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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/312/2017

ATA/1448/2017 du 31.10.2017 ( PRISON ) , ADMIS

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; INSULTE ; MESURE DISCIPLINAIRE ; FAUTE ; RESPONSABILITÉ(DROIT PÉNAL)
Normes : CP.19 ; CP.91.al1
Résumé : Constatation du caractère illicite de deux sanctions disciplinaires de quatre et cinq jours consécutifs de cellule forte prononcées à l'égard d'un détenu incarcéré ayant fait l'objet d'une mesure thérapeutique institutionnelle et ayant insulté et menacé le personnel de la prison. Les faits reprochés à l'intéressé constituent des infractions disciplinaires. Compte tenu que le détenu est sous curatelle de portée générale, qu'il souffre d'un trouble délirant persistant et sévère et que la mesure a été prononcée pour des faits similaires à ceux pour lesquels les sanctions ont été prises, des doutes quant à sa responsabilité au moment des faits objets des sanctions existent. Son aptitude à la faute ne pouvant être présumée et aucune confirmation écrite émanent d'un médecin, clairement dénommé, en mesure de se prononcer sur la question, qui permettrait d'écarter les doutes que soulèvent l'état de santé mental du détenu ne figure au dossier. En conséquence l'aptitude à la faute, au moment des faits, n'est pas établie et les sanctions sont non conformes au droit.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/312/2017-PRISON ATA/1448/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 31 octobre 2017

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur A_______
représenté par sa curatrice Madame Chrystel Nabor

contre

OFFICE CANTONAL DE LA DéTENTION

et

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1) Le 24 septembre 2008, Monsieur A______, né le ______1978, ressortissant suisse et argentin, refusant de quitter les locaux du parquet du Procureur général, a dû être évacué de force par deux agents de sécurité. Il les avait menacés en mimant le tir d'une arme à feu, leur avait dit qu'il reviendrait les tuer et avait hurlé à l'un d'eux « fils de pute, connard, va te faire foutre ».

Lors de ces événements, il dissimulait dans les poches de ses vêtements, qu'il avait adaptées à cet effet, un pistolet chargé, une cartouche se trouvant dans le canon de l'arme, un magasin de réserve plein et deux couteaux, l'un avec la lame ouverte et l'autre ouvrable à une main. Il a expliqué qu'il conservait ces armes en permanence sur lui, car la police le menaçait de mort. 

Il a été inculpé de menaces et d’injures et placé sous mandat d’arrêt et hospitalisé en entrée non-volontaire à la clinique psychiatrique de Belle-Idée jusqu’au 1er octobre 2008, date à laquelle il a été incarcéré à la prison de Champ-Dollon.

2) L’expertise psychiatrique qui a été ordonnée dans le cadre de la procédure pénale a été réalisée par le centre universitaire romand de médecine légale. Dans son rapport du 6 mars 2009, l’expert a retenu que l’intéressé souffrait d'un grave trouble mental sous la forme d'un trouble délirant persistant de type paranoïaque, dont la sévérité était élevée. Son trouble était centré sur les idées de persécutions, de sorte qu’il était totalement incapable d’apprécier le caractère illicite de ses actes. Le signe particulièrement grave de sa maladie était son anosognosie et sa négation de la nécessité de traitement. Le rapport concluait à une irresponsabilité totale de l’intéressé.

Par ordonnance du 26 mai 2009, la chambre d’accusation a prononcé un non-lieu à l’encontre de l’intéressé et ordonné une mesure thérapeutique institutionnelle en milieu fermé.

3) L’intéressé a fait l’objet le 23 février 2010, d’une mesure d’interdiction accompagnée d’une mise sous tutelle, transformée depuis le 1er janvier 2013 en curatelle de portée générale. La mesure tutélaire était fondée sur une expertise psychiatrique effectuée par le Docteur B______. La maladie mentale de l’intéressé présentait un caractère durable qui l’empêchait de gérer ses affaires, de se passer de soins et de secours permanents et qui pouvait l’amener à menacer sa sécurité et celle d’autrui.

