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Décisions | Chambre administrative de la Cour de justice Cour de droit public

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A/2755/2014

ATA/934/2014 du 25.11.2014 ( PRISON ) , PARTIELMNT ADMIS

Descripteurs : ÉTABLISSEMENT PÉNITENTIAIRE ; DÉTENTION(INCARCÉRATION) ; OBJET DU LITIGE ; INTÉRÊT ACTUEL ; MESURE DISCIPLINAIRE ; DÉCISION ; FAUTE ; IRRESPONSABILITÉ
Normes : LPA.60.letb ; LPA.65.al1 ; RRIP.42 ; RRIP.44 ; RRIP.45.leth ; RRIP.47.al1 ; RRIP.47.al3.letf ; CP.19
Résumé : Placement en cellule forte pour cinq jours illicite, dans la mesure où le recourant, souffrant de graves troubles psychiques, était en état d'irresponsabilité au moment des faits. Recours admis, bien que le recourant ait déjà subi sa sanction, il conserve un intérêt actuel à agir, un nouveau placement en cellule forte étant à nouveau possible. Constatation du caractère illicite de la décision attaquée.
En fait
En droit
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

 

POUVOIR JUDICIAIRE

A/2755/2014-PRISON ATA/934/2014

 

COUR DE JUSTICE

Chambre administrative

Arrêt du 25 novembre 2014

2ème section

 

dans la cause

 

M. A______
représenté par Me Gilbert Deschamps, avocat

contre

PRISON DE CHAMP-DOLLON



EN FAIT

1) Dans le cadre de la procédure pénale P/1______, M. A______ est en détention préventive à la prison de Champ-Dollon (ci-après : la prison) depuis le 15 février 2014. Il y a séjourné dans la cellule n° 307.

2) Dans le cadre de l’instruction de cette procédure pénale, une expertise psychiatrique de l’intéressé a été ordonnée par le Ministère public.

3) Selon l’expertise intermédiaire du 30 juin 2014, le professeur B______ et la doctoresse C______ ont relevé qu’au moment de la commission des infractions, l’intéressé souffrait d’un trouble mental grave. Le diagnostic le plus probable était celui d’un trouble bipolaire avec un diagnostic différentiel possible d’un trouble psychotique aigu polymorphe. Dans les deux cas de figure, il s’agissait de troubles graves ayant une sévérité importante. Ils préconisaient, dès lors, un traitement psychiatrique intensif en milieu fermé avec instauration d’un traitement d’injections.

4) Le matin du 2 août 2014, lors du contrôle de la cellule n° 307, le codétenu de l’intéressé a expliqué au surveillant que ce dernier avait, durant toute la nuit, crié et tapé sur les murs, et qu’il avait arraché le support plastique situé au-dessus du lavabo.

5) Le rapport de la prison relatif à cet incident, établi le jour même, indique que des feuilles déchirées ont été trouvées dans la cellule n° 307 et que l’intéressé tenait des propos incohérents.

6) Une note manuscrite, ajoutée au rapport précité, précise qu’au vu de son comportement, l’intéressé devait rapidement être vu par le psychiatre de garde et qu’un placement à l’unité hospitalière de psychiatrie pénitentiaire (ci-après : UHPP) semblait nécessaire.

7) Selon le rapport de service de la prison concernant la nuit du 1er au 2 août 2014, il n’y a pas eu d’appel de la cellule n° 307 et les rondes nocturnes n’ont identifié aucun trouble en provenance de celle-ci.

8) Par décision du 2 août 2014, déclarée exécutoire nonobstant recours, l’intéressé a été puni de cinq jours de cellule forte, pour dégradation du mobilier et trouble à la tranquillité de l’établissement. Son entrée dans cette cellule a eu lieu à 7h40 le 2 août 2014 et sa sortie a été fixée le 7 août 2014, à la même heure.

9) Cette décision a été notifiée le jour même à l’intéressé, qui a refusé de la signer.

10) À 18h30, le 2 août 2014, le placement en cellule forte de l’intéressé a été interrompu. Ce dernier a été transféré à l’UHPP, où il a séjourné jusqu’au 13 août 2014, soit durant plus de dix jours.

11) À 8h40, le 13 août 2014, dès son retour à la prison, l’intéressé a directement été replacé en cellule forte. Le directeur de la prison a alors rendu une nouvelle décision, annulant et remplaçant celle du 2 août 2014, libellée « solde de punition » et arrêtant la fin de la sanction au 17 août 2014, à 21h50, en lieu et place du 7 août 2014, à 7h40, initialement prévue dans la décision du 2 août 2014. Cette nouvelle décision a uniquement porté sur cette rectification du jour et de l’heure de la sortie de cellule forte de l’intéressé. Elle a été notifiée à ce dernier et signée par lui, le jour même. Elle faisait mention des voies de droit.

12) L’intéressé a entièrement exécuté le solde de sa punition.

13) Par acte du 15 septembre 2014, l’intéressé, par l’entremise de son conseil, a recouru auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) contre la décision du 2 août 2014, en concluant, principalement, à son annulation, au constat de la violation arbitraire de sa liberté personnelle et au versement d’une indemnité de CHF 1’000.-, à titre de réparation du tort moral, plus intérêts de 5 %, subsidiairement à son annulation, au constat de la violation de sa liberté personnelle et à réserver son droit à agir contre l’État en réparation du préjudice qu’il a subi, et plus subsidiairement encore, au renvoi de la cause au directeur de la prison pour nouvelle décision.

Un placement en cellule forte constituait une atteinte importante à la liberté personnelle, qui plus est lorsque les conditions de détention pouvaient être qualifiées d’inhumaines et de dégradantes au sens de l’art. 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 (CEDH - RS 0.101). Cette sanction disciplinaire ne pouvait être envisagée qu’exceptionnellement, en cas d’infraction fautive et en respectant le principe de la proportionnalité. Or, le recourant était inapte à la faute au regard de la maladie dont il souffrait, il ne pouvait pas avoir commis une violation fautive des règles de la prison. Son état anormal avait, par ailleurs, été constaté le matin du 2 août 2014, puis confirmé au vu de son transfert à l’UHPP. La sanction disciplinaire litigieuse était arbitraire, car dénuée de tout fondement en l’absence de faute. Le recourant avait droit à une indemnité pour tort moral calculée à CHF 200.- par jour.

14) Le 23 septembre 2014, le Prof. B______ et la Dresse C______ ont rendu leur expertise psychiatrique, dans laquelle ils ont retenu une irresponsabilité totale de la part du recourant. Ils ont expliqué que cette évaluation s’appuyait sur plusieurs éléments, soit l’existence d’un trouble psychiatrique grave, l’incohérence des comportements, qui n’allaient pas dans le sens d’une faculté à juger du caractère illicite de l’acte, et la présence d’une série de décompensations psychiques après l’incarcération du recourant à la prison. Ils estimaient qu’actuellement, ce dernier présentait les symptômes d’une hypomanie franche, significative d’une instabilité psychique.

15) Lors de l’audience du 14 octobre 2014 dans la procédure pénale P/1______, la Dresse C______, entendue en qualité d’expert-témoin, a confirmé au Ministère public l’irresponsabilité du recourant et le fait que, lors de crises aiguës de ce dernier, la violence, la désinhibition, l’irritabilité et les idées de persécution étaient des troubles caractéristiques de sa maladie.

16) Par réponse du 16 octobre 2014, la prison a conclu au rejet du recours.

Le comportement de ce dernier, soit le fait d’avoir dégradé le mobilier et troublé la tranquillité de la prison, contrevenait au règlement de la prison. La sanction infligée avait été prise dans l’intérêt public au bon fonctionnement de l’appareil étatique, dans le respect du principe de la proportionnalité et dû au comportement fautif du recourant. Lors du prononcé de cette sanction, la prison n’avait pas connaissance des résultats de l’expertise psychiatrique intermédiaire du 30 juin 2014. Toutefois, celle-ci n’y changeait rien. Le fait que les experts aient retenu une irresponsabilité, en relation avec les poursuites pénales dont il faisait l’objet, ne permettait pas de retenir une incapacité cognitive et volitive au moment de la violation du règlement pénitentiaire. Lorsqu’il avait arraché le mobilier de sa cellule, le recourant avait la faculté d’apprécier le caractère illicite de son acte et de se déterminer d’après cette appréciation, même si par la suite une dégradation de sa situation psychique avait été constatée. Les conditions de détention en cellule forte ne constituaient en aucun cas un traitement inhumain et dégradant au sens de l’art. 3 CEDH.

17) Par réplique du 24 octobre 2014, le recourant, par l’entremise de son conseil, a persisté dans l’entier de ses conclusions et a transmis à la chambre administrative le rapport d’expertise du 23 septembre 2014, ainsi que le procès-verbal d’audience du 14 octobre 2014.

La prison savait parfaitement que le recourant souffrait de troubles psychiques importants, le rendant totalement inapte à la faute, soit une condition sine qua non pour le prononcé d’un placement en cellule forte. L’incohérence constatée le matin du 2 août 2014 était symptomatique de ses troubles psychiques et démontrait qu’il était en crise au moment incriminé. L’expertise du 23 septembre 2014, mettait en lumière que le recourant était constamment en état d’irresponsabilité. Son placement en cellule forte était injustifié et la souffrance avérée, due au traitement qui lui avait été réservé, devait être prise en compte dans le calcul de l’indemnité.

18) Sur quoi, la cause a été gardée à juger.

19) Par courrier du 4 novembre 2014, le conseil du recourant a informé la chambre administrative que son mandant aurait, à nouveau, été placé en cellule forte.

EN DROIT

1) Aux termes de l’art. 65 al. 1 LPA, l’acte de recours contient, sous peine d’irrecevabilité, la désignation de la décision attaquée et les conclusions du recourant.

Selon l’art. 59 let. b LPA, le recours n’est en outre pas recevable contre les mesures d’exécution des décisions.

En l’occurrence, l’acte de recours formulé par le conseil du recourant vise la décision du 2 août 2014, dont il demande l’annulation, alors même que celle-ci a déjà fait l’objet d’une annulation et a été remplacée par la décision du 13 août 2014. Dès lors, la question de la recevabilité du recours se pose au regard des dispositions procédurales précitées.

Toutefois, la décision du 13 août 2014 a pour seul objet spécifique de préciser le solde des jours et des heures que le recourant devait encore exécuter en cellule forte, dès son retour en prison. Par ailleurs, elle renvoie expressément à la décision du 2 août 2014 s’agissant des motifs de la punition et ne modifie celle-ci sur aucun autre point. Cette décision constitue donc une modalité d’exécution, plus précisément d’adaptation, de celle du 2 août 2014 et de ce fait ne peut faire l’objet d’un recours (art. 59 let. b LPA). Il en résulte que lors de son prononcé, contrairement à ce qu’elle mentionnait, la décision du 13 août 2014 n’a pas pu avoir pour effet de purement annuler et remplacer celle du 2 août 2014.

Dès lors, le recours de l’intéressé, formé devant la juridiction compétente et dans les délais légaux, compte tenu de la suspension des délais de recours du 15 juillet au 15 août, est recevable sous ces divers angles (art. 132 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2012 - LOJ - E 2 05 ; art. 62 al. 1 let. a et 63 al. 1 let. b de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 - LPA - E 5 10).

2) a. Aux termes de l’art. 60 let. b LPA, ont qualité pour recourir toutes les personnes qui sont touchées directement par une décision et ont un intérêt digne de protection à ce qu’elle soit annulée ou modifiée.

b. Selon la jurisprudence, le recourant doit avoir un intérêt pratique à l’admission du recours, soit que cette admission soit propre à lui procurer un avantage, de nature économique, matérielle ou idéale (ATF 121 II 39 consid. 2 c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 1A_47/2002 du 16 avril 2002 consid. 3 ; ATA/759/2012 du 6 novembre 2012 ; ATA/188/2011 du 22 mars 2011 ; ATA/146/2009 du 24 mars 2009).

