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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/2189/2014

AARP/198/2017 du 07.06.2017 sur AARP/524/2015 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Normes : CEDH.3; CPP.436
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/2189/2014AARP/198/2017

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du mercredi 7 juin 2017

 

Entre

A______, domicilié______, comparant par Me B______, avocat,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

 

 

statuant à la suite de l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_71/2016 du 5 avril 2017 admettant partiellement le recours de A______ contre l'arrêt de la Chambre pénale d'appel et de révision du 14 décembre 2015 (AARP/524/2015),

 

 

 


EN FAIT :

A. a. Par arrêt 6B_71/2016 du 5 avril 2017, le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours en matière pénale formé par A______ contre l'arrêt AARP/524/2015 du 14 décembre 2015 de la Chambre pénale d'appel et de révision (ci-après CPAR), confirmant le jugement JTCO/73/2015 du 15 mai 2015, par lequel il avait été reconnu coupable d'infraction grave à la Loi fédérale sur les stupéfiants et les substances psychotropes du 3 octobre 1951 (art. 19 al. 1 et 2 lit. a LStup) et condamné à une peine privative de liberté de cinq ans, sous déduction de la détention subie avant jugement, étant précisé qu'il bénéficiait du régime de l'exécution anticipée de peine depuis le 23 décembre 2014.

b. Le Tribunal fédéral a en effet retenu que les conditions de détention subies par A______ n'avaient pas satisfait, durant 95 jours, les garanties minimales de l'art. 3 de la Convention européenne des droits de l'homme du 4 novembre 1950 (ci-après CEDH). La cause a été renvoyée à la CPAR afin qu'elle détermine les conséquences de cette violation, cas échéant, sur la peine infligée à A______.

c. Par courriers présidentiels du 25 avril 2017, A______ et le Ministère public ont été invités à se déterminer sur ce point.

d. Par acte du 8 mai 2017, A______ conclut, principalement, à une réduction de peine non inférieure à 95 jours et, subsidiairement, à l'octroi d'une réparation morale de CHF 50.- par jour de détention considéré indigne. A l'appui, il rappelle ses conditions de détention et soutient que celles-ci ont amplifié un mauvais état de santé. Il produit des certificats médicaux faisant état notamment de "douleurs ostéo-articulaires chroniques", d'un épisode de "surinfection bronchique" et d'une "symptomatologie anxio-dépressive".

e. Par courrier expédié par la voie électronique le 12 mai 2017, le Ministère public conclut à une réduction de peine de 20 jours, au plus, en réparation du constat d'illicéité des conditions de détention.

f. Par courriers du 17 mai 2017, auxquels elles n'ont pas réagi, les parties ont été informées que la cause était gardée à juger.

g. Le défenseur privé de A______ dépose une note d'honoraires d'un montant de CHF 1'158.75 pour la procédure consécutive au renvoi par le Tribunal fédéral.

 

EN DROIT :

1. 1.1. Un arrêt de renvoi du Tribunal fédéral lie l'autorité cantonale à laquelle la cause est renvoyée, laquelle voit sa cognition limitée par les motifs de l'arrêt de renvoi, en ce sens qu'elle est liée par ce qui a été déjà jugé définitivement par le Tribunal fédéral. Il n'est pas possible de remettre en cause ce qui a été admis (même implicitement) par ce dernier. L'examen juridique se limite donc aux questions laissées ouvertes par l'arrêt de renvoi, ainsi qu'aux conséquences qui en découlent ou aux problèmes qui leur sont liés (ATF 135 III 334 consid. 2 ; 133 III 201 consid. 4.2 ; 131 III 91 consid. 5.2 et les arrêts cités ; TF 6B_643/2009 consid. 2.1 ; TF 4A_158/2009, consid. 3.3 et les références citées ; B. CORBOZ, in Commentaire de la LTF, 2009, n. 27 ad art. 107 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 [RS ; 173.110]. Des faits nouveaux ne peuvent être pris en considération que sur les points qui ont fait l’objet du renvoi, lesquels ne peuvent être ni étendus, ni fixés sur une base juridique nouvelle (ATF 131 III 91 consid. 5.2 p. 94 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_534/2011 du 5 janvier 2012 consid. 1.2).

1.2. La jurisprudence du Tribunal fédéral évoque, dans divers obiter dictum, trois types de réparation envisageables en cas de détention jugée illicite au sens de l'art. 3 CEDH : la constatation de l'illicéité dans le dispositif de la décision, l'octroi d'une indemnité par le juge du fond, enfin une réduction de la peine, référence étant ici faite aux principes applicables en matière de violation du principe de célérité, applicable par analogie (ATF 142 IV 245 consid. 4.1 p. 248 ; ATF 141 IV 349 consid. 2.1 p. 352 et les références ; ATF 133 IV 158 consid. 8 p. 170 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1243/2016 du 13 décembre 2016 consid. 1.1 et 1.2 ; 6B_1314/2015 du 10 octobre 2016 consid. 4.1 ; 1B_369/2013 du 26 février 2014 consid. 2.1 et 1B_129/2013 du 26 juin 2013 consid. 2.3). Toutefois, au vu de la gravité inhérente à toute violation de l'art. 3 CEDH, un simple constat de violation par le juge du fond n'est en principe pas suffisant (ATF 140 I 246 consid. 2.5 p. 251 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1243/2016 du 13 décembre 2016 consid. 1.1).

1.3. On déduit de l'utilisation de la conjonction de coordination "ou" dans les jurisprudences susmentionnées que le prévenu ne peut être mis au bénéfice cumulé d'une indemnisation et d'une réduction de peine (cf. également ATF 142 IV 245 du 2 mai 2016). Il s'agit donc de modes de réparation alternatifs.

Une interprétation a contrario de la jurisprudence (ATF 141 IV 349 consid. 2.2 p. 353 s.), implique qu'une réduction de la sanction devrait être la règle lorsque le jugement pénal n'est pas encore entré en force et que le prévenu a un solde de peine à subir. Telle pratique s'inscrirait dans la logique légale favorisant, de manière générale, la voie de la réduction de la peine plutôt que celle de l'indemnisation. Il en va ainsi de l'art. 431 al. 2 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP – RS 312.0) (mesures de contraintes illicites ; art. 51 CP), établissant la règle selon laquelle la détention excessive – soit dépassant la quotité de la peine finalement prononcée – est d'abord imputée sur une autre sanction et ne peut donner lieu à une indemnisation que si aucune imputation n'est possible. Le juge doit ainsi retrancher la durée de la détention avant jugement sur les sanctions prononcées en rapport avec d'autres infractions, que ce soit dans la même procédure ou dans une autre. L'intéressé n'a aucun droit de choisir entre l'indemnisation ou l'imputation (ATF 141 IV 236 consid. 3.3 p. 239 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_343/2015 du 2 février 2016 consid. 1.2.4 et les références citées).

Une réduction de peine, par application analogique des principes déduits d'une violation du principe de célérité, a déjà été admise par la CPAR à plusieurs reprises (voir par exemple AARP/566/2014 du 7 octobre 2014 consid. 6.4.3 et AARP/223/2015 du 15 mai 2015 consid. 4.4).

En l'espèce, l'appelant lui-même conclut, principalement, à une réduction de sa peine et, subsidiairement, à une réparation morale au sens de l'art. 431 al. 1 CPP. Il convient donc d'examiner de préférence la question de la réduction de peine, celle-ci étant envisageable.

1.4.1. S'il est vrai que les toutes premières décisions de la Chambre de céans en la matière tendaient à des réductions se rapprochant grandement du nombre de jours effectifs de détention dans des conditions illicites (p.ex : AARP/566/2014 du 7 octobre 2014 consid. 9.4 retenant une réduction de six mois pour 277 jours), la pratique tend désormais à privilégier une réduction de peine s'opérant en équité, en regard de l'ensemble des circonstances de l'espèce, par l'application analogique de la réduction effectuée en cas de violation du principe de célérité (AARP/497/2016 du 1er décembre 2016 consid. 2.1.3 et les références). Ainsi, la réduction de peine à opérer ne saurait équivaloir à la durée de la détention contraire à l'art. 3 CEDH, encore moins être plus importante que celle-ci. Des réductions de deux à trois mois ont été couramment prononcées dans des cas où le prévenu avait subi entre 136 et 257 jours de détention non conformes aux exigences minimales de l'art. 3 CEDH (AARP/497/2016 du 1er décembre 2016 consid. 2.1.3 ; cf. AARP/308/2016 du 19 juillet 2016 consid. 3.5.3, AARP/251/2016 du 23 juin 2016 consid. 2.3, AARP/226/2016 du 7 mars 2016 consid. 4.2, AARP/403/2015 du 28 septembre 2015 consid. 3.4.2, AARP/223/2015 du 15 mai 2015 consid. 6.4.3, AARP/122/2015 du 20 février 2015 consid. 4.4.3). Plus récemment, la CPAR a accordé des réductions de peine de six et sept mois dans des cas où de telles conditions avaient duré près de 18 mois, respectivement de 20 mois (AARP/451/2016 du 11 novembre 2016 consid. 2.3 et AARP/383/2016 du 26 septembre 2016 consid. 2.3, confirmé par l'arrêt du Tribunal fédéral 6B_1243/2016 du 13 décembre 2016).

Dans ces différents cas de figure, la CPAR a implicitement renoncé à déduire les 90 premiers jours de la computation du nombre total de ceux donnant lieu à réparation, car la prise en compte de ce qui tenait d'une sorte de délai de carence ne se concevait que dans l'hypothèse, depuis écartée, d'une diminution mathématique de la peine en fonction du quota de jours concerné (AARP/497/2016 du 1er décembre 2016 consid. 2.1.3 ; cf. AARP/522/2014 du 7 novembre 2014 consid. 6.4.3).

1.4.2. En l'occurrence, la Cour retiendra qu'une réduction de peine de 30 jours constitue une réparation adéquate et suffisante du tort moral occasionné par les 95 jours de détention, en tant que tels justifiés, mais subis dans des conditions non conformes à l'art. 3 CEDH. Cette réduction s'inscrit dans la logique des décisions précitées, plus exactement dans une fourchette relativement haute étant observé que l'appelant n'établit pas avoir souffert davantage que d'autres détenus desdites conditions, le Tribunal fédéral a d'ailleurs écarté l'argument lié à l'état de santé et l'âge de l'appelant dans son arrêt de renvoi: "[l]es problèmes de santé du recourant, mêmes s'ils se sont accentués à la suite de son incarcération, ne modifient pas cette décision, dans la mesure où il ne démontre pas que leur intensité aurait excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à une détention, respectivement que sa prise en charge médicale n'aurait pas été adéquate" (consid. 6.4).

2. En vertu de l'art. 436 al. 2 CPP, lorsque ni un acquittement total ou partiel ni un classement ne sont prononcés, le prévenu peut prétendre à une juste indemnité pour ses dépenses dans la procédure de recours s'il obtient gain de cause "sur d'autres points", à savoir les points accessoires d'un jugement (ACPR/41/2012 du 30 janvier 2012 ; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung – Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2e éd., Bâle 2014, n. 10 ad art. 436). L'indemnité prévue aux articles 429 al. 1 let. a et 436 al. 2 CPP concerne les dépenses du prévenu pour un avocat de choix (ATF 138 IV 205 consid. 1).

En l'espèce, le prévenu a obtenu gain de cause sur le principe d'une réduction de peine à titre de réparation des conditions illicites de détention subies. Il pourra ainsi prétendre à une indemnité pour les dépenses occasionnées pour son avocat.

Le conseil du prévenu présente un état de frais d'un montant de CHF 1'158, 75. Au vu de l'activité déployée depuis le retour du Tribunal fédéral, la Cour considère ce montant adéquat.

3. Les frais de la procédure postérieure à l'arrêt du Tribunal fédéral du 5 avril 2017 seront laissés à la charge de l'Etat (art. 428 a contrario CPP).

 

* * * * *

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

Prend acte de l'arrêt 6B_71/2016 rendu le 5 avril 2017 par le Tribunal fédéral admettant partiellement le recours de A______, annulant l'arrêt AARP/524/2015 de la Chambre pénale d'appel et de révision et lui renvoyant la cause pour nouvelle décision sur les conséquences de 95 jours de détention dans des conditions illicites, cas échéant, sur la peine infligée.

Et, statuant à nouveau :

Dit que la peine privative de liberté de cinq ans infligée à A______ s'entend sous déduction de 181 jours de détention provisoire, 897 jours de détention au régime de l'exécution anticipée de peine et de 30 jours à titre d'indemnisation des conditions illicites de détention subies.

Condamne l'État de Genève à payer à A______ la somme de CHF 1'158.75, TVA comprise, en couverture de ses frais de défense.

Laisse les frais de la procédure d'appel consécutifs audit renvoi à la charge de l'Etat.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, à l'instance inférieure.

Siégeant :

Madame Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE, Présidente ; Madame Yvette NICOLET et Madame Valérie LAUBER, juges.

 

La greffière :

Melina CHODYNIECKI

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération du 19 mars 2010 (LOAP; RS 173.71), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).