4) La mesure institutionnelle en milieu fermé a été régulièrement prolongée, la dernière fois le 26 août 2016, par jugement du Tribunal d’application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM). Rien ne permettait de considérer que l’évolution de l’intéressé avait permis l’élimination ou la réduction dans une mesure suffisante du risque de commission de nouvelles infractions, ni que le traitement médical ne présentait plus du tout de chances de succès ou qu’une amélioration de son état de santé était définitivement impossible et l’exécution ou la poursuite de la mesure vouée à l’échec.

5) M. A______ a été incarcéré successivement à la prison de Champ-Dollon dès le 1er octobre 2008, transféré aux Établissements de la Plaine de l’Orbe le 9 février 2010, où il est resté jusqu’au 8 novembre 2013, tout d’abord en secteur disciplinaire et dès mai 2012, en secteur de responsabilisation. Le 9 novembre 2013, il a réintégré la prison de Champ-Dollon et du 3 janvier au 2 juillet 2014, il a été détenu à la prison de La Croisée puis dans l’établissement pénitentiaire fermé de Curabilis du 2 juillet 2014 au 20 juin 2016. Il a ensuite été placé à la prison de Champ-Dollon, dans l’attente d’un transfert ultérieur vers un établissement d’exécution de peine, selon décision du 28 juin 2016 du service de l’application des peines et des mesures (ci-après : SAPEM).

6) a. Selon les rapports adressés au directeur de la prison de Champ-Dollon par les gardiens, le 28 décembre 2016, à 8h05, M. A______ avait commencé un monologue agressif à l’encontre des gardiens qu’il avait ensuite menacés de mort. Alors qu’il s’opposait à son transfert en cellule forte et qu’il y était amené de force, il avait insulté les gardiens, les traitant de « fils de pute » et « d’état terroriste », insinuant qu’ils faisaient partie de « l’état islamique ». Le service médical avait été avisé à 8h35.

De 10h50 à 10h55, le gardien-chef a signifié à M. A______ une punition de cinq jours de cellule forte sans sursis, à exécuter du 28 décembre 2016 à 8h35 au 2 janvier 2017 à 8h35, pour avoir menacé le personnel, l’avoir injurié et refusé d’obtempérer. Lors de cette audition, M. A______ a réitéré ses insultes.

b. Le 28 décembre 2016, à 17h00, M. A______, alors qu’il purgeait sa sanction, a été amené au service médical, à sa demande. Lorsque l’infirmière lui a expliqué quelle médication lui a été prescrite, le détenu a exigé une prise en charge plus longue et a commencé à l’insulter et la menacer. Il a été ramené en cellule forte.

Toujours le 28 décembre 2016, en allant débarrasser l’assiette du détenu à 17h45, deux gardiens ont constaté que celui-ci avait jeté sa nourriture au sol. Le détenu avait insulté les gardiens et les a menacés de mort. La décision de sanction a été remise à M. A______ à 18h30.

Le 29 décembre 2016, lors de la distribution de médicaments par l’infirmière, le détenu a refusé son traitement et entamé une grève de la faim et de la soif. Il a exigé de parler à un membre de la direction. Alors que des gardiens lui apportaient de quoi écrire pour qu’il puisse expliquer ce qu’il voulait, le détenu leur a jeté le papier à la figure en les insultant et les menaçant.

À 16h50, après son audition, le gardien-chef a signifié à M. A______ une punition de quatre jours de cellule forte sans sursis à exécuter du 2 janvier 2017 à 8h35 au 6 janvier 2017 à 8h35, pour injures et menaces envers des tiers et envers le personnel. La décision de sanction écrite a été remise à M. A______ à 18h30.

7) Le 18 janvier 2017, la direction de la prison a fait parvenir à M. A______, à sa demande, les rapports correspondant aux sanctions, en version caviardées.

