Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/555/2025 du 17.07.2025 sur ONMMP/5795/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/9587/2024 ACPR/555/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du jeudi 17 juillet 2025 |
Entre
A______ SÀRL, représentée par Me Charles PIGUET, avocat, GREEN AVOCATS, rue Ferdinand-Hodler 9, 1207 Genève,
recourante,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 27 décembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 13 janvier 2025, A______ SÀRL recourt contre l'ordonnance du 27 décembre 2024, notifiée le 3 janvier 2025, aux termes de laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 16 avril 2024 contre inconnu.
La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de l'ordonnance querellée et, cela fait, au renvoi de la cause au Ministère public pour ouverture d'une instruction, à charge pour cette autorité de procéder à divers actes d'enquête, qu'elle énumère.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 1'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ SÀRL est une société inscrite au registre du commerce de Genève, ayant pour but notamment le commerce et l'échange de disques compacts, neufs ou d'occasion. Elle exploite, sous l'enseigne B______, un magasin situé au C______ [GE].
b. Par pli du 16 avril 2024, cette société, représentée par sa gérante, D______, a déposé plainte contre inconnu pour violation de domicile (art. 186 CP), dommages à la propriété (art. 144 CP), et vol ou tentative de vol (art. 139 cum 22 al. 1 CP).
Le 11 avril précédent, à 9h45, E______, employé du magasin B______, s'y était rendu en vue de son ouverture et avait constaté que la porte d'entrée était ouverte, le cylindre ayant été fracturé. Aucune autre trace d'effraction n'avait été relevée et le magasin semblait par ailleurs en ordre : aucune somme en espèces n'avait été dérobée, les ordinateurs étaient à leur place et la marchandise, bien que difficile à inventorier, paraissait complète.
Immédiatement informée de l'effraction par téléphone, la police avait estimé qu'une intervention sur place n'était pas nécessaire, puisque E______ avait manipulé la porte ainsi que la poignée lors de son entrée dans les locaux. Lors de cet entretien téléphonique, l'employé avait situé l'effraction entre la fermeture de l'établissement, la veille à 19h56, et sa réouverture le matin-même, à 9h45. Le magasin ne disposait pas de store, de sorte que son intérieur demeurait visible depuis l'extérieur, y compris durant la nuit.
Bien que la plainte ait été déposée contre inconnu, la gérante exprimait des doutes sur l'éventuelle implication de F______, ancien employé licencié, à l'encontre duquel une plainte pénale avait été déposée le 27 mars 2024 et qui faisait l'objet d'une instruction (P/1______/2024). La concomitance temporelle entre ces évènements était particulièrement notable, d'autant plus que le magasin n'avait, en vingt-cinq années d'activité, jamais été victime d'effraction ou de tentative d'effraction. Il apparaissait donc envisageable – sans qu'il fût possible de l'affirmer avec certitude – que le prénommé se soit illicitement introduit dans les locaux, soit pour obtenir des informations liées à la procédure pénale le concernant, soit pour récupérer des éléments qu'il aurait pu considérer comme compromettants. Il ne s'agissait toutefois que d'une "hypothèse", dès lors "qu'aucun élément", hormis cette "proximité temporelle" ne "permett[ait] de relier" l'intéressé à l'effraction dénoncée.
En tout état, l'effraction avait causé un préjudice financier, puisqu'elle avait nécessité le remplacement du cylindre de la porte d'entrée du magasin.
À l'appui de sa plainte, A______ SÀRL a notamment produit la facture d'un serrurier, attestant du changement de cylindre le 11 avril 2024, pour un montant de CHF 753.45.
c. Dans son rapport de renseignements du 5 décembre 2024, la police a relevé que le cylindre de la porte d'entrée du magasin B______ avait été arraché et emporté, sans qu'aucun vol ne fût constaté dans les locaux concernés. Compte tenu des déclarations de l'employé ayant signalé l'effraction, aucun "constat technique" n'avait été réalisé sur place par la Brigade de la police technique et scientifique. Par ailleurs, l'enquête de voisinage ainsi que l'analyse des images de vidéosurveillance des environs n'avaient pas permis d'apporter d'éléments utiles à l'enquête.
C. Dans la décision querellée, le Ministère public retient qu'il existait un empêchement de procéder (art. 310 al. 1 let. b CPP), l'enquête de police n'ayant pas permis d'identifier le ou les auteur(s) des infractions dénoncées.
D. a . Dans son recours, A______ SÀRL, qui reprend les arguments développés dans sa plainte, reproche au Ministère public de ne pas avoir tenu compte des soupçons qu'elle avait émis contre son ancien employé, F______, alors que de "nombreux éléments" lui permettaient de penser que celui-ci était l'auteur des infractions dénoncées.
