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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/173/2024

ACPR/151/2025 du 25.02.2025 sur ONMMP/5240/2024 ( MP ) , REJETE

Descripteurs : DÉCISION D'IRRECEVABILITÉ;INFRACTIONS CONTRE LE PATRIMOINE;VIOLATION DU SECRET DE FABRICATION OU COMMERCIAL;SECRET D'AFFAIRES;VIOLATION DU SECRET PROFESSIONNEL(DROIT PÉNAL)
Normes : CPP.310; CP.144; CP.144bis; CP.162; LEFin.69

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/173/2024 ACPR/151/2025

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 25 février 2025

 

Entre

A______ SA, représentée par Me Nicolas CANDAUX, avocat, BOREL & BARBEY, rue de Jargonnant 2, case postale 6045, 1211 Genève 6,

recourante,

contre l'ordonnance de non-entrée en matière rendue le 26 novembre 2024 par le Ministère public,

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 9 décembre 2024, A______ SA recourt contre l'ordonnance du 26 novembre 2024, notifiée le 28 suivant, par laquelle le Ministère public a refusé d'entrer en matière sur sa plainte.

La recourante conclut, avec suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public pour qu'il procède à divers actes d'instruction.

b. La recourante a versé les sûretés en CHF 2'000.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a.a. Le 28 décembre 2023, A______ SA (ci-après: A______), société active dans la gestion de fortune, a déposé plainte contre B______, ancienne employée, "ou contre tout autre éventuel auteur, complice ou instigateur" pour violation du secret commercial (art. 162 CP), détérioration de données (art. 144bis CP), violation du secret professionnel (art. 69 LEFin) "et/ou toute autre infraction que l'enquête pourrait révéler".

B______ avait travaillé pour elle du 1er juin 2011 au 31 mars 2022. Une clause de non-concurrence lui interdisait, pour une durée de 12 mois après la fin des rapports de travail, de contacter, démarcher ou de s'occuper, dans le cadre d'une entreprise concurrente, de tout client de A______ avec qui elle aurait été en contact dans les 12 mois précédant la fin de la relation de travail. Son contrat de travail impliquait également, au terme des relations contractuelles, l'obligation de restituer tout document – y compris d'éventuelles copies – ayant trait à A______, les sociétés du groupe ou des clients de ces dernières.

Peu de temps après que B______ avait mis un terme à son contrat et avait été engagée par C______ SA, société concurrente, certains clients, dont la prénommée s'était occupée, avaient quitté A______. Suspectant une violation de la clause de non-concurrence, la société avait saisi le Tribunal des prud'hommes (ci-après: TPH), et réclamé à son ancienne employée un montant total de CHF 1'146'383.- pour le dommage subi en violation du contrat de travail, en particulier, la clause de non-concurrence.

Dans le cadre cette procédure, le 16 novembre 2023, B______ avait déposé un mémoire de duplique, avec un chargé de pièces, dans lequel figuraient 11 pièces confidentielles et couvertes par le secret professionnel, qui n'auraient pas dû être en sa possession après la fin des rapports de travail.

Interpellée à l'époque, B______ avait contesté une quelconque violation d'une norme pénale, LEFin comprise. Alors que A______ lui avait demandé la restitution des documents lui appartenant, B______ les avait détruits, y compris les originaux, et avait signé une attestation indiquant qu'elle n'en avait plus en sa possession.

a.b. À l'appui de sa plainte, A______ a notamment produit les pièces en question en mettant en exergue les informations divulguées, confidentielles selon elles :

-          pièce n. 36 : l'identité d'un client, "D______", son lieu de résidence, au Zimbabwe, la stratégie et les opérations liées à la gestion des avoirs de ce client, ainsi que l'obtention de certains produits structurés;

-          pièce n. 37: des informations pouvant mener à l'identification d'un client – seules les initiales de l'expéditeur et des destinataires en copies sont visibles. Il ressort de ce courriel du 14 janvier 2022, adressé à B______, par un client [selon toute vraisemblance] que ce dernier avait été informé par une tierce personne "E______ [prénom]" qu'elle avait démissionné de A______ –;

-          pièce n. 38 : l'identité de clients, "F______" et "G______", ainsi que la stratégie et les opérations liées à la gestion de leurs avoirs;

-          pièce n. 39 : l'identité d'un client, "H______", ainsi que le nom du dossier "I______";

-          pièce n. 40 : l'identité d'un client, "D______", ainsi que la stratégie et les opérations liées à la gestion des avoirs de ce client;

-          pièce n. 41 : l'identité des clients "J______", "K______" et "L______", ainsi que les opérations liées à la gestion "du dossier";

-          pièce n. 42 : le nom des dossiers "M______" et "L______", l'identité d'un client, "K______", la stratégie et les opérations liées à la gestion des avoirs de ces dossiers, notamment la composition détaillée de certains investissements;

-          pièce n. 46 : le nom d'un dossier "I______", ainsi que les opérations à mener concernant la gestion de ce dossier;

-          pièce n. 47 : des informations concernant la rémunération et les fonctions d'une employée, "N______";

-          pièce n. 48 : des informations relatives à l'organisation interne de la société, notamment des problèmes structurels rencontrés à ce moment-là, dont le manque de personnel, le transfert d'employés, l'engagement de nouvelles personnes et le montant des salaires et des bonus, le nombre de relations clients gérées à Genève, ainsi que les problèmes de surmenage que rencontrait un employé, O______;

-          pièce n. 49 : le nombre de clients, ainsi que leurs identités, et/ou les noms attribués aux dossiers.

b. Par courrier du 11 janvier 2024, B______ a contesté la commission de toute infraction pénale, y compris au sens de la LEFin. Elle avait pris soin, avant de produire les pièces en question (majoritairement des courriels) par-devant le TPH, de les caviarder de manière à ne pas permettre l'identification des clients. Ces documents avaient servi sa défense face aux allégations formulées à son encontre par A______. En outre, sur demande de A______, elle avait détruit les courriels imprimés. Les "courriels originaux" étaient accessibles dans les bases de données de la société, et elle n'avait commis aucun acte qui aurait pu avoir un impact sur ceux-là.

c. Entendue, par la police, le 21 avril 2024, B______ a expliqué avoir travaillé pour A______ jusqu'au 31 mars 2022 et exercer désormais pour C______ SA. Elle avait quitté son précédent emploi en raison d'un épuisement professionnel. Elle avait commencé auprès de C______ SA dès juin 2022 avec un taux d'activité de 20%, ne se sentant pas capable de travailler davantage. Elle connaissait la gérante de la société et avait voulu tenter une collaboration. En octobre 2022, elle avait repris son activité professionnelle à 100%.

Les pièces litigieuses avaient été caviardées, de sorte qu'il était impossible d'y identifier les clients. Par rapport à la stratégie et aux opérations évoquées dans la pièce n. 38, dans la mesure où l'identification des personnes n'était pas possible, aucun secret n'avait été divulgué, d'autant moins que la stratégie datait de deux ans auparavant. "I______", "M______" et "L______" étaient des noms de code propres à A______ afin d'empêcher les tiers d'identifier les clients. Les pièces n. 46 à 48 étaient des documents internes sans rapport avec un client. La n. 47 ne constituait pas une information confidentielle. La n. 48 permettait d'étayer la réalité de son épuisement et son surmenage, lesquels étaient remis en cause par A______. Elle avait élaboré la n. 49 après son départ et aucun nom de client n'y figurait. Elle estimait la quantité de documents en sa possession à "quelques centaines". Ne possédant pas d'imprimante chez elle, elle les avait imprimés au bureau afin de pouvoir travailler à domicile. Sa manière de faire était connue de tout le monde. Jusqu'au 31 mars 2022, elle avait libre accès à toutes ces données tant sur son lieu de travail qu'à sa maison, via son ordinateur portable professionnel, qui était relié au serveur de la société. Durant le mois suivant, elle avait restitué le matériel électronique appartenant à A______, de sorte qu'elle n'avait plus eu accès aux données informatiques de la société. Elle avait oublié être en possession des documents papiers jusqu'à ce qu'elle regarde si, dans ses affaires, elle avait des éléments utiles à sa défense face aux reproches de son ancien employeur. Le seul document produit dont elle n'était ni l'auteur ni la destinataire lui avait été remis par une ancienne collègue, alors que cette dernière ne faisait déjà plus partie de A______, afin qu'elle puisse se défendre – il semble s'agir de la pièce n. 48 –. À réception du courrier de A______, elle avait détruit les documents en sa possession et en avait informé son ancien employeur. Les ayant caviardés, avant de les produire, elle n'avait, selon elle, violé aucun secret. Elle n'avait jamais utilisé ces pièces à d'autres fins que dans le cadre de la procédure prud'homale. Enfin, elle n'avait pas détruit la moindre donnée informatique liée à A______.

C. Dans sa décision querellée, le Ministère public a considéré que les éléments constitutifs des infractions des art. 144bis et 162 CP et 69 LEFin n'étaient pas réunis.

La plainte ne faisait référence, à aucun moment, à une modification, une suppression ou une mise hors d'usage d'une quelconque donnée enregistrée ou transmise électroniquement.

Les pièces litigieuses ne comprenaient aucune information ayant une incidence sur le résultat commercial de A______. Seuls certains prénoms de clients, voire uniquement leurs initiales, figuraient sur les courriels produits, ce qui ne les rendait pas identifiables pour les tiers. Ainsi, aucune intention ne pouvait être retenue contre B______.

Enfin, le TPH était une autorité judiciaire soumise au secret également. La production desdits documents ne visait pas la divulgation d'informations liées au contenu même de ceux-là, lesquels étaient dûment caviardés, mais l'appui en justice des allégations de B______, défenderesse dans la procédure initiée par A______.

D. a. Dans son recours, A______ rappelle que sa plainte portait sur le fait que B______ se "trouvait" indûment en possession de pièces confidentielles lui appartenant, alors que la prénommée était tenue de les restituer. En outre, cette dernière semblait en faire un usage prohibé, ne se limitant pas nécessairement à la procédure par-devant le TPH. Les pièces produites devant cette instance n'étaient qu'une illustration, de sorte que c'était à tort que le Ministère public s'était focalisé uniquement sur celles-là.

Il existait manifestement un soupçon que B______ avait pu faire usage des données couvertes par le secret commercial et par le secret professionnel dans un autre cadre que celui de la procédure par-devant les prud'hommes. La prénommée expliquait elle-même que les pièces en question ne représentaient qu'une "infime partie" de la documentation, en sa possession, appartenant à la société, quantité qu'elle [B______] estimait à "des centaines". Les circonstances du départ de B______ vers C______ SA, la préparation, plusieurs mois auparavant, et les déclarations contradictoires des précitées à cet égard auraient également dû être prises en compte. A______ avait dû faire face à une masse importante de résiliations de relations d'affaires, "durant cette même période", au profit de C______ SA. Or, il était pour le moins invraisemblable que, des clients aussi fortunés que ceux dont il était question, aient rejoint C______ SA, quelques jours seulement après la fin du contrat de travail de B______, sans auparavant, la présentation de cette société et l'assurance de la présence de la prénommée.

Le Ministère public avait, par ailleurs, omis de faire état de la pièce n. 42, dont l'identité de la personne ayant procédé à son impression était caviardée, de même que celle du destinataire, de l'objet du courriel et de la date à laquelle il avait été transmis.

Ainsi, c'était de manière prématurée et sur la base d'investigations lacunaires que le Ministère public avait retenu qu'aucune des infractions dénoncées n'était réalisée.

Le Ministère public aurait dû procéder aux investigations complémentaires suivantes: saisie du contenu des boîtes électroniques appartenant à B______, à savoir B______@hotmail.com et B______@C______.ch; nouvel interrogatoire de B______; et séquestre de tout support de données (laptop, ordinateur, tablette, téléphone portable, clé usb, etc.) utilisé par B______ ou toute personne impliquée dans la commission des infractions susmentionnées.

Au surplus, elle avait évoqué la possibilité que des infractions avec les "centaines de documents" avaient pu être perpétrées par des tiers. Aucune investigation n'avait pourtant été menée sur cet aspect. Une non-entrée en matière n'était dès lors pas justifiée à cet égard et un complément d'investigation devait être mené, en particulier: la saisie du contenu de la boite électronique P______@gmail.com, messagerie électronique sur laquelle une ancienne employée, E______, avait, le 9 mars 2022, transféré un échange électronique interne à A______, qui, le 21 mars 2023, avait été, à nouveau, transféré sur l'adresse E______@gmail.com (cf. pièce n. 48); et l'interrogatoire de E______ en lien avec la pièce n. 48.

Enfin, au vu des éléments dénoncés, soit la destruction des documents appartenant à A______ par B______, cette dernière avait également violé l'art. 144 CP (dommages à la propriété), ce que le Ministère public avait omis, à tort, d'analyser.

b. À réception des sûretés, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1, 90 al. 2 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la plaignante qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. b CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).

Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.

3.             3.1. À teneur de l'art. 310 al. 1 let. a CPP, le ministère public rend immédiatement une ordonnance de non-entrée en matière s'il ressort de la dénonciation ou du rapport de police que les éléments constitutifs de l'infraction ou les conditions à l'ouverture de l'action pénale ne sont manifestement pas réunis.

Conformément à cette disposition, la non-entrée en matière est justifiée lorsque la situation est claire sur le plan factuel et juridique. Tel est le cas lorsque les faits visés ne sont manifestement pas punissables, faute, de manière certaine, de réaliser les éléments constitutifs d'une infraction, ou encore lorsque les conditions à l'ouverture de l'action pénale font clairement défaut. Au stade de la non-entrée en matière, on ne peut admettre que les éléments constitutifs d'une infraction ne sont manifestement pas réalisés que lorsqu'il n'existe pas de soupçon suffisant conduisant à considérer un comportement punissable ou lorsqu'un éventuel soupçon initial s'est entièrement dissipé. En revanche, si le rapport de police, la dénonciation ou les propres constatations du ministère public amènent à retenir l'existence d'un soupçon suffisant, il incombe en principe à ce dernier d'ouvrir une instruction (art. 309 al. 1 let. a CPP). Cela implique que les indices de la commission d'une infraction soient importants et de nature concrète, ce qui n'est pas le cas de rumeurs ou de suppositions. Le soupçon initial doit reposer sur une base factuelle plausible, laissant apparaître la possibilité concrète qu'une infraction ait été commise (ATF 141 IV 87 consid. 1.3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_488/2021, 6B_496/2021 du 22 décembre 2021 consid. 5.3 ; 6B_212/2020 du 21 avril 2021 consid. 2.2). Dans le doute, lorsque les conditions d'une non-entrée en matière ne sont pas réalisées avec une certitude absolue, l'instruction doit être ouverte (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1 ; 138 IV 86 consid. 4.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_488/2021, 6B_496/2021 du 22 décembre 2021 précité consid. 5.3; 6B_212/2020 du 21 avril 2021 précité consid. 2.2).

Il doit ainsi être certain que les faits ne sont pas punissables, ce qui est notamment le cas lorsque le litige est d'ordre purement civil (ATF 137 IV 285 consid. 2.3; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1076/2014 du 7 octobre 2015 consid. 2.6; 1B_111/2012 du 5 avril 2012 consid. 3.1).

3.2. L'art. 162 CP punit, sur plainte, quiconque révèle un secret de fabrication ou un secret commercial qu'il est tenu de garder en vertu d'une obligation légale ou contractuelle, et quiconque utilise cette révélation à son profit ou à celui d'un tiers.

3.2.1. Le secret commercial englobe les informations qui peuvent jouer un rôle sur le résultat commercial, notamment les fournisseurs et les clients, l'organisation interne – à l'exclusion toutefois d'un cartel illicite –, les stratégies commerciales et les plans d'entreprise, les listes de clients et autres relations commerciales (ATF 142 II 268 consid. 5.2.4; ATF 109 Ib 47 consid. 5c; 103 IV 283 consid. 2b).

3.2.2. Le comportement punissable visé par l'art. 162 al. 1 CP consiste à rendre le secret accessible à un tiers non autorisé. Il est ainsi nécessaire que l'auteur soit tenu au secret, c'est-à-dire que l'information lui ait été confiée par une personne autorisée et qu'il doive, en vertu d'une obligation légale ou contractuelle, la maintenir secrète (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 23 ss ad art. 162).

Selon la jurisprudence, lorsque l'accès aux informations est licite, notamment dans le cadre de l'exécution d'un contrat de travail, seule une sanction civile fondée sur la clause générale (art. 2 LCD auquel ne renvoie pas l'art. 23 LCD) peut donc entrer en considération, l'application de l'art. 162 CP (violation du secret de fabrication ou du secret commercial) étant par ailleurs exclue lorsque la personne tenue au secret utilise les informations à son propre profit (ATF 109 Ib 47 consid. 5c; arrêts du Tribunal fédéral 6B_201/2021 du 6 septembre 2021 consid. 4.1 et 6P.137/2006 du 23 novembre 2006 consid. 6.1 et 6.3).

3.2.3. Il s'agit d'une infraction intentionnelle. L'intention de l'auteur doit porter sur le fait de communiquer un secret à une personne non autorisée et, en conséquence, de violer ainsi les devoirs lui incombant. En particulier, il doit donc avoir conscience du caractère secret de l'information transmise (arrêt du Tribunal fédéral 1B_284/2012 du 29 octobre 2012 consid. 4.2; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 15 ad art. 162).

3.3. L'art. 69 al. 1 LEFin punit quiconque, intentionnellement, révèle un secret qui lui a été confié ou dont il a eu connaissance en sa qualité d'organe, d'employé, de mandataire ou de liquidateur d'un établissement financier (let. a); tente d'inciter autrui à commettre une telle violation du secret professionnel (let. b); révèle à d'autres personnes un secret qui lui a été confié en violation de la let. a ou exploite ce secret à son profit ou au profit d'un tiers (let. c).

3.4. L'art. 144bis CP punit quiconque, sans droit, modifie, efface ou met hors d'usage des données enregistrées ou transmises électroniquement.

L’infraction concerne les données enregistrées ou transmises électroniquement ou selon un mode similaire (ces notions étant les mêmes que celles de l'art. 143 CP; A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 2 ad art. 143 et n. 2 ad art. 144bis).

Les mots « données transmises » désignent, en marge des « données enregistrées », les informations « lors de la phase de transmission ». La protection pénale n’est cependant donnée qu’à partir du moment où les informations ont été – en quelque sorte au préalable – « informatisées », soit introduites dans un système de traitement de données. Toutefois, cette phase de saisie des données fait elle-même aussi l’objet de la protection pénale. La donnée doit se trouver au départ ou parvenir au sein d’un système informatique (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), op. cit., n. 5 ad art. 143).

3.5. L’art. 144 al. 1 CP réprime le comportement de quiconque endommage, détruit ou met hors d'usage une chose, soit appartenant à autrui, soit frappée d'un droit d'usage ou d'usufruit au bénéfice d'autrui.

La protection pénale est donnée même aux choses objectivement sans valeur économique ou esthétique. Seul l'intérêt légitime du lésé est toutefois protégé. Il faut ainsi réserver la faculté de déclarer la plainte abusive si elle est déposée par pure chicane, la modification étant insignifiante ou ne présentant manifestement que des avantages (B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, Berne 2010, n. 20-21 ad art. 144).

3.6. En l'espèce, la recourante considère que la mise en cause avait détenu des "centaines" de documents confidentiels lui appartenant de manière indue, qu'elle aurait utilisés de manière contraire aux art. 162 CP et 69 LEFin.

3.6.1. Tout d'abord, il est relevé que la seule possession de tels documents ne contrevient pas aux dispositions précitées et, pourrait, tout au plus, éventuellement constituer une violation des normes contractuelles conclues entre les parties, à l'exclusion de toute norme pénale.

3.6.2. L'obtention desdits documents par la mise en cause durant ses rapports de travail avec la recourante, a fortiori des informations qu'ils contenaient, apparaît licite. Rien ne permet en effet d'infirmer les explications de l'intéressée, selon lesquelles, elle les avait imprimés dans le cadre de son activité, afin de pouvoir travailler à domicile. La recourante ne conteste pas non plus que son ancienne employée avait accès informatiquement aux données clients de la société via son ordinateur professionnel et à domicile grâce à une connexion à distance. Ce constat s'applique également à la pièce n. 42, malgré les doutes émis par la recourante, dans la mesure où la mise en cause était l'une des personnes impliquées dans la discussion. Pour ce qui est du document transmis par une ancienne collègue – vraisemblablement la pièce n. 48 –, les échanges datent de mars 2022, soit une période à laquelle la mise en cause exerçait encore au sein de la recourante et avait accès aux informations. À cet égard également, la norme pénale est exclue.

3.6.3. Pour ce qui est des documents produits par-devant le TPH, ils sont caviardés, de sorte qu'à leur lecture, seuls des prénoms ou des initiales, voire des mots de codes sont lisibles, lesquels ne permettent pas à des tiers de connaître l'identité des clients concernés, ni celle des destinataires ou auteurs des échanges en question, y compris mis en lien avec les éventuelles autres informations figurant dans les courriels.

Partant, les pièces litigieuses – qui sont principalement des échanges de courriels émanant de la mise en cause ou adressés à elle – ne sont pas propres à révéler de secret au sens des normes pénales précitées.

On rappellera que ces pièces ont été spontanément produites par la mise en cause devant la juridiction des prud'hommes pour se défendre, dans le cadre de la procédure dirigée à son encontre par son ancien employeur. Ce faisant, la mise en cause a pris soin au préalable de caviarder les informations qu'elle estimait confidentielles. On peine au demeurant à penser qu'elle aurait pris le risque de divulguer des informations couvertes par le secret commercial devant son propre employeur. C'est dès lors à juste titre que le Ministère public a retenu l'absence d'intention de divulgation d'un secret, même par dol éventuel, de la mise en cause.

3.6.4. Par ailleurs, hormis les soupçons émis par la recourante, étayés par aucun élément probant, il n'existe aucun indice au dossier que la mise en cause aurait, en particulier, transféré ou divulgué à des tiers non autorisés des "centaines" de documents couverts par le secret qu'elle aurait eu ou aurait encore en sa possession, de sorte qu'une prévention suffisante d'infractions aux art. 162 CP et 69 LEFin fait défaut.

Ce constat demeure même au regard de l'allégation de la perte de certains clients de la recourante au profit de C______ SA, que, là-encore, aucune preuve au dossier ne permet de corroborer. D'ailleurs quand bien même tel aurait été le cas, cela ne signifie pas pour autant que son origine serait une révélation de secrets par la mise en cause. Il ressort en effet de la pièce n. 37 que, à tout le moins, certains clients de A______ avaient été informés du départ de B______, sans que cette dernière soit à l'origine de la nouvelle. Du reste, le fait d'avertir les clients dont elle s'occupait, de son futur départ, ne signifie pas pour autant que la mise en cause aurait tenté de les démarcher.

Les circonstances du changement d'emploi de la mise en cause, notamment les quelques mois entre les deux emplois, ne permettent pas non plus d'affirmer ni même de soupçonner qu'elle aurait révélé à son nouvel employeur des secrets commerciaux sur la recourante. L'argumentation de cette dernière s'épuise à cet égard en de pures conjectures qu'aucun élément au dossier ne vient corroborer.

Au vu de ce qui précède, les actes d'enquête sollicités ne sont pas de nature à apporter des éléments complémentaires probants. En particulier, ceux en lien avec les messageries électroniques privées de la mise en cause pourraient même s'apparenter à de la recherche indéterminée de preuve, prohibée par l'art. 197 CPP, aucun élément objectif au dossier ne permettant de soupçonner que l'intéressée aurait transféré ou reçu des informations ne serait-ce que professionnelles via ces canaux. Il en va de même pour l'ensemble du matériel informatique lui appartenant. Pour ce qui est enfin des actes d'enquête en lien avec E______, il est relevé que le seul échange de courriels transféré à la mise en cause n'a pas été considéré comme contrevenant à une norme pénale (cf. supra).

3.7. La recourante reproche également à la mise en cause la destruction de documents lui appartenant.

3.7.1. Au vu de la nature des pièces litigieuses – version imprimées de courriels échangés entre la mise en cause et des clients de la recourante ou entre employés de celle-ci –, les documents en question ne constituent pas des données enregistrées ou transmises électroniquement au sens de l'art. 144bis CP. Il n'a par ailleurs jamais été reproché à la mise en cause la destruction des courriels informatiques, seul acte pouvant faire l'objet de la disposition précitée. Ainsi, l'infraction de détérioration de données n'est manifestement pas réalisée.

3.7.2. Il en va de même de celle de dommages à la propriété (art. 144 CP), à supposer que la recourante ait entendu viser cette disposition dans sa plainte pénale, ce qui n'est nullement évident, vu la disposition citée (art. 144bis CP). Conformément à la jurisprudence citée supra (cf. consid. 3.5.) et au vu de l'acte reproché, se pose la question de savoir dans quelle mesure la recourante aurait subi une atteinte à un intérêt légitime du fait de leur éventuelle destruction. Elle ne s'est jamais prévalue d'un tel intérêt qui, au vu des termes de sa plainte – laquelle vise plutôt la confiscation auprès de la mise en cause des informations contenues dans les échanges –, semble douteux. La protection d'un intérêt légitime prévue par l'art. 144 CP n'apparaît ainsi pas manifeste, dans le cas d'espèce (cf. dans ce sens ACPR/509/2016 du 16 août 2016 consid. 5.2.). D'autant moins que l'éventuelle destruction décriée n'aurait pas eu pour conséquence de priver la recourante de la possibilité d'accéder aux courriels et documents informatiques, ce qui n'est au demeurant pas contesté.

Ainsi, la décision de non-entrée en matière est justifiée, le litige entre les parties – relatif à la violation d'une éventuelle clause du contrat de travail liée avec une prohibition de faire concurrence – apparaissant de nature purement civile.

4.             Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée.

5.             La recourante, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 2'000.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).

* * * * *


 

 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Rejette le recours.

Condamne A______ SA aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 2'000.-.

Dit que ce montant sera prélevé sur les sûretés versées.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Madame Arbenita VESELI, greffière.

 

La greffière :

Arbenita VESELI

 

La présidente :

Corinne CHAPPUIS BUGNON

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).


 

P/173/2024

ÉTAT DE FRAIS

 

 

 

 


COUR DE JUSTICE

 

 

 

Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).

 

Débours (art. 2)

 

 

- frais postaux

CHF

10.00

Émoluments généraux (art. 4)

 

 

- délivrance de copies (let. a)

CHF

- délivrance de copies (let. b)

CHF

- état de frais (let. h)

CHF

75.00

Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13)

 

 

- décision sur recours (let. c)

CHF

1'915.00

Total

CHF

2'000.00