Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/547/2025 du 15.07.2025 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/10683/2025 ACPR/547/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 15 juillet 2025 |
Entre
A______, actuellement détenue à la prison de Champ-Dollon, représentée par Me B______, avocat,
recourante,
contre l'ordonnance de refus d'exécution anticipée de peine rendue le 10 juin 2025 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. Par acte déposé le 23 juin 2025, A______ recourt contre l'ordonnance du 10 juin 2025, communiquée par pli simple et reçue le lendemain selon elle, par laquelle le Ministère public a rejeté sa demande d'exécution anticipée de sa peine.
La recourante conclut, sous suite de frais, à l'annulation de cette décision et à ce que l'exécution anticipée de sa peine soit ordonnée, avec tous les aménagements utiles pour pallier l'éventuel risque de collusion.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. A______ a été arrêtée le 15 novembre 2024. Sa mise en détention provisoire, ordonnée par le Tribunal des mesures de contrainte (ci-après, TMC) le 17 novembre 2024, a été régulièrement prolongée depuis lors, la dernière fois jusqu'au 15 septembre 2025.
b. Elle est prévenue de vol en bande et par métier (art. 139 al. 1 et 2 let. a et b CP), de dommages à la propriété (art. 144 al. 1 CP) et de violation de domicile (art. 186 CP), commis à réitérées reprises, ainsi que d'infraction à la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (art. 115 al. 1 let. a LEI) pour avoir, à Genève, de concert avec C______ et D______, commis de nombreux cambriolages, en particulier :
- le 3 mars 2023, entre 13h30 et 16h30, pénétré sans droit et contre la volonté de l'ayant droit dans l'appartement de E______ sis à la rue 1______ no. ______, 2ème étage, en arrachant le cylindre de la porte palière, et d'y avoir dérobé quatre montres (F______, G______, H______, I______ [marques]), divers bijoux et une console de jeux J______ avec deux jeux, pour un préjudice total de CHF 31'755.-, dans le but de s'approprier ces objets et de s'enrichir illégitimement de leur valeur (cas n° 1),
- le 3 mars 2023, entre 09h15 et 19h00, pénétré sans droit et contre la volonté de l'ayant droit dans l'appartement de K______, sis à la rue 2______ no. ______, 5ème étage, en arrachant le cylindre de la porte palière et en le laissant sur place, et d'y avoir dérobé CHF 380.- en espèces, EUR 250.- en espèces et une montre L______, pour un préjudice total de CHF 2'380.-, dans le but de s'approprier ces valeurs et objets et s'enrichir illégitimement (cas n° 2),
- le 31 mars 2023, entre 13h20 et 13h45, pénétré sans droit et contre la volonté de l'ayant droit dans l'appartement de M______, sis à la rue 3______ no. ______, 1er étage, par introduction furtive, la porte palière n'étant pas verrouillée, et d'y avoir dérobé une paire de baskets, un collier en or blanc, deux bagues en or et une en argent, une montre N______ et deux montres O______ pour un préjudice total de CHF 9'020.-, dans le but de s'approprier ces objets et de s'enrichir illégitimement de leur valeur (cas n° 3),
- entre le 3 mars 2023 à 11h30 et le 6 mars 2023 à 19h00, pénétré sans droit dans l'appartement de P______, sis rue 4______ no. ______, par arrachage du cylindre remis ensuite en place, et d'y avoir dérobé CHF 6'000.- en espèces, deux montres Q______ et R______, plusieurs bijoux en or avec diamants, saphir, rubis, perles etc. pour un préjudice total de CHF 28'000.- (cas n° 4),
- le 6 mars 2023 entre 7h45 et 21h30, pénétré sans droit dans l'appartement de S______, sis rue 5______ no. ______, en endommageant la porte palière par pesées d'outil plat, et d'y avoir dérobé USD 8'000.-, une montre T______, trois bagues en or, dont une avec émeraude, rubis et diamant et une enceinte U______ pour un préjudice total de CHF 15'000.- (cas n° 5),
- le 5 mars 2022 entre 15h15 et 18h00, pénétré sans droit dans l'appartement de V______ et W______ sis avenue 6______ no. ______, par effraction de la porte palière par multiples pesées d'outil plat, et d'y avoir dérobé CHF 10'000.-, trois montres en or (T______, X______ et Y______), une bague Z______, un bracelet en or et un pendentif T______, divers habits, couvertures, foulards, écharpes, sacs à main et sacs de voyage de marque de luxe (AA_____, etc.) pour un préjudice total de 279'989.- (cas n° 7),
- le 22 décembre 2023 entre 16h00 et 17h00, pénétré sans droit dans l'appartement de AB_____, sis route 7______ no. ______, par effraction de la porte palière par arrachage de cylindre lequel a été emporté et d'y avoir dérobé CHF 10'000.- et EUR 2'000.- , une montre AC_____ en or, plusieurs bijoux en or et diamants, plusieurs sacs de marque (Z______, AA_____, AD_____, AE_____ etc.), plusieurs vestes de valeur, plusieurs coffrets de parfum, les passeports suisses et libanais de la lésée, une carte bancaire AF_____ et deux clés du coffre AF_____, pour un préjudice total de CHF 481'923.- au minimum (cas n° 8),
- le 16 janvier 2023 entre 12h27 et 12h51, pénétré sans droit dans l'appartement de AG_____, sis rue 8______ no. ______, en retirant le judas de la porte palière puis en forçant la porte palière par pesées au moyen d'un outil plat et y avoir dérobé du numéraire, deux montres (AH_____ et X______), plusieurs bijoux, de la maroquinerie, accessoires et chaussures de marques de luxe ainsi qu'un porte-monnaie et son contenu pour un total de CHF 128'567.- (cas n° 9).
Il lui est également reproché d'avoir pénétré sur le territoire suisse à tout le moins aux dates susmentionnées en violation des prescriptions sur l'entrée fixées à l'art. 5 LEI, soit dans l'unique but de commettre des infractions contre le patrimoine, de sorte qu'elle présentait une menace pour l'ordre public et la sécurité en Suisse.
c. Après avoir été confrontée aux éléments matériels du dossier la mettant en cause, l'intéressée a admis, de manière générale, les faits reprochés.
d. Entendue par la police le 27 mars 2025 au sujet du cas n° 9 nouvellement identifié, la prévenue l'a contesté avant de l'admettre – confrontée au fait qu'un hit ADN avait été mis en exergue – tout en refusant de fournir l'identité de ses deux complices – visibles sur les images extraites de la vidéosurveillance de l'immeuble (cf. ordonnance de prolongation de la détention provisoire rendue par le TMC le 11 juin 2025), étant relevé que C______ et D______ ont contesté avoir agi à cette occasion (cf. rapport de renseignements du 28 mars 2025).
e. Par courrier du 3 juin 2025, reçu le lendemain par le Ministère public, la prévenue, par la voix de son conseil, a sollicité l'exécution anticipée de sa peine privative de liberté. Elle avait perdu son enfant en détention puis entamé une grève de la faim. Elle ne supportait plus d'être enfermée en cellule 23 heures sur 24.
f. À teneur de l'ordonnance du TMC du 11 juin 2025 précitée, laquelle a prolongé la détention provisoire de la recourante jusqu'au 15 septembre 2025, l'instruction se poursuivait à l'égard de la prévenue – dont la présente procédure avait été disjointe de la P/9______/2023 concernant C______ et D______, laquelle a été clôturée le 30 juin 2025 –, le Ministère public restant dans l'attente du résultat des commissions rogatoires décernées en France, puis devant entendre la prévenue et se déterminer sur la suite de la procédure.
Il existait par ailleurs toujours un risque de collusion vis-à-vis tant des co-prévenues que de tiers potentiellement impliqués dans les cambriolages et/ou l'écoulement de l'important butin, ainsi que sous la forme de disparition de preuves, puisque nombre d'objets volés n'avaient pas été retrouvés.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public relève que le risque de collusion ne pouvait être écarté que dans un établissement destiné à la détention provisoire. Ce risque perdurait avec des personnes tierces impliquées dans les cambriolages et le sort important des butins. Des investigations se poursuivaient justement pour déterminer l'ampleur de l'activité délictuelle de la prévenue et de comparses.
D. a. À l'appui de son recours, A______ expose avoir reconnu le nouveau cas n° 9, de sorte qu'un risque de collusion en ce qui le concernait n'existait pas. L'instruction était à un stade avancé. Si d'autres cas devaient être révélés, ils le seraient sans doute à la faveur d'un hit ADN et non par les actes d'instruction que le Ministère public entendait encore mettre en œuvre. Il n'existait plus de risque de collusion avec les co-prévenues, la mesure d'isolement ayant été levée le 6 décembre 2024. Ces dernières avaient déjà été renvoyées en jugement et se trouvaient en exécution anticipée de peine. S'agissant des faits qu'elle reconnaissait, elle avait agi systématiquement en compagnie d'acolytes, lesquels, s'ils n'étaient pas déjà détenus, disposaient très vraisemblablement des mêmes informations qu'elle concernant le butin qui demeurait introuvable. Quand bien même un risque de collusion devrait être retenu, il n'atteindrait pas un degré propre à justifier de lui refuser l'exécution anticipée de peine. Une telle mesure se justifiait d'autant plus qu'elle souffrait particulièrement de sa détention, dès lors qu'elle était claustrophobe et séparée de son enfant en bas âge. Sa santé tant physique que psychique se dégradait de jour en jour.
b. À réception, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 90 al. 2, 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP; M. NIGGLI / M. HEER / H. WIPRÄCHTIGER (éds), Strafprozessordnung - Jugendstrafprozessordnung, Basler Kommentar StPO/JStPO, 2ème éd., Bâle 2014, n. 12 ad art. 393; cf. aussi ACPR/176/2021 du 16 mars 2021) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. La recourante reproche au Ministère public d'avoir refusé sa demande d'exécution anticipée de sa peine.
3.1. Selon l'art. 236 al. 1 CPP, la direction de la procédure peut autoriser le prévenu à exécuter de manière anticipée une peine privative de liberté ou une mesure entraînant une privation de liberté si le stade de la procédure le permet. L'exécution anticipée des peines et des mesures est, de par sa nature, une mesure de contrainte qui se classe à la limite entre la poursuite pénale et l'exécution de la peine. Elle doit permettre d'offrir à l'accusé de meilleures chances de resocialisation dans le cadre de l'exécution de la peine avant même l'entrée en force du jugement (ATF 133 I 270 consid. 3.2.1 p. 278). En vertu de l'art. 236 al. 4 CPP, le prévenu est soumis au régime de l'exécution de la peine dès son entrée dans l'établissement, sauf si le but de la détention provisoire ou de la détention pour des motifs de sûreté s'y oppose (arrêts du Tribunal fédéral 1B_426/2012 du 3 août 2012 consid. 2.1; 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et les arrêts cités).
Le "stade de la procédure" permettant l'exécution de peine de manière anticipée correspond au moment à partir duquel la présence du prévenu n'est plus immédiatement nécessaire à l'administration des preuves, ce qui est en principe le cas lorsque l'instruction est sur le point d'être close (A. KUHN / Y. JEANNERET / C. PERRIER DEPEURSINGE, Commentaire romand: Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 236; arrêt du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 consid. 3 et la référence citée).
Même après ce stade, l'exécution anticipée de la peine doit être refusée lorsqu'un risque élevé de collusion demeure de sorte que le but de la détention et les besoins de l'instruction seraient compromis si le régime de l'exécution anticipée devait être mis en œuvre. Il appartient alors à l'autorité de démontrer que les circonstances particulières du cas d'espèce font apparaître un danger concret et sérieux de manœuvres propres à entraver la manifestation de la vérité, en indiquant, au moins dans les grandes lignes et sous réserve des opérations à conserver secrètes, quels actes d'instruction elle doit encore effectuer et en quoi le régime d'exécution de peine du prévenu, même avec les mesures possibles de l'art. 236 al. 4 CPP, en compromettrait l'accomplissement (arrêt du Tribunal fédéral 1B_107/2020 du 24 mars 2020 consid. 2.1).
Un risque de collusion justifiant un refus d'exécution anticipée de peine demeure lorsque le fonctionnement concret d'une bande n'a pas pu être établi (arrêts du Tribunal fédéral 1B_415/2012 du 25 juillet 2012 et 1B_107/2020 du 24 mars 2020) ou parce que le prévenu conteste avec véhémence les graves accusations portées contre lui, le risque de collusion demeurant ainsi jusqu'à l'audience de jugement, moment où les preuves essentielles et décisives doivent être administrées (arrêt du Tribunal fédéral 1B_400/2017 du 18 octobre 2017).
3.2. En l'espèce, la recourante conteste tout risque de collusion.
Or, celui-ci a été retenu de manière constante par le TMC dans ses ordonnances, que la recourante n'a pas contestées, la dernière fois le 11 juin 2025.
Elle admet, pour les cas de cambriolages qu'elle reconnaît, avoir agi avec des acolytes, dont elle refuse de fournir l'identité, étant relevé que s'agissant du cas n° 9, tant C______ que D______ ont contesté avoir été présentes à cette occasion.
Au contraire de la procédure dirigée contre ses co-prévenues – désormais disjointe – l'instruction de la présente procédure diligentée contre la recourante n'est pas encore terminée, le Ministère public restant dans l'attente du résultat de commissions rogatoires décernées en France, lesquelles seraient susceptibles de mettre en évidence de nouveaux cas à imputer à l'intéressée (cf. à ce propos son courrier du 3 juin 2025). Sa situation diffère donc de celle de ses co-prévenues.
Quand bien même on considérerait que le risque de collusion entre la recourante et ses co-prévenues serait considérablement amoindri, voire aurait disparu, ce risque subsisterait néanmoins avec les tiers impliqués non identifiés (comparses ayant agi avec la prévenue ou auprès desquels le butin conséquent – non retrouvé – aurait été acheminé).
Dans ces circonstances, le risque de collusion – retenu régulièrement par le TMC – reste tangible.
Or, le régime de l'exécution anticipée des peines n’offre pas les garanties suffisantes à cette fin, en l'absence de contrôles possibles des contacts avec l'extérieur (censure du courrier, contrôle des téléphones et des visites).
La situation physique et psychique de la recourante en détention, telle que décrite par elle, ne justifie pas de s'écarter de ces principes, le service médical de la prison étant, le cas échéant, en mesure de prendre les dispositions nécessaires.
4. Justifiée, la décision querellée sera donc confirmée.
5. La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 900.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03). En effet, l'autorité de recours est tenue de dresser un état de frais pour la procédure de deuxième instance, sans égard à l'obtention de l'assistance judiciaire (arrêts du Tribunal fédéral 1B_372/2014 du 8 avril 2015 consid. 4.6 et 1B_203/2011 du 18 mai 2011 consid. 4).
6. Il n'y a pas lieu d'indemniser à ce stade le défenseur d'office (art. 135 al. 2 CPP).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Met à la charge de A______ les frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 900.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante (soit, pour elle, son défenseur) et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Séverine CONSTANS, greffière.
La greffière : Séverine CONSTANS |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/10683/2025 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 815.00 |
Total | CHF | 900.00 |