La proximité temporelle entre le dépôt de sa plainte contre le précité et l'effraction paraissait pour le moins "troublante". Par ailleurs, ni marchandises ni liquidités n'avaient, "a priori", été dérobées, ce qui laissait supposer que l'auteur des faits était venu chercher un objet précis, dont "peut être" lui seul aurait eu connaissance. Aussi, était-il envisageable que F______ se soit introduit dans les locaux afin d'y récupérer des documents lui appartenant, mais qu'il ne pouvait réclamer à son employeur, ou des pièces qu'il estimait compromettantes. D'autant plus que rien n'avait été déplacé ni perturbé dans le magasin, renforçant l'hypothèse selon laquelle l'auteur était une personne familière des lieux, sachant précisément où concentrer ses recherches, plutôt qu'un cambrioleur surpris en flagrant délit.
Les doutes pesant sur le précité, qui ne pouvaient être écartés, constituaient des éléments suffisants pour justifier l'ouverture d'une instruction.
Divers actes d'enquête auraient pu être diligentés, notamment la vérification de la présence de F______ sur les images de vidéosurveillance, ainsi que l'analyse rétroactive de son téléphone portable, susceptible de confirmer sa localisation éventuelle dans le quartier au moment des faits. Par ailleurs, la police aurait pu procéder à l'audition de l'intéressé afin de lever tout doute quant à son éventuelle implication, ou encore mener des investigations "plus approfondies" auprès du voisinage, avant de conclure à l'impossibilité d'identifier l'auteur des faits dénoncés, le simple visionnage des images de vidéosurveillance du jour des faits s'avérant "insuffisant".
La recourante produit notamment une copie de sa plainte pénale déposée le 27 mars 2024 contre F______ pour infractions aux art. 139 et 251 CP, aux termes de laquelle elle lui reprochait, en substance, d'avoir falsifié des bons "d'achat-troc" en indiquant un prix d'achat supérieur à celui réellement versé au vendeur, dans le but d'encaisser la différence entre le prix mentionné sur le bon et dans le système informatique, et celui effectivement payé.
b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
1.2. La pièce nouvelle est également recevable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. La recourante reproche au Ministère public d'avoir refusé de donner suite à sa plainte.
3.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. b CPP, le prononcé d'une non-entrée en matière s'impose lorsqu’il existe des empêchements de procéder.
3.2. Des motifs de fait peuvent également justifier la non-entrée en matière. Il s'agit des cas où la preuve d'une infraction, soit de la réalisation en fait de ses éléments constitutifs, n'est pas apportée par les pièces dont dispose le ministère public. Il faut que l'insuffisance de charges soit manifeste. De plus, le Procureur doit examiner si une enquête, sous une forme ou sous une autre, serait en mesure d'apporter des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée. Ce n'est que si aucun acte d'enquête ne paraît pouvoir amener des éléments susceptibles de renforcer les charges contre la personne visée que le ministère public peut rendre une ordonnance de non-entrée en matière. En cas de doute sur la possibilité d'apporter ultérieurement la preuve des faits en question, la non-entrée en matière est exclue (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 9 ad art. 310). Parmi les motifs de fait, on trouve l'impossibilité d'identifier l'auteur (ACPR/196/2024 du 15 mars 2024 consid. 2.1; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9a ad 310).
3.3. Une telle décision peut se justifier même si les conditions du crime/délit sont réalisées, pour autant qu'aucun acte d'enquête raisonnable ne permette d'en découvrir l'auteur (arrêt du Tribunal fédéral 1B_67/2012 du 29 mai 2012 consid. 3.2). Il sied alors de mettre en balance les intérêts en jeu (ibidem), le principe de proportionnalité s'appliquant à toutes les activités étatiques (art. 5 al. 2 Cst féd.), y compris aux investigations pénales (ACPR/888/2021 du 16 décembre 2021, consid. 3.2 in fine; A. KUHN/ Y. JEANNERET/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 10d ad art. 310).
3.4. Selon l'art. 6 al. 1 CPP, les autorités pénales recherchent d’office tous les faits pertinents pour la qualification de l’acte et le jugement du prévenu.
Elles mettent en œuvre tous les moyens de preuves licites qui, selon l’état des connaissances scientifiques et l’expérience, sont propres à établir la vérité (art. 139 al. 1 CPP).
3.5. Aux termes de l'art. 139 CP, se rend coupable de vol quiconque, pour se procurer ou procurer à un tiers un enrichissement illégitime, soustrait une chose mobilière appartenant à autrui dans le but de se l'approprier.