8) a. Par acte manuscrit posté le 25 janvier 2017, adressée à la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : chambre administrative), M. A______ a interjeté recours contre les deux punitions. Il avait demandé au directeur adjoint de la prison de lui faire parvenir les dossiers complets des deux décisions non-caviardées afin de pouvoir faire recours et de citer des témoins à décharge.

b. Par lettre datée du 2 février 2017, reçue le 8 février 2017 par la chambre administrative, le recourant qui avait été invité le 27 janvier 2017 à compléter son recours par retour de courrier, a précisé avoir reçu le courrier le 2 février 2017 et que les punitions avaient été illégalement appliquées tant dans la forme qu’au fond. Il n’avait pas pu avoir accès au dossier complet même après avoir purgé les peines. Il était innocent des fausses accusations des agents soi-disant « assermentés ».

M. A______ a signé tous ses envois en qualité de « victime de terrorisme d’état suisse, prisonnier politique et victime de torture genevoise ».

9) Le 9 mars 2017, le directeur de la prison de Champ-Dollon a déposé des observations concluant au rejet du recours.

Le gardien-chef avait informé M. A______ des faits reprochés et lui avait donné la possibilité de se déterminer. Pour des raisons liées à la sécurité du personnel et des détenus, les noms des fonctionnaires et des détenus concernés étaient caviardés sur les décisions transmises, ce qui n’empêchait nullement le recourant de prendre pleinement connaissance des faits et de se déterminer en toute connaissance de cause. Dans le cadre d’une procédure contentieuse, le nom des intervenants était transmis.

M. A______ contestait les faits dans leur globalité sans présenter une autre version et ne niait pas avoir proféré des insultes ou des menaces de mort à l’encontre du personnel.

Les sanctions réprimaient des violations graves et réitérées commises par l’intéressé qui révélaient l’absence de respect tant pour le personnel de surveillance que le service médical ainsi qu’une attitude provocatrice. Elles étaient proportionnées.

10) Par lettre du 6 mars 2017, reçue le 13 mars 2017, M. A______ a exposé des revendications concernant une autre cause, réglée depuis (ATA/16/2017 du 10 janvier 2017 et ATA/443/2017 du 20 avril 2017).

11) Par envoi du 17 mars 2017, l’office cantonal de la détention (ci-après : OCD) a déposé des observations, concluant à l’irrecevabilité du recours.

L’intéressé ne disposait pas de la capacité d’ester en justice et n’avait pas été valablement représenté. Il ne disposait pas non plus de la capacité de discernement qui aurait pu lui permettre d’agir seul, comme l’avait retenu la chambre pénale de recours de la Cour de justice dans son ordonnance du 4 avril 2016 (OCPR/39/2016) et le Tribunal fédéral le 22 avril 2016 (arrêt du Tribunal fédéral 6B_93/2016).

12) Par lettre du 15 mars 2017, reçue le 23 mars 2017, M. A______ a indiqué ne pas encore avoir reçu les dossiers complets. Il n’avait jamais pu se défendre et proposer des témoins à décharge ni interroger les témoins à charge. Cette situation était illégale. Il dénonçait également sa relation avec le service de protection de l’adulte.

13) Le 28 mars 2017, la cheffe de secteur du service de protection de l’adulte a ratifié, sans pour autant s’associer à leur contenu, les recours déposés par M. A______.

