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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/1187/2018

ATA/616/2018 du 18.06.2018 ( MARPU ) , ACCORDE

Parties : CHILLEMI & CIE SA / FONDATION PROMOTION LOGEMENT BON MARCHE ET HABITAT COOPERATIF, CACCIAMANO, STÉPHANE BERTACCHI, SUCCESSEUR SA
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1187/2018-MARPU ATA/616/2018

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Décision du 18 juin 2018

sur effet suspensif


dans la cause

 

CHILLEMI & CIE SA
représentée par Me Damien Blanc, avocat

contre

FONDATION POUR LA PROMOTION DU LOGEMENT BON MARCHÉ ET DE L’HABITAT COOPÉRATIF
représentée par Me Bertrand Reich, avocat


et

CACCIAMANO, STÉPHANE BERTACCHI SUCCESSEUR SA, appelée en cause
représentée par Me Jean-Daniel Théraulaz, avocat


Attendu, en fait, que :

1) Le 19 décembre 2017, la Fondation pour la promotion du logement coopératif et l’habitat bon marché – institution de droit public –, la Fondation Nicolas Bogueret et Cooplog Pont-Rouge, toutes deux personnes morales de droit privé (ci-après : l’entité adjudicatrice) ont fait paraître dans la Feuille d'avis officielle de la République et canton de Genève (ci-après : FAO) et sur le site internet www.simap.ch un appel d'offres en procédure ouverte pour un marché public de construction soumis aux accords internationaux, portant sur des travaux de chape à réaliser dans le cadre du projet Adret Pont-Rouge, lots B et C qui comporte six bâtiments destinés au logement.

Les critères d’adjudication avec leur pondération étaient les suivants : prix (45 %), organisation pour l’exécution (15 %), qualités techniques (15 %), organisation qualité du soumissionnaire (15 %) et références (10 %). Le délai de dépôt des offres était fixé au 1er février 2018 à midi.

2) Chillemi & Cie SA (ci-après : Chillemi) a soumissionné dans le délai.

3) Par décision du 26 mars 2018, l’entité adjudicatrice a adjugé le marché à Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA (ci-après : Cacciamano) et a informé Chillemi que son offre avait été classée deuxième sur les quatre évaluées.

4) Par acte du 10 avril 2018, Chillemi a interjeté recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision de non adjudication, concluant préalablement à l'octroi de l'effet suspensif au recours. Principalement, la décision devait être annulée, le marché devait lui être attribué et l’entité adjudicatrice devait être condamnée aux frais de la procédure.

Son droit d’être entendu avait été violé. La décision querellée n’était pas motivée, elle avait été envoyée juste avant les fêtes de Pâques alors que le responsable du dossier était absent de Genève jusqu’au 9 avril 2018. Il n’avait donc pas pu donner suite à la demande d’entretien qui, selon le cahier des charges, devait être organisé de manière à sauvegarder les droits du soumissionnaire évincé ayant l’intention de déposer un recours. Chillemi avait uniquement reçu le tableau d’analyse multicritères et la notation du prix. Elle ne comprenait pas sa notation pour les critères organisationnels et estimait anormalement basse l’offre de Cacciamano, qui dans un autre marché dont il était adjudicataire, avait déposé une offre qui s’était avérée incomplète.

Sur effet suspensif, son recours avait de réelles chances de succès et aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’opposait à l’octroi de cet effet.

5) Le 12 avril 2018, Cacciamano a été appelé en cause.

6) Le 27 avril 2018, l’entité adjudicatrice s’est opposée à l’octroi de l’effet suspensif au recours de Chillemi.

Le recours avait peu de chances de succès, il y avait un intérêt public significatif à la construction de plusieurs dizaines de logements locatifs et un intérêt privé financier important tant pour l’entité adjudicatrice que pour l’adjudicataire à ce qu’il soit dérogé à la règle usuelle en matière de marché public de l’absence d’effet suspensif. Il n’y avait pas eu de violation du droit d’être entendu, le responsable du dossier étant revenu la veille de l’échéance du délai de recours et ayant pris contact avec Chillemi, qui avait à ce moment déjà reçu le tableau d’analyse multicritères et la notation des offres.

