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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/7300/2024

ACPR/715/2024 du 07.10.2024 sur OMP/16563/2024 ( MP ) , ADMIS

Descripteurs : ORDONNANCE PÉNALE;OPPOSITION TARDIVE;RESTITUTION DU DÉLAI;AFFECTION PSYCHIQUE;INVALIDITÉ(INFIRMITÉ)
Normes : CPP.94

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/7300/2024 ACPR/715/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du lundi 7 octobre 2024

 

Entre

 

A______, représentée par Me B______, avocate,

recourante,

 

contre l'ordonnance de refus de restitution de délai rendue le 8 août 2024 par le Ministère public,

 

et

 

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, 1213 Petit-Lancy - case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A. Par acte expédié le 19 août 2024, A______ recourt contre l'ordonnance du 8 précédent, notifiée le lendemain, par laquelle le Ministère public a refusé de lui restituer le délai d'opposition à l'ordonnance pénale du 25 mars 2024.

La recourante conclut, sous suite de frais et dépens, à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au Ministère public. Elle conclut également à ce qu'il soit constaté qu'elle plaide au bénéfice de l'assistance judiciaire.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 12 mars 2024, A______, âgée de 34 ans, s'est présentée spontanément au vieil hôtel de police en compagnie de sa mère, C______, pour déposer plainte à la suite d'une escroquerie sur internet. Son audition a duré de 16h02 à 17h27.

Elle a d'emblée indiqué souffrir d'un léger retard mental et être à l'AI à cause de cette pathologie. Elle travaillait comme nettoyeuse dans un atelier protégé.

En substance, au mois de décembre 2023, elle avait cherché à contracter un crédit afin de payer des frais d'avocat liés à sa séparation. Elle avait vu une petite annonce sur un réseau social et pris contact avec un individu se présentant comme un employé de D______.ch, un dénommé E______, titulaire d'un raccordement téléphonique allemand. Celui-ci lui avait accordé le crédit à condition qu'elle ouvre un compte auprès d'une banque autre que F______ – auprès de laquelle elle était cliente. Elle avait alors ouvert un compte auprès de G______. Le prénommé l'avait ensuite astucieusement amenée à lui transmettre de manière exclusive ses identifiants e-banking. Après quelque temps, la banque l'avait contactée pour lui signaler que son compte était bloqué en raison d'un grand nombre de signalements et de transactions suspectes. Elle avait demandé des explications à son interlocuteur qui avait justifié des "mises à jour" normales sur son compte. E______ lui avait ensuite demandé d'ouvrir de nouveaux comptes bancaires qui avaient à leur tour été bloqués pour les mêmes raisons. Elle n'avait jamais eu accès à ces comptes (cinq a minima ouverts auprès de différentes banques selon la police) ni constaté lesdites transactions. Finalement, une conseillère de la [banque] H______ lui avait "ouvert les yeux" sur le caractère frauduleux des demandes de E______. Elle s'était engagée à fermer ses comptes aussitôt sa plainte pénale déposée et avait demandé aux établissements bancaires concernés les relevés des transactions litigieuses, qu'elle a remis à la police.

Au vu desdits relevés et du caractère frauduleux des transactions y ayant transité, la police l'a alors entendue comme prévenue [le procès-verbal d'audition ne mentionne pas les faits et l'infraction – de blanchiment – qui lui sont reprochés], au cours d'une audition ayant duré de 17h32 à 17h58. L'intéressée a réitéré n'avoir aucune idée de ce qui se passait sur ses comptes, n'y ayant pas accès. Elle avait été crédule et n'avait à aucun moment pensé que les comptes ouverts pouvaient être utilisés par des escrocs.

Elle a en outre produit un certificat médical daté du 19 mars 2024 du Dr I______, psychiatre, attestant qu'elle était suivie par lui en ambulatoire dans un contexte de trouble neurodéveloppemental (retard mental léger). En raison de son handicap, elle pouvait avoir une compréhension limitée des risques dans les situations sociales, son jugement était immature et elle courait le risque d'être manipulée par les autres (crédulité).

b. Par ordonnance pénale du 25 mars 2024, le Ministère public a déclaré A______ coupable de blanchiment d'argent, la condamnant à une peine pécuniaire de 40 jours-amende à CHF 30.- le jour, avec sursis pendant 3 ans, et aux frais de la procédure arrêtés à CHF 510.-.

Dite ordonnance a été expédiée par voie postale, sous pli recommandé, le 9 avril 2024, et notifiée à l'intéressée le 11 suivant.

c. Par lettre du 27 juin 2024, Me B______, conseil de A______, a formé opposition à l'ordonnance pénale et sollicité une restitution du délai d'opposition. Sa cliente l'avait consultée quelques jours plus tôt à la permanence de J______ après avoir reçu l'amende en lien avec sa condamnation. Elle a produit un rapport médical non daté du Dr I______ décrivant les difficultés d'apprentissage et cognitives rencontrées par A______ depuis l'enfance, précisant que son QI était très faible par rapport à la norme. Son apparence ne trahissait pas son handicap (elle était agréable et soignée) mais de son discours émergeait assez vite une personnalité immature, crédule et naïve. Elle ne pouvait pas percevoir la portée de sa condamnation ni de l'ordonnance pénale avant de consulter un avocat, en raison d'une faible compréhension de ses obligations administratives. Une demande de curatelle avait été adressée au Tribunal de protection de l'adulte et de l'enfant.

d. Par ordonnance sur opposition tardive du 1er juillet 2024, le Ministère public a transmis la cause au Tribunal de police, tout en concluant à l'irrecevabilité de l'opposition.

e. À la même date, le Ministère public a ordonné une défense d'office en faveur de la précitée et désigné à ce titre Me B______, avec effet au 27 juin 2024.

f. Par ordonnance du 6 août 2024, le Tribunal de police a constaté que l'ordonnance pénale avait été valablement notifiée le 11 avril 2024 et que l'opposition, expédiée le 27 juin 2024, était tardive. Il convenait toutefois de renvoyer le dossier au Ministère public pour qu'il statue sur la demande de restitution du délai.

Cette décision n'a pas fait l'objet d'un recours.

C. Dans son ordonnance querellée, le Ministère public constate que le motif invoqué par la prévenue, soit qu'elle n'avait pas la capacité d'apprécier la portée de l'ordonnance pénale à réception de celle-ci, n'était pas de nature à justifier une restitution du délai d'opposition. L'intéressée devait, de bonne foi, s'attendre à recevoir un prononcé des autorités après sa récente audition par la police en qualité de prévenue. Le retard mental dont elle souffrirait ne l'empêchait pas de former opposition dans le délai et de comprendre les tenants et aboutissants de l'ordonnance pénale, ce d'autant qu'elle était suivie par un psychiatre. Il ressortait en outre de son audition à la police qu'elle avait pu s'exprimer de manière cohérente et compréhensible sur les faits, sans l'assistance d'un conseil. Enfin, elle n'était pas sous curatelle.

D. a. À l'appui de son recours, A______ se réfère au rapport médical du Dr I______ qu'elle avait déjà produit et en transmet un nouvel exemplaire désormais daté du 14 juin 2024, expliquant que l'oubli de la date avait été corrigé par le praticien. N'étant pas totalement capable de discernement, elle n'avait pas été en mesure de percevoir l'impact légal du contenu de l'ordonnance pénale ni la composante impérative du délai d'opposition. Elle s'était donc trouvée subjectivement dans l'impossibilité d'agir par elle-même ou de charger un tiers d'agir en son nom dans le délai imparti.

b. Le Ministère public conclut au rejet du recours et renvoie aux développements de son ordonnance.

c. La recourante n'a pas répliqué.

EN DROIT :

1.             Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 385 al. 1 et 396 al. 1 CPP), concerner une ordonnance sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 393 al. 1 let. a CPP) et émaner de la prévenue qui, partie à la procédure (art. 104 al. 1 let. a CPP), a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à la modification ou à l'annulation de la décision querellée (art. 382 al. 1 CPP).

2.             La recourante fait grief au Ministère public de ne pas lui avoir restitué le délai d'opposition.

2.1. Selon l'art. 94 CPP, une partie peut demander la restitution d'un délai imparti pour accomplir un acte de procédure si elle a été empêchée de l'observer et si elle est de ce fait exposée à un préjudice important et irréparable. Elle doit toutefois rendre vraisemblable que le défaut n'est imputable à aucune faute de sa part (al. 1).

La demande de restitution du délai doit être présentée dans les 30 jours qui suivent la fin de l'empêchement allégué (art. 94 al. 2 CPP).

2.2. La restitution de délai ne peut intervenir que lorsqu'un événement, par exemple une maladie ou un accident, met la partie objectivement ou subjectivement dans l'impossibilité d'agir par elle-même ou de charger une tierce personne d'agir en son nom dans le délai (arrêts du Tribunal fédéral 6B_401/2019 du 1er juillet 2019 consid. 2.3; 6B_365/2016 du 29 juillet 2016 consid. 2.1). Elle ne doit être accordée qu'en cas d'absence claire de faute. Il est ainsi exigé qu'il ait été absolument impossible à la personne concernée de respecter le délai ou de charger un tiers de faire le nécessaire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_125/2011 du 7 juillet 2011 consid. 1).

Par empêchement non fautif, il faut comprendre toute circonstance qui aurait empêché une partie consciencieuse d’agir dans le délai fixé (ACPR/196/2014 du 8 avril 2014). Il s'agit non seulement de l’impossibilité objective, comme la force majeure, mais également l’impossibilité subjective due à des circonstances personnelles ou à l’erreur due au comportement d'une autorité (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 94 CPP; ATF 96 II 262 consid. 1a).

L'impossibilité subjective doit s'apprécier selon des critères objectifs, c'est-à-dire en fonction de ce qui peut raisonnablement être exigé d'un plaideur ou d'un mandataire diligent. En toutes hypothèses, il doit exister un lien de causalité entre le motif invoqué et l’empêchement (F. AUBRY GIRARDIN / J.-M. FRÉSARD / P. FERRARI / A. WURZBURGER / B. CORBOZ, Commentaire de la LTF, Berne 2014, n. 7 ad art. 50).

Il existe un "préjudice important et irréparable" lorsque le fait d’avoir manqué le délai empêche la partie de faire valoir ses droits et que cette inobservation l’empêche également de les faire valoir ultérieurement dans la procédure (Y. JEANNERET/ A. KUHN/ C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), op. cit., n. 9 ad art. 94).

2.3. En l'espèce, il est constant – et non contesté – que la recourante a formé opposition après l'échéance du délai légal pour ce faire. Elle estime cependant avoir été subjectivement dans l'impossibilité d'agir dans le délai d'opposition, en raison de son incapacité, due à son retard mental, à comprendre les tenants et aboutissants de l'ordonnance pénale ainsi que la composante impérative du délai d'opposition.

Il ressort du rapport médical établi par le Dr I______ produit par la recourante que celle-ci souffre d'un retard mental léger. Toutefois, ce praticien indique également que son QI est très faible par rapport à la norme et, surtout, qu'elle ne pouvait percevoir la portée de l'ordonnance pénale compte tenu de sa faible compréhension de ses obligations administratives.

La validité dudit rapport, initialement non daté puis corrigé en ce sens, et de son contenu n'est pas remise en question par l'autorité intimée.

