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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11060/2024

ACPR/551/2025 du 16.07.2025 sur ONMMP/2002/2025 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : ORDONNANCE DE NON-ENTRÉE EN MATIÈRE;DIFFAMATION;CALOMNIE;PRINCIPE D'ALLÉGATION;DIVORCE;COMPARUTION PERSONNELLE;PROTECTION DE L'UNION CONJUGALE;PREUVE;VÉRITÉ
Normes : CPP.310; CP.173; CP.174

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11060/2024 ACPR/551/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mercredi 16 juillet 2025

 

Entre

A______, représenté par Me Cyrielle FRIEDRICH, avocate, rue de la Fontaine 7, 1204 Genève,

recourant,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 28 avril 2025 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte déposé le 12 mai 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 28 avril 2025, notifiée le 30 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur ses plaintes des 3 et 22 mai 2024 contre B______.

Le recourant conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de cette décision et au renvoi de la procédure au Ministère public pour reddition d'une ordonnance pénale contre la prénommée, subsidiairement pour "poursuivre l'instruction".

b. Le recourant a versé les sûretés en CHF 1'300.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. A______ et B______ se sont mariés le ______ 2020 et sont les parents de deux enfants: C______, né le ______ 2019, et D______, né le ______ 2021. Le couple s'est séparé le 20 janvier 2023.

b. Deux jours plus tôt, le 18 janvier 2023, B______ a été examinée aux Hôpitaux Universitaires de Genève (ci-après: HUG), lors d'une consultation "post IG". À teneur du compte rendu de consultation ambulatoire de gynécologie, elle a évoqué, à cette occasion, un épisode d'agression sexuelle. Un soir alors qu'elle avait pris un comprimé de TEMESTA® pour mieux dormir et s'était endormie au pied du lit de son fils, son mari l'avait ramenée dans la chambre et avait "eu un rapport non consenti". Elle ne souhaitait pas déposer plainte, ni faire de constat [cf. compte rendu de consultation ambulatoire de gynécologie du 18 janvier 2023, p. 4].

c. Le 5 juillet 2023, le Service d'évaluation et d'accompagnement de la séparation parentale (ci-après: SEASP) a dénoncé au Ministère public [qui a ouvert la procédure pénale P/1______/2023] la situation de B______, laquelle avait relaté, en pleurs, lors d'un entretien du 28 avril 2023, un évènement qui serait survenu le 9 janvier 2023, soit un rapport sexuel non consenti avec son époux. Elle avait toutefois indiqué ne pas souhaiter déposer plainte, pour ne pas aggraver la situation relationnelle déjà très tendue avec son conjoint, avant d'accepter que les faits soient portés à la connaissance du Ministère public. Toutefois, contactée par la police, B______ n'avait pas voulu déposer plainte ni être auditionnée, de sorte qu'une ordonnance de non-entrée en matière par fichet avait été rendue le 24 août 2023 [cf. P/1______/2023 versée au dossier le 14 avril 2025].

d. Préalablement, le 3 février 2023, B______ a formé une requête en mesures protectrices de l'union conjugale devant le Tribunal de première instance.

e. Dans le cadre de cette procédure (C/2______/2023), une audience de comparution personnelle des parties et de plaidoiries finales s'est tenue le 2 mai 2024. E______, juge, présidait cette audience, assisté de sa greffière, F______. A______ et B______, assistés de leurs avocates respectives [Me Cyrielle FRIEDRICH et Me G______], ainsi qu'un huissier, étaient également présents.

Au terme de cette audience, la cause a été gardée à juger.

f. Le 3 mai 2024, A______ a déposé plainte pénale contre B______, pour calomnie, voire diffamation.

Il lui reprochait d'avoir, durant l'audience précitée, déclaré qu'elle avait quitté le domicile conjugal car il l'avait "violée", ce qui était faux. Le Président avait eu la décence de transcrire les propos de l'intéressée comme suit au procès-verbal (p. 4): "La situation [sic] s'est faite dans un contexte extrêmement délicat qui a été évoqué oralement lors des différentes audiences et je ne supporte pas que Monsieur s'apitoie en disant que c'est moi qui l'ai mis devant le fait accompli".

Il ne pouvait accepter d'être traité de "violeur" alors que tel n'était pas le cas. Sauf erreur, leur dernière relation sexuelle remontait à la nuit du 8 au 9 janvier 2023 et elle avait été entièrement consentie.

Il sollicitait une confrontation avec son épouse ainsi que l'audition de E______ et de sa greffière.

g. Le 14 mai 2024, le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur cette plainte. Il considérait que les éléments constitutifs des infractions de diffamation (art. 173 CP) et/ou calomnie (art. 174 CP) n'étaient pas réunis. En effet, les propos dénoncés n'avaient pas été mentionnés au procès-verbal. De surcroît, à supposer que de tels propos aient été tenus, B______, assistée d'un conseil, n'avait pas exigé qu'ils soient protocolés. Ceux-ci avaient, de plus, été prononcés au cours d'une procédure civile devant un cercle restreint de personnes soumises au secret de fonction. Ainsi, aucun élément ne permettait d'affirmer que la mise en cause avait intentionnellement agi dans le but de porter atteinte à l'honneur de son époux.

h. Le 22 mai 2024, A______ a déposé une plainte complémentaire contre son épouse pour calomnie, voire diffamation, toujours en lien avec l'audience civile du 2 mai 2024.

Il lui reprochait d'avoir déclaré, lors de celle-ci, qu'il entendait "empoisonner son nouveau compagnon". Il avait omis ce fait dans sa première plainte. Ces allégations étaient non seulement fausses, mais également non pertinentes dans le cadre de la procédure civile en cours.

i. Par arrêt du 28 août 2024 (ACPR/635/2024), la Chambre de céans a admis le recours interjeté par A______ contre l'ordonnance de non-entrée en matière du 14 mai 2024.

Elle retenait que le fait que les propos dénoncés [soit une accusation de viol] n'avaient pas été protocolés en ces termes au procès-verbal de l'audience civile du 2 mai 2024 n'enlevait rien à leur caractère manifestement attentatoire à l'honneur. Si ces propos avaient été tenus, ils avaient été adressés à tout le moins au Président du Tribunal et sa greffière, qui étaient, nonobstant le secret de fonction auquel ils étaient soumis, des tiers, à rigueur de la jurisprudence. On peinait, en outre, à voir en quoi les propos litigieux étaient justifiés par le devoir d'alléguer en procédure civile, ceux-ci apparaissant exorbitants à la cause. B______ n'ayant pas été entendue sur les faits dénoncés, la décision querellée apparaissait prématurée. La cause était donc renvoyée au Ministère public pour qu'il procède à son audition et effectue tout autre acte d'instruction utile, le cas échéant, aux fins de vérifier si l'art. 173 ch. 2 et/ou 3 CP trouvait application. Il était en particulier opportun de savoir si la mise en cause avait déposé une plainte pénale pour viol.

j. À cette suite, le Ministère public a transmis la procédure à la police pour complément d'enquête.

k. B______ a été entendue le 29 novembre 2024. Elle a contesté les faits reprochés tout en admettant avoir tenu les propos incriminés, lesquels étaient vrais. Lors de l'audience civile du 2 mai 2024, elle s'était exprimée à huis clos. La situation avait été émotionnellement difficile car A______ parlait de la façon dont il avait vécu leur séparation. Elle avait alors voulu expliquer comment les choses s'étaient passées pour elle et évoqué les raisons qui l'avaient conduite à quitter définitivement le domicile conjugal, le 20 janvier 2023. Elle avait, le 16 décembre 2022, subi une interruption de grossesse [qu'elle avait mal vécue] et, à cette occasion, eu pour instruction de ne pas avoir de rapport sexuel jusqu'au 18 janvier suivant. Son mari avait toutefois souhaité entretenir une relation sexuelle, le 9 janvier 2023, ce à quoi elle s'était opposée [en lui demandant de la laisser tranquille et en lui répétant à plusieurs reprises d'arrêter], sans succès. Ce jour-là, elle avait consommé du TEMESTA® et du vin, ce qui lui avait donné envie de dormir. Après cet épisode, la relation avec son époux, qui avait dormi au salon, avait été très tendue. Il lui faisait peur. Elle n'avait ainsi pas tenu de propos mensongers lors de l'audience précitée.

Elle avait relaté ces évènements au SEASP auprès duquel la famille était suivie, puis avait eu un contact avec la police judiciaire, mais elle n'avait pas souhaité déposer plainte. Une procédure pénale était lourde de conséquences et elle désirait préserver ses enfants ainsi que se reconstruire.

Par ailleurs, c'était son fils C______ qui lui avait rapporté, en rentrant d'un week-end avec son père, les propos selon lesquels A______ souhaitait ou entendait empoisonner son nouveau compagnon. Son fils avait également expliqué à son compagnon que son père avait dit "qu'il voulait péter maman". Face à cela, elle avait écrit à A______ qui avait confirmé avoir un peu "pété les plombs" le week-end en question. Celui-ci avait également admis devant la curatrice avoir dit en présence des enfants qu'il voulait tuer leur mère. Il lui avait semblé utile d'évoquer ces faits lors de l'audience du 2 mai 2024.

l. Ensuite de son audition, B______ a déposé plainte contre A______ pour calomnie, diffamation, dénonciation calomnieuse et menaces, en lien avec les plaintes déposées à son encontre par le second nommé.

m. A______ a été entendu par la police à ce sujet. Il a contesté les faits reprochés et maintenu l'ensemble de ses déclarations. Il n'avait en particulier pas menacé de vouloir tuer B______ devant leurs enfants. Il a toutefois reconnu avoir "explosé de colère" devant eux, ce dont il avait parlé à ses proches, à son avocat et au "SPMI". Il s'agissait d'un évènement isolé.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public considère que les éléments au dossier permettaient d'établir que B______ avait, de bonne foi, des raisons sérieuses de tenir ses allégations de viol pour vraies lorsqu’elle s’était exprimée devant le Tribunal de première instance le 2 mai 2024. La preuve libératoire de l’art. 173 al. 2 CP trouvait ainsi application.

Il en allait de même des propos – tenus lors de la même audience – selon lesquels son mari souhaitait "empoisonner son nouveau compagnon". À cet égard, la mise en cause s'était fondée tant sur des confidences faites par son fils que sur les dires du plaignant lui-même, qui avait admis avoir "explosé de colère" devant leurs enfants. Ces propos, prononcés dans le cadre d'une procédure de séparation, se justifiaient également par le devoir d'allégation des faits en procédure.

D. a. À l'appui de son recours, A______ fait grief à l'autorité intimée d'avoir violé le principe in dubio pro duriore.

En premier lieu, le fait que la mise en cause se soit exprimée hors procès-verbal ou à huis-clos, tel que considéré par cette autorité, n'avait aucune pertinence, dès lors que des tiers étaient présents, ce que la Chambre de céans avait d'ailleurs retenu dans son arrêt ACPR/635/2024 précité. Le Ministère public avait donc également enfreint l'autorité de l'arrêt de renvoi en invoquant ce motif.

En second lieu, B______ n'était pas en mesure d'apporter la preuve de sa bonne foi, dès lors qu'il [le recourant] contestait ses accusations, lesquelles n'étaient, en outre, corroborées par aucune des pièces produites. En effet, ces documents devaient être examinés avec précaution, compte tenu du contexte dans lequel la prénommée avait fait ces révélations ainsi que de la procédure civile opposant les parties. De plus, B______ avait attendu 11 jours après le "prétendu viol" et alors qu'elle aurait eu peur de lui pour quitter définitivement le domicile conjugal, ce qui paraissait en contradiction avec ses propos.

La question de l'application de l'art. 173 ch. 2 CP pouvait néanmoins rester ouverte, dès lors que la mise en cause ne pouvait, en tout état, pas se prévaloir de l'art. 14 CP.

En effet, contrairement à ce qui avait été retenu dans la décision querellée, la raison de la séparation des parties n'avait pas été évoquée lors de l'audience civile du 2 mai 2024 qui portait sur l'attribution des droits parentaux et les effets de la séparation. Les propos litigieux avaient été tenus en réaction au fait qu'il s'exprimait sur la raison pour laquelle il avait ajouté un "smiley qui vomit" au nom de B______ dans ses contacts. Aussi, il n'existait aucun motif pour que celle-ci allègue de telles accusations à son encontre. Le motif d'une séparation n'étant, en tout état, pas pertinent pour se prononcer sur des mesures protectrices de l'union conjugale.

Ainsi, les déclarations de la mise en cause n'avaient que pour but de le blesser et qu'il soit considéré comme un "vil individu" par le Tribunal et toutes les personnes présentes à l'audience.

Par ailleurs, s'agissant des propos de B______ selon lesquels il avait voulu empoisonner le compagnon [dont il ignorait au demeurant l'existence] de celle-ci, l'intéressée ne les avait, à aucun moment, présentés comme une allégation des enfants ou une supposition. Ces dires n'étaient pas non plus en lien avec la cause civile, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir ici non plus de l'art. 14 CP ou de l'art. 173 ch. 2 CP.

À l'appui de son recours, il a versé au dossier plusieurs messages échangés avec son épouse notamment entre les 14 et 16 janvier 2023, dont le contenu ne faisait selon lui apparaître aucune peur chez elle, ce qui permettait de douter "fortement" de sa crédibilité.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

1.2. Les pièces nouvelles produites par le recourant sont recevables (arrêt du Tribunal fédéral 1B_550/2022 du 17 novembre 2022 consid. 2.1).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.

3.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; ATF 138 IV 86 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.2 ; 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).

3.2.1. L'art. 173 ch. 1 CP réprime, sur plainte, le comportement de quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, ou propage une telle accusation ou un tel soupçon.

La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations attentatoires à l'honneur sont fausses, que l'auteur a connaissance de la fausseté de ses allégations et qu'il n'y a, dès lors, pas de place pour les preuves libératoires prévues par l'art. 173 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1).

3.2.2. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme. Tel est le cas lorsqu'on évoque une infraction pénale ou un comportement clairement réprouvé par les conceptions morales généralement admises (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2).

Pour apprécier si une déclaration est attentatoire à l’honneur, il ne faut pas se fonder sur le sens que lui donne la personne visée, mais sur une interprétation objective selon le sens qu’un destinataire non prévenu, avec des connaissances moyennes, doit, dans les circonstances d'espèce, lui attribuer (ATF 137 IV 313 consid. 2.1.3).

3.2.3. Pour qu'il y ait diffamation ou calomnie, il faut encore que le prévenu s'adresse à un tiers. Est en principe considérée comme telle toute personne autre que l'auteur et l'individu visé par les propos litigieux (ATF 145 IV 462 consid. 4.3.3).

Le fait que des propos attentatoires à l'honneur aient été adressés à des personnes astreintes au secret professionnel ou au secret de fonction ne permet pas de nier la qualité de tiers de celles-ci (ACPR/384/2021 du 10 juin 2021 consid. 2.3).

3.2.4. Des déclarations objectivement attentatoires à l'honneur peuvent toutefois être justifiées par le devoir d'alléguer des faits dans le cadre d'une procédure
(ATF 135 IV 177 consid. 4). L'art. 14 CP dispose en effet que celui qui agit comme la loi l'ordonne ou l'autorise se comporte de manière licite, même si l'acte est punissable en vertu du code pénal ou d'une autre loi. La licéité de l'acte est, en tous les cas, subordonnée à la condition qu'il soit proportionné à son but (ATF 107 IV 84 consid. 4; arrêts du Tribunal fédéral 6B_960/2017 du 2 mai 2018 consid. 3.2; 6B_507/2017 du 8 septembre 2017 consid. 3.4). Ainsi, tant la partie que son avocat peuvent se prévaloir de l'art. 14 CP à condition de s'être exprimés de bonne foi, de s'être limités à ce qui est nécessaire et pertinent et d'avoir présenté comme telles de simples suppositions
(ATF 131 IV 154 consid. 1.3.1; ATF 123 IV 97 consid. 2c/aa; ATF 118 IV 248 consid. 2c et d; ATF 116 IV 211 consid. 4a).

Les motifs justificatifs de la partie générale du Code pénal priment sur l'art. 173 ch. 2 CP (ATF 123 IV 97 consid. 2c/aa ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_698/2012 du 18 janvier 2013, consid. 3.3).

3.2.5. Conformément à l'art. 173 ch. 2 CP, même si le caractère diffamatoire des propos ou des écrits litigieux est établi, l'inculpé n'encourt aucune peine s'il prouve que les allégations qu'il a articulées ou propagées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies.

Il ne sera cependant pas admis à faire ces preuves et il sera punissable si ses allégations ont été articulées ou propagées sans égard à l'intérêt public ou sans autre motif suffisant, principalement dans le dessein de dire du mal d'autrui, notamment lorsqu'elles ont trait à la vie privée ou à la vie de famille (art. 173 ch. 3 CP).

Ces deux conditions sont cumulatives. L'admission de la preuve libératoire constitue la règle et elle ne peut être refusée que si l'auteur a agi principalement dans le but de dire du mal d'autrui et s'il s'est exprimé sans motif suffisant (ATF 132 IV 112 consid. 3.1).

Le motif invoqué par l'auteur doit être objectivement suffisant et réel pour que les allégations puissent être exprimées; le motif objectivement suffisant doit en outre constituer, d'un point de vue subjectif, le mobile qui a poussé l'auteur à formuler ses allégations, ce qui n'est pas le cas si l'auteur l'invoque comme prétexte pour occulter son dessein d'atteindre personnellement la victime (J. HURTADO POZO, Droit pénal : partie spéciale, Genève/Zurich/Bâle 2009, n. 2057 et 2058).

3.2.6. La preuve de la vérité doit être considérée comme rapportée lorsque l'auteur de la diffamation établit que tous les éléments essentiels des allégations qu'il a articulées ou propagées sont vrais (ATF 102 IV 176 = JdT 1978 IV 12 consid. 1b et les références citées).

Dans le cas où l'atteinte à l'honneur consiste dans un soupçon jeté ou propagé, il n'existe pas de règle particulière quant à la preuve de la vérité. Celle-ci consiste dans la preuve de la réalité du fait préjudiciable à l'honneur et non dans celle du facteur justifiant le soupçon (ATF 102 IV 176 consid. 1c et 1 d; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, Volume I, 3ème éd., n. 67 ad art. 173).

La preuve de la bonne foi se distingue de la preuve de la vérité : il faut se placer au moment de la communication litigieuse et rechercher, en fonction des éléments dont l'auteur disposait à l'époque, s'il avait des raisons sérieuses de tenir de bonne foi pour vrai ce qu'il a dit. Pour échapper à la sanction pénale, le prévenu de bonne foi doit démontrer qu'il a accompli les actes que l'on pouvait exiger de lui, selon les circonstances et sa situation personnelle, pour contrôler la véracité de ses allégations et la considérer comme établie (ATF 116 IV 205 consid. 3; 105 IV 114 consid. 2a). Autrement dit, l'accusé doit prouver qu'il a cru à la véracité de ses allégations après avoir fait consciencieusement tout ce que l'on pouvait attendre de lui pour s'assurer de leur exactitude.

3.3. En l'occurrence, la mise en cause a accusé [ce qu'elle ne conteste pas] le recourant lors d'une audience devant le Tribunal de première instance, en présence du juge, de la greffière, d'un huissier et des avocates des parties, soit devant des tiers au sens de la jurisprudence sus-rappelée, de l'avoir violée et d'avoir dit qu'il envisageait d'"empoisonner son nouveau compagnon".

Sous l'angle de l'art. 173 CP, les propos tenus, qui imputent au recourant la commission d'infractions pénales, sont de nature à porter atteinte à son honneur et présentent ainsi un caractère diffamatoire.

Cela étant, il convient d'examiner si la mise en cause pouvait se prévaloir d'un motif suffisant au sens de l'art. 173 ch. 3 CP pour évoquer de tels propos. Les allégations litigieuses ont été formulées dans le contexte d'une séparation hautement conflictuelle, dans le cadre de laquelle les parties étaient (et demeurent) opposées sur le plan civil. Elles ont par ailleurs été articulées lors d'une audience de comparution personnelle des parties et de plaidoiries finales visant notamment à l'attribution du droit de garde sur les enfants et les effets accessoires de la séparation. La mise en cause a expliqué avoir tenu les propos relatifs au viol alors qu'elle était dans une situation émotionnellement difficile et en réaction aux dires du recourant qui expliquait comment il avait vécu leur séparation. Elle avait alors voulu expliquer comment les choses s'étaient passées pour elle. Bien que le recourant conteste que les circonstances de leur séparation aient été évoquées lors de cette audience, il ressort du procès-verbal que tel fût bien le cas [cf. procès-verbal du 2 mai 2024, p. 4 : "La situation [sic] s'est faite dans un contexte extrêmement délicat qui a été évoqué oralement lors des différentes audiences et je ne supporte pas que Monsieur s'apitoie en disant que c'est moi qui l'ai mis devant le fait accompli"].

Ce contexte ne permet pas de considérer que la mise en cause, en signifiant au juge civil des faits qui, dans sa représentation, lui semblaient en lien avec leur séparation, dont les effets étaient précisément discutés devant lui, avait pour objectif principal de nuire aux intérêts du recourant.

Il en va de même de ses propos selon lesquels le recourant aurait déclaré souhaiter "empoisonner son nouveau compagnon". En effet, elle les avait évoqués lors de cette audience car le recourant avait lui-même admis avoir "explosé de colère" devant leurs enfants, ce dont elle avait également fait part à la curatrice. Elle a donc cherché à signaler au juge – notamment chargé de la détermination du droit de garde – des faits qui lui semblaient problématiques en lien avec le bien-être de leurs enfants.

À cela s'ajoute que les propos dénoncés n'ont pas dépassé le cercle étroit de personnes tenues au secret de fonction, lesquelles étaient parfaitement conscientes des circonstances particulières dans lesquelles les allégations étaient formulées et en mesure de prendre du recul par rapport à celles-ci, ce qui fût effectivement le cas, les paroles incriminées n'ayant pas été protocolées au procès-verbal.

Il en résulte que la mise en cause n'a pas agi sans motif suffisant, si bien que la question des preuves libératoires au sens de l'art. 173 ch. 2 CP se pose.

À cet égard, le recourant se borne à affirmer que les allégations de son épouse ne correspondraient pas à la vérité et ne seraient pas crédibles.

Or, afin de démontrer que ses propos étaient conformes à la réalité et/ou qu'elle les avait tenus de bonne foi, la mise en cause a produit différentes pièces, susceptibles d'étayer ses dires. En particulier, une procédure pénale (P/1______/2023) a été ouverte, le 6 juillet 2023, contre A______ pour viol, à la suite d'une dénonciation du SEASP, auprès duquel B______ s'était confiée à ce sujet. Le fait que cette procédure ait abouti à une ordonnance de non-entrée en matière n'est à cet égard pas significatif, au vu des motifs ayant conduit à cette décision, tenant non pas à l'absence de réalisation des éléments constitutifs des infractions dénoncées, mais à celle de l'absence de déclaration de la partie plaignante qui n'a pas souhaité déposer plainte contre son époux pour préserver leurs enfants. De plus, la mise en cause avait précédemment fait part au médecin qui l'examinait, lors d'une consultation aux HUG, de mêmes faits. Celle-ci avait donc évoqué le fait d'avoir subi un rapport sexuel non consenti, à différents interlocuteurs, bien avant de le relater lors de l'audience civile du 2 mai 2024. Cet élément permet, par conséquent, de retenir que l'intéressée avait, de bonne foi, des raisons sérieuses de tenir ses allégations à ce sujet pour vraies.

Par ailleurs, s'agissant de ses allégations en lien avec le souhait du recourant d'empoisonner son nouveau compagnon, elle s'est fondée sur les confidences de son fils aîné [également relatées à la curatrice]. Le recourant admet du reste avoir "explosé de colère" devant leurs enfants et en avoir fait part à différents intervenants. Il paraît ainsi envisageable que le fils aîné des parties ait pu rapporter à sa mère des propos inadéquats prononcés par son père.

L'on ne distingue dès lors pas dans les propos de la mise en cause de volonté de porter atteinte au recourant, mais plutôt de faire cesser des comportements qu'elle percevait de bonne foi comme inadéquats, de sorte qu'une intention de nuire fait manifestement défaut.

Partant, au vu des circonstances précitées, la preuve de la bonne foi – qui se distingue de la preuve de la vérité – peut être considérée comme apportée et les propos tenus par la mise en cause ne peuvent être réprimés par l'art. 173 CP, ni a fortiori par l'art. 174 CP. La continuation de la poursuite ne se justifie donc pas.

4. Justifiée, l'ordonnance querellée sera ainsi confirmée.

5. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 1'300.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

6. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 1'300.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Sandro COLUNI, greffier.

 

Le greffier :

Sandro COLUNI

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/11060/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'215.00

Total

CHF

1'300.00