L’offre de Cacciamano n’était pas anormalement basse, dans un contexte où la case prix minimum admissible avait été remplie non par un pourcentage d’écart à la moyenne des offres reçues mais par cette moyenne elle-même.

7) Le 4 mai 2018, Cacciamano a adhéré aux conclusions de l’entité adjudicatrice.

8) Le 8 mai 2018, Chillemi a répliqué sur effet suspensif.

9) Sur quoi, la cause a été gardée à juger sur effet suspensif.

 

Considérant, en droit, que :

1) Le recours, interjeté en temps utile devant l'autorité compétente, est recevable de ces points de vue, en application des art. 15 al. 2 de l'Accord intercantonal sur les marchés publics du 25 novembre 1994 (AIMP - L 6 05), 3 al. 1 de la loi autorisant le Conseil d’État à adhérer à l’accord intercantonal sur les marchés publics du 12 juin 1997 (L-AIMP - L 6 05.0) et 56 al. 1 du règlement sur la passation des marchés publics du 17 décembre 2007 (RMP - L 6 05.01).

2) Aux termes des art. 17 al. 1 AIMP et 58 al. 1 RMP, le recours n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, en vertu des art. 17 al. 2 AIMP et 58 al. 2 RMP, l’autorité de recours peut, d’office ou sur demande, restituer cet effet pour autant que le recours paraisse suffisamment fondé et qu’aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose.

L’examen de la requête suppose une appréciation prima facie du bien-fondé du recours ; le but est alors de refuser l’effet suspensif au recours manifestement dépourvu de chances de succès, dont le résultat ne fait aucun doute ; inversement, un diagnostic positif prépondérant ne suffit pas d’emblée à justifier l’octroi d’une mesure provisoire mais suppose de constater et de pondérer le risque de préjudice (ATA/1179/2017 du 15 août 2017 consid. 2 ; ATA/446/2017 du 24 avril 2017 consid. 2 ; Benoît BOVAY, Recours, effet suspensif et conclusion du contrat, in Jean-Baptiste ZUFFEREY/Hubert STÖCKLI, Marchés publics 2010, Zurich 2010, pp. 311-341, p. 317 n. 15).

La restitution de l’effet suspensif constitue cependant une exception en matière de marchés publics, et représente une mesure dont les conditions ne peuvent être admises qu’avec restriction (ATA/1179/2017 précité consid. 2 ; ATA/446/2017 précité consid. 2).

3) a. L’AIMP a pour objectif l’ouverture des marchés publics, notamment des cantons (art. 1 al. 1 AIMP). Il poursuit plusieurs objectifs, soit assurer une concurrence efficace entre les soumissionnaires (art. 1 al. 3 let. a AIMP), garantir l’égalité de traitement entre ceux-ci et assurer l’impartialité de l’adjudication
(art. 1 al. 3 let. b AIMP), assurer la transparence des procédures de passation des marchés (art. 1 al. 3 let. c AIMP) et permettre l’utilisation parcimonieuse des deniers publics (art. 1 al. 3 let. d AIMP). Ces principes doivent être respectés, notamment dans la phase de passation des marchés (art. 11 AIMP, notamment let. a et b AIMP).

b. Le principe de l’égalité de traitement entre soumissionnaires oblige l’autorité adjudicatrice à traiter de manière égale les soumissionnaires tout au long du déroulement formel de la procédure (art. 16 RMP ; ATA/1005/2016 du 29 novembre 2016 consid. 3 ; ATA/51/2015 du 13 janvier 2015 et jurisprudence citée ; Jean-Baptiste ZUFFEREY/Corinne MAILLARD/Nicolas MICHEL, Droit des marchés publics, 2002, p. 109 ; Benoît BOVAY, La non-discrimination en droit des marchés publics in RDAF 2004, p. 241).

c. Dans le canton de Genève, la procédure ouverte est une procédure publique à laquelle peuvent participer tous les intéressés. Aux termes de l’art. 12 RMP, les offres sont évaluées en fonction des critères d'aptitude, au sens de l'art. 33 RMP, et des critères d'adjudication, au sens de l'art. 43 RMP. L'autorité adjudicatrice choisit des critères objectifs, vérifiables et pertinents par rapport au marché. Elle doit les énoncer clairement et par ordre d'importance au moment de l'appel d'offres (art. 24 RMP).