EN DROIT

1) a. Les décisions de sanction des 28 décembre et 29 décembre 2016 prononcées par le directeur de la prison de Champ-Dollon ont été notifiées oralement puis par écrit à M. A______, alors qu’il était détenu en cellule forte. Il a interjeté un recours incomplet dans le délai légal puis complété son recours à la demande de la chambre administrative, hors du délai de recours mais par retour du courrier.

b. Bien que M. A______ fasse l’objet d’une curatelle de portée générale, les décisions de sanction n’ont pas été notifiées à son représentant légal, à teneur du dossier. L’autorité de protection de l’adulte a ratifié le recours déposé, le 28 mars 2017, et la question soulevée par l’OCD de la détention de l’irrecevabilité du recours, en raison d’une incapacité d’ester en justice du recourant et d’absence de représentation valable n’a ainsi plus d’objet.

c. Les sanctions ayant déjà été exécutées, il convient d’examiner s’il subsiste un intérêt digne de protection à l’admission du recours (art. 60 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 ; 137 I 23 consid 1.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_406/2016 du 26 mai 2016 consid. 3.2 ; ATA/610/2017 du 30 mai 2017 ; ATA/308/2016 du 12 avril 2016 ; Jacques DUBEY/ Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, p. 734 n. 2084 ; Pierre MOOR/ Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3 ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 449 n. 1367).

Concernant le placement d'un détenu en cellule forte, compte tenu de la brièveté de la sanction, lorsque le recourant est encore en détention au moment du prononcé de l'arrêt, la chambre administrative fait en principe abstraction de l'exigence de l'intérêt actuel, faute de quoi une telle mesure échapperait systématiquement à son contrôle (ATA/1272/2017 du 12 septembre 2017 ; ATA/183/2013 du 19 mars 2013 ; ATA/775/2012 du 13 novembre 2012 ; ATA/134/2009 du 17 mars 2009).

Dès lors, la chambre administrative renoncera à l'exigence de l'intérêt actuel pour statuer.

d. Compte tenu de la notification irrégulière des décisions qui ne peut entraîner aucun préjudice pour les parties (art. 47 LPA), le recours de l’intéressé, formé en outre devant la juridiction compétente, est recevable (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05).

2) a. Les détenus et les personnes exécutant une mesure qui contreviennent de manière fautive aux prescriptions ou au plan d’exécution encourent les sanctions disciplinaires suivantes : avertissement ; suppression temporaire, complète ou partielle de la possibilité de disposer des ressources financières, des activités de loisirs et des relations avec le monde extérieur ; amende ; arrêts en tant que restriction supplémentaire de la liberté (art. 91 al. 1 du Code pénal suisse du 21 décembre 1937 - CP - RS 311.0). Les cantons édictent les dispositions disciplinaires en matière d’exécution des peines et des mesures. Ces dispositions définissent les éléments constitutifs des infractions disciplinaires, la nature des sanctions et les critères de leur fixation ainsi que la procédure applicable (art. 91 al. 2 CP).

b. Dans le canton de Genève, le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04) prévoit que si un détenu enfreint le RRIP, à savoir ne respecte pas les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP) ou n’observe pas une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison (art. 44 RRIP), une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). La sanction la plus lourde étant un placement en cellule forte pour dix jours au plus (art. 47 a. 3 let. g RRIP).

c. Ces dispositions concernant les sanctions disciplinaires s’appliquent à tous les détenus, aucune disposition ou procédure spéciale n’étant prévue par le RRIP pour les détenus exécutant une mesure thérapeutique institutionnelle, soit un traitement institutionnel ordonné par le juge parce que l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec un grave trouble mental (art. 59 al. 1 CP). Le droit genevois prévoit cependant que le détenu placé en cellule forte peut en tout temps faire appel au service médical (art. 47 al. 10 RRIP).

3) a. Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l'autorité dispose à l'égard d'une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d'obligations, sont l'objet d'une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs - la faute étant une condition de la répression - qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s'applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d'abord par la nature des obligations qu'il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l'administration et les intéressés. L'administration dispose d'un éventail de sanctions qui vont du blâme, en passant par l'amende, à la suspension du travail. Le choix à opérer dans un cas particulier obéit au principe de la proportionnalité ; il n'est pas gouverné seulement par des motifs tenant aux circonstances subjectives de la violation incriminée ou à la prévention générale, mais aussi par l'intérêt, objectif, de l'administration à restaurer le rapport de confiance que l'indiscipline a ébranlé : en quelque sorte, le maintien des conditions d'intégrité dans le fonctionnement de l'appareil étatique (Pierre MOOR/ Etienne POLTIER, op. cit., pp. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

b. La sanction doit être conforme au principe de la proportionnalité (ATA/499/2017 du 2 mai 2017). Traditionnellement, le principe de la proportionnalité, garanti par l’art. 5 al. 2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), se compose des règles d’aptitude – qui exige que le moyen choisi soit propre à atteindre le but fixé – de nécessité – qui impose qu’entre plusieurs moyens adaptés, l’on choisisse celui qui porte l’attente la moins grave aux intérêts privés – et de proportionnalité au sens étroit – qui met en balance les effets de la mesure choisie sur la situation de l’administré et le résultat escompté du point de vue de l’intérêt public (ATF 125 I 474 consid. 3 ; arrêt du Tribunal fédéral 1P.269/2001 du 7 juin 2001 consid. 2c ; ATA/1159/2017 du 3 août 2017).

4) a. S’agissant des sanctions disciplinaires prononcées contre des détenus, la chambre de céans a déjà eu l’occasion d’examiner celles-ci sous l’angle de la culpabilité. Elle a ainsi retenu qu’un éventuel état d’irresponsabilité ou de responsabilité restreinte au moment des faits, était à retenir dans des cas où les faits à l’origine de la sanction disciplinaire étaient directement liés à la pathologie du détenu ou s’étaient déroulés alors que la personne était dans un état de décompensation psychique ne lui permettant pas d’apprécier le caractère illicite de ses actes ou de se déterminer d’après cette appréciation, le rendant irresponsable au sens de l’art. 19 CP appliqué par analogie (ATA/2755/2014 du 25 novembre 2014 ; ATA/727/2014 du 9 septembre 2014).

La chambre de céans a également déjà examiné dans plusieurs causes, dont celle de l’intéressé lui-même, les éléments qui permettaient de retenir si le détenu était ou non disposait de la conscience nécessaire pour apprécier son comportement, le rendant apte à la faute. Elle a ainsi retenu qu’il existait des indices suffisants pour admettre qu’un détenu était pleinement conscient de son comportement parce qu’il avait été vu à six reprises par l’infirmière de nuit, que le service médical de la prison avait été avisé mais que son état mental n’avait pas justifié son transfert immédiat à l’unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (ATA/568/2015 du 2 juin 2015) ou, que le service médical ayant été avisé et le détenu n’alléguant pas s’être trouvé en état d’irresponsabilité ou de responsabilité restreinte au moment des faits, il était responsable de ses actes. La chambre de céans a toutefois précisé que, s’il y avait des doutes sur la responsabilité d’un détenu au moment des faits objets d’une sanction disciplinaire, la simple consultation orale d’un médecin de l’unité, non clairement dénommé et sans confirmation écrite de ses conclusions, ne pouvait suffire à écarter de tels doutes (ATA/1218/2017 du 22 août 2017).

b. Cet aspect de la prise en compte du trouble psychique des intéressés, notamment des détenus sous le coup d’une mesure de traitement thérapeutique institutionnel, a été mis en exergue par la commission nationale de prévention de la torture (ci-après : CNPT) dans son communiqué du 18 mai 2017 sur le rapport publié intitulé « L’exécution des mesures thérapeutiques institutionnel : inspections de la CNPT dans divers établissements de Suisse ». La difficulté dans les cas où la mesure était subie dans un établissement pénitentiaire, était que des sanctions ordinaires étaient prononcées aussi pour des infractions liées au trouble psychiatrique. La CNPT recommandait ainsi de tenir compte du trouble psychique des intéressés lorsque des sanctions étaient imposées et de toujours peser soigneusement les conséquences d’un placement en cellule d’arrêt, du point de vue de la thérapie (communiqué CNPT p. 33). En réponse au rapport de la CNPT, faisant suite à la visite de l’établissement de Curabilis, le Conseiller d’État en charge du département de la sécurité et de l’économie a précisé que « les sanctions prononcées dans les unités de mesures de l’établissement de Curabilis étaient discutées en équipe multidisciplinaire incluant les agents de détention et les soignants, afin de sauvegarder un principe de proportionnalité eu égard à la psychopathologie de certains détenus ».

