Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/163/2025 du 28.02.2025 sur ONMMP/2504/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/12278/2023 ACPR/163/2025 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 28 février 2025 |
Entre
A______, ______, agissant en personne,
recourant,
contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 6 juin 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte déposé le 24 juin 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 6 juin 2024, notifiée le 14 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte du 4 juin 2023 contre B______ [de son vrai nom, B______, ci-après B______].
b. Le recourant a été dispensé de verser les sûretés (art. 383 CPP).
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. La Dre B______ est responsable du programme C______ (ci-après, PC______) [auprès de] D______.
b. Lorsqu'il travaillait pour la société E______, A______ a fonctionné comme interprète ______ pour le PC______, avant d'être licencié en 2020.
c. Par lettre datée du 4 juin 2023, reçue au greffe du Ministère public le 7 suivant, A______ a déposé plainte pénale contre B______, pour diffamation et calomnie.
En janvier 2023, il avait reçu un avertissement écrit de son employeur [F______], lui interdisant de collaborer avec l'un de leurs clients [D______] à cause d'une "dénonciation". Le 6 mars 2023, la F______ l'avait informé, par courriel, que le motif invoqué concernerait une faute grave ainsi que le piratage d'un dossier confidentiel qu'il aurait commis avant son engagement. Il avait appris de sa hiérarchie, à la fin du mois de mai 2023, que B______ était l'auteur de ces "calomnies".
Il a également déposé plainte contre la F______ qui s'était "permis[e] de communiquer le contenu du courriel de B______ [à] certains autres collaborateurs pour, manifestement, propager lesdites fausses accusations".
d. Lors de son audition à la police, le 14 août 2023, A______ a retiré sa plainte contre son employeur mais confirmé celle déposée contre B______.
Il a produit à la police le courriel du 6 mars 2023, dans lequel la F______ refusait, pour des raisons de confidentialité, de lui remettre le mail de D______ du 7 décembre 2022, mais acceptait de lui en communiquer le contenu ainsi libellé :
"Pour info, il [A______] a été licencié pour faute grave par E______ et a également porté plainte contre D______ au nom d'un patient [du programme] PC______, mais sans que ce patient soit au courant des faits et en "piratant" ses données via l'ancêtre de CARA (dossier électronique du patient). Je te demande d'assurer qu'il ne travaille jamais [auprès de] D______, et d'annuler toute consultation déjà réservée avec lui.".
e. Entendue à la police le 7 octobre 2023, B______ a contesté les faits reprochés. A______ était un très bon interprète et elle lui avait même établi une lettre de recommandation. En 2021, un patient afghan s'était plaint de l'inaction d'un socio-thérapeute de D______. Confronté au contenu de ladite plainte, ce patient avait indiqué ne pas en être l'auteur, précisant que A______ lui avait fait signer des documents en français, sans qu'il ne les comprenne. Après avoir appris que le précité avait été engagé comme interprète par la F______, elle avait envoyé, le 7 décembre 2022, un courriel [qu'elle a remis à la police] à la responsable de l'interprétariat de D______ pour l'informer que "A______, l'interprète de ______ qui avait été licencié pour faute grave par E______ et qui avait également porté plainte contre D______ au nom d'un patient PC______, mais sans que ce patient soit au courant des faits et en "piratant" ses données via l'ancêtre de CARA, est maintenant engagé par la F______".
Elle avait fait cette démarche car il lui semblait "curieux que A______ puisse traduire pour la F______ vu son licenciement de chez E______". Son but était que le précité "n'intervienne plus pour le PC______, notamment pour protéger les patients qui sont dépendants du service des interprètes pour comprendre [leurs] propos [et qui] sont extrêmement vulnérables".
Elle n'avait pas écrit elle-même à la F______. C'était sa collègue qui l'avait fait en reprenant, sans doute, une partie de son propre message.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public retient que le courriel litigieux n'avait pas été envoyé à la F______ par B______, mais par la responsable du service de l'interprétariat de D______. Par ailleurs, le contenu dudit courriel n'était pas de nature à porter atteinte à l'honneur de l'intéressé. En tout état, B______ avait agi dans le cadre de sa fonction et ses propos avaient, tout au plus, porté atteinte au crédit professionnel en tant qu'interprète du plaignant, sans le faire passer pour un individu méprisable. Dans ces circonstances, les conditions des infractions de diffamation et de calomnie n'étaient pas réunies.
D. a. Dans son recours, A______ reproche au Ministère public de ne pas lui avoir donné l'occasion de se déterminer et d'avoir retenu seulement la version de la mise en cause et celle de "sa complice", considérant que la première n'avait nullement prouvé que c'était la seconde qui aurait transmis le "courriel calomniateur" à son employeur. En décembre 2022, B______ avait porté contre lui "une accusation honteuse" – reprise "mot pour mot" dans le courriel litigieux – en affirmant qu'il avait été licencié par E______ pour faute grave et avait déposé plainte contre D______ "en piratant les données d'un patient". La précitée avait agi "dans l'unique but de porter atteinte à [son] honneur et de faire rompre les relations de travail". Ses agissements et "le courriel calomniateur" avaient provoqué son licenciement en septembre 2023 et depuis lors, il vivait dans une précarité extrême.
b. À réception, le recours a été gardé à juger, sans échange d’écritures ni débats.
EN DROIT :
1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émane du plaignant qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), dispose d'un intérêt juridiquement protégé pour agir (art. 382 al. 1 CPP).
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement irrecevables ou mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP). Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant se plaint d'une violation de son droit d'être entendu.
3.1. Si le ministère public considère qu'une ordonnance de non-entrée en matière doit être rendue, il n'a pas à informer les parties de son choix puisque l'art. 318 CPP n'est pas applicable dans une telle situation; le droit d'être entendu des parties sera assuré, le cas échéant, dans le cadre de la procédure de recours contre l'ordonnance de non-entrée en matière. Cette procédure permet aux parties de faire valoir tous leurs griefs – formels et matériels – auprès d'une autorité disposant d'une pleine cognition en fait et en droit. Inversement, faute d'ouverture d'instruction, le droit de participer à l'administration des preuves ne s'applique en principe pas, et ce y compris en cas d'investigations policières diligentées à titre de complément d'enquête requis par le ministère public en vertu de l'art. 309 al. 2 CPP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_496/2018 du 6 septembre 2018 consid. 1.3).
3.2. Au vu de ce qui précède et compte tenu du fait que le recourant a pu faire valoir tous ses moyens dans le cadre de son recours, le grief sera rejeté.
4. Le recourant reproche au Ministère public de ne pas être entré en matière sur sa plainte.
4.1. Selon l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.
4.2. Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1; arrêt du Tribunal fédéral 6B_196/2020 du 14 octobre 2020 consid. 3.1).
4.3.1. L'art. 173 ch. 1 CP réprime le comportement de quiconque, en s'adressant à un tiers, accuse une personne ou jette sur elle le soupçon de tenir une conduite contraire à l'honneur, ou de tout autre fait propre à porter atteinte à sa considération, de même que quiconque propage une telle accusation ou un tel soupçon.
4.3.2. L'honneur protégé par le droit pénal est conçu de façon générale comme un droit au respect, qui est lésé par toute assertion propre à exposer la personne visée au mépris en sa qualité d'homme (ATF 145 IV 462 consid. 4.2.2; ATF 137 IV 313 consid. 2.1.1; ATF 132 IV 112 consid. 2.1). La réputation relative à l'activité professionnelle ou au rôle joué dans la communauté n'est pas pénalement protégée. Il en va ainsi des critiques qui visent comme tels la personne de métier, l'artiste ou le politicien, même si elles sont de nature à blesser et à discréditer (ATF 119 IV 44 consid. 2a; ATF 105 IV 194 consid. 2a).
4.3.3. Le fait d'accuser une personne d'avoir commis un crime ou un délit intentionnel entre dans les prévisions de l'art. 173 ch. 1 CP (ATF 132 IV 112 consid. 2.2;
118 IV 248 consid. 2b; arrêt du Tribunal fédéral 6B_138/2008 du 22 janvier 2009 consid. 3.1).
4.3.4. Le prévenu n'encourra aucune peine s'il prouve que les allégations qu'il a articulées sont conformes à la vérité ou qu'il avait des raisons sérieuses de les tenir de bonne foi pour vraies (art. 173 ch. 2 CP); il ne sera cependant pas admis à faire ces preuves s’il s’est exprimé sans motif suffisant et a agi principalement pour dire du mal d’autrui (art. 173 ch. 3 CP).
4.3.5. Lorsque la preuve de la bonne foi est apportée, l'accusé doit être acquitté (ATF 119 IV 44 consid. 3).
4.4. La calomnie (art. 174 CP) est une forme qualifiée de diffamation, dont elle se distingue par le fait que les allégations attentatoires à l'honneur sont fausses (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1215/2020 du 22 avril 2021 consid. 3.1), que l'auteur a connaissance de la fausseté de ses allégations et qu'il n'y a, dès lors, pas de place pour les preuves libératoires prévues par l'art. 173 CP (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1286/2016 du 15 août 2017 consid. 1.2).
4.5. En l'occurrence, la mise en cause a communiqué les allégations querellées à sa collègue, soit à un tiers au sens de la jurisprudence. Si celles-ci ont ensuite été transmises à l'employeur du recourant, cela ne saurait lui être imputé.
L'allégation selon laquelle le recourant aurait été licencié, en 2020, pour faute grave porte uniquement sur ses compétences professionnelles, ce qui n'est pas constitutif d'atteinte à l'honneur. Ce fait est par ailleurs avéré et non contesté.
Les autres agissements mentionnés – soit qu'en 2021, l'intéressé se serait fait passer pour un patient du PC______ dont il aurait préalablement "piraté" les données dans le système informatique de D______ – en tant qu'ils sont susceptibles d'être constitutifs d'un comportement pénalement répréhensible (éventuellement art. 143bis, 179novies ou 179decies CP), sont dès lors propres à jeter le soupçon d'une conduite contraire à l'honneur du recourant et porter ainsi atteinte à sa considération au sens des normes applicables.
Ceci étant, au vu des circonstances du cas d'espèce, on ne saurait affirmer que la mise en cause aurait agi dans le but principal de dire du mal d'autrui. Les propos litigieux ont été formulés à la suite d'un entretien avec un patient, lequel avait fait état d'un comportement problématique du recourant qui avait déposé plainte à son nom et à son insu après avoir piraté ses données dans la base de données de D______. Elle avait alors répercuté ces informations à la responsable de l'interprétariat dans le but que l'intéressé ne puisse plus fonctionner comme interprète dans son service, son seul souhait étant de protéger ses patients en raison de leur vulnérabilité.
Partant, au vu des circonstances précitées, la preuve de la bonne foi peut être considérée comme apportée et les propos tenus par la mise en cause ne peuvent être réprimés par l'art. 173 CP, ni a fortiori par l'art. 174 CP.
C'est donc à bon droit que le Ministère public n'est pas entré en matière sur la plainte déposée par le recourant.
5. Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.
6. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 700.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP; E 4 10.03).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 700.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, au recourant et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.
La greffière : Arbenita VESELI |
| La présidente : Daniela CHIABUDINI |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/12278/2023 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 615.00 |
Total | CHF | 700.00 |