Un intérêt digne de protection suppose un intérêt actuel à obtenir l’annulation de la décision attaquée (ATF 135 I 79 consid. 1 ; 128 II 34 consid. 1b ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 du 4 juin 2009 consid. 3 ; Hansjörg SEILER, Handkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], 2007, n. 33 ad art. 89 LTF p. 365 ; Karl SPUHLER/Annette DOLGE/Dominik VOCK, Kurzkommentar zum Bundesgerichtsgesetz [BGG], 2006, n. 5 ad art. 89 LTF p. 167). L’existence d’un intérêt actuel s’apprécie non seulement au moment du dépôt du recours, mais aussi lors du prononcé de la décision sur recours ; s’il s’éteint pendant la procédure, le recours, devenu sans objet, doit être simplement radié du rôle (ATF 125 V 373 consid. 1 ; 118 Ib 1 consid. 2 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_76/2009 du 30 avril 2009 consid. 2 ; ATA/175/2007 du 17 avril 2007 consid. 2a ; ATA/915/2004 du 23 novembre 2004 consid. 2b) ou déclaré irrecevable (ATF 123 II 285 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_69/2007 du 11 juin 2007 consid. 2.3 ; ATA/192/2009 du 21 avril 2009 ; ATA/640/2005 du 27 septembre 2005).

Il est toutefois renoncé à l’exigence d’un intérêt actuel lorsque cette condition de recours fait obstacle au contrôle de la légalité d’un acte qui pourrait se reproduire en tout temps, dans des circonstances semblables, et qui, en raison de sa brève durée ou de ses effets limités dans le temps, échapperait ainsi toujours à la censure de l’autorité de recours (ATF 135 I 79 précité ; 131 II 361 consid. 1.2 ; 128 II 34 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_34/2009 du 20 avril 2009 consid. 3 ; ATA/418/2012 du 3 juillet 2012 consid. 2d ; ATA/365/2009 du 28 juillet 2009). Cela étant, l’obligation d’entrer en matière sur un recours, dans certaines circonstances, nonobstant l’absence d’un intérêt actuel, ne saurait avoir pour effet de créer une voie de recours non prévue par le droit cantonal (ATF 135 I 79 précité ; 128 II 34 précité ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_133/2009 précité ; ATA/759/2012 précité).

c. En l’espèce, le recourant a d’ores et déjà entièrement exécuté la sanction contestée. Toutefois, la légalité d’un placement en cellule forte doit pouvoir faire l’objet d’un contrôle en vertu de la jurisprudence précitée, nonobstant l’éventuelle absence d’intérêt actuel, dans la mesure où cette situation pourrait encore se présenter (ATA/591/2014 du 29 juillet 2014 consid. 2 ; ATA/183/2013 du 19 mars 2013 et la jurisprudence citée). D’ailleurs, le recourant semble avoir fait l’objet d’un nouveau placement en cellule forte, il a donc un intérêt actuel à recourir contre la décision litigieuse.

3) Le droit disciplinaire est un ensemble de sanctions dont l’autorité dispose à l’égard d’une collectivité déterminée de personnes, soumises à un statut spécial ou qui, tenues par un régime particulier d’obligations, sont l’objet d’une surveillance spéciale. Il permet de sanctionner des comportements fautifs – la faute étant une condition de la répression – qui lèsent les devoirs caractéristiques de la personne assujettie à cette relation spécifique, lesquels en protègent le fonctionnement normal. Il s’applique aux divers régimes de rapports de puissance publique, et notamment aux détenus. Le droit disciplinaire se caractérise d’abord par la nature des obligations qu’il sanctionne, la justification en réside dans la nature réglementaire des relations entre l’administration et les intéressés. L’administration dispose d’un éventail de sanctions dont le choix doit respecter le principe de la proportionnalité (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vol. 2, 2011, p. 142 à 145 et la jurisprudence citée).

Les sanctions disciplinaires sont régies par les principes généraux du droit pénal, de sorte qu’elles ne sauraient être prononcées en l’absence d’une faute. La notion de faute est admise de manière très large en droit disciplinaire et celle-ci peut être commise consciemment, par négligence ou par inconscience, la négligence n’ayant pas à être prévue dans une disposition expresse pour entraîner la punissabilité de l’auteur (ATA/785/2012 du 20 novembre 2012 ; ATA/238/2012 du 24 avril 2012 et les références citées).