5) a. En l’espèce, les faits tels qu’ils sont reprochés au recourant et qui ressortent des rapports établis par des gardiens assermentés ne sont pas mis en doute de façon motivée par le recourant. Ces faits violent l’obligation faite au détenu d’avoir une attitude correcte à l’égard du personnel pénitentiaire et des tiers, au sens de l’art. 44 RRIP et constituent des actes prohibés au sens de l’art. 45 RRIP. Des infractions disciplinaires ont donc été commises par le recourant.

b. Le recourant est sous curatelle de portée générale et souffre d’un trouble délirant persistant et sévère qui se caractérise par la présence dominante d’idées délirantes, hors réalité, à contenu paranoïaque. La mesure de traitement thérapeutique prononcée, l’a été pour avoir commis des menaces et des injures, similaires à celles pour lesquelles les sanctions disciplinaires ont été prononcées. À cette occasion, il a été jugé irresponsable pénalement en raison de son grave trouble mental. Il existe donc des doutes quant à sa responsabilité pour les faits qui lui sont reprochés, étant rappelé que l’absence de volonté délictuelle n’implique nullement l’absence de volonté tout court (ATF 115 IV 221 consid. 1 ; Petit commentaire du Code pénal, Michel DUPUIS et al., éd., 2ème éd. 2017, n.7 ad. art. 19 et les références citées).

Or, le détenu n’a pas été examiné par un médecin au moment des faits. Une prise en charge plus longue par le service médical lui a été refusée ensuite par l’infirmière qui l’a reçu à sa demande. Les décisions de sanction ont donc été prises sans que la procédure de prise de sanction appliquée aux détenus de Curabilis n’ait été appliquée et sans que le grave trouble mental n’ait été pris en compte, de même que l’effet de la sanction sur la thérapie, à tout le moins cela ne ressort pas du dossier et les intimés ne l’affirment pas.

Ces circonstances ne permettent pas de retenir que le détenu ait été apte à la faute, lorsqu’il a commis les faits qui lui sont reprochés, ce qui en l’espèce ne pouvait être présumé. Notamment il n’existe dans le dossier aucune confirmation écrite émanant d’un médecin, clairement dénommé, en mesure de se prononcer sur la question qui permettrait d’écarter les doutes que soulèvent l’état de santé mentale du recourant, tel qu’il ressort des expertises sur lesquelles se fondent le prononcé de la mesure et sa prolongation.

Il découle de ce qui précède que la prise en compte de l’état de santé mentale du détenu et son aptitude à la faute, au moment des faits, n’est pas établie en l’espèce.

En conséquence, les sanctions prononcées à l’encontre du recourant n’étaient pas conformes au droit. Dès lors qu’elles ont été entièrement exécutées à ce jour, il n’est matériellement plus possible de les annuler. La chambre de céans se limitera à en constater le caractère illicite (ATA/934/2014 du 25 novembre 2014 ; ATA/328/2009 du 30 juin 2009).

6) Vu la nature et l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03) et aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 25 janvier 2017 par Monsieur A______ contre les décisions de la prison de Champ-Dollon des 28 et 29 décembre 2016 ;

au fond :

l’admet ;

constate que les sanctions disciplinaires des 28 et 29 décembre 2016 sont illicites ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument, ni alloué d’indemnité de procédure ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Madame Chrystel Nabor, curatrice du recourant, à la prison de Champ-Dollon, ainsi qu’à l’office cantonal de la détention.

Siégeant : Mme Junod, présidente, Mmes Krauskopf et Payot Zen-Ruffinen, juges.

 

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

M. Mazza

 

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :