. Par ailleurs, les entités adjudicatrices ont retiré la décision d’attribution du marché public le 27 novembre 2018, ce qui a rendu sans objet les conclusions en son annulation.

La recourante, soumissionnaire évincée, ayant conclu à son dédommagement, elle conserve un intérêt à ce que la chambre de céans se prononce sur l’illicéité alléguée de la procédure d’adjudication.

Les entités adjudicatrices ont en outre interrompu la mise en concurrence, décision contestée par la recourante en raison de ses conclusions en adjudication du marché.

Ainsi, les recours sont recevables de ce point de vue et la chambre de céans entrera en matière.

4. Le recours du 10 avril 2018 conclut à l’annulation de la décision d’adjudication du 26 mars 2018.

Par décision du 27 novembre 2018, les intimées ont révoqué ladite décision d’adjudication. Cette révocation n’a pas été contestée. Elle est donc en force, de sorte que le recours précité n’a plus d’objet sur ce point.

5. Les sociétés privées intimées ont demandé à être mises hors de cause au motif qu’elles n’étaient pas des autorités adjudicatrices et ne pouvaient pas se soumettre volontairement aux règles des marchés publics quand bien même elles l’avaient fait de bonne foi.

a. Aux termes de l’art. 7 al. 1 RMP, qui reprend en grand partie le contenu de l’art. 8 al. 1 et 2 AIMP, sont assujettis audit règlement : a) l'État, les communes et leurs établissements ou fondations de droit public, dans la mesure où ils n'ont pas un caractère purement commercial ou industriel ; b) les entreprises publiques ayant pour but l'accomplissement de tâches cantonales ou communales ; c) les privés pour les projets et prestations subventionnés à plus de 50 % du coût total par des fonds publics ; d) les organismes et entreprises privés ou publics opérant au moyen d'une concession ou d'un monopole de droit dans les domaines de l'approvisionnement en eau, en énergie et dans ceux des transports et des télécommunications, pour les seuls marchés en relation avec l'exécution à Genève de leurs tâches dans les domaines précités ; e) les autres autorités adjudicatrices, selon les traités internationaux en vigueur ; f) les organisations communes, quelle que soit leur forme juridique, composées d'autorités adjudicatrices assujetties.

Une entité qui n’entre pas dans le champ d’application subjectif du droit des marchés publics n’a pas la faculté de s’y soumettre spontanément (ATA/1260/2018 du 27 novembre 2018 consid. 4c et 4d ; ATA/751/2016 du 6 septembre 2016 consid. 4c ; Étienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, n. 249 p. 155). Un recours en matière de marché public dirigé contre elle est irrecevable.

b. En l’espèce, il n’est pas contesté que deux des trois intimées sont des personnes morales de droit privé. Au vu de la jurisprudence précitée, elles ne peuvent être soumises aux règles des marchés que dans l’hypothèse prévue à l’art. 7 let. c RMP. Il n’est pas contesté que le projet ayant donné lieu à l’adjudication litigieuse est financé par des fonds publics, sans toutefois qu’il soit établi qu’ils représenteraient plus de la moitié de son coût total, nonobstant les éléments fournis par la recourante.

La question de l’assujettissement des ces deux intimées au droit des marchés publics de même que leur éventuelle mise hors de cause souffriront toutefois de demeurer indécises, vu ce qui suit.

6. a. Selon l’art. XIII § 4 de l’accord du 15 avril 1994 sur les marchés publics (AMP - RS 0.632.231.422), un marché public ne peut être interrompu que pour des motifs d’intérêt public.

Ce point doit être distingué et ne préjuge en rien de l'éventuelle obligation de conclure le contrat après l'adjudication, respectivement de la possibilité d'y renoncer, questions qui relèvent en principe du droit (privé) des contrats (arrêt du Tribunal fédéral 2P.34/2007 du 8 mai 2007 consid. 6.1), la décision d’adjudication ne créant pas une obligation de contracter à la charge de l'adjudicateur (ATF 129 I 410 consid. 3 = SJ 2004 I 253 [rés.] ; Étienne POLTIER, op. cit., n. 358 p. 225 et n. 377 p. 241).