Si la recourante a certes été entendue comme prévenue par la police et devait a priori s'attendre à recevoir une décision de l'autorité, rien ne permet d'affirmer qu'elle ait réellement compris les enjeux de son audition à ce titre, eu égard à sa pathologie. Elle s'est en effet présentée spontanément à la police avec sa mère pour dénoncer les faits d'escroquerie dont elle avait été victime et c'est à la suite de ses déclarations que la police l'a auditionnée dans la foulée comme prévenue. Or, il n'apparaît pas à cette occasion qu'il lui ait été expliqué en quoi consistait l'infraction de blanchiment dont elle était désormais soupçonnée – celle-ci n'étant ni anodine ni peu complexe –, le procès-verbal d'audition ne mentionnant ni les faits ni l'infraction qui lui étaient reprochés. Du reste, la recourante s'est limitée à confirmer, lors de cette brève audition de 26 minutes [contre 1 heure et 25 minutes pour son audition comme plaignante], les déclarations faites précédemment, réitérant n'avoir aucune idée de ce qui se passait sur ses comptes, n'y ayant pas eu accès. Partant, on ne voit pas qu'elle ait davantage pu comprendre la teneur de l'ordonnance pénale la condamnant pour blanchiment à réception de celle-ci et, a fortiori, son droit d'y former opposition.

Selon le Ministère public, les déclarations claires de la recourante à la police, sans avocat, démontraient qu'elle aurait compris la nature des faits reprochés. On rappellera que l'intéressée s'est présentée spontanément à la police pour déposer plainte pénale pour escroquerie, avec sa mère, ce qui semble corroborer son besoin d'un soutien à cette occasion. En outre, s'il ressort du rapport médical produit que les signes de son handicap mental transparaissent assez vite dans son discours, sa capacité à s'exprimer n'est pas remise en cause, contrairement à ses capacités de compréhension.

Enfin, que la recourante ne soit pas (encore) sous curatelle ne permet pas de dénier son handicap, compte tenu du rapport médical produit.

Ce n'est qu'à réception de l'"amende" pour les frais de la procédure générés par l'ordonnance pénale que la recourante semble avoir pris la mesure de sa condamnation et a réagi en allant consulter une avocate à la permanence de J______.

On doit donc, avec la recourante, admettre qu’elle n’était, dans le délai d’opposition, soit du 12 au 22 avril 2024, pas en état d’agir, ni de charger quiconque de le faire à sa place.

Dans ces circonstances, la recourante a rendu vraisemblable avoir été empêchée, sans sa faute, de former opposition à l’ordonnance pénale dans le délai légal.

Conformément aux principes sus-évoqués, l’empêchement d’observer le délai d’opposition constitue un préjudice important et irréparable au sens de l’art. 94 al. 1 CPP.

Partant, le délai pour former opposition à l’ordonnance pénale doit être restitué à la recourante, étant précisé que sa demande a été formée dans le délai et conformément aux réquisits de l’art. 94 al. 2 CPP.

On relèvera encore que la pathologie de la recourante ayant été d'emblée annoncée par elle à la police et étant donc connue de l'autorité intimée, il aurait été judicieux que celle-ci, vu le contexte particulier, lui notifie l'ordonnance pénale en mains propres.

3. Fondé, le recours sera ainsi admis et l'ordonnance querellée, annulée. Le délai pour former opposition à l'ordonnance pénale du 25 mars 2024 sera restitué à la recourante et la cause retournée au Ministère public pour qu'il traite ladite opposition.

4. L'admission du recours ne donne pas lieu à la perception de frais (art. 428 al. 1 CPP).

5. La recourante plaide au bénéfice d'une défense d'office.

L'indemnité de son conseil sera fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et restitue à A______ le délai pour former opposition à l'ordonnance pénale du 25 mars 2024.

Retourne la cause au Ministère public pour qu'il statue sur l'opposition.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt, en copie, à la recourante, soit pour elle son conseil, et au Ministère public.

Siégeant :

Madame Daniela CHIABUDINI, présidente; Mesdames Corinne CHAPPUIS BUGNON et Valérie LAUBER, juges; Monsieur Xavier VALDES TOP, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES TOP

 

La présidente :

Daniela CHIABUDINI

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).