Décisions | Chambre pénale de recours
ACPR/758/2024 du 18.10.2024 sur OTDP/1196/2024 ( TDP ) , ADMIS/PARTIEL
république et | canton de Genève | |
POUVOIR JUDICIAIRE P/4717/2022 ACPR/758/2024 COUR DE JUSTICE Chambre pénale de recours Arrêt du vendredi 18 octobre 2024 |
Entre
A______, représentée par Me B______, avocate,
recourante,
contre l'ordonnance rendue le 22 mai 2024 par le Tribunal de police,
et
LE TRIBUNAL DE POLICE, rue des Chaudronniers 9, 1204 Genève - case postale 3715, 1211 Genève 3,
LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,
intimés.
EN FAIT :
A. a. Par acte expédié le 31 mai 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 22 mai 2024, notifiée le 24 suivant, par laquelle le Tribunal de police a pris acte du retrait de l'opposition formée contre l'ordonnance pénale du 14 juin 2022 et dit que cette ordonnance était assimilée à un jugement entré en force.
La recourante conclut à ce que C______ soit condamné à lui verser, à titre d'indemnités pour les honoraires de son conseil, CHF 4'873.- pour la procédure de première instance, CHF 3'360.70 pour la procédure de recours, à ce qu'elle soit autorisée à augmenter ses conclusions en cours d'instance, à ce qu'un délai lui soit octroyé pour déposer sa note d'honoraires pour la procédure de recours et à la confirmation de l'ordonnance entreprise pour le surplus, subsidiairement, à ce que la cause soit renvoyée au Tribunal de police pour qu'il statue à nouveau sur le sort des honoraires de son avocat.
b. La recourante a versé les sûretés en CHF 800.- qui lui étaient réclamées par la Direction de la procédure.
B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :
a. Par ordonnance du 30 octobre 2018, le Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant (ci-après, TPAE), ratifiant un accord conclu entre A______ et C______, a notamment condamné celui-ci à verser en mains de celle-là, par mois et d'avance, la contribution d'entretien fixée à CHF 1'754.- par mois due en faveur de leur fils, D______, né le ______ 2016.
b. Le 9 décembre 2021, A______ a déposé plainte pénale contre C______, lui reprochant d'avoir, du mois de mars 2021 au mois de janvier 2022, omis de lui verser intégralement, par mois et d'avance, les contribution d'entretien dues selon la décision précitée, alors qu'il en avait les moyens ou aurait pu les avoir, le montant total des impayés pour la période précitée s'élevant à CHF 4'251.52.
c. Entendu par la police le 31 janvier 2022, C______ a reconnu ne pas s'être acquitté de l'intégralité des contributions dues, expliquant avoir subi une baisse de son salaire à la suite d'une réinsertion professionnelle et ne plus avoir été en mesure de s'acquitter du montant initialement fixé par le TPAE.
d. Par ordonnance pénale du 14 juin 2022, le Ministère public a déclaré C______ coupable de violation d'une obligation d'entretien (art. 217 al. 1 CP) en lien avec les faits susvisés. Ce dernier y a fait opposition le 27 suivant.
e. Entendu par le Ministère public le 26 septembre 2022, C______ a confirmé ses déclarations à la police, tout en les précisant.
f. Par ordonnance du 14 octobre 2022, le Ministère public a maintenu son ordonnance pénale et transmis la procédure au Tribunal de police.
g. Le 30 janvier 2023, le Tribunal de police a convoqué les parties à une audience de jugement fixée le 11 mai 2023 et leur a imparti un délai au 13 avril 2023 pour présenter et motiver leurs éventuelles réquisitions de preuve.
h. Le 12 avril 2023, A______ a produit diverses pièces en lien avec la procédure civile C/1______/2021 l'opposant à C______, censées démontrer que ce dernier était bel et bien en mesure de s'acquitter du paiement des contributions d'entretien.
i. Lors de l'audience du 11 mai 2023, C______ a sollicité la suspension de l'instance au vu de la procédure civile pendante tendant à la modification des contributions d'entretien (C/1______/2021). Le Tribunal de police y a fait droit.
j. Le 8 février 2024, le Tribunal de police a ordonné la reprise de la procédure au vu du jugement rendu le 16 août 2023 par le Tribunal civil.
k. Par mandats de comparution des 4 mars et 3 avril 2024, le Tribunal de police a convoqué les parties à une audience de jugement fixée le 23 mai 2024 et leur a imparti un délai au 23 avril 2024 pour présenter et motiver leurs réquisitions de preuves. A______ était également invitée à produire, dans le même délai, ses éventuelles conclusions civiles, chiffrées et motivées, son attention étant attirée sur le fait que, passé ce délai, ses conclusions civiles seraient déclarées irrecevables.
l. Par courrier du 22 mai 2024, reçu le même jour au greffe universel du Pouvoir judiciaire, C______ a retiré son opposition.
m. Selon une note de la greffière du Tribunal pénal du 22 mai 2024, A______ a indiqué par téléphone persister dans l'intégralité de ses conclusions civiles et en particulier de ses conclusions en application de l'art. 433 CPP.
C. Dans l'ordonnance querellée, le Tribunal de police a pris acte du retrait de l'opposition, dit que celle-ci était assimilée à un jugement entré en force et mis les frais de la procédure, arrêtés à CHF 449.-, à la charge de C______. La question des conclusions civiles et indemnités de la partie plaignante n'a pas été abordée.
D. a. À l'appui de son recours, A______ fait grief au Tribunal de police d'avoir commis un déni de justice et violé l'art. 433 al. 1 let. a CPP en omettant de statuer sur sa demande d'indemnisation, chiffrée à 5'664.70, en couverture de ses frais d'avocat, conformément à l'art. 433 CPP.
La recourante produit trois notes d'honoraires: (i) la première, datée du 18 août 2023, justifiant l'activité déployée par son conseil pour la période du 22 novembre 2021 au 17 août 2023, d'un montant total de CHF 3'716.20 (TVA incluse), (ii) la deuxième, datée du 23 avril 2024, en lien avec l'activité de son conseil pour la période allant du 8 mars 2024 au 23 avril 2024, d'un montant total de CHF 1'948.50 (TVA incluse), (ii) la troisième enfin, datée du 31 mai 2024, relative à ses frais de défense dans le cadre de la procédure de recours, d'un montant total de CHF 1'945.80 (TVA incluse).
b. Le Tribunal de police relève que A______ n'avait pas fait valoir de prétentions civiles au sens de l'art. 433 CPP. Quand bien même son attention n'aurait pas été attirée sur son droit de réclamer une telle indemnité avant la prononcé d'une ordonnance pénale, il lui était loisible de contester cette décision par la voie de l'opposition, ce qu'elle n'avait pas fait, avec pour conséquence qu'elle était désormais forclose.
Il en allait différemment s'agissant de l'activité déployée postérieurement à la procédure préliminaire, A______ ayant droit à une indemnité à cet égard et le recours pouvait ainsi être partiellement admis en ce sens, étant toutefois précisé que les notes d'honoraires produites contenaient visiblement des échanges avec le Tribunal civil, lesquels n'avaient pas à être indemnisés par l'autorité pénale.
c. Le Ministère public s'en rapporte à justice, sans autre développement.
d. La recourante réplique brièvement, tout en produisant trois nouvelles notes d'honoraires.
Il ne lui appartenait pas de faire valoir ses prétentions en indemnisation avant même d'avoir été informée qu'une opposition à l'ordonnance pénale avait été formée ni de faire opposition "de son côté" faute d'avoir été sollicitée sur ses frais d'avocat. Le Ministère public aurait dû interpeller les parties à cet égard, ou à tout le moins lui allouer une indemnité équitable pour ses frais de défense.
La note d'honoraires relative à la période du 22 novembre 2021 au 17 août 2023 ne comportait qu'un poste relatif à l'activité déployée devant le Tribunal civil, de sorte que le montant de celle-ci pouvait être ramenée à CHF 3'357.-. Quant à la note d'honoraires relative à la période du 8 mars au 23 avril 2024, elle comportait également un poste relatif à la procédure civile et pouvait ainsi être réduite à CHF 1'516.-.
Ses frais de défense occasionnés par la procédure de recours s'élevaient désormais à CHF 3'360.70 TTC (5 heures et 20 minutes d'activité à CHF 400.-, 2 heures et 50 minutes d'activité à CHF 300.- et 14 minutes d'activité à CHF 150.-, frais forfaitaires en CHF 97.88), lesquels devaient lui être indemnisés en intégralité, même en cas d'admission partielle du recours.
EN DROIT :
1. Le recours a été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerne une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. b CPP) et émane de la plaignante (art. 104 al. 1 let. b CPP), qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à l'annulation ou à la modification de l'ordonnance querellée.
2. La recourante reproche au Tribunal de police d'avoir omis de statuer sur sa demande d'indemnisation pour ses frais de défense pour l'intégralité de la procédure.
2.1. L'art. 433 al. 1 CPP permet à la partie plaignante de demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure lorsqu'elle obtient gain de cause (let. a) ou lorsque le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 CPP (let. b). L'al. 2 prévoit que la partie plaignante adresse ses prétentions à l'autorité pénale; elle doit les chiffrer et les justifier. Si elle ne s'acquitte pas de cette obligation, l'autorité pénale n'entre pas en matière sur la demande. La partie plaignante obtient gain de cause au sens de l'art. 433 al. 1 CPP si les prétentions civiles sont admises et/ou lorsque le prévenu est condamné. Dans ce dernier cas, la partie plaignante peut être indemnisée pour les frais de défense privée en relation avec la plainte pénale (ATF 139 IV 102 consid. 4.1 et 4.3 p. 107 s.). La juste indemnité, notion qui laisse un large pouvoir d'appréciation au juge, couvre ainsi les dépenses et les frais nécessaires pour faire valoir le point de vue de la partie plaignante dans la procédure pénale. Il s'agit en premier lieu des frais d'avocat (arrêt 6B_495/2014 du 6 octobre 2014 consid. 2.1). L'art. 433 al. 2 CPP, qui impose à la partie plaignante de chiffrer et de justifier ses prétentions, s'explique par le fait que la maxime d'instruction ne s'applique pas, la partie plaignante devant demeurer active et demander elle-même une indemnisation, sous peine de péremption (arrêt 6B_965/2013 du 3 décembre 2013 consid. 3.1.2 et les références).
2.2. Lorsque le prévenu est condamné par ordonnance pénale, la partie plaignante obtient gain de cause en tant que demandeur au pénal. Conformément aux art. 353 al. 1 let. g et 416 CPP, en relation avec l’art. 433 al. 1 let. a CPP, elle doit être indemnisée de ses frais d’avocat privé occasionnés par la procédure pénale.
2.3. Selon l'art. 354 al. 1 let. b CPP, les autres personnes concernées peuvent former opposition contre l'ordonnance pénale. Ainsi, lorsque la partie plaignante estime que l'ordonnance pénale lui a, à tort, refusé totalement ou partiellement une indemnité, elle a qualité pour former opposition contre l'ordonnance pénale en tant qu'autre personne concernée au sens de cette disposition (ATF 139 IV 102 consid. 5.2 p. 109 s. et les références).
2.4. Aux termes de l’art. 356 CPP, lorsqu'il décide de maintenir l'ordonnance pénale, le Ministère public, ou l’autorité pénale compétente en matière de contraventions, transmet sans retard le dossier au tribunal de première instance en vue des débats. L'ordonnance pénale tient lieu d'acte d'accusation (al. 1). L'opposition peut être retirée jusqu'à l'issue des plaidoiries (al. 3).
2.5. En cas de retrait de l’opposition, l’ordonnance pénale entre en vigueur et acquiert autorité de chose jugée (Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 356 CPP).
Un retrait de l'opposition du prévenu condamné par ordonnance pénale implique que le plaignant a obtenu gain de cause, à tout le moins au pénal (cf. ACPR/265/2021 du 23 avril 2021 consid. 3.1 ; ACPR/74/2019 du 22 janvier 2019 consid. 3.4.1).
2.6. En l'espèce, la recourante n'a pas fait valoir de prétentions fondées sur l'art. 433 CPP par-devant le Ministère public. Certes, ce dernier devait l'interpeller avant de rendre son ordonnance (cf. arrêt du Tribunal fédéral 6B_549/2015 du 16 mars 2016 consid. 3.2). Cependant, la recourante n'a pas formé opposition à l'ordonnance pénale du 14 juin 2022, qui ne lui accordait aucune indemnité, alors que cette voie de droit était la seule qui lui était ouverte pour faire réparer cette omission (ATF 139 IV 102 consid. 5.2 p. 109 s. ; ACPR/265/2021 du 23 avril 2021 consid. 6). Dans ces circonstances, la recourante, forclose, ne pouvait prétendre à être indemnisée par le Tribunal de police pour ses frais de défense dans la procédure préliminaire.
La recourante a également sollicité une indemnité pour ses frais de défense occasionnés par la procédure devant le Tribunal de police, lequel devait être amené à trancher l'opposition du prévenu à l'ordonnance pénale. Or, le fait que ce dernier ait retiré son opposition le 22 mai 2024, soit avant l'audience de jugement du 23 suivant, ne dispensait pas cette autorité d'examiner les prétentions de la recourante, fondée sur l'art. 433 CPP. Cette dernière a obtenu gain de cause sur la culpabilité du prévenu par le fait même du retrait de l'opposition. De plus, elle a respecté l'obligation prévue à l'art. 433 al. 2 CPP pour obtenir l'indemnisation de ses frais d'avocat, en produisant une note d'honoraires détaillant la nature des prestations effectuées par son conseil et le temps consacré pour chacune d'elles.
Il s'ensuit que les conditions prévues à l'art. 433 CPP étaient réalisées, de sorte qu'il incombait au Tribunal de police, qui le reconnait, de statuer sur la demande d'indemnité formulée par la recourante pour ses frais de défense devant lui.
3. En définitive, le recours s'avère partiellement fondé. La cause sera donc renvoyée au Tribunal de police pour qu'il procède dans le sens de ce qui précède.
4. L'admission partielle du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 4 CPP). Ceux-ci seront, en conséquence, laissés à la charge de l'Etat et les sûretés versées, restituées à la recourante.
5. La recourante, partie plaignante, qui obtient partiellement gain de cause, a droit à une indemnité pour ses frais de défense, à la charge de l'État (art. 433 al. 1 let. a CPP, applicable en procédure de recours par renvoi de l'art. 436 al. 1 CPP).
Elle conclut à l'octroi d'une indemnité de CHF 3'360.70 TTC, correspondant à 5 heures et 20 minutes d'activité à CHF 400.-, 2 heures et 50 minutes d'activité à CHF 300.-, 14 minutes d'activité à CHF 150.-, ainsi qu'aux frais forfaitaires en CHF 97.88.
Le temps consacré à la procédure de recours apparaît néanmoins excessif, au vu du travail accompli (un mémoire de recours de 9 pages comprenant la page de garde et les conclusions et 6 pages de discussion juridique topique, ainsi qu'un mémoire de réplique de 2 pages) et de l'admission partielle de ses conclusions. Un montant de CHF 1'297.20, TVA incluse, correspondant à 3 heures d'activité au tarif horaire de CHF 400.- lui sera alloué, à la charge de l'État.
Il n'y a pas lieu d'y ajouter l'indemnité de CHF 97.88 à titre de frais forfaitaires réclamée, tel forfait ne se justifiant pas en instance de recours (cf. ACPR/762/2018 du 14 décembre 2018).
* * * * *
PAR CES MOTIFS,
LA COUR :
Admet partiellement le recours.
Renvoie la cause au Tribunal de police pour qu'il statue sur la demande d'indemnisation de A______ pour ses frais de défense devant lui.
Le rejette pour le surplus.
Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'Etat.
Invite les Services financiers du Pouvoir judiciaire à restituer à A______ les sûretés versées, en CHF 800.-.
Alloue à A______, à la charge de l'Etat, une indemnité de CHF 1'297.20 TTC, pour la procédure de recours (art. 433 CPP).
Notifie le présent arrêt, en copie, à A______, soit pour elle son conseil, au Ministère public et au Tribunal de police.
Siégeant :
Monsieur Christian COQUOZ, président; Madame Valérie LAUBER et Monsieur
Vincent DELALOYE, juges; Madame Olivia SOBRINO, greffière.
La greffière : Olivia SOBRINO |
| Le président : Christian COQUOZ |
Voie de recours :
Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.
Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).