Dans la législation fédérale, le droit d’interrompre un marché public est réglé spécifiquement à l’art. 30 de l’ordonnance sur les marchés publics du
11 décembre 1995 (OMP - RS 172.056.11), à teneur duquel le pouvoir adjudicateur interrompt la procédure s’il n’entend pas réaliser le projet (al. 1), peut interrompre et répéter la procédure quand aucune offre ne satisfait aux critères et aux exigences techniques fixés dans l’appel d’offres et dans les documents qui s’y rattachent (let. a) ou quand il y a lieu de s’attendre à des offres plus avantageuses suite à une modification des conditions générales ou à la disparition de distorsions de concurrence (let. b ; al. 2), et peut engager une nouvelle procédure d’adjudication lorsqu’il décide d’apporter une modification importante au projet (al. 3).

b. Aux termes de l’art. 13 let. i AIMP, les dispositions d’exécution cantonales doivent garantir la possibilité d'interrompre et de répéter la procédure de passation en cas de justes motifs uniquement. Le texte allemand de cette disposition parle de son côté de motifs importants (« wichtige Gründe ») et le texte italien de motifs sérieux (« gravi »).

Dans le canton de Genève, cette question est réglée à l’art. 47 RMP, à teneur duquel la procédure peut être interrompue pour de justes motifs ou raisons importantes, notamment lorsqu’un abandon ou une modification importante du projet est nécessaire (al. 1 let. c) ; l’autorité adjudicatrice rend une décision d'interruption sommairement motivée, notifiée soit par publication, soit par courrier aux intéressés, avec mention des voies de recours ; cette décision indique, le cas échéant, s'il est prévu de renouveler la procédure (al. 2).

L'interruption, la répétition ou le renouvellement de la procédure n'est possible qu'à titre exceptionnel et suppose un motif important ; cette règle existe aussi pour les marchés publics soumis au droit fédéral (ATF 141 II 353
consid. 6.1 ; 134 II 192 consid. 2.3 = SJ 2009 I 197). L'interruption du marché – ce qui suppose l'annulation de tous les actes déjà accomplis – apparaît donc comme une ultima ratio (ATF 141 II 353 consid. 6.1 ; Peter GALLI/André MOSER/Élisabeth LANG/Marc STEINER, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 2013, n. 799 p. 353).

Il revient en premier lieu au pouvoir adjudicateur de décider s'il existe des motifs objectifs pour interrompre la procédure d'adjudication en raison d'un intérêt public prépondérant, et s’il convient effectivement d'interrompre ou non la procédure, soit définitivement, soit en la répétant ou en la renouvelant. La solution à adopter dépend des besoins de l'autorité adjudicatrice, qui jouit d'une liberté de manœuvre étendue pour les définir (ATF 141 II 353 consid. 6.3, et les références citées). Elle est toutefois limitée par le respect de la bonne foi et des principes généraux applicables au droit des marchés publics, notamment l'interdiction de discrimination entre les soumissionnaires, la proportionnalité, la transparence et l'interdiction de la modification du marché sur des éléments essentiels (ATF 141 II 353 consid. 6.4 ; aussi ATA/501/2016 du 14 juin 2016 consid. 6d).

La question de savoir si les motifs objectifs justifiant l'interruption étaient prévisibles pour l'adjudicateur et si sa responsabilité est de ce fait engagée, peut avoir une incidence sur la question des dommages-intérêts, mais elle est sans pertinence pour juger de l'admissibilité de l'interruption
(ATF 134 II 192 consid. 2.3 = SJ 2009 I 197, et les références citées).

c. En l’espèce, la raison de l’interruption de la mise en concurrence est la modification du périmètre du marché aux seuls bâtiments de la FPLC, soit d’un abandon partiel du marché initial, ce qui constitue une raison objective importante. Ce nouveau périmètre du marché public s’est traduit par la publication d’un nouvel appel d’offres de la seule FPLC pour ses bâtiments, qui n’a fait l’objet d’aucun recours.

Ce redimensionnement résulte du fait que les entités adjudicatrices ont estimé, selon une nouvelle appréciation, que deux d’entre elles ne pouvaient être soumises au droit des marchés publics. Cette question relève de la prévisibilité du motif d’interruption.

Il s’ensuit que la décision d’interruption de mise en concurrence est conforme au droit et les griefs de la recourante seront écartés.

7. La recourante a conclu à l’adjudication du marché initial.

L’interruption de la mise en concurrence a toutefois mis fin à ce marché. Le nouveau marché ne couvre pas le même périmètre. L’appel d’offres le concernant n’a pas été contesté. Cette conclusion n’a dès lors plus d’objet.

8. Il reste à examiner la question de l’indemnisation de la recourante, celle-ci ayant fait valoir des prétentions à ce titre.

La décision d’adjudication a été révoquée notamment en raison d’éléments mis en exergue dans les décisions de la présidence sur effet suspensif des 18 mai et 19 octobre 2019, susceptibles de constituer une violation des principes de transparence et d’intangibilité des offres pour certains et mettant en cause la conformité de l’offre de l’adjudicataire au cahier des charges, voire la participation de l’offre au marché initial.

a. La chambre de céans s'est toujours montrée stricte au sujet du formalisme qui caractérise le domaine des marchés publics (ATA/801/2016 du 27 septembre 2016 consid. 9 ; ATA/535/2011 du 20 août 2011 ; ATA/150/2006 du 14 mars 2006), ce que le Tribunal fédéral a constaté mais confirmé (arrêts du Tribunal fédéral 2C_418/2014 du 20 août 2014 consid. 4 ; 2C_197 et 2C_198/2010 du 30 avril 2010 consid. 6) pour autant que la même rigueur, respectivement la même flexibilité soit appliquée à l’égard des différents soumissionnaires (ATA/753/2016 du 6 septembre 2016 consid. 4f ; ATA/256/2016 du 22 mars 2016 ; ATA/175/2016 du 23 février 2016 ; Olivier RODONDI, La gestion de la procédure de soumission, in Droit des marchés publics 2008, n. 63 p. 186, n. 64 p. 186 et n. 66 p. 187 ; Olivier RODONDI, Les délais en droit des marchés publics, in RDAF 2007 I 187 et 289). Ledit formalisme permet en effet de respecter notamment le principe d’intangibilité des offres remises, de même que celui de l’égalité de traitement entre soumissionnaires garanti par l'art. 16 al. 2 RMP (ATA/175/2016 précité consid. 4 ; ATA/129/2014 du 4 mars 2014).

Le Tribunal fédéral a jugé que l'interdiction du formalisme excessif, tirée de la garantie à un traitement équitable des administrés énoncée à l'art. 29 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101) n'oblige pas le pouvoir adjudicateur à interpeller un soumissionnaire en présence d'une offre défaillante (arrêts du Tribunal fédéral 2C_197/2010 et 2C_198/2010 précité consid. 6.5). En revanche, elle interdit d'exclure une offre présentant une informalité de peu de gravité. C’est dans ce sens que des erreurs évidentes de calcul et d’écriture peuvent être rectifiées (art. 39 al. 2 RMP) et que des explications peuvent être demandées aux soumissionnaires relatives à leurs aptitudes et à leurs offres (art. 40 et 41 RMP). Le principe d’intangibilité des offres remises et le respect du principe d’égalité de traitement entre soumissionnaires impliquent de ne procéder à ce type de questionnement que de manière restrictive, et seulement lorsque l’offre est, au demeurant, conforme aux conditions de l’appel d’offres (Olivier RODONDI, La gestion de la procédure de soumission, op. cit., n. 63 p. 186 ; Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Droit des marchés publics, 2002, p. 110).

b. Le principe de la transparence applicable au droit des marchés publics exige tout d'abord que le pouvoir adjudicateur fasse connaître les principales étapes de la procédure et leur contenu et qu'il indique à l'avance aux soumissionnaires potentiels tous les éléments minimaux et utiles leur permettant de déposer une offre valable et correspondant pleinement aux conditions posées (ATF 125 II 86 consid. 7c p. 100 ss). Il est essentiel que l'autorité adjudicatrice décrive soigneusement l'objet du marché et les conditions qui lui sont applicables ; cela suppose qu'elle ait procédé à une définition précise de ses besoins. En présence d'un descriptif imprécis, la faculté des entreprises de poser des questions au pouvoir adjudicateur ne constituera en règle générale pas un correctif suffisant (arrêt du Tribunal administratif du canton de Vaud GE.2003.0064 du 29 août 2003 consid. 3a ; Peter GALLI/André MOSER/Elisabeth LANG/Marc STEINER, Praxis des öffentlichen Beschaffungsrechts, 3ème éd., 2013, p. 175 ss).

c. Le principe d'égalité de traitement entre soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. b et 11 let. a AIMP ; art. 16 RMP) oblige l'autorité adjudicatrice à traiter de manière égale les soumissionnaires pendant tout le déroulement formel de la procédure (ATA/899/2016 du 25 octobre 2016 consid. 6a ; Benoît BOVAY, La non-discrimination en droit des marchés publics, in RDAF 2004 I 241 ; Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, op.cit., p. 109). Ce principe impose que les conditions d'accès au marché soient similaires pour tous (Guide romand pour les marchés publics, annexe D, ch. 2, version du 2 juin 2005, actualisée et complétée les 9 juin 2006, 18 décembre 2006 et 12 septembre 2008).

d. L'épuration des offres constitue un préalable à la phase de leur évaluation sur la base des critères d'adjudication. Si l'offre proposée n'est pas conforme aux conditions d'appel d'offres, elle sera exclue comme non conforme à l'objet du marché (JAAC 2001 65.78 consid. 3a ; ATA/1216/2015 du 10 novembre 2015 consid. 5c ; ATA/457/2011 du 26 juillet 2011).

L’offre d’un soumissionnaire est écartée d’office par une décision d’exclusion lorsque son offre est tardive, incomplète ou non-conforme aux exigences du cahier des charges (art. 42 al. 1 let. a RMP). Les documents d'appel d'offres contiennent des spécifications techniques qui précisent la nature des besoins du pouvoir adjudicateur ; si ces exigences ne sont pas remplies par la soumission, l’offre doit être exclue de la suite de la procédure. Ces conséquences rigoureuses découlent de l'application des principes à la fois d'égalité de traitement entre concurrents et de transparence. En déposant une offre, les fournisseurs se soumettent en effet au cadre tracé par l'appel d'offres. Dès lors, les soumissionnaires doivent proposer des prestations qui correspondent à celles demandées par le pouvoir adjudicateur (ATA/172/2019 du 26 février 2019, de même que les références citées).

e. En l’espèce, il ressort du dossier que les entités adjudicatrices ont eu avec l’adjudicataire un échange de correspondance portant sur un élément technique, soit une difficulté pouvant surgir en cas d’épaisseur insuffisante de la chape susceptible d’entraîner une plus-value des coûts, ainsi qu’un problème de respect d’une norme SIA dans les exigences du cahier des charges, entraînant également une plus-value. Les entités adjudicatrices ont considéré qu’il s’agissait d’une erreur dans le cahier des charges et ont procédé à un nouveau calcul, limité à la seule offre de l’adjudicataire. Aucune information n’a été donnée aux trois autres soumissionnaires, non plus que sur la question de l’épaisseur des chapes. En modifiant l’offre de l’adjudicataire en raison d’une erreur supposée du cahier des charges, à l’insu des autres candidats, les intimées ont violé les principes de transparence et d’égalité de traitement. Leur explication selon laquelle l’éventuelle plus-value de coûts liée à l’épaisseur des chapes serait de la responsabilité du maçon, d’une part, et, d’autre part, que le cahier des charges contenait une erreur dont la prise en compte dans l’offre de l’adjudicataire ne changeait rien ne leur est d’aucun secours, car cela revient à anticiper une mise à l’écart de tout avis divergent qui pourrait s’exprimer.

Par ailleurs, l’offre de l’adjudicataire n’était pas conforme au cahier des charges puisqu’elle ne contenait pas les attestations requises du sous-traitant mentionné. Elle a confirmé qu’elle ne pensait pas avoir fourni les attestations requises pour ce sous-traitant, avec lequel elle travaillait à l’année. L’offre a néanmoins été admise à participer telle quelle au marché, en violation à tout le moins du principe de l’égalité de traitement entre concurrents.

Au vu de ce qui précède, l’adjudication était illicite.

9. a. Une fois le caractère illicite de la décision constaté, le recourant peut demander devant l'autorité compétente la réparation de son dommage, limité aux dépenses qu'il a subies en relation avec les procédures de soumission et de recours. Le cas échéant, la chambre administrative donne un délai au recourant permettant à celui-ci de quantifier et de motiver sa prétention (art. 3 al. 3 L-AIMP).

b. Par dépenses « subies en relation avec les procédures de soumission et de recours » au sens de l’art. 3 al. 3 L-AIMP, le législateur visait les dépenses exposées par le soumissionnaire lésé ; les dépenses inutiles ou superflues, engagées par ce dernier du fait d’une mauvaise gestion ou de circonstances exorbitantes auxdites procédures en étaient exclues (ATA/1355/2018 du 18 décembre 2018 consid. 9b ; ATA/1056/2015 du 6 octobre 2015 consid. 11b et les références citées). Du point du vue du droit de la responsabilité, il n’est en effet pas possible d’imputer à l’auteur du dommage – fût-ce une collectivité publique – une lésion qui ne se serait pas produite en présence d’une gestion normale et régulière de la société. Cette condition découle du principe de causalité adéquate qui exige qu’il existe un rapport raisonnable entre le dommage subi et l’illicéité de la décision (ATF 131 III 12 consid. 4 et les références citées).

c. La L-AIMP est calquée, de ce point du vue, sur la loi fédérale sur les marchés publics du 16 décembre 1994 (LMP - RS 172.056.1) qui prévoit, à son art. 34 al. 2, une limitation de la responsabilité aux dépenses « nécessaires » engagées par le soumissionnaire en relation avec les procédures d’adjudication et de recours. Plus explicitement que dans la loi cantonale, mais de la même manière, la LMP exclut les dépenses subies par le soumissionnaire lésé qui sortent du cadre des dépenses ordinaires consenties par une société régulièrement administrée (ATA/1355/2018 précité consid. 9c et les références citées). La réparation des frais relatifs à la procédure de recours au titre de la responsabilité spéciale en matière de marchés publics couvre la différence entre les frais encourus à ce titre et ceux couverts par les dépens. La couverture va au-delà des règles ordinaires en matière de responsabilité de l’État (Evelyne CLERC, L’ouverture des marchés publics : effectivité et protection juridique, 1997, p. 614).

d. Selon la jurisprudence de la juridiction de céans, le dommage que peut donc réclamer un recourant en se fondant sur l’art. 3 al. 3 L-AIMP est limité à la réparation des impenses engagées dans la procédure de soumission, y inclus le remboursement de ses frais d’avocat, à défaut de la réparation du gain manqué, voire d’autres indemnités susceptibles d’être réclamées en raison notamment de la conclusion anticipée du contrat (ATA/476/2015 du 19 mai 2015 consid. 12c) ou de l’interruption de la procédure d’adjudication. Le montant du dommage subi, les frais allégués à ce titre par le recourant doivent être en lien avec la procédure, conformément au principe du lien de causalité (ATA/1355/2018 précité consid. 9d ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, p. 564 n. 1660 ss ; Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 849 n. 6.2.1.2 ; Evelyne CLERC, op. cit., p. 618).

e. En l’espèce, la recourante a chiffré ses conclusions en réparation de son dommage le 14 décembre 2018 à hauteur de CHF 34'212.-, montant, couvrant ses frais de soumission et ses frais d’avocat et, contesté par les entités adjudicatrices.

Compte tenu de l’ensemble des éléments ressortant du dossier, en particulier du travail fourni par la recourante pour la soumission et du travail fourni par son avocat pour la procédure, ce montant sera admis par la chambre de céans, seul devant en être déduit le montant de l’indemnité de procédure à l’octroi de laquelle elle a conclu.

10. En conclusion, le recours sera admis, l’illicéité de la décision d’adjudication sera constatée et les entités adjudicatrices seront condamnées à verser à la recourante, à titre de dommages-intérêts, une indemnité de CHF 34'212.-, incluant l’indemnité de procédure et sans intérêts moratoires, en l’absence de conclusions sur ce point (art. 69 al. 1 LPA).

Un émolument de CHF 2'400.- sera mis à la charge de la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif, la Fondation Nicolas Bogueret et de Cooplog Pont-Rouge, prises solidairement.

Un émolument du CHF 500.- sera mis à la charge de Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA.

Une indemnité de procédure de CHF 3'000.- sera allouée à Chillemi & Cie SA, à la charge de la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif, la Fondation Nicolas Bogueret et de Cooplog Pont-Rouge, prises solidairement.

Une indemnité de procédure de CHF 500.- sera allouée à Chillemi & Cie SA, à la charge de Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA.

Le montant total de l’indemnité de procédure étant de CHF 3'500.-, le solde de l’indemnité à titre de dommages et intérêts se monte à CHF 30'712.-, à la charge de la Fondation pour la promotion du logement coopératif et de l’habitat bon marché, la Fondation Nicolas Bogueret et de Cooplog Pont-Rouge, prises solidairement.

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

ordonne la jonction des causes A/1187/2018 et A/4318/2018 sous numéro A/1187/2018 ;

admet partiellement, dans la mesure où ils sont recevables, les recours interjetés le 10 avril 2018 et le 10 décembre 2018 par Chillemi & Cie SA contre les décisions du 26 mars 2018 et du 27 novembre 2018 de la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat cooperatif, la Fondation Nicolas Bogueret et Cooplog Pont-Rouge ;

constate l’illicéité de la décision du 26 mars 2018 ;

condamne la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif, la Fondation Nicolas Bogueret et de Cooplog Pont-Rouge, prises solidairement, à verser une indemnité de CHF 30'712.- à Chillemi & Cie SA ;

met un émolument de CHF 2400.- à la charge de la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif, la Fondation Nicolas Bogueret et de Cooplog Pont-Rouge, prises solidairement ;

met un émolument du CHF 500.- à la charge de Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 3'000.- à Chillemi & Cie SA, à la charge de la Fondation pour la promotion du logement coopératif et de l’habitat bon marché, la Fondation Nicolas Bogueret et de Cooplog Pont-Rouge, prises solidairement.

alloue une indemnité de procédure de CHF 500.- à Chillemi & Cie SA, à la charge de Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA ;

dit que conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

s’il soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Damien Blanc, avocat de la recourante, à Me Bertrand Reich, avocat de la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif, de la Fondation Nicolas Bogueret et de Cooplog Pont-Rouge, à Me Jean-Daniel Théraulaz, avocat de Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA, ainsi qu'à la commission de la concurrence (COMCO).

Siégeant : Mme Payot Zen-Ruffinen, présidente, M. Thélin, Mmes Krauskopf et Junod, M. Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

la greffière-juriste :

 

 

S. Hüsler Enz

 

 

la présidente siégeant :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :