Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/810/2025 du 03.10.2025 sur JTPM/430/2025 ( TPM ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE PM/758/2025 ACPR/810/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 3 octobre 2025 |
Entre
LE MINISTERE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B,
case postale 3565, 1211 Genève 3,
recourant,
contre la décision rendue le 28 juillet 2025 par le Tribunal d’application des peines et des mesures,
et
LE TRIBUNAL D’APPLICATION DES PEINES ET DES MESURES, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève, case postale 3715, 1211 Genève 3,
A______, représenté par Me Alain MISEREZ, avocat, FRAvocats, avenue de Frontenex 6, 1207 Genève,
intimés.
EN FAIT :
A. Par acte expédié le 7 août 2025, le Ministère public recourt contre la décision du 28 juillet 2025, notifiée le même jour, par laquelle le Tribunal d’application des peines et des mesures (ci-après : TAPEM) a ordonné la libération conditionnelle de A______ pour le 28 juillet 2025.
Le recourant conclut, préalablement, à la suspension du traitement du recours jusqu’à droit jugé dans la P/1______/2024, et, principalement, à l’admission du recours, à l’annulation de la décision susmentionnée et au refus de la libération conditionnelle de A______.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Par jugement du 12 février 2025 dans la cause P/1______/2024, le Tribunal correctionnel a, après avoir révoqué le sursis partiel octroyé le 8 février 2022 [procédure P/2______/2019], condamné A______ à une peine privative de liberté d’ensemble de 3 ans et 6 mois, sous déduction de 308 jours de détention avant jugement, et à une amende, pour infraction grave à la LStup, contravention à la LStup, délit à la LArm, violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires, dommage à la propriété d’importance mineure et infraction grave à la LCR.
b. Par injonction d’exécuter, du 3 juillet 2025, le Ministère public a enjoint au Service de réinsertion et du suivi pénal (ci-après : SRSP) d’ordonner l’exécution de la peine de A______, soit 3 ans et 6 mois, dont à déduire 308 jours de détention avant jugement.
c. Une nouvelle injonction d’exécuter, du 4 juillet 2025, émanant du service des huissiers du Ministère public et portant la mention "ANNULE ET REMPLACE L’INJONCTION D’EXECUTER DU 3 juillet 2025", a retenu une peine privative de liberté de 3 ans et 6 mois, dont à déduire "830" jours de détention avant jugement.
d. À une date que la base de données informatiques interne au Pouvoir judiciaire situe au 9 juillet 2025, le Tribunal correctionnel a rendu un jugement de rectification d’une erreur matérielle (ci-après : jugement rectificatif), portant la date du "12 février 2025 ", par lequel le dispositif du jugement rendu le 12 février 2025 a été modifié en ce sens : "condamne A______ à une peine privative de liberté d’ensemble de 3 ans et 6 mois, sous déduction de 308 830 jours de détention avant jugement (art. 40 CP). (Rectification d’erreur matérielle : art. 83 CPP) ".
e. Toujours selon la base de données informatiques interne au Pouvoir judiciaire, ce jugement rectificatif a été notifié par pli recommandé à A______ le 11 juillet 2025 et aurait été envoyé par courrier électronique le 9 juillet 2025 au Ministère public, qui le conteste.
f. Le 18 juillet 2025, A______ a requis sa libération conditionnelle.
g. Dans son préavis du 22 juillet 2025 sur cette demande, le SRSP a conclu à l’octroi de la libération conditionnelle à A______. Le document mentionne que le précité avait été condamné à une peine privative d’ensemble de 3 ans et 6 mois "sous déduction de 830 jours de détention avant jugement".
h. Le Ministère public a, par apposition d’un tampon humide le 24 juillet 2025, fait siens le préavis et les conclusions du SRSP.
C. Dans la décision querellée, le TAPEM a ordonné la libération conditionnelle de A______, après avoir retenu que les deux tiers de la peine qu’il exécutait étaient intervenus le 5 mars 2025, par suite de la déduction de 830 jours de détention avant jugement à la peine privative de liberté de 3 ans et 6 mois décidée par le Tribunal correctionnel.
A______ a été libéré le 28 juillet 2025.
D. Par lettre du 6 août 2025 adressée au Tribunal correctionnel, le Procureur a exposé avoir constaté, à la lecture de la décision de libération conditionnelle, que 830 jours au lieu de 308 avaient été déduits de la peine de 3 ans et 6 mois infligée à A______ par jugement du 12 février 2025. Il venait en outre de constater, en consultant la base de données informatiques, qu’un jugement rectificatif avait été rendu le 9 juillet 2025, sans qu’il n’ait préalablement été invité à se prononcer sur ladite rectification, ni que ce nouveau jugement ne lui eût été notifié, "comme il aurait dû l’être". Au fond, les 522 jours de détention avant jugement n’auraient pas dû être ajoutés aux 308 jours, puisqu’ils avaient déjà été déduits dans la décision du Tribunal correctionnel du 8 février 2022 [procédure P/2______/2019]. Il invitait donc le Tribunal correctionnel à procéder à une "nouvelle notification" au Ministère public du jugement rectificatif, étant précisé qu’il entendait annoncer appel de cette décision.
E. a.a. À l’appui de son recours, le Ministère public soutient que le Tribunal correctionnel avait, dans le jugement rectificatif, imputé 522 jours supplémentaires de détention avant jugement, pour parvenir à 830 jours. Or, ces 522 jours de détention avaient déjà été imputés dans le jugement rendu le 8 février 2022. Ainsi, quand bien même le Tribunal correctionnel avait, dans son jugement du 12 février 2025, révoqué le sursis partiel accordé le 8 février 2022, il ne devait pas à nouveau imputer les 522 jours déjà comptés. Le jugement rectificatif, qui serait contesté dès qu’il lui aurait été valablement notifié, devait être annulé.
Il s’ensuivait que le TAPEM, en retenant, sur la base du jugement rectifié, que la fin de la peine exécutée par A______ était fixée au 5 mai 2026 et que les deux tiers étaient intervenus le 5 mars 2025, avait constaté les faits de manière erronée. Partant, A______ n’avait nullement purgé les deux tiers de sa peine le 5 mars 2025. Rendue en violation de l’art. 86 al. 1 CP, la décision querellée devait être annulée.
En outre, une bonne administration de la justice commandait que le traitement du recours fût suspendu, dès lors qu’il dépendait de l’issue de la procédure P/1______/2024. En effet, au vu de la violation de l’art. 83 al. 3 CPP et de l’absence de notification du jugement rectificatif, il était demandé à la Chambre de céans d’attendre l’issue de la procédure précitée. La Chambre pénale d’appel et de révision allait être saisie, dès la notification du jugement rectifié, et il y avait ainsi lieu d’attendre la décision sur le fond.
a.b. Parallèlement au présent recours, le Ministère public a, le 18 août 2025, formé appel devant la Chambre pénale d’appel et de révision contre le jugement rectificatif.
b. Le TAPEM renonce à faire des observations sur le fond, tout en relevant que si le grief du Ministère public concernant l’imputation de la détention avant jugement par le Tribunal correctionnel était admis, le calcul de la date des deux tiers de la peine serait nécessairement impacté.
c. A______ conclut, préalablement, à l’octroi de l’assistance juridique et à ce que le traitement du recours ne soit pas suspendu, et, principalement, au rejet du recours. Le jugement rectificatif avait bel et bien été notifié au Ministère public, puisque sa page 59 mentionnait cette autorité dans la liste des destinataires de la notification "par voie postale". Quoi qu’il en soit, le Ministère public s’était montré favorable à la libération conditionnelle, de sorte qu’affirmer désormais le contraire dénoterait "une mauvaise foi particulièrement décevante de la part de l’autorité pénale". La déclaration d’appel formée le 18 août 2025 par le Ministère public n’était pas recevable, puisqu’elle avait été déposée en violation du délai de dix jours.
Cela étant, il se trouvait à ce jour en liberté conditionnelle depuis [plus d’] un mois, vivait à nouveau dans son appartement et travaillait en qualité de concierge à 10% pour l’instant, espérant travailler prochainement à temps plein. Il serait constitutif d’une "violation crasse des principes fondamentaux de procédure" que d’imputer les conséquences d’une inattention de la part du Ministère public à un condamné déjà libéré. La sécurité du droit et du système juridique tout entier seraient alors gravement mis en cause.
La demande de suspension de la procédure de recours ne revêtait aucun sens. L’objet de la présente procédure n’était nullement de clarifier le nombre effectif de jours à déduire de sa peine, puisque le Tribunal correctionnel avait rendu un jugement rectificatif sur ce point, dûment notifié le 11 juillet 2025 y compris au Ministère public. La question que devait trancher la Chambre de céans était de savoir si un condamné libéré conditionnellement par suite d’une négligence à tout le moins apparente du Ministère public, à lui non imputable, devait être réincarcéré alors que sa réinsertion était largement entamée.
d. Dans sa réplique, le Ministère public maintient que le jugement rectificatif était erroné, car les 522 jours de détention avant jugement avaient déjà été déduit de la peine privative de liberté prononcée le 8 février 2022, ce qu’attestait le casier judiciaire de A______. Le jugement rectificatif ne lui avait pas été notifié, nonobstant la mention contraire à la page 59 dudit jugement, ce qui pourrait être confirmé par le Tribunal correctionnel, lequel n’avait toujours pas répondu à sa lettre du 6 août 2025. Le préavis du 24 juillet 2025 à la libération conditionnelle était fondé sur un jugement rectificatif qui ne lui avait pas été notifié. Quand bien même les erreurs susmentionnées n’étaient pas imputables au précité, la décision querellée devait être annulée, car elle reposait sur un jugement rectifié à tort et avait des conséquences graves en ce sens que le prévenu avait été libéré conditionnellement plus d’une année avant d’avoir purgé les deux tiers de sa peine, ce qui revenait à annihiler partiellement le prononcé de la sanction.
e. En réponse aux observations du TAPEM, A______ demande si, alors qu’il avait été libéré conditionnellement le 28 juillet 2025, et avait entamé sa réinsertion, il devrait être "hypothétiquement réincarcéré à la suite d’un appel irrecevable formellement et infondé matériellement". De plus, l’art. 314 CPP ne s’appliquait pas à la procédure de recours. Le fond du problème, ici, portait quoi qu’il en soit sur sa réinsertion et non sur un "détail de calcul" des jours de détention déductibles effectués. Il persiste donc dans ses conclusions.
f. À réception de la réplique du Ministère public, A______ duplique. Le Procureur semblait "s’entêter dans son argumentation douteuse et objectivement infondée". Il paraissait difficile à conceptualiser que le Ministère public n’eût pas eu connaissance du jugement rectifié, avant de faire sien le préavis favorable du SRSP. Il [A______] avait donc, le 15 février 2025, requis de la Chambre pénale d’appel et de révision qu’elle n’entre pas en matière sur l’appel du Ministère public. Au surplus, il persistait toujours dans ses conclusions.
g. La cause a ensuite été gardée à juger.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours au sens de l'art. 393 CPP est la voie de droit ouverte contre les prononcés rendus en matière de libération conditionnelle par le TAPEM (art. 42 al. 1 let. b LaCP cum ATF 141 IV 187 consid. 1.1), dont le jugement constitue une "autre décision ultérieure" indépendante au sens de l'art. 363 al. 3 CPP (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1136/2015 du 18 juillet 2016 consid. 4.3 et 6B_158/2013 du 25 avril 2013 consid. 2.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 30 ad art. 363).
1.2. La procédure devant la Chambre de céans est régie par le CPP, applicable au titre de droit cantonal supplétif (art. 42 al. 3 LaCP).
1.3. En l'espèce, le recours est recevable, pour avoir été déposé selon les forme et délai prescrits (art. 385 al. 1, 390 al. 1 et 396 al. 1 CPP) par le Ministère public (art. 381 al. 1 CPP).
2. Le recourant requiert, en premier lieu, que le traitement du recours soit suspendu, tandis que l’intimé conclut au rejet du recours.
2.1. À teneur de l'art. 314 al. 1 let. b CPP, le ministère public peut suspendre une instruction, notamment, lorsque l'issue de la procédure pénale dépend d'un autre procès dont il paraît indiqué d'attendre la fin.
2.2. Cette disposition s'applique par analogie à la procédure de recours, conformément à l'art. 379 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 1B_259/2018 du 26 juin 2018 consid. 2; ACPR/808/2024 du 4 novembre 2024; OCPR/28/2023 du 4 mai 2023; ACPR/406/2015 du 5 août 2015; OCPR/66/2015 du 15 juin 2015; ACPR/174/2015 du 23 mars 2015; question laissée parallèlement ouverte dans les ACPR/110/2021 du 18 février 2021, ACPR/384/2017 du 12 juin 2017 et ACPR/128/2015 du 3 mars 2015; N. SCHMID / D. JOSITSCH, Handbuch des schweizerischen Strafprozessrechts, 4ème éd., Zurich 2023, n. 1236 n. de bas de page 88).
2.3. L’instruction doit être reprise lorsque le motif de la suspension a disparu (cf. art. 315 al. 1 CPP).
2.4. En l’espèce, la décision querellée, ayant ordonné la libération conditionnelle de l’intimé, repose sur le jugement rectificatif, daté du 12 février 2025 mais apparemment rendu le 9 juillet 2025, lequel a tenu compte d’une déduction de 830 jours de détention avant jugement.
Or, ce jugement rectificatif fait actuellement l’objet d’un appel du Ministère public, qui allègue ne pas avoir été consulté préalablement au prononcé de la rectification, d’une part, et ne pas avoir, d’autre part, reçu notification dudit jugement nonobstant la mention contraire figurant dans celui-ci.
Tant que la décision de la Chambre pénale d’appel et de révision n’est pas connue, tant sur la recevabilité de l’appel, que sur le fond – soit le bien-fondé de la rectification décidée par le Tribunal correctionnel –, il n’est pas possible à la Chambre de céans de trancher le recours.
En effet, la première condition à l’octroi d’une libération conditionnelle est que le détenu ait subi les deux tiers de sa peine (art. 86 al. 1 CP). Par conséquent, tant que cette question n’est pas résolue, la Chambre de céans ne peut pas se prononcer sur le recours, et il n’appartient pas à celle-ci, mais à la Chambre pénale d’appel et de révision, de déterminer si l’appel contre le jugement rectificatif est recevable ou non, subsidiairement, fondé ou non.
Ces questions sont ainsi essentielles à l’issue du présent recours.
Il apparaît donc conforme à l’art. 314 CPP, appliqué par analogie, d’attendre l’issue de la cause pendante devant la Chambre pénale d’appel et de révision, avant de se prononcer sur le recours formé par le Ministère public contre la libération conditionnelle accordée à l’intimé.
Les questions posées par ce dernier dans l’éventualité où le jugement rectificatif devait s’avérer infondé, en particulier le fait qu’il a été libéré le 28 juillet 2025 et a entamé sa réinsertion, ne sauraient être tranchées ici, puisqu’elles sont liées au fond du litige, qui ne peut être abordé en l’état.
La suspension requise sera donc ordonnée, et ce, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Chambre pénale d’appel et de révision à venir.
3. L’intimé a requis le bénéfice de l’assistance juridique, mais la cause n’étant en l’état pas terminée devant la Chambre de céans, ce point ne sera en l’état pas tranché.
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Suspend l’examen du recours jusqu’à droit jugé par la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice dans l’appel dont elle est saisie contre le jugement de rectification d’une erreur matérielle, portant la date du 12 février 2025 [mais apparemment rendu le 9 juillet 2025], dans la cause P/1______/2024.
Renvoie le sort des frais et des éventuelles indemnités à la décision sur le fond.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, au Tribunal d’application des peines et des mesures et à A______ (soit pour lui son conseil).
Le communique, pour information, à la Chambre pénale d’appel et de révision, saisie de la procédure P/1______/2024.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Catherine GAVIN et
Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF;
RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse
(art. 48 al. 1 LTF).