Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/837/2024 du 12.11.2024 sur OMP/19026/2024 ( MP ) , REJETE
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/24468/2020 ACPR/837/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du mardi 12 novembre 2024 |
Entre
A______, représenté par Me B______, avocate,
recourant,
contre l'ordonnance d'indemnisation rendue le 12 septembre 2024 par le Ministère public,
et
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimé.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 23 septembre 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 12 septembre 2024, notifiée le même jour, par laquelle le Ministère public lui a alloué une indemnité de CHF 1'696.30 pour les dépenses occasionnées par l'exercice raisonnable de ses droits de procédure, mais a refusé de l'indemniser pour son tort moral.
Le recourant conclut à l'annulation de l'ordonnance querellée et au versement d'une indemnité de CHF 3'702.15 (art. 429 al. 1 let. b CPP), correspondant à l'entier de son dommage économique et d'une indemnité de CHF 1'216.15 à titre de dépens dans le cadre du recours.
b. Le recourant a été dispensé de verser des sûretés (art. 383 CPP).
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Le 18 décembre 2020, le Ministère public a rendu une ordonnance pénale, notifiée le jour-même en mains propres à A______, condamnant notamment celui-ci à une amende de CHF 1'500.-.
b. L'amende n'ayant pas été acquittée, un commandement de payer a été adressé au recourant, dénommé également A______, lequel a formé opposition.
c. Par lettre du 1er mars 2022, celui-ci a demandé au Ministère public des explications sur les motifs à l'origine de l'amende. Le 4 suivant, l'ordonnance pénale du 18 décembre 2020 lui a été communiquée, avec la précision que l'envoi ne faisait pas office de nouvelle notification.
d. Par courrier de son conseil du 6 septembre 2022 au Ministère public, le recourant a indiqué ne pas être concerné par l'ordonnance pénale, laquelle devait être adressée "au bon destinataire".
e. Par courriel du 22 septembre 2023, son conseil a demandé à l'Office cantonal de la population et des migrations (ci-après: OCPM) de lui remettre les documents permettant de démontrer que son mandant n'avait pas été condamné.
f. Selon le courriel du 26 septembre 2023 de l'OCPM, transmis le lendemain au Ministère public par le conseil du recourant, ce dernier avait été auditionné en ses locaux le 18 août 2023 afin de déterminer son identité. À la suite de l'audition et après comparaison des photographies des documents d'identités (copie couleur), l'OCPM avait constaté qu'il s'agissait de deux personnes différentes.
g. Le conseil du recourant a fait part de ce qui précède au Service des contraventions par courrier du 29 septembre 2022 et relances des 6 avril et 27 septembre 2023.
h. Saisi par le Ministère public, le Tribunal de police a, dans son ordonnance du
5 octobre 2023, constaté qu'il n'y avait aucune raison de se distancer de la position de l'OCPM selon lequel il s'agissait de deux personnes différentes, de sorte que l'opposition formée par le recourant à l'ordonnance pénale du 18 décembre 2020 était irrecevable. La cause était renvoyée au Ministère public pour suite utile.
i. Par courrier du 6 octobre 2023 et relances des 9 avril et 28 août 2024, le recourant a requis le versement d'une indemnité pour ses frais de défense et le préjudice économique subi et a produit à cet égard une note d'honoraires de son conseil pour un montant de CHF 3'702.15. Il a également conclu à l'allocation d'une indemnité pour tort moral de CHF 1'000.-, la procédure pénale ayant généré un stress considérable, dès lors qu'il avait été "aux prises avec une autorité déterminée à le condamner sans l'entendre pour une infraction infamante contre la foi publique".
À l'appui, il produit sa note finale d'honoraires pour 6h45 d'activité, dont 1h35 relative à la procédure de mainlevée, une "conférence en l'étude" de trente minutes trois jours avant l'audience civile et CHF 200.- de déplacement au Tribunal civil. Son conseil a également envoyé six courriers au Ministère public, dont un mémo et trois courriers de relance, et trois courriers au service des contraventions, dont deux courriers de relance.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Ministère public a retenu qu'il se justifiait d'octroyer à l'intéressé une indemnité de CHF 1'696.30 (TVA incluse) au titre de frais de défense (art. 429 al. 1 let. a CPP), correspondant à 3h30 d'activité à CHF 450.- de l'heure (tarif associé). La note d'honoraires fournie paraissait excessive compte tenu des démarches nécessaires à l'exercice raisonnable de ses droits de procédure.
Aucune indemnité n'était due pour la réparation de son tort moral (art. 429 al. 1 let. c CPP), faute d'atteinte à sa personnalité et le précité n'ayant pas démontré en quoi l'instruction pénale lui aurait fait subir un dommage important, ni le lien de causalité entre la procédure et le stress évoqué.
D. a. Dans son recours, A______ invoque une violation de l'art. 429 al. 1 let. b CPP. Il avait droit au remboursement de l'entier de son dommage en relation causale avec la procédure pénale dans laquelle il avait été impliqué par erreur. Une procédure de mainlevée avait notamment été intentée à son encontre et abouti à un déboutement, l'autorité étant arrivée également à la conclusion qu'il n'était pas le débiteur désigné dans le titre de mainlevée (JTPI/12225/2023 du 23 octobre 2023).
Deux juges (Tribunal de police et Tribunal civil) avaient ainsi dû se pencher sur le dossier, avant que le Ministère public ne renonce à le poursuivre. Plusieurs courriers avaient dû être adressés au Service des contraventions et au Ministère public. Enfin, il n'avait pas sollicité d'indemnité pour tort moral, de sorte que le Ministère public ne devait pas analyser l'octroi d'une indemnité sous cet angle (art. 429 al. 1
let. c CPP), mais sous celui du dommage économique (art. 429 al. 1 let. b CPP).
b. À réception du recours, la cause a été gardée à juger sans échange d'écritures, ni débats.
EN DROIT :
1. 1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP) et concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP).
1.2. Ont qualité de parties à la procédure, les tiers touchés par des actes de procédure (art. 105 al. 1 let. f CPP), mais pour autant qu'ils soient directement touchés dans leurs droits par des actes ou décisions de l'autorité (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 2 ad art. 105). La qualité de partie, et donc, en principe, aussi la qualité pour recourir (art. 382 CPP), est alors reconnue à ces participants, dans la mesure nécessaire à la sauvegarde de leurs intérêts (art. 105 al. 2 CPP).
1.3. En principe, les prétentions des tiers en indemnisation sont réglées dans le cadre de la décision finale. Lorsque le cas est clair, le ministère public peut les régler déjà au stade de la procédure préliminaire (art. 434 al. 2 CPP).
1.4. En l'espèce, il ressort du dossier que, selon les diverses autorités, le recourant n'est pas le prévenu, mais un tiers. Le Ministère public rejette, dans sa décision déférée, une partie de l'indemnisation sollicitée par celui-ci. Une décision finale ayant déjà été rendue dans la procédure au fond contre le prévenu concerné, soit l'ordonnance pénale du 18 décembre 2020, c'est à juste titre que le Ministère public a rendu une ordonnance séparée afin de traiter de l'indemnisation du recourant.
Le recours est donc recevable.
2. La Chambre pénale de recours peut décider d'emblée de traiter sans échange d'écritures ni débats les recours manifestement mal fondés (art. 390 al. 2 et 5 a contrario CPP).
Tel est le cas en l'occurrence, au vu des considérations qui suivent.
3. Le recourant critique le refus du Ministère public de lui allouer diverses indemnités.
3.1. Aux termes de l'art. 434 al. 1 CPP, les tiers qui, par le fait d'actes de procédure ou du fait de l'aide apportée aux autorités pénales, subissent un dommage ont droit à une juste compensation si le dommage n'est pas couvert d'une autre manière, ainsi qu'à une réparation du tort moral, notion qui inclut les frais de défense engagés par leurs soins (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1210/2017 du 10 avril 2018 consid. 4.1).
3.2. La notion de juste compensation du dommage de l'art. 434 al. 1 CPP se réfère aux principes généraux du droit de la responsabilité civile, à l'instar de ce qui prévaut pour l'indemnisation du prévenu (art. 429 ss CPP). Il s'agit en principe d'une pleine indemnité pour les inconvénients subis. Le dommage susceptible d'être compensé consiste dans une diminution du patrimoine du tiers lésé, qui pourra être matérielle, économique ou encore provoquée par les frais de défense et de procédure engagés pour faire valoir ses droits (WEHRENBERG/FRANK, in Basler Kommentar, Schweizerische Strafprozessordnung/Jugendstrafprozessordnung, 2e éd., 2014, n° 10 ad art. 434 CPP; MIZEL/RÉTORNAZ, in Commentaire romand, Code de procédure pénale, 2011, nos 8 ss ad art. 434 CPP).
Selon le message du Conseil fédéral, l'État ne prend en charge les frais de défense que si l'assistance d'un avocat était nécessaire compte tenu de la complexité de l'affaire en fait ou en droit et que le volume de travail et donc les honoraires étaient ainsi justifiés (FF 2006 1313 ch. 2.10.3.1; cf. ATF 142 IV 45 consid. 2.1 p. 47). L'indemnisation des dépenses du prévenu pour un avocat couvre les honoraires, à la condition que le recours à celui-ci procède d'un exercice raisonnable des droits de procédure. Pour déterminer si l'assistance d'un avocat est nécessaire, l’on gardera à l'esprit que le droit pénal (matériel et de procédure) est complexe et représente, pour des personnes qui ne sont pas habituées à procéder, une source de difficultés ; celui qui se défend seul est susceptible d'être moins bien loti. L’on doit donc tenir compte, outre de la gravité de l'infraction et de la complexité de l'affaire en fait et/ou en droit, de la durée de la procédure ainsi que de son impact sur la vie personnelle et professionnelle du prévenu (ATF 142 IV 45 consid. 2.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_706/2021 du 20 décembre 2021 consid. 2.1.1).
Ces principes sont applicables par analogie à la fixation de l'indemnité au tiers lésé (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1360/2016 du 10 novembre 2017, consid. 6.2.).
3.3. Le tiers lésé doit apporter la preuve du dommage qu'il allègue et de son lien de causalité avec un acte de procédure de l'autorité pénale ou du fait de l'aide apportée à cette dernière (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 11 ad art. 434).
3.4. En l'espèce, le recourant étant un tiers, son indemnisation doit être analysée sous l'angle de l'art. 434 CPP.
Le recourant sollicite une indemnité pour dommage économique de CHF 3'102.15 dans laquelle serait comprise la participation pour ses frais de défense. Pour ce second aspect, il a produit une note d'honoraires pour une activité de 6h45, dont 1h35 relative à la procédure de mainlevée, une "conférence en l'étude" de trente minutes trois jours avant l'audience civile et CHF 200.- de déplacement au Tribunal civil. Dans un premier temps, il sera relevé que l'activité du conseil dans le cadre de la procédure civile ne peut pas faire l'objet d'une indemnisation par l'autorité pénale. Le temps consacré au litige civil ne doit dès lors pas être pris en compte dans le calcul de l'indemnité, puisqu'il s'agit d'une autre procédure.
De plus, la procédure ne porte pas sur des aspects juridiques complexes, mais sur le fait de savoir s'il existait deux homonymes "A______" ou s'il s'agissait de la même personne. Tant le Tribunal civil que le Tribunal de police ont été en mesure, en se basant sur les constatations de l'OCPM, de retenir qu'il s'agissait de deux personnes différentes. Ainsi, il ne peut être retenu que la procédure revêtait une complexité telle que l'intervention d'un avocat était indispensable pour toutes les démarches et à tous les stades de la procédure. Il ressort au demeurant du dossier que le recourant a été en mesure d'écrire lui-même au Ministère public et d'expliquer la situation à l'OCPM, qui avait pu constater qu'il n'était pas la personne faisant l'objet de l'ordonnance pénale, information que son conseil a transmise au Ministère public.
S'il est vrai que la procédure devant cette autorité a été d'une certaine durée, il n'en demeure pas moins que l'activité du conseil du recourant a en grande partie consisté en la rédaction de courriers de relance et de mémos, tant au Ministère public (quatre courriers sur six) qu'au Service des contraventions (deux courriers de relance sur trois). Ces courriers n'ont pas été déterminants dans l'issue du litige, contrairement à l'audition du recourant par l'OCPM.
Il convient également de réduire le temps de consultation du dossier au Ministère public (30 minutes), suivie d'une "Etude du dossier" (20 minutes) et d'un "Travail sur dossier" (20 minutes). En effet, le dossier est constitué d'une unique fourre et la seule question à déterminer était de savoir si le recourant était bien la personne à laquelle il convenait d'adresser l'ordonnance pénale, soit une question de fait et simple.
Ainsi, au vu de ce qui précède, l'activité du conseil du recourant ne saurait dépasser une durée de 3h30, laquelle permet de tenir compte de son intervention, soit un montant de CHF 1'696.30 (TVA incluse) au vu de la complexité du dossier, du fait qu'aucune audience n'a été convoquée et que la majorité des courriers était constituée de simples relances. L'ordonnance devra dès lors être confirmée sur ce point.
3.5. Le recourant reproche ensuite au Ministère public d'avoir analysé ses prétentions sous l'angle du tort moral au lieu du dommage économique.
Or, dans sa demande d'indemnisation du 6 octobre 2023, le recourant a requis le paiement d'une indemnité de CHF 1'000.- à titre de tort moral pour le stress subi, laquelle a été refusée, à raison, faute d'atteinte à sa personnalité, le recourant n'ayant pas démontré en quoi l'instruction pénale lui aurait fait subir un dommage important, ni le lien de causalité entre la procédure et le stress évoqué. C'est ainsi à juste titre que le Ministère public a analysé et rejeté ce point.
S'agissant du dommage économique, le recourant n'explique pas quel aurait été le dommage subi, mis à part ses frais d'avocat. Or, le fardeau de la preuve lui incombait, selon les principes sus-rappelés. Il ne produit en particulier aucun document permettant d'établir qu'il aurait subi, par exemple, des pertes de salaires. Il n'a de plus dû assister à aucune audience et il n'allègue pas avoir fait face à d'autres frais (de déplacement ou de logement par exemple).
Dans ces circonstances, l'autorité intimée était fondée à rejeter sa demande d'indemnisation pour dommage économique et tort moral.
Justifiée, l'ordonnance querellée sera donc confirmée et le recours rejeté.
4. Le recourant, qui succombe, supportera les frais envers l'État, fixés en totalité à CHF 600.- (art. 428 al. 1 CPP et 13 al. 1 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale, RTFMP ; E 4 10.03).
5. Corrélativement, aucun dépens ne lui sera alloué (ATF 144 IV 207 consid. 1.8.2).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Rejette le recours.
Condamne A______ aux frais de la procédure de recours, arrêtés à CHF 600.-.
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour lui son conseil, et au Ministère public.
Siégeant :
Madame Corinne CHAPPUIS BUGNON, présidente; Mesdames Valérie LAUBER et Françoise SAILLEN AGAD, juges; Monsieur Julien CASEYS, greffier.
Le greffier : Julien CASEYS |
| La présidente : Corinne CHAPPUIS BUGNON |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).
P/24468/2020 | ÉTAT DE FRAIS |
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COUR DE JUSTICE
Selon le règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais en matière pénale (E 4 10.03).
Débours (art. 2) | | |
- frais postaux | CHF | 10.00 |
Émoluments généraux (art. 4) | | |
- délivrance de copies (let. a) | CHF | |
- délivrance de copies (let. b) | CHF | |
- état de frais (let. h) | CHF | 75.00 |
Émoluments de la Chambre pénale de recours (art. 13) | | |
- décision sur recours (let. c) | CHF | 515.00 |
Total | CHF | 600.00 |