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Décisions | Chambre pénale de recours

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P/11065/2021

ACPR/678/2022 du 04.10.2022 sur OCJMI/84/2022 ( JMI ) , ADMIS

Descripteurs : CLASSEMENT DE LA PROCÉDURE;BRIGANDAGE;ASSISTANCE JUDICIAIRE;AGRESSION;PLAIGNANT
Normes : CPP.319; CP.140; PPMin.3; CPP.136; CP.134

république et

canton de Genève

POUVOIR JUDICIAIRE

P/11065/2021 ACPR/678/2022

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale de recours

Arrêt du mardi 4 octobre 2022

 

Entre

 

A______, domicilié ______[GE], comparant par Me K______, avocate, ______ GE,

recourant,

 

contre l'ordonnance de classement rendue le 20 avril 2022 par le Juge des mineurs,

 

et

 

B______, domicilié p. a. C______, ______[GE], comparant en personne,

LE JUGE DES MINEURS, rue des Chaudronniers 7, 1204 Genève – case postale, 1211 Genève 3,

intimés.


EN FAIT :

A. a. Par acte expédié le 2 mai 2022, A______ recourt contre l'ordonnance du 20 avril 2022, notifiée le 22 avril 2022, par laquelle le Juge des mineurs (ci-après : JMin) a classé la cause P/11065/2021 dirigée contre B______ en ce qui concernait des faits de brigandage et d'agression survenus le 27 mai 2021.

Le recourant conclut, préalablement, à l'octroi de l'assistance judiciaire, principalement à l'annulation de ladite ordonnance et au renvoi de la cause au JMin pour "procéder à un complément d'instruction soit confrontation de M. B______ à la nouvelle pièce puis à la condamnation" du prénommé, subsidiairement, au renvoi de la cause au Tribunal des mineurs et à ce qu'il lui soit ordonné de "renvoyer la cause par-devant l'autorité de jugement opportune", le tout sous suite de frais et dépens.

B. Les faits pertinents suivants ressortent du dossier :

a. Le 27 mai 2021, A______ a déposé plainte à la police pour avoir été agressé par un groupe de cinq à six jeunes hommes dans l'impasse dite I______, au J______[GE].

En substance, il a expliqué qu'à sa sortie du collège D______, vers 16h45, un jeune homme âgé d'environ 16 à 20 ans, d'origine maghrébine, portant un casque de moto de couleur noire et parlant comme un "jeune de quartier", s'était approché de lui par-derrière et l'avait contraint à le suivre dans une impasse. Là, entouré par quatre ou cinq autres individus, il avait été roué de coups, déshabillé, humilié, filmé et s'était fait dérober divers effets personnels, en particulier son téléphone portable et des écouteurs sans fil.

Confronté par la police à une planche photographique, A______ a désigné le n° 4, correspondant à B______, comme étant l'agresseur principal.

b. Le 28 mai 2021, la police a perquisitionné le domicile de B______. Ce dernier n'ayant pas été en mesure de fournir son téléphone portable, son père a remis aux policiers un appareil se trouvant dans un tiroir du salon, que B______ a admis être le sien.

Ce téléphone n'avait pas de carte SIM et aucune activité n'y était enregistrée depuis fin avril 2021.

 

c. Dans le cadre de l'instruction, plusieurs auditions ont eu lieu :

c.a. Le 28 mai 2021 devant la police, B______ a nié avoir participé à l'agression de A______. Il s'était réveillé entre 14h et 16h et avait été appelé par son frère, qui lui avait demandé d'aider à décharger de la marchandise livrée au kiosque de son père, situé à E______. Il avait déchargé cette marchandise jusque vers 19h ou 19h30 puis était allé manger dans un snack, vers 19h30 ou 20h30. S'agissant de son téléphone portable, il ne savait pas comment expliquer l'absence de données sur celui-ci depuis avril 2021. Les activités de son téléphone s'effaçaient, y compris les activités d'appel, de messages et autres. Il ne détenait aucun autre téléphone portable.

c.b. Le 29 mai 2021 devant le JMin, qui l'a prévenu d'agression (art. 134 CP) et de brigandage (art. 140 CP), B______ a en substance confirmé ses précédentes déclarations, sous réserve que l'aide lui avait été demandée par son père et non son frère, et plutôt vers 16h00 ou 17h00.

c.c. Entendu le 1er juin 2021 par la police, C______ a indiqué que le jour des faits, son fils s'était rendu dans son kiosque vers 15h30-16h00. À titre de preuve, il a montré, sur son téléphone portable, des images de vidéosurveillance prises dans son kiosque. Il a précisé que l'heure affichée – qui indiquait 18h00 au moment où B______ apparaissait dans le magasin – était erronée et avançait de plus de 2h30. Avant cela, la vidéo n'était pas activée.

Lors de la vérification des images de vidéosurveillance en direct, la police a constaté un décalage d'1h33. Interrogé sur ce point, C______ a répondu qu'au début de la vidéo, il devait être entre 16h00 et 16h30 et non 15h30. Il a toutefois confirmé sa déclaration selon laquelle son fils était arrivé à 15h30 au kiosque et y était resté jusqu'à 20h30 environ.

Par la suite, le 17 janvier 2022 devant le JMin, C______ a déclaré que le 27 mai 2021, il était arrivé au kiosque entre 14h00 et 14h30. Son fils s'y trouvait déjà et l'avait aidé au déchargement de marchandises jusque vers 18h00.

c.d. Auditionné le 30 juin 2021 par la police, un ami de A______, F______, a indiqué avoir montré une vidéo de B______ tirée d'internet à A______, qui avait immédiatement reconnu en B______ son agresseur.

c.e. Entendu le 27 septembre 2021 par la police, G______, ami de A______, a déclaré avoir assisté à l'agression à moins de 50 mètres. Il pensait "clairement" que l'agresseur était B______, sans pouvoir être formel en raison du fait que l'individu portait un casque. Comme l'agresseur s'était approché de lui à la fin de l'agression et l'avait insulté, il l'avait entendu s'exprimer et avait constaté qu'il avait une dégaine particulière. Il pourrait donc le reconnaître en face à face.

c.f. A______, confronté le 10 novembre 2021 à B______, a confirmé devant le Ministère public et devant le JMin que celui-ci était l'agresseur principal. Malgré le fait que l'intéressé portait un casque et un masque chirurgical, il était "sûr à 100% de le reconnaître" grâce à ses yeux.

c.g. Lors de la même audience, G______ a, à nouveau, désigné B______, comme l'agresseur principal de A______. Il a précisé qu'il ignorait son identité avant les faits mais qu'il le reconnaissait désormais. Il l'avait vu frapper A______.

d. Les images de vidéosurveillance du kiosque du 27 mai 2021 ont été versées au dossier. Il en ressort que l'heure indiquée au début de l'enregistrement vidéo correspondait à "18h00". B______ était présent dès le début, vêtu d'un pull de couleur claire puis, vers 18h16, d'un haut à capuche noir apparemment assorti – la vidéo étant de mauvaise qualité – d'une bande de tissu gris sur les côtés. À 18h36, il enfilait un casque de moto de couleur noire.

C. Dans la décision querellée, le Juge des mineurs a considéré que malgré le fait que B______ avait été désigné comme l'agresseur principal par A______ et G______, il était disculpé par le témoignage de son père, qui était corroboré par les images de vidéosurveillance du kiosque. A______ et G______ avaient pu se tromper, dès lors que le visage de l'agresseur principal était dissimulé.

D. a. À l'appui de son recours, A______ soutient que l'heure indiquée dans la vidéo, qui débute à 18h00, ne permet pas de disculper B______, l'agression s'étant déroulée vers 16h45. Le décalage allégué par le père, d'abord de 2h30 puis de 1h30, n'était pas établi. Celui-ci avait évoqué l'existence de plusieurs caméras de surveillance mais n'avait montré à la police qu'une bande vidéo de l'une d'entre elles. À en croire le père, cette caméra n'avait pas fonctionné le jour des faits et avait débuté "de manière tout à fait opportune" seulement au moment de l'arrivée du prévenu. Or, il s'était écoulé plusieurs jours entre la première audition de B______ et celle de son père, de sorte que les intéressés avaient pu s'accorder sur le contenu de leurs témoignages. Enfin, il ressortait de la capture d'écran de la vidéo de l'agression jointe au recours – qui montre un individu vêtu d'un haut noir à capuche avec des bandes de tissu gris sur les côtés, ainsi qu'un casque noir de type jet – que l'agresseur était vêtu de manière identique à B______ dans l'enregistrement vidéo du kiosque.

b. Dans ses observations, le JMin regrette que l'enregistrement vidéo dont est issue la capture d'écran n'ait été produite qu'au stade du recours, car elle permettrait de faire avancer l'enquête, voire d'identifier les auteurs de l'agression. Elle ne permettait toutefois pas d'affirmer que l'agresseur était B______, dont la tenue et la corpulence différaient de celles de l'agresseur. S'agissant du décalage entre l'heure indiquée dans l'enregistrement de la caméra de surveillance du kiosque et les affirmations du prévenu quant à sa présence dans celui-ci, la police avait elle-même constaté un tel décalage lorsqu'elle avait visionné les images du kiosque directement depuis le téléphone de H______.

c. B______ a renoncé à se déterminer.

d. A______ persiste dans ses conclusions.

EN DROIT :

1.             1.1. Le recours est recevable pour avoir été déposé selon la forme et dans le délai prescrits (art. 3 al. 1 de la Loi fédérale sur la procédure pénale applicable aux mineurs du 20 mars 2009 - PPMin [RS 312.1]; art. 393 et 396 CPP), concerner une ordonnance de classement sujette à recours auprès de la Chambre de céans (art. 39 al. 1 et 3 PPMin cum art. 20 al. 1 let. b et 393 al. 1 let. a CPP; A. KUHN, La procédure pénale pour mineurs in Procédure pénale suisse, Approche théorique et mise en oeuvre cantonale, 2010, n. 49 p. 319 et n. 55 p. 321; Y. JEANNERET / A. KUHN / C. PERRIER DEPEURSINGE (éds), Commentaire romand : Code de procédure pénale suisse, 2ème éd., Bâle 2019, n. 13 ad art. 393) et émaner de la partie plaignante, qui a qualité pour agir, ayant un intérêt juridiquement protégé à l'annulation de la décision entreprise (art. 38 al. 3 PPMin, 106 al. 2 et 382 al. 1 CPP).

1.2. La pièce nouvelle produite par le recourant devant la Chambre de céans est également recevable (arrêt du Tribunal fédéral 1B_368/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2 in fine).

2.             Le recourant se plaint d'une violation de l'art. 319 al. 1 CPP.

2.1. Aux termes de cette disposition, applicable en vertu de l'art. 3 al. 1 PPMin, le classement de tout ou partie de la procédure est ordonné notamment lorsqu'aucun soupçon justifiant une mise en accusation n'est établi (let. a) ou lorsque les éléments constitutifs d'une infraction ne sont pas réunis (let. b). Ces conditions doivent être interprétées en application du principe in dubio pro duriore, qui découle du principe de la légalité (art. 5 al. 1 Cst. et 2 al. 2 CPP en relation avec les art. 319 al. 1 et 324 al. 1 CPP; ATF 138 IV 86 consid. 4.2). Il signifie qu'en règle générale, un classement ne peut être prononcé que lorsqu'il apparaît clairement que les faits ne sont pas punissables ou que les conditions à la poursuite pénale ne sont pas remplies. Le ministère public et l'autorité de recours disposent, dans ce cadre, d'un certain pouvoir d'appréciation. La procédure doit se poursuivre lorsqu'une condamnation apparaît plus vraisemblable qu'un acquittement ou lorsque les probabilités d'acquittement et de condamnation apparaissent équivalentes, en particulier en présence d'une infraction grave. En effet, en cas de doute s'agissant de la situation factuelle ou juridique, ce n'est pas à l'autorité d'instruction ou d'accusation mais au juge matériellement compétent qu'il appartient de se prononcer (ATF 143 IV 241 consid. 2.2.1; 138 IV 86 consid. 4.1.2).

2.2.                En l'espèce, le recourant a, dès le jour de l'agression et de manière constante, désigné l'intimé comme étant son agresseur principal. Le témoin G______, qui a assisté à l'agression à une distance de moins de 50 mètres et qui aurait ensuite été insulté par l'agresseur se trouvant à environ 2 mètres de lui, a également désigné le prévenu, d'abord avec des réserves, puis de manière catégorique après avoir été mis en sa présence.

Les seuls éléments en l'état susceptibles d'infirmer cette thèse sont, d'une part, l'enregistrement vidéo du kiosque et, d'autre part, le témoignage du père du prévenu.

S'agissant du premier, force est de constater son caractère incomplet : à en croire C______, la caméra n'aurait pas fonctionné avant l'arrivée de son fils, tandis que seul un enregistrement a été produit, malgré l'existence alléguée par lui de six caméras dans le kiosque. Même à supposer que certaines d'entre elles n'aient effectivement pas fonctionné ou avaient une orientation ne permettant pas de filmer l'intéressé, les circonstances demeurent incertaines au vu du caractère partiel de l'enregistrement au dossier. Par ailleurs, les vêtements portés par B______ dans cet enregistrement ne permettent pas de disculper l'intéressé, qui enfile, à partir de 18h16, une veste similaire à celle de l'agresseur visible sur la capture d'écran. Les circonstances laissent donc persister, à ce stade, un doute quant à la portée à conférer à cet enregistrement vidéo. En effet, d'une part, ce moyen de preuve ne constitue pas de manière claire un élément à décharge et, d'autre part, sa force probante est discutable.

Au vu de ce qui précède, rien ne justifie en l'état de privilégier l'enregistrement vidéo – qui doit de toute façon être associé aux déclarations du père du prévenu concernant son heure réelle – à celles du recournt et du témoin G______, lesquelles ne paraissent pas moins probantes à ce stade. À tout le moins, une telle appréciation incombe au juge matériellement compétent pour se prononcer et non à l'autorité d'instruction, d'autant plus que les faits ont été qualifiés d'agression et de brigandage par le JMin, soit des infractions graves.

Au vu de ce qui précède, les conditions d'un classement ne sont pas réalisées.

3. Fondé, le recours doit être admis et l'ordonnance querellée annulée.

4. Le recourant, partie plaignante qui obtient gain de cause, n'aura pas à supporter les frais de la procédure de recours (art. 428 al. 4 CPP par renvoi de l'art. 44 al. 2 PPMin).

5. Le recourant sollicite l'assistance judiciaire pour le recours.

5.1. L'art. 136 al. 1 CPP soumet le droit à l'assistance judiciaire à la partie plaignante à deux conditions : la partie plaignante doit être indigente (let. a) et l'action civile ne doit pas paraître vouée à l'échec (let. b).

5.2. Conformément à l'art. 29 al. 3 Cst., toute personne qui ne dispose pas de ressources suffisantes a droit à l'assistance judiciaire gratuite, à moins que sa cause paraisse dépourvue de toute chance de succès; elle a droit en outre à l'assistance judiciaire gratuite d'un défenseur, dans la mesure où la sauvegarde de ses droits le requiert (arrêt du Tribunal fédéral 1B_74/2013 du 9 avril 2013 consid. 2.1 avec référence aux ATF 128 I 225 consid. 2.5.2 = JdT 2006 IV 47; 120 Ia 43 consid. 2a).

5.3. En l'espèce, le recourant a été reconnu indigent par ordonnance du 10 novembre 2021 lui octroyant l'assistance judiciaire. Au vu de l'issue du recours, ce dernier n'était pas dénué de chances de succès.

Par conséquent, il sera fait droit à sa conclusion tendant à l'octroi de l'assistance judiciaire au stade de la procédure de recours.

L'indemnité du conseil d'office du recourant sera toutefois fixée à la fin de la procédure (art. 135 al. 2 CPP par renvoi de l'art. 138 al. 1 CPP).

* * * * *


 

PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Admet le recours.

Annule l'ordonnance querellée et renvoie la cause au Tribunal des mineurs.

Laisse les frais de la procédure de recours à la charge de l'État.

Notifie le présent arrêt ce jour, en copie, au recourant, soit pour lui à son conseil, à B______ et à la Juge des mineurs.

Le communique pour information au Ministère public.

Siégeant :

Monsieur Christian COQUOZ, président; Mesdames Daniela CHIABUDINI et Alix FRANCOTTE CONUS, juges; Monsieur Xavier VALDES, greffier.

 

Le greffier :

Xavier VALDES

 

Le président :

Christian COQUOZ

 

 

 

Voie de recours :

 

Le Tribunal fédéral connaît, comme juridiction ordinaire de recours, des recours en matière pénale au sens de l'art. 78 de la loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 (LTF; RS 173.110); la qualité et les autres conditions pour interjeter recours sont déterminées par les art. 78 à 81 et 90 ss LTF. Le recours doit être formé dans les trente jours qui suivent la notification de l'expédition complète de l'arrêt attaqué.

 

Le recours doit être adressé au Tribunal fédéral, 1000 Lausanne 14. Les mémoires doivent être remis au plus tard le dernier jour du délai, soit au Tribunal fédéral soit, à l'attention de ce dernier, à La Poste Suisse ou à une représentation diplomatique ou consulaire suisse (art. 48 al. 1 LTF).