Cette infraction suppose, sur le plan subjectif, l'intention, un dessein d'appropriation et un dessein d'enrichissement illégitime. Ainsi, l'auteur doit avoir agi intentionnellement et, sans droit, dans le but d'incorporer économiquement la chose ou la valeur de la chose à son propre patrimoine (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 45 et 48 ad art. 139), y compris de manière temporaire.
Il y a enrichissement – amélioration de la situation patrimoniale – illégitime si l'auteur ne peut valablement y prétendre (ATF 105 IV 29 consid. 3a). Par enrichissement, on entend la réalisation d'un dommage, à savoir une lésion au patrimoine de la victime sous la forme d'une diminution de l'actif, d'une augmentation du passif, d'une non-augmentation de l'actif ou d'une non-diminution du passif, mais aussi d'une mise en danger de celui-ci telle qu'elle a pour effet d'en diminuer la valeur du point de vue économique (ATF 121 IV 104 consid. 2c).
3.6. L'art. 144 al. 1 CP punit quiconque, sans droit, endommage, détruit ou met hors d'usage une chose appartenant à autrui ou frappé d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.
3.7. Selon l'art. 186 CP, se rend coupable de violation de domicile quiconque, d'une manière illicite et contre la volonté de l'ayant droit notamment, pénètre dans une habitation ou y demeure au mépris de l'injonction de sortir à lui adressée par un ayant droit.
3.8. En l'espèce, il est constant que les éléments constitutifs de l'infraction de dommages à la propriété (art. 144 CP) sont réalisés, le cylindre de la porte d'entrée du magasin B______ ayant été fracturé.
Cela étant, aucune analyse d'ADN ni prélèvement n'a pu être réalisé sur les lieux, dès lors que la porte d'entrée et la poignée avaient été manipulées par l'employé ayant constaté l'effraction. Il ressort, en outre, du rapport de renseignements de la police du 5 décembre 2024 que ni l'enquête de voisinage, ni le visionnage – effectué le jour même des faits – des images issues des caméras de vidéosurveillance situées aux abords du magasin, n'ont permis d'identifier le ou les auteurs des faits dénoncés.
Par ailleurs, les soupçons émis par la recourante à l'encontre d'un ancien employé de l'établissement concerné reposent principalement sur la proximité temporelle entre les faits dénoncés et la plainte qu'elle a déposée le 27 mars 2024 contre l'intéressé, ce qui relève de simples conjectures. La recourante concède au demeurant ne pouvoir formuler qu'une hypothèse à cet égard, étant précisé qu'elle a déposé plainte contre "inconnu". En outre, le fait qu'elle n'ait jamais été victime d'effraction ou de tentative d'effraction au cours de ses vingt-cinq années d'activité ne saurait suffire à établir l'implication de son ancien employé.
Enfin – et surtout –, rien ne permet d'établir que la personne ayant fracturé la porte d'entrée se soit effectivement introduite dans le magasin, ni qu'elle y ait dérobé des biens ou des documents appartenant à la recourante. En effet, aucun vol n'a été constaté dans les locaux, lesquels ne présentaient par ailleurs aucune autre trace d'effraction. La marchandise et le matériel informatique étaient, selon les dires de la recourante, complets, et les espèces conservées sur place n'ont pas été soustraites. L'hypothèse avancée par la recourante, selon laquelle l'ancien employé précité se serait illicitement introduit dans les lieux afin d'y récupérer des documents – dont elle ne précise ni la teneur ni la nature exacte – prétendument compromettants ou lui appartenant, et dont lui seul connaîtrait l'existence, ne repose sur aucun élément concret.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, il n'existe en l'état pas de soupçons suffisants permettant de désigner le possible auteur des faits dénoncés par la recourante.
Les actes d'instruction proposés ne sont pas susceptibles de modifier ce constat. L'audition de l'ancien employé de la recourante, qui, selon toute vraisemblance, nierait toute implication, ne paraît pas de nature à apporter un élément pertinent supplémentaire. En l'état, il n'y a, quoi qu'il en soit, pas d'élément suffisant le mettant en cause, pour justifier son audition. Par ailleurs, les autres investigations sollicitées (telles que la recherche de la présence du précité sur les images de vidéosurveillance des abords du magasin, l'analyse des données rétroactives du raccordement utilisé par l'intéressé, ou encore une enquête de voisinage "plus approfondie") apparaissent non seulement très aléatoires, mais également disproportionnées au regard du contexte sus-décrit.
C'est donc à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte déposée par la recourante, aucune investigation supplémentaire ne paraissant susceptible, en l'état, de conduire à l'identification et à l'interpellation du ou des auteurs des évènements dénoncés.
4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, qui seront fixés en totalité à CHF 1'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ SÀRL aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'000.-.
Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/9587/2024 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 915.00 |
Total | CHF | 1'000.00 |