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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/4338/2011

ATA/775/2012 du 13.11.2012 ( PRISON ) , IRRECEVABLE

En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/4338/2011-PRISON ATA/775/2012

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 13 novembre 2012

2ème section

 

dans la cause

 

Monsieur S______
représenté par Me Yaël Hayat, avocate

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1. Monsieur S______ était détenu à la prison de Champ-Dollon
(ci-après : la prison) depuis le 27 décembre 2008.

2. Selon le rapport du 19 août 2011 établi par Monsieur G______, gardien, M. S______ a, le même jour vers 16h45 depuis la fenêtre de sa cellule, incité à l'émeute ses codétenus qui refusaient de revenir de la promenade de 13h45. Une annotation manuscrite indiquait que M. S______ avait été entendu le jour même à 23h et qu'une sanction de cinq jours de mise en cellule forte lui avait été signifiée à 23h05.

3. Par décision exécutoire nonobstant recours du 20 août 2011 cosignée par le sous-chef Monsieur F______, le directeur de la prison a notifié à M. S______ cette punition. L'intéressé était placé en cellule forte pendant cinq jours dès le 19 août 2011 à 17h15 pour incitation à l'émeute, jusqu'au 24 août 2011 à 17h15.

4. Par acte du 19 septembre 2011, M. S______ a recouru contre cette décision auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) (cause A/2843/2011).

5. Par courrier du 5 octobre 2011 adressé à la chambre de céans, le directeur de la prison a expliqué avoir eu un entretien téléphonique avec le conseil de M. S______, avoir reçu ce dernier le 1er septembre 2011 et avoir ouvert une enquête interne confiée au directeur adjoint. Celle-ci a révélé que le gardien ayant rédigé le rapport précité n'avait pas entendu lui-même les propos de M. S______. C'était un autre gardien, posté sur le toit du bâtiment et ne pouvant pas voir les détenus restés dans leur cellule, qui avait entendu, parmi d'autres détenus, M. S______ parler en arabe puis prononcer à deux reprises la phrase suivante en français : « 92 en force, lâchez pas maintenant, sinon ceci servirait à rien ». Ce gardien en avait informé le sous-chef du jour, lequel avait décidé la mise en cellule forte. Le gardien s'étant trouvé sur le toit n'avait pas dressé de rapport.

6. Compte tenu des vices formel et matériel affectant sa décision du 20 août 2011, de l'enquête menée et des faits nouveaux portés à sa connaissance, le directeur de la prison a rendu une nouvelle décision le 5 octobre 2011 annulant la décision précitée, de même que la privation de travail. M. S______ retrouvait sa place de travail et son pécule était versé rétroactivement. Cette nouvelle décision a été remise à l'intéressé le 5 octobre 2011 à 15h.

7. Le 15 novembre 2011, M. S______ a été entendu par une délégation de la prison au sujet des faits survenus le 19 août 2011.

8. Selon son rapport du 15 novembre 2011, le gardien-chef adjoint Monsieur M______, accompagné du sous-chef Monsieur H______, a signifié le même jour à 7h25 à M. S______ une punition de cinq jours de cellule forte pour les faits reprochés le 19 août 2011. Il lui a exposé les détails relatifs à son comportement en se référant au courrier du 5 octobre 2011. La sanction ayant déjà été exécutée du 19 au 24 août 2011, M. S______ a pu regagner sa cellule et conserver son travail.

9. Le 15 novembre 2011, en raison des faits survenus le 19 août 2011, le directeur de la prison a confirmé par écrit la sanction précitée. Selon cette décision, M. S______ avait été identifié comme ayant incité ses codétenus à ne pas réintégrer leur cellule. Cette décision lui a été notifiée le jour même à 10h50.

10. Par décision du 9 décembre 2011 dans le cadre de la procédure A/2843/2011, le juge délégué a rayé la cause du rôle, le recours de M. S______ interjeté le 19 septembre 2011 étant devenu sans objet.