Avant de pouvoir participer à l’évaluation, un concurrent doit respecter les « conditions pour être admis à soumissionner » définies aux art. 31 à 33 composant le chapitre III du RMP.

d. Le principe d’intangibilité des offres interdisant la modification de celles-ci après l’échéance du délai de dépôt découle de l’art. 11 let. c AIMP qui proscrit les négociations entre l’entité adjudicatrice et les soumissionnaires (Etienne POLTIER, Droit des marchés publics, 2014, p 222 n. 354). Il est également lié à la nécessité d’assurer l’égalité de traitement entre soumissionnaires (arrêt du Tribunal fédéral 2C_197/2010 du 30 avril 2010, consid. 6.1).

4) En l’espèce, la recourante se plaint d’une violation du droit d’être entendu, sous la forme d’une motivation insuffisante de la décision querellée et de la planification inadéquate de la notification et de l’absence du responsable du dossier. Elle soutient en outre que l’offre de l’adjudicataire serait anormalement basse.

a. L’éventuelle violation du droit d’être entendu, de prime abord, n’apparaît pas manifeste ni grave au point qu’elle soit susceptible d’entraîner la nullité de la décision querellée, puisque la recourante a été à même de contester cette dernière en temps utile, sans même s’adresser à l’intimée pour demander d’éventuels éclaircissements avant de recourir. L’examen de ce grief ne s’impose donc pas à ce stade.

b. Le caractère anormalement bas de l’offre relève à ce stade de l’allégation et non de la démonstration prima facie convaincante, de sorte que ce grief sera examiné dans le cadre de l’instruction au fond.

5) Les pièces produites par l’entité adjudicatrice font état d’un échange de courriels entre ses représentants et l’adjudicataire qui peut être compris en première lecture comme un complément de l’offre postérieur au délai de dépôt (signature du cahier des charges acoustique intervenue le 13 février 2018 sur signalement de l’entité adjudicatrice) et comme une modification de ladite offre (plus-values sur certains prix de l’offre déposée pour la réalisation de travaux complémentaires pour être en conformité avec une norme SIA).

L’entité adjudicatrice n’ayant pas transmis l’offre de Cacciamano, il n’est pas possible d’exclure d’entrée de cause une violation manifeste des principes de transparence, d’égalité de traitement entre soumissionnaires et d’intangibilité des offres, et donc d’apprécier les chances de succès du recours.

6) Au vu de ce qui précède, l’effet suspensif au recours sera octroyé, en l’état jusqu’à production par l’entité adjudicatrice du dossier intégral de l’offre de Cacciamano, en vue de son examen, étant précisé que ce dossier ne sera pas à ce stade porté à la connaissance de la recourante.

7) Le sort des frais de la procédure sera réservé jusqu'à droit jugé au fond.

LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

octroie l’effet suspensif au recours ;

impartit à l’entité adjudicatrice un délai au 6 juillet 2018 pour produire le dossier intégral de l’offre de Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA ;

réserve le sort des frais de la procédure jusqu’à droit jugé au fond ;

dit que, conformément aux art. 82 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF-RS 173.110),  la présente décision peut être portée dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral ;

- par la voie du recours en matière de droit public :

si la valeur estimée du mandat à attribuer n’est pas inférieure aux seuils déterminants de la loi fédérale du 16 décembre 1994 sur les marchés publics ou de l’accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse et la Communauté européenne sur certains aspects relatifs aux marchés publics ;

si elle soulève une question juridique de principe ;

- par la voie du recours constitutionnel subsidiaire, aux conditions posées par les art. 113 ss LTF ;

le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. La présente décision et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être jointes à l’envoi ;

communique la présente décision, en copie, à Me Damien Blanc, avocat de la recourante, à Me Bertrand Reich, avocat de la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif, ainsi qu’à Me Théraulaz, avocat de Cacciamano, Stéphane Bertacchi Successeur SA, appelée en cause.

 

 

la présidente :

 

 

F. Payot Zen-Ruffinen

 

 

 

 

Copie conforme de cette décision a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

la greffière :