4) Sur un plan strictement médical, on admettra l’existence d’une irresponsabilité au sens de l’art. 19 al. 1 du code pénale suisse du 21 décembre 1937 (CP - RS 311.0) en cas de psychose particulière, schizophrénie ou attente psychologique affective grave. Quant aux effets de l’irresponsabilité, on doit admettre que le délinquant déclaré irresponsable est inapte à toute faute. L’irresponsabilité déploie ainsi intégralement ses effets sur la culpabilité et sur la sanction (Laurent MOREILLON, in Robert ROTH/Laurent MOREILLON, Commentaire romand du code pénal I, 2009, p. 204).

5) Le statut des personnes incarcérées à la prison est régi par le règlement sur le régime intérieur de la prison et le statut des personnes incarcérées du 30 septembre 1985 (RRIP - F 1 50.04 ; art. 1 al. 3 de la loi sur l’organisation et le personnel de la prison du 21 juin 1984 - LOPP - F 1 50).

Un détenu doit respecter les dispositions du RRIP, les instructions du directeur de l’office pénitentiaire et les ordres du directeur et des fonctionnaires de la prison (art. 42 RRIP). Il doit en toutes circonstances adopter une attitude correcte à l’égard du personnel de la prison, des autres personnes incarcérées et des tiers (art. 44 RRIP), et n’a d’aucune façon le droit de troubler l’ordre et la tranquillité de la prison (art. 45 let. h RRIP). En outre, le détenu est responsable du bon entretien de la cellule et de l’équipement mis à sa disposition (art. 15 al. 2 RIPP).

Si un détenu enfreint le RRIP, une sanction proportionnée à sa faute, ainsi qu’à la nature et à la gravité de l’infraction, lui est infligée (art. 47 al. 1 RRIP). Avant le prononcé de la sanction, le détenu doit être informé des faits qui lui sont reprochés et être entendu (art. 47 al. 2 RRIP).

Selon l’art. 47 al. 3 let. f RRIP, le directeur de la prison est compétent pour prononcer un placement en cellule forte pour dix jours au plus.

6) En l’espèce, il ne fait nul doute que le placement en cellule forte pour cinq jours, infligé au recourant, constitue une sanction disciplinaire. Ainsi, la décision attaquée doit être examinée au regard des principes généraux du droit pénal et plus particulièrement celui de la faute.

Il est reproché au recourant d’avoir, dans la nuit du 1er au 2 août 2014, dégradé le mobilier de sa cellule, soit d’avoir arraché le support en plastique au-dessus du lavabo, et d’avoir troublé l’ordre de la prison.

Il sied, tout d’abord, de relever que durant cette nuit, les gardiens n’ont constaté aucun dérangement provenant de la cellule n° 307. Ce n’est que le lendemain matin, lorsque le codétenu du recourant a déclaré que ce dernier n’avait pas arrêté de crier et de hurler, que les faits ont été constatés. À ce moment, il a également été remarqué que des papiers déchirés jonchaient le sol de la cellule et que le recourant tenait des propos incohérents. Par la suite, ce dernier a dû être transféré à l’UHPP.

Or, l’expertise psychiatrique, réalisée dans le cadre de la procédure pénale, relève que le recourant souffre de manière permanente d’un grave trouble psychique, dont les fluctuations d’humeur, la violence, un comportement désorganisé et provocateur en sont notamment des symptômes. Il appert que les dégâts matériels et le dérangement reprochés au recourant sont directement liés à sa pathologie. Il ne pouvait dès lors apprécier le caractère illicite de ses actes. En d’autres termes, cet état psychique l’a rendu irresponsable au sens de l’art. 19 CP, appliqué par analogie, et donc inapte à la faute. En conséquence, il ne pouvait se voir infliger une sanction disciplinaire, ainsi que la chambre de céans l’avait déjà constaté dans une cause semblable (ATA/727/2014 du 9 septembre 2014).

Ce constat s’impose d’autant plus concernant la mesure d’adaptation de la sanction du 13 août 2014 et de la décision de lui faire purger le solde de la sanction à son retour de l’UHPP, lieu dans lequel il venait de passer dix jours. Ce placement en milieu psychiatrique ne pouvait qu’attester de la réalité des troubles psychiques dont souffrait M. A______. Au regard de ce séjour à l’UHPP, la prison aurait dû se poser la question de la punissabilité du recourant en reconsidérant à tout le moins sa décision du 2 août 2014, au lieu de le replacer directement en cellule forte, afin d’exécuter le solde de sa punition.

La sanction prononcée à l’encontre du recourant n’était pas conforme au droit. Dès lors qu’elle a été entièrement exécutée à ce jour, il n’est matériellement plus possible de l’annuler. La chambre de céans se limitera à en constater le caractère illicite (ATA/328/2009 du 30 juin 2009 consid. 8 ; ATA/666/2004 du 27 août 2004 consid. 2c).

7) Partant, la question de l’illicéité de la sanction litigieuse sous l’angle d’une éventuelle violation de l’art. 3 CEDH peut souffrir de rester ouverte.

8) Enfin, le recourant requiert le versement d’une indemnité, à titre de réparation du tort moral, pour ces cinq jours indûment passés en cellule forte.

Or, une telle action en responsabilité de l’État est fondée sur la loi sur la responsabilité de l’État et des communes du 24 février 1989 (LREC - A 2 40) et doit être déposée devant une juridiction civile et non par-devant la chambre de céans. Cette loi permet aux instances civiles de déterminer préalablement si une décision revêt ou non un caractère illicite (ATA/510/2014 du 1er juillet 2014 ; ATA/338/2011 du 24 mai 2011).

9) Au regard de ce qui précède, les conclusions en indemnisation du recourant seront déclarées irrecevables. Pour le surplus, son recours sera admis, dans la mesure où il est recevable, en tant qu’il porte sur l’illicéité de la décision querellée.

10) Vu la nature et l’issue du litige, aucun émolument ne sera perçu (art. 87 al. 1 LPA ; art. 12 al. 1 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 - RFPA - E 5 10.03). Dès lors qu’il y a conclu, une indemnité de procédure de CHF 700.- sera allouée au recourant, à la charge de l’État de Genève.

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS
LA CHAMBRE ADMINISTRATIVE

à la forme :

déclare recevable le recours interjeté le 15 septembre 2014 par M. A______ contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 2 août 2014, réactualisée par la décision du 13 août 2014, en tant qu’il porte sur l’illicéité de celle-ci ;

déclare irrecevable les conclusions en indemnisation prises par M. A______ dans son recours interjeté le 15 septembre 2014 contre la décision de la prison de Champ-Dollon du 2 août 2014, réactualisée par la décision du 13 août 2014 ;

au fond :

l’admet partiellement ;

constate que la sanction disciplinaire du 2 août 2014, réactualisée par celle du 13 août 2014, est illicite ;

dit qu’il n’est pas perçu d’émolument ;

alloue une indemnité de procédure de CHF 700.- à M. A______, à la charge de l’État de Genève ;

dit que conformément aux art. 78 et ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF - RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification par-devant le Tribunal fédéral, par la voie du recours en matière pénale ; le mémoire de recours doit indiquer les conclusions, motifs et moyens de preuve et porter la signature du recourant ou de son mandataire ; il doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14, par voie postale ou par voie électronique aux conditions de l’art. 42 LTF. Le présent arrêt et les pièces en possession du recourant, invoquées comme moyens de preuve, doivent être joints à l’envoi ;

communique le présent arrêt à Me Gilbert Deschamps, avocat du recourant, ainsi qu’à la prison de Champ-Dollon.

Siégeants : Mme Junod, présidente, MM. Dumartheray et Verniory, juges.

Au nom de la chambre administrative :

le greffier-juriste :

 

 

F. Scheffre

 

la présidente siégeant :

 

 

Ch. Junod

 

 

 

Copie conforme de cet arrêt a été communiquée aux parties.

 

Genève, le 

 

 

 

 

 

 

la greffière :