11. Par acte du 15 décembre 2011, M. S______ a recouru auprès de la chambre administrative contre la décision du 15 novembre 2011 en concluant préalablement, à la production des rapports concernant les codétenus envers lesquels les propos reprochés auraient été tenus, et à l’audition de ceux-là, et au fond, à la constatation de l'illicéité de la décision ainsi qu’à son annulation. Le 19 août 2011, il avait dit par la fenêtre en arabe à un détenu « profite du soleil ». Il avait ensuite écouté de la musique, l'avait éteinte suite à l'injonction d'un gardien et avait allumé la télévision. Puis, des gardiens étaient venus le chercher pour le conduire en cellule forte. Il reprochait à la prison de ne pas avoir respecté son droit d'être entendu et d'avoir rendu une décision illicite du fait qu'il n'avait pas incité ses codétenus à l'émeute. Il conservait un intérêt à recourir pour faire constater l'illicéité de la décision et obtenir une indemnisation.

12. Le 31 janvier 2012, l'intimée a répondu que le droit d'être entendu du recourant avait été respecté, ce dernier ayant eu l'occasion de s'exprimer les 19 août 2011, 1er septembre 2011 par les écritures de son conseil dans la cause A/2843/2011 et le 15 novembre 2011, avant la notification de la décision litigieuse. Le recourant avait bien incité ses codétenus à persister dans leur refus de réintégrer leur cellule après leur promenade. Le gardien, situé sur le toit du bâtiment, était certain des propos qu'il avait entendus et de la personne qui les avait tenus. Seul le recourant pouvait être l'auteur de ces propos. Le recourant avait de plus déposé une plainte pénale dans le cadre de laquelle le personnel mis en cause avait témoigné. Le recours devait être rejeté. L'intimée s'en rapportait à justice quant à la recevabilité de celui-ci.

En annexe à sa réponse, la direction de la prison a notamment produit un courrier du 24 novembre 2011 adressé au recourant. Ce dernier avait refusé de réintégrer sa cellule le 22 novembre 2011 au terme de la promenade. Il lui avait notamment été rappelé à cette occasion qu'un tel refus, perturbant le bon fonctionnement de la prison, était inadmissible et inacceptable. Compte tenu de ses antécédents, une sanction lui avait été signifiée.

13. Par courrier du 13 février 2012, l'avocate du recourant a indiqué que son mandant avait été transféré au début du mois de février 2012 à la prison du Bois-Mermet à Lausanne.

14. Dans ses observations du 24 février 2012, le recourant a persisté dans ses conclusions.

15. Le 22 mars 2012, l'intimée a maintenu les termes de sa réponse du 31 janvier 2012 et conclu derechef au rejet du recours.

16. Sur ce, la cause a été gardée à juger.

EN DROIT

1. Le recours a été interjeté en temps utile devant la juridiction compétente (art. 132 de la loi sur l'organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2. a. Aux termes de l'art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu'elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l'admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa p. 43 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1A.47/2002 du 16 avril 2002, consid. 3 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009).

c. Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 p. 81 ; 128 II 34 consid. 1b p. 36 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3 ; H. SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Berne 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; K. SPUHLER/A. DOLGE/D. VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], Zurich/St-Gall 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 et ss. ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005).

3. Le recourant allègue qu’il conserve un intérêt actuel à recourir afin de faire constater le caractère illicite de la décision litigieuse et obtenir une indemnisation.

Cette dernière demande pourrait être fondée sur la loi sur la responsabilité de l'Etat et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40). Il a cependant été jugé dans un cas similaire (ATA/338/2011 du 24 mai 2011) que la constatation par la chambre administrative de l'illicéité n'était pas un prérequis à une action civile par-devant le Tribunal de première instance, seul compétent pour connaître d’une telle prétention en application de l’art. 7 LREC.

4. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 138 II 42 consid. 1 p. 44 ; 137 I 23 p. 24-25 consid 1.3 ; 135 I 79 consid. 1 p. 82 ; Arrêts du Tribunal fédéral 2C_892/2011 du 17 mars 2012 consid. 1.2 ; 2C_811/2011 du 5 janvier 2012 consid. 1 ; ATA/245/2012 du 24 avril 2012; P. MOOR/E. POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 3ème éd., 2011, p. 748 n. 5.7.2.3 ; T. TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2011, p. 449, n. 1367). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours (ATF 137 I 296 consid. 4.2 p. 299 ; 136 II 101 consid. 1.1 p. 103). Si l'intérêt actuel fait défaut lors du dépôt du recours, ce dernier est déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 p. 286 et ss. ; 118 Ia 46 consid. 3c p. 53 ; Arrêts du Tribunal fédéral 8C_745/2011 du 6 juin 2012 consid. 1.2 ; 8C_696/2011 du 2 mai 2012 consid. 5.1 ; 8C_194/2011 du 8 février 2012 consid. 2.2 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/195/2007 du 24 avril 2007 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005)  ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 p. 374 ; 118 Ia 488 consid. 1a p. 490 ; 118 Ib 1 consid. 2 p. 7 ; Arrêts du Tribunal fédéral 8C_745/2011 du 6 juin 2012 consid. 1.2 ; 8C_194/2011 du 8 février 2012 consid. 2.2 ; 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/195/2007 du 24 avril 2007 consid. 3 et 4 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b).

5. Il est renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 p. 365 ; 128 II 34 précité ; Arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 précité ; 128 II 34 précité ; Arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 précité).

6. En l'espèce, le recourant a été immédiatement placé en cellule forte pour une durée de cinq jours et la punition a été exécutée. Compte tenu de la brièveté de la sanction, la chambre administrative fait abstraction de l’exigence d’un intérêt actuel lorsque le recourant était encore en détention à la prison de Champ-Dollon au moment du prononcé de l'arrêt, faute de quoi les sanctions administratives infligées aux détenus échapperaient au contrôle de la chambre administrative (ATA/134/2009 du 17 mars 2009 ; ATA/533/2008 du 28 octobre 2008).

Cela étant, selon le courrier du 13 février 2012 de son conseil, le recourant a été transféré au début du mois de février 2012 à la prison du Bois-Mermet, dans le canton de Vaud. Il n'est pas allégué qu'il serait revenu à la prison de Champ-Dollon depuis. Dans un tel cas, la chambre administrative a jugé que le recourant avait perdu tout intérêt actuel au recours, du fait qu'elle ne serait plus compétente si des sanctions, prises par le nouvel établissement de détention dans lequel l’intéressé avait été transféré, devaient être contestées (ATA/541/2010 du 4 août 2010, confirmé par Arrêt du Tribunal fédéral 1B_295/2010 du 14 septembre 2010) et qu’une situation similaire ne peut plus se produire dans l’établissement dans lequel l’intéressé a été sanctionné.

En conséquence, il n'y a pas lieu en l’espèce de renoncer à l'exigence de l'intérêt actuel.

7. Eu égard à ce qui précède, le recours sera déclaré irrecevable, faute d’intérêt direct et actuel de M. S______ à celui-là au sens de l’art. 60 al. 1 let. b LPA.

8. Vu la nature du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 11 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03). Vu l’issue de celui-là, aucune indemnité de procédure ne sera allouée au recourant (art. 87 LPA).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

déclare irrecevable le recours interjeté le 15 décembre 2011 par Monsieur S______ contre la décision de la direction de la prison de Champ-Dollon du 15 novembre 2011 ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ni alloué d’indemnité ;

dit que, conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du
17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Yaël Hayat, avocate du recourant, ainsi qu'à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : Mme Hurni, présidente, Mme Junod, M. Dumartheray, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

E. Hurni

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :