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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/14788/2022

AARP/6/2024 du 22.12.2023 sur JTCO/72/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

Normes : CP.111
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/14788/2022 AARP/6/2024

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 22 décembre 2023

 

Entre

A______, actuellement détenu à la prison de B______, ______, comparant par Me C______, avocat,

appelant, intimé sur appel joint,

 

contre le jugement JTCO/72/2023 rendu le 14 juin 2023 par le Tribunal correctionnel,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé, appelant sur appel joint,

et

D______, partie plaignante, comparant par Me E______, avocat,

intimé.

.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 14 juin 2023, par lequel le Tribunal correctionnel (TCO) l’a acquitté de menaces mais l’a reconnu coupable de tentative de meurtre (art. 111 cum art. 22 al. 1 du Code pénal [CP]) et l’a condamné à une peine privative de liberté de trois ans et demi, sous déduction de 340 jours de détention avant jugement (art. 40 et 51 CP), a ordonné son expulsion de Suisse pour une durée de cinq ans (art. 66a al. 1 let. a CP) tout en renonçant à signaler cette mesure dans le système d'information Schengen (SIS). Le TCO a constaté que A______ acquiesçait aux conclusions civiles et l’a condamné à payer à D______ CHF 10'000.-, avec intérêts à 5% dès le 10 juillet 2022, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO) et l’a condamné au paiement de 4/5èmes des frais de la procédure.

A______ entreprend partiellement ce jugement, concluant à son acquittement de tentative de meurtre et à ce qu’il soit reconnu coupable de lésions corporelles simples aggravées (art. 123 ch. 1 et 2 CP), subsidiairement de tentative de lésions corporelles graves (art. 122 cum 22 CP) et à ce que la peine privative de liberté n’excède pas deux ans. Il conclut, en tout état, à ce qu’il soit renoncé à l’expulsion.

b. Dans le délai légal, le Ministère public (MP) forme un appel joint, concluant au prononcé d’une peine privative de liberté de quatre ans et à l’inscription de l’expulsion dans le SIS.

c. Selon l'acte d'accusation du 19 avril 2023, complété aux débats de première instance, il est encore reproché ce qui suit à A______ :

Le 10 juillet 2022, à proximité du domicile de F______, sis no. ______ rue 1______ à Genève, adresse à laquelle A______ et D______ avaient passé la soirée, vers 04h00, A______ a asséné un coup de couteau au thorax de D______, après qu'une dispute avait éclaté entre ces derniers, étant précisé que D______ a pris la fuite en courant après avoir été touché et A______ l'a poursuivi avec le couteau à la main. D______ a réussi à se réfugier dans l'établissement G______ sis rue 2______ no. ______, alors que A______ a été empêché d'y entrer par l'un des videurs.

D______ a présenté les lésions suivantes :

- une plaie linéaire à bords nets au niveau de la région axillaire gauche d'une profondeur de 150 mm ;

- une infiltration linéaire et un emphysème sous-cutané s'étendant caudalement de la région axillaire gauche au contact du bord latéral des muscles grand et petit pectoraux gauches, jusqu'en regard d'une fracture de l'arc antérieur de la 5ème côte ;

- un pneumatocèle post-traumatique linéaire au niveau du lobe pulmonaire inférieur gauche, jusqu'au contact de la coupole diaphragmatique gauche, sans perforation du diaphragme, correspondant à un trajet intra-pulmonaire ;

- un hémothorax gauche et pneumothorax antérieur gauche.

D______ a déposé plainte pénale pour ces faits le 10 juillet 2022.

En assénant un coup de couteau à D______ au niveau du thorax, A______ a tenté de tuer D______, ou à tout le moins, a envisagé et accepté, pleinement et sans réserve, cette issue fatale au cas où elle se produirait. De surcroît, par son geste, A______ a envisagé et accepté, pleinement et sans réserve, d'occasionner, à D______, des lésions graves, soit des lésions présentant un risque sérieux d'atteintes irréversibles à des organes vitaux.

d. D______ conclut au rejet de l’appel principal.

B. Les faits de la cause peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 du code de procédure pénale suisse [CPP]) :

a. Le 10 juillet 2022, à 04h07, les services de secours ont été appelés pour une personne qui venait de recevoir un coup de couteau au thorax, près [du night-club] G______. Une ambulance a été dépêchée sur place et a pris en charge D______, dont le pronostic vital était à ce moment-là engagé selon les secours (B-3). Il a présenté les lésions décrites dans l’acte d’accusation, qui n’ont pas concrètement mis sa vie en danger (C-112).

Selon les médecins, avec un angle légèrement différent le couteau aurait pu toucher le cœur ; la même plaie avec un angle un tout petit peu différent aurait pu, avec de grandes probabilités, entraîner le décès (C-113).

b. Entendu par la police quelques heures plus tard à l’hôpital, D______ a expliqué que le coup de couteau lui avait été donné par un inconnu, alors qu’il venait de sortir de l’appartement sis no. ______ rue 1______ où il se trouvait en compagnie d’amis pour célébrer l’Aïd (A-2 ss). Par la suite, il est revenu sur ses déclarations et a désigné A______, qu’il connaissait depuis en tout cas deux ans et avec qui il avait passé la soirée, comme l’auteur du coup de couteau, porté selon lui sur le palier de l’appartement (C-26). Il a expliqué ne pas l’avoir désigné plus tôt car il était sous l’influence de la morphine lors de sa première audition (C-29). Après avoir reçu le coup, il avait pris la fuite en courant et s’était réfugié dans [le night-club] G______, qui se trouve à proximité immédiate.

c. A______ a été interpellé au domicile de sa compagne vers 15h30 le jour-même, ayant été identifié par le recoupement de témoignages. Il a nié être l’auteur du coup de couteau pendant plusieurs mois, avant de finalement admettre les faits le 6 avril 2023 au MP, sa version divergeant toutefois de celle de D______ en ce qu’il affirme avoir porté le coup de couteau au moment où la victime entrait dans l’établissement public susmentionné.

Il a expliqué de façon constante qu’il était fâché contre D______ qui avait jeté un marteau dans sa direction au cours de la soirée, ce que celui-ci conteste. A______ a également admis avoir pris un couteau dans l’appartement et avoir eu cet objet en mains lorsqu’il avait poursuivi la victime jusqu’au G______.

Un petit marteau (dont le manche était cassé) a effectivement été retrouvé sur un canapé et photographié lors de la perquisition de l’appartement ; il n’a pas été saisi à cette occasion et n’a donc pas fait l’objet d’investigations complémentaires.

Le couteau utilisé (présentant un manche foncé et une lame d'une longueur d'environ 20 cm) a été retrouvé à l’extérieur de l’immeuble, sur une marche d’escalier. A______ a admis l’y avoir déposé peu après les faits.

Après s’être débarrassé du couteau, A______ est revenu sur les lieux ; il a mis sa main sur la plaie de D______, pour faire garrot, et lui a demandé de ne pas le mettre en cause. Selon ses dires, des policiers qui lui avaient passé les menottes les ont retirées lorsque D______ leur avait dit qu’il n’était pas l’auteur du coup de couteau.

d. Les images d’une caméra de surveillance filmant l’entrée du G______ ont été saisies par la police. On y aperçoit D______ arriver en courant depuis la rue 1______, poursuivi de près par A______. Les images sont floues, mais on y voit clairement l’arrivée de D______ et son entrée dans l’établissement. Au moment où il se trouve devant la porte, A______ le rattrape et fait un geste avec son bras gauche dans sa direction, comme pour le pousser ou l’attraper ; son bras droit reste replié le long de son corps. Il est repoussé par les autres personnes présentes (des videurs selon le rapport de police) et s’éloigne. La scène dure quelques secondes.

e. Au nombre des témoignages recueillis par la police figure notamment celui d’une passante, qui ne connaissait pas les protagonistes et a vu deux hommes, dont l’un tenait un couteau, se disputer et s'agripper devant l’immeuble sis no. ______ rue 1______. Elle les a vus partir en courant vers le G______, l’un des hommes y entrer et l’autre, porteur du couteau, être repoussé par les videurs et revenir, se rendre à l’endroit où le couteau a été retrouvé et en ressortir sans cet objet.

Deux autres témoins, qui se trouvaient à proximité du G______ au moment des faits, décrivent A______ (vêtu selon eux d’un pull avec capuche, alors que telle n’est pas le cas sur les images susmentionnées) faire un geste (pour l’un il « pique » avec sa main droite, C-140) en direction de D______. Ni l’un ni l’autre n’a vu de couteau ; ils ont déduit la présence de cet objet en voyant la victime ressortir peu après du G______ avec du sang sur son t-shirt.

C. a. En préparation des débats d’appel, la Chambre pénale d'appel et de révision (CPAR) a recueilli auprès de l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) des informations sur le statut administratif de l’appelant. Il ressort des pièces obtenues (et transmises aux parties dans l’après-midi la veille des débats) que A______ a bénéficié d’un permis B délivré par le canton de Vaud le 8 octobre 2015, autorisation dont le renouvellement a été refusé en juillet 2020. L’intéressé ayant formé un recours contre ce refus, il a bénéficié d’une tolérance sous forme d’un délai de départ. Le 7 octobre 2021, les autorités vaudoises ont appris qu’il avait quitté le canton à destination de la France.

b. Aux débats d’appel, le conseil de A______ a sollicité à titre préjudiciel le report de l’audience pour permettre l’administration de preuves complémentaires en lien avec la durée de séjour de son mandant en Suisse, qu’il affirme être de 17 ans soit depuis 2006.

Cette question a été traitée en deux temps. À l’ouverture des débats, la CPAR a indiqué qu’elle instruirait la situation personnelle de l’appelant et examinerait ensuite s’il se justifiait, par respect de son droit d’être entendu, de lui offrir la possibilité de faire administrer de nouvelles preuves. À l’issue de l’audition de l’appelant sur sa situation personnelle, la CPAR a retenu, par appréciation anticipée des preuves, qu’il était établi que A______ avait résidé en Suisse depuis 2006 et donc rejeté, en tant qu’elle conservait un objet, la question incidente portant sur une instruction complémentaire de ces faits.

A______ a pour le surplus persisté dans la version des faits présentée en fin d’instruction et au premier juge. La CPAR lui ayant fait remarquer que le geste envers D______ sur les images vidéos semble être dirigé vers l’abdomen droit de celui-ci, alors que la blessure infligée a touché la victime au thorax à gauche, il a expliqué qu’il ne pouvait pas avoir tenu le couteau avec sa main gauche, étant droitier. Sur le moment, il ne pensait pas l'avoir touché et certainement pas gravement ; il avait néanmoins compressé la plaie. Il regrette ce qui s'est passé, qui ne lui correspond pas. Il ne conçoit pas de devoir quitter la Suisse où se trouvent ses trois enfants, et une inscription de l’expulsion au SIS le contraindrait à retourner dans un pays qu’il ne connaît pas puisqu’il a fait toute sa scolarité en France.

Interrogé sur ses antécédents, notamment sa condamnation en 2019 pour plusieurs cas de lésions corporelles, il a affirmé qu’il s’agissait d’un incident unique.

c. Le MP persiste dans ses conclusions. Au vu de la gravité des faits une peine de quatre ans devait être prononcée. Compte tenu de la dangerosité de l’appelant son expulsion devait être inscrite au SIS pour que les États membres de l’espace Schengen puissent avoir connaissance des faits qui s’étaient produits en Suisse.

d. Par la voix de son Conseil, l’appelant persiste dans les termes de son appel. Il n’avait jamais eu l’intention de tuer D______ ; il avait agi en réaction au jet d’un marteau en sa direction. Il fallait retenir la version qui lui était la plus favorable, soit que le coup de couteau avait été porté devant le G______ ; si elle avait été blessée plus tôt, la victime n’aurait d’ailleurs pas pu courir aussi vite que le montraient les images. L’expulsion portait atteinte à son droit à la vie de famille et à sa relation avec ses trois enfants en Suisse, pays où il vivait depuis 17 ans.

D. a. A______ est né le ______ 1983 à H______, au Congo, pays dont il a la nationalité. Il est divorcé et a trois enfants, soit un fils âgé de 17 ans, de nationalité suisse, et deux filles âgées de neuf ans (de nationalité espagnole) et d’une année (originaire de RDC et qu’il n’a à ce jour pas reconnue, les démarches étant selon lui en cours), tous trois nés de femmes différentes et vivant à Genève. Il a été marié avec la mère de sa fille aînée pendant plusieurs années. Son permis B émis dans le canton de Vaud est échu. Après avoir quitté ce canton en octobre 2021, il vivait à Genève en compagnie de la mère de sa dernière fille, I______. Il dit être arrivé à J______ [France] à l'âge de quatre ans, y avoir suivi toute sa scolarité et ne jamais être retourné au Congo. Il a vécu en Suisse avec les mères de ses enfants successifs depuis 2006, en se prévalant de son titre de séjour français pour y chercher un emploi. Il a obtenu une autorisation de séjour en 2015 suite à son mariage. Il a travaillé en France comme brancardier, formation qui n’a pas été reconnue en Suisse, et a dès lors travaillé comme aide-cuisinier dans différents EMS, à tout le moins pendant la période où il bénéficiait d’un titre de séjour.

Il a gardé contact avec ses deux filles, qu'il voyait selon lui en permanence avant son arrestation. Un oncle et une tante ainsi que des cousins vivent à Genève et il a également de la famille à J______, soit sa sœur, une tante et des oncles. C’est alors qu’il était venu rendre visite à sa famille en Suisse qu’il a rencontré la mère de son fils et s’est installé à Genève en 2006. Il dit entretenir des contacts réguliers avec son père, avocat de profession et habitant au Congo ; il l’a vu pour la dernière fois lorsqu’il avait 30 ans, à J______ où ce dernier s’était rendu.

Lorsqu’il travaillait, A______ contribuait à l’entretien de ses enfants. Le Service Cantonal d’Avance et de Recouvrement des Pensions Alimentaires (SCARPA) prélevait CHF 1'000.- sur son salaire pour la contribution d’entretien de son fils, tandis qu’il versait CHF 400.- à son ex-épouse en faveur de leur fille. Il travaille à la cuisine en détention et a consacré une partie de son pécule à l’entretien de sa seconde fille ainsi que pour s’acquitter d’amendes échues.

Lors de son arrestation, l’appelant ne percevait pas de revenu et subvenait à ses besoins grâce à l'aide de sa tante, habitant à L______ [GE] ; il vivait avec sa compagne dans un foyer destiné à l’accueil des mères avec un jeune enfant. Pour le surplus, il n’a aucune fortune et ignore l'ampleur de ses dettes, notamment celles auprès du SCARPA et ayant trait à la pension de son fils.

Il a reçu en détention, après le jugement de première instance, une visite de son ex-épouse et de leur fille, étant précisé qu’il avait caché à celle-ci son incarcération. Sa sœur, domiciliée à Genève avec ses deux enfants, est également venue quelques fois le voir, tout comme sa compagne actuelle, sans l’enfant toutefois. Cette dernière s’est présentée dans le public lors des débats d’appel, et en a été exclue vu son âge ; cette brève présence a ému l’appelant. Il n’a plus de contact avec son fils, à l’entretien duquel il ne contribue plus.

b. Selon l'extrait de son casier judiciaire, A______ a été condamné à huit reprises entre le 18 novembre 2014 et le 8 mars 2021, principalement pour des infractions à la LCR et à la LEI, ainsi que pour des violations de son obligation d'entretien. Le 6 septembre 2019, une condamnation a été prononcée à son encontre notamment pour voies de fait, lésions corporelles simples, voies de fait à réitérées reprises contre le conjoint et lésions corporelles simples contre le conjoint. Il n’a été condamné qu’à des peines pécuniaires, dont plusieurs fermes. Certaines ont fait l’objet d’une exécution sous forme de peine privative de liberté de substitution, puisqu’une décision de libération conditionnelle, prononcée le 18 septembre 2019, figure en regard de trois de ces condamnations.

E. a. Me C______, défenseur d'office de A______ désigné en cours de procédure d’appel, n’a pas déposé d’état de frais.

b. Me E______, conseil juridique gratuit de D______, qui était excusé aux débats, dépose un état de frais pour la procédure d'appel, facturant, sous des libellés divers, une heure et 55 minutes d'activité de chef d’étude.

En première instance, il a été indemnisé pour 44 heures d’activité.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

Il en va de même de l'appel joint (art. 400 al. 3 let. b et 401 CPP).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Il n'y a pas non plus de renversement du fardeau de la preuve lorsque l'accusé refuse sans raison plausible de fournir des explications rendues nécessaires par des preuves à charge. Son silence peut alors permettre, par un raisonnement de bon sens conduit dans le cadre de l'appréciation des preuves, de conclure qu'il n'existe pas d'explication à décharge et que l'accusé est coupable (arrêt du Tribunal fédéral 6B_47/2018 du 20 septembre 2018 consid. 1.1).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

2.2. L'art. 111 CP réprime le comportement de quiconque tue intentionnellement une personne, tandis que l’art. 122 CP sanctionne quiconque, intentionnellement, blesse une personne de façon à mettre sa vie en danger, mutile le corps d’une personne, un de ses membres ou un de ses organes importants, cause à une personne une incapacité de travail, une infirmité ou une maladie mentale permanentes, ou défigure une personne d’une façon grave et permanente ou lui fait subir toute autre atteinte grave à l’intégrité corporelle ou à la santé physique ou mentale. L’art. 123 CP s’applique pour sa part aux autres atteintes à l’intégrité corporelle ou à la santé.

2.3. Il y a tentative lorsque l'auteur a réalisé tous les éléments subjectifs de l'infraction et manifesté sa décision de la commettre, alors que les éléments objectifs font, en tout ou en partie, défaut (ATF 140 IV 150 consid. 3.4). Il y a donc tentative de meurtre, lorsque l'auteur, agissant intentionnellement, commence l'exécution de cette infraction, manifestant ainsi sa décision de la commettre, sans que le résultat ne se produise. L'équivalence des deux formes de dol – direct et éventuel – s'applique à la tentative de meurtre (ATF 122 IV 246 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1177/2018 du 9 janvier 2019 consid. 1.1.3).

Il n'est ainsi pas nécessaire que l'auteur ait souhaité la mort de la victime, ni que la vie de celle-ci ait été concrètement mise en danger, ni même qu'elle ait été blessée pour qu'une tentative d'homicide soit retenue dans la mesure où la condition subjective de l'infraction est remplie (arrêt du Tribunal fédéral 6B_246/2012 du 10 juillet 2012 consid. 1.2 et 1.3). Il n'est pas non plus nécessaire que plusieurs coups aient été assénés (arrêt du Tribunal fédéral 6B_829/2010 du 28 février 2011 consid. 3.2).

La nature de la lésion subie par la victime et sa qualification d'un point de vue objectif est sans pertinence pour juger si l'auteur s'est rendu coupable de tentative de meurtre (ATF 137 IV 113 consid. 1.4.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_924/2017 du 14 mars 2018 consid. 1.4.5). L'auteur ne peut ainsi valablement contester la réalisation d'une tentative de meurtre au motif que la victime n'a subi que des lésions corporelles simples. Il importe cependant que les coups portés aient objectivement exposé la victime à un risque de mort (arrêt du Tribunal fédéral 6B_86/2019 du 8 février 2019 consid. 2.1 et les références citées).

On peut retenir l'intention homicide lors d'un unique coup de couteau sur le haut du corps de la victime (arrêts du Tribunal fédéral 6B_135/2020 du 16 juin 2020 consid. 4.2 ; 6B_775/2011 du 4 juin 2012 consid. 2.4.2). Celui qui porte un coup de couteau dans la région des épaules et du buste lors d'une altercation dynamique doit s'attendre à causer des blessures graves. L'issue fatale d'un coup de couteau porté dans la région thoracique doit être qualifiée d'élevée et est notoire (cf. arrêts du Tribunal fédéral 6B_900/2022 du 22 mai 2023, consid. 2.4 non publié aux ATF 149 IV 266 ; 6B_798/2020 du 16 septembre 2020 consid. 3 ; 6B_230/2012 du 18 septembre 2012 consid. 2.3).

Dans le cas d'un coup de couteau dans le haut du corps, le risque de mort, même avec une lame plutôt courte, doit être considéré comme élevé (arrêts du Tribunal fédéral 6B_798/2020 susmentionné consid. 3, tentative de meurtre admise pour un coup dans la poitrine avec couteau un couteau de poche dont la lame mesurait six cm ; 6B_239/2009 du 13 juillet 2009 consid. 1 et 2.4, meurtre par dol éventuel retenu avec un couteau dont la lame mesurait 41 millimètres).

Selon sa nature, un seul coup porté peut suffire pour retenir l'infraction de tentative d'homicide par dol éventuel (arrêts du Tribunal fédéral 6B_924/2017 du 14 mars 2018 consid. 1.4.2 ; 6B_246/2012 du 10 juillet 2012 consid. 1.3 ; 6B_829/2010 du 28 février 2011 consid. 3.2).

2.4.1. En l’espèce, l’appelant affirme n’avoir frappé la victime qu’à une reprise (ce qui est médicalement établi), à l’issue de la course poursuite entre le lieu où ils avaient passé la soirée et l’établissement public où celle-ci s’est réfugiée. Cette version est toutefois en contradiction claire avec les images de vidéosurveillance : un visionnement attentif, image par image, démontre qu’au seul moment où l’appelant a potentiellement pu entrer en contact avec la victime, son bras droit était en retrait, alors qu’il a admis que c’est dans cette main qu’il tenait le couteau. Comme les premiers juges, la CPAR retient dès lors que c’est bien à proximité de l’immeuble sis no. ______ rue 1______ que le coup de couteau a été porté, et que les images figurant à la procédure montrent l’appelant qui poursuit sa victime, couteau à la main (celui-ci n’apparaît pas distinctement sur les images ; l’appelant admet néanmoins qu’il l’avait et qu’il a ensuite été le dissimuler, ce que confirme un témoin). En particulier, il n’est ni surprenant, ni contradictoire, compte tenu de la nature constatée de la lésion (aux conséquences finalement relativement bénignes, étant rappelé que la victime a pu sortir des urgences le lendemain sans qu’aucune intervention n’ait été nécessaire) et de la montée d’adrénaline qu’une telle altercation occasionne, que le blessé ait trouvé la force de courir les quelques dizaines de mètres séparant le no. ______ rue 1______ de l’établissement public. Il n’y a ainsi pas de place pour l’application du principe in dubio pro reo, la CPAR n’ayant pas de doute à ce sujet. Pour le surplus, comme les premiers juges, la Cour retient que l’altercation a été provoquée par le jet d’un marteau par la victime en direction de l’appelant, dans l’appartement sis au rez-de-chaussée de l’immeuble.

2.4.2. L’appelant conteste toute intention homicide. Il admet néanmoins s’être emparé d’un couteau de cuisine de grande taille, et l’avoir utilisé pour porter un coup dans le thorax de la victime. L’appelant était sans doute énervé par l’altercation et le jet de marteau dans sa direction ; néanmoins, sa réaction n’a pas été immédiate (ce qui exclut toute légitime défense, laquelle n’est d’ailleurs pas plaidée) ou sous le coup de la surprise ; il a pris le temps de se rendre dans la cuisine pour s’y emparer d’un couteau avant de retrouver sa future victime. Surtout, l’appelant, qui se prévaut de sa formation de brancardier, est adulte et a une expérience certaine de la vie au vu de son âge : il ne peut sérieusement soutenir qu’il ignorait que diriger un couteau muni d’une lame aussi longue vers le thorax d’une autre personne, dans le contexte d’une agression dynamique où les protagonistes sont en mouvement, est susceptible d’entraîner des lésions mortelles. Il a ce nonobstant pris le risque d’un tel geste, sous le coup de la colère, et en toute connaissance de cause.

Comme l’ont souligné les légistes, la victime (et, partant, l’appelant) a eu beaucoup de chance et aurait pu succomber à ce coup s’il avait été porté avec un angle un tout petit peu différent. Cette circonstance échappait à l’appelant, qui n’avait aucun moyen de savoir quels organes seraient ou non atteints par son geste, d’une grande violence (étant rappelé que la plaie présentait une profondeur de 15 cm).

Les faits doivent être qualifiés de tentative de meurtre, commis par dol éventuel, et le verdict des premiers juges doit ainsi être confirmé.

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

Le juge doit d'abord déterminer le genre de la peine devant sanctionner une infraction, puis en fixer la quotité. Pour déterminer le genre de la peine, il doit tenir compte, à côté de la culpabilité de l'auteur, de l'adéquation de la peine, de ses effets sur l'auteur et sur sa situation sociale ainsi que de son efficacité du point de vue de la prévention (ATF 147 IV 241 consid. 3.2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

3.2. Selon l'art. 22 CP, le juge peut atténuer la peine si l'exécution d'un crime ou d'un délit n'est pas poursuivie jusqu'à son terme. Il y a tentative lorsque l'auteur a réalisé tous les éléments subjectifs de l'infraction et manifesté sa décision de la commettre, alors que les éléments objectifs font, en tout ou en partie, défaut (ATF 140 IV 150 consid. 3.4). L'équivalence des deux formes de dol – direct et éventuel – s'applique également à la tentative (ATF 122 IV 246 consid. 3a ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1146/2018 du 8 novembre 2019 consid. 4.2).

La mesure de l'atténuation dépend de la proximité du résultat ainsi que des conséquences effectives des actes commis. En d'autres termes, la réduction devra être d'autant plus faible que le résultat était proche et ses conséquences graves (ATF 127 IV 101 consid. 2b ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2017 du 17 janvier 2018 consid. 3.1).

3.3. En l’espèce, l’appelant s’en est pris à la vie de sa victime, bien le plus précieux de l’ordre juridique. Il a agi pour un motif futile et dérisoire, par colère, voire par vengeance, à la suite d’une altercation dont l’origine, quelle qu’elle soit, ne justifiait pas un tel recours à la violence. Le jet d’un marteau dans sa direction l’a certainement énervé, voire motivé à se défendre ; il ne s’est toutefois pas contenté d’une mise en garde ou d’un geste de protection, mais a porté un coup dans la poitrine de son adversaire avant de le poursuivre sur plusieurs dizaines de mètres, couteau à la main. Son mobile est fondamentalement égoïste. S’il est, certes, revenu peu après les faits vers la victime et a fait garrot de sa main sur la plaie, il ne l’a fait qu’après avoir pris soin de dissimuler son arme et il ne s’agit donc pas d’un geste spontané et immédiat. Il ne peut pas être exclu qu’il ait agi de la sorte pour éviter que la victime ne le dénonce, ce qui a d’ailleurs partiellement réussi puisqu’elle l’a initialement mis hors de cause. Ce geste à visée salvatrice n’exclut ainsi pas l’intention homicide initiale mais tempère la faute ; il doit être pris en compte dans la fixation de la peine, sans qu’il ne puisse, faute d’intensité suffisante et d’immédiateté, être qualifié de repentir sincère (circonstance atténuante qui n’est d’ailleurs pas plaidée). L’absence d’immédiateté exclut également tout repentir actif au sens de l’art. 23 CP.

La situation personnelle de l’appelant n'explique en rien l'acte commis. Père de famille, il se trouvait certes dans une situation précaire, n’ayant plus de titre de séjour ni d’emploi ; il bénéficiait néanmoins de soutien et de l'aide de sa compagne et de sa famille.

L’appelant a plusieurs antécédents, dont l’un au moins est spécifique ; il n’a pas tiré de leçons de ses condamnations précédentes, dont certaines l’ont pourtant conduit à subir de la privation de liberté. La gravité des faits et de la faute commise excluent le prononcé d’une peine compatible avec le sursis.

L’appelant a exprimé des excuses, dont la sincérité n’a pas à être mise en doute, et acquiescé aux conclusions civiles. Cela étant, il persiste à minimiser son geste en contestant toute intention homicide ; sa prise de conscience n’est ainsi que partielle. Il minimise également ses antécédents de lésions corporelles, ce qui fait craindre qu’il n’ait pas pris la mesure de la nécessité de mieux gérer ses émotions et ses impulsions pour s’abstenir à l’avenir de tout recours à la violence.

Sa collaboration a été mauvaise. Il a nié les faits pendant de longs mois, avant de finalement admettre sa faute, en présentant une version édulcorée des événements, à la toute fin de l’instruction et alors que les éléments à charge étaient déjà confondants et ne lui laissaient guère d’autre option.

Ses projets d’avenir sont peu concrets. Il veut s’occuper de ses enfants, qui étaient déjà au monde lorsque les faits se sont produits : son rôle de père ne l’a manifestement pas empêché de s’en prendre à la vie d’autrui. Il n’avait aucun emploi ni source de revenu au moment de son arrestation et, s’il travaille en prison et fait bénéficier sa nouvelle famille de ces revenus, il a préféré s’acquitter d’amendes plutôt que de contribuer à l’entretien de ses autres enfants mineurs.

Le meurtre est passible d’une peine privative de liberté de cinq à vingt ans. En l’espèce, si l’infraction avait été consommée, la peine encourue se serait située dans le milieu de cette fourchette. Les faits ont toutefois connu une issue heureuse, qui conduit à ne retenir qu’une tentative d’homicide et à l’application de l’atténuante prévue à l’art. 22 CP. Cette atténuation devrait être faible, l’absence de résultat de l’infraction découlant plus de la chance et du hasard que d’une exécution imparfaite. Les conséquences finalement relativement bénignes de l’acte seront prises en compte dans l’appréciation.

Tout bien pesé, au vu de la gravité de la faute, de la peine clémente requise par le MP, ainsi que des gestes par lesquels l’appelant a cherché à porter secours à sa victime, la CPAR retient qu’une peine privative de liberté de quatre ans, certes clémente, sanctionne adéquatement l’infraction commise.

L’appel joint du MP doit donc être admis et le jugement entrepris réformé en ce sens.

4. 4.1. Conformément à l'art. 66a al. 1 CP, le juge expulse un étranger du territoire suisse pour une durée de cinq à quinze ans s'il est reconnu coupable de l'une des infractions énumérées aux let. a à o, également sous la forme de tentative (ATF 144 IV 168 consid. 1.4.1), notamment en cas de condamnation pour meurtre (let. a).

Conformément à l'al. 2 de cette disposition, le juge peut exceptionnellement renoncer à une expulsion lorsque celle-ci mettrait l'étranger dans une situation personnelle grave et que les intérêts publics à l'expulsion ne l'emportent pas sur l'intérêt privé de l'étranger à demeurer en Suisse. À cet égard, il tiendra compte de la situation particulière de l'étranger qui est né ou qui a grandi en Suisse.

4.2. Malgré la formulation potestative de la norme, le juge de l'expulsion est tenu d'examiner lui-même, au stade du prononcé de l'expulsion déjà, si les conditions de l'art. 66a al. 2 CP sont réalisées et de renoncer à ordonner l'expulsion dans cette hypothèse. Il ne peut renvoyer à l'autorité d'exécution l'examen de toutes les circonstances qui s'opposent à cette mesure (ATF 147 IV 453 consid. 1.4.5 ;
145 IV 455 consid. 9.4 ; 144 IV 332 consid. 3.3 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_747/2019 du 24 juin 2020 consid. 2.1.2 ; 6B_1024/2019 du 29 janvier 2020 consid. 1.3.5).

La loi ne définit pas ce qu'il faut entendre par une « situation personnelle grave » (première condition cumulative) ni n'indique les critères à prendre en compte dans la pesée des intérêts (seconde condition cumulative). Il convient de s'inspirer des critères énoncés à l'art. 31 de l'ordonnance relative à l'admission, au séjour et à l'exercice d'une activité lucrative (OASA). L'art. 31 al. 1 OASA prévoit qu'une autorisation de séjour peut être octroyée dans les cas individuels d'extrême gravité. L'autorité doit tenir compte notamment de l'intégration du requérant selon les critères définis à l'art. 58a al. 1 de la loi fédérale sur les étrangers et l'intégration (LEI), de la situation familiale, particulièrement de la période de scolarisation et de la durée de la scolarité des enfants, de la situation financière, de la durée de la présence en Suisse, de l'état de santé ainsi que des possibilités de réintégration dans l'État de provenance. Comme la liste de l'art. 31 al. 1 OASA n'est pas exhaustive et que l'expulsion relève du droit pénal, le juge devra également, dans l'examen du cas de rigueur, tenir compte des perspectives de réinsertion sociale du condamné (ATF 144 IV 332 consid. 3.3.1 et 3.3.2 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_379/2021 du 30 juin 2021 consid. 1.1).

En règle générale, il convient d'admettre l'existence d'un cas de rigueur au sens de l'art. 66a al. 2 CP lorsque l'expulsion constituerait, pour l'intéressé, une ingérence d'une certaine importance dans son droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par la Constitution fédérale (art. 13 Cst.) et par le droit international, en particulier l'art. 8 CEDH (arrêt du Tribunal fédéral 6B_255/2020 du 6 mai 2020 consid. 1.2.1 et références citées). Pour se prévaloir d'un droit au respect de sa vie privée, l'étranger doit établir l'existence de liens sociaux et professionnels spécialement intenses avec la Suisse, notablement supérieurs à ceux qui résultent d'une intégration ordinaire. Une pesée des intérêts en présence, en considérant la durée du séjour en Suisse comme un élément parmi d'autres et en n'accordant qu'un faible poids aux années passées en Suisse dans l'illégalité, en prison ou au bénéfice d'une simple tolérance, doit être préférée à une approche schématique qui consisterait à présumer, à partir d'une certaine durée de séjour en Suisse, que l'étranger y est enraciné et dispose de ce fait d'un droit de présence dans notre pays (ATF 134 II 10 consid. 4.3 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_153/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.3.2). La reconnaissance d'un cas de rigueur ne se résume pas non plus à la simple constatation des potentielles conditions de vie dans le pays d'origine ou du moins la comparaison entre les conditions de vie en Suisse et dans le pays d'origine, mais aussi à la prise en considération des éléments de la culpabilité ou de l'acte (M. BUSSLINGER / P. UEBERSAX, Härtefallklausel und migrationsrechtliche Auswirkungen der Landesverweisung, cahier spécial, Plaidoyer 5/2016, p. 101 ; G. FIOLKA / L. VETTERLI, Die Landesverweisung in Art. 66a ff StGB als strafrechtliche Sanktion, cahier spécial, Plaidoyer 5/2016, p. 87 ; AARP/185/2017 du 2 juin 2017 consid. 2.2).

Un séjour légal de dix années suppose en principe une bonne intégration de l'étranger (ATF 144 I 266 consid. 3.9 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_1431/2019 du 12 février 2020 consid. 1.3.1).

4.3. Un étranger peut se prévaloir de l'art. 8 par. 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH) (et de l'art. 13 de la Constitution fédérale [Cst.]), qui garantit notamment le droit au respect de la vie familiale, pour s'opposer à l'éventuelle séparation de sa famille, pour autant qu'il entretienne une relation étroite et effective avec une personne de sa famille ayant le droit de résider durablement en Suisse. Les relations familiales visées par l'art. 8 par. 1 CEDH sont avant tout celles qui concernent la famille dite nucléaire, soit celles qui existent entre époux ainsi qu'entre parents et enfants mineurs vivant en ménage commun (arrêt du Tribunal fédéral 6B_379/2021 du 30 juin 2021 consid. 1.2).

Il n'y a pas d'atteinte à la vie familiale si l'on peut attendre des personnes concernées qu'elles réalisent leur vie de famille à l'étranger ; l'art. 8 CEDH n'est pas a priori violé si le membre de la famille jouissant d'un droit de présence en Suisse peut quitter ce pays sans difficulté avec l'étranger auquel a été refusée une autorisation de séjour. En revanche, si le départ du membre de la famille pouvant rester en Suisse ne peut d'emblée être exigé sans autres difficultés, il convient de procéder à la pesée des intérêts prévue par l'art. 8 par. 2 CEDH (ATF 144 I 91 consid. 4.2 ; 140 I 145 consid. 3.1 ; arrêts du Tribunal fédéral 6B_396/2022 consid. 6.5 ; 6B_257/2022 consid. 3.3 ; 6B_38/2021 du 14 février 2022 consid. 5.1.2).

En l'absence de ménage commun avec son enfant et de relations personnelles entretenues de manière régulière, la seule présence en Suisse de l'enfant du condamné ne fait pas obstacle à l'expulsion (arrêts du Tribunal fédéral 6B_435/2023 du 21 juin 2023 consid. 5.2 ; 6B_822/2021 du 4 juillet 2022 consid. 2.1.1).

4.4. L'inscription de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS) est régie par le chapitre IV du règlement SIS II (règlement CE n° 1987/2006) relatif aux signalements de ressortissants de pays tiers aux fins de non-admission ou d’interdiction de séjour. L'art. 21 de ce règlement prescrit qu'avant d'introduire un signalement, l'État membre signalant vérifie si le cas est suffisamment approprié, pertinent et important pour justifier l'introduction du signalement dans le SIS II. Le signalement dans le SIS suppose que la présence de la personne concernée, ressortissante d’un pays tiers, sur le territoire d’un État membre constitue une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique ou pour la sécurité nationale. L'art. 24 précise que tel peut être notamment le cas lorsque l'intéressé a été condamné dans un État membre pour une infraction passible d’une peine privative de liberté d’au moins un an (let. a) ou lorsqu'il existe des raisons sérieuses de croire qu’il a commis un fait punissable grave, ou à l’égard duquel il existe des indices réels qu’il envisage de commettre un tel fait sur le territoire d’un État membre (let. b).

Cette disposition n'exige pas une condamnation à une peine privative de liberté d'au moins un an, pas plus que la disposition n'exige une condamnation pour une infraction passible d'une peine privative de liberté minimale d'un an. À cet égard, il suffit que l'infraction correspondante prévoie une peine privative de liberté "plafond" d'un an ou plus. Toutefois, à titre d'exigence cumulative, il faut toujours examiner si la personne concernée représente une menace pour la sécurité publique ou l'ordre public (art. 24, par. 2, Règlement-SIS-II). Il ne faut pas poser des exigences trop élevées en ce qui concerne l'hypothèse d'une « menace pour l'ordre public et la sécurité publique ». En particulier, il n'est pas nécessaire que la personne concernée constitue une menace concrète, actuelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (ATF 147 IV 340 consid. 4.4-4.8).

Il suffit que la personne concernée ait été condamnée pour une ou plusieurs infractions qui menacent l'ordre public et la sécurité publique et qui, prises individuellement ou ensemble, présentent une certaine gravité. Ce n'est pas la quotité de la peine qui est décisive mais la nature et la fréquence des infractions, les circonstances concrètes de celles-ci ainsi que l'ensemble du comportement de la personne concernée (ATF 147 IV 340 consid. 4.8).

L’octroi d'une autorisation de séjour dans un État membre de l’espace SCHENGEN est possible pour une personne faisant l'objet d'une inscription SIS ; si l'autorisation est délivrée, l'inscription de l'expulsion au SIS doit par conséquent être radiée, ce qui peut cas échéant intervenir après le jugement ordonnant ladite inscription. Le fait qu’une personne est au bénéfice d'une telle autorisation ne fait d’ailleurs pas obstacle à l'inscription, laquelle doit alors susciter une consultation entre l'État qui a délivré l'autorisation et celui qui inscrit l'expulsion. Si l'État qui a octroyé l'autorisation de séjour la maintient, l'inscription doit aussi être radiée (arrêt du Tribunal fédéral 6B_834/2021 du 5 mai 2022).

4.5.1. En l’espèce, l’appelant ne bénéficie d’aucun titre de séjour en Suisse, pays dans lequel il a vécu depuis 2006, mais n’a bénéficié d’une autorisation qu’entre 2015 et 2021. Son séjour dans notre pays s’est ainsi déroulé, pour l’essentiel, en marge de la loi. Il n’a plus d’emploi, ne gagnait pas sa vie au moment de son arrestation et vivait d’expédients et du soutien de ses proches. Il n’a plus de contact avec son fils aîné, lequel est bientôt majeur et avec lequel il n’a pour ainsi dire jamais formé de communauté de vie.

L’appelant peut en revanche se prévaloir de sa relation avec ses filles, qui disposent d’un titre de séjour en Suisse. Cela étant, lors de son arrestation il ne vivait plus avec l’aînée, âgée de neuf ans, et cette relation – qui peut se maintenir par le biais des moyens de communication modernes, l’enfant pouvant d’ailleurs rendre visite à son père à l’étranger – ne fait donc pas obstacle à l’expulsion, faute de vie commune.

En ce qui concerne la plus jeune fille de l’appelant, qui vivait avec elle et sa mère lors de son arrestation, on peut attendre de celles-ci, au vu de leur nationalité et de l’âge de la fillette, qu’elles accompagnent l’appelant en cas d’expulsion. Il n’est pas établi qu’elles auraient des liens étroits avec la Suisse – l’appelant ne le fait en tout cas pas valoir – et il est facile pour une enfant d’âge non scolaire de s’intégrer dans le lieu de vie de ses parents, quel qu’il soit.

Les liens de l’appelant avec la Suisse n’ont ainsi pas une intensité suffisante pour retenir la réalisation d’une situation personnelle grave.

4.5.2. En tout état de cause, même s’il fallait retenir que la première condition de l’art. 66a al. 2 CP était réalisée, l’intérêt public à l’expulsion devrait prévaloir sur les intérêts privés de l’appelant, dès lors qu'il a commis une tentative de meurtre, s’en prenant au bien juridique le plus précieux. La peine privative de liberté de quatre ans dépasse largement une année, ce qui aurait, cas échéant, conduit à la révocation de son autorisation de séjour sur la base de l'art. 62 al. 1 let. b LEI, si elle avait encore été valable (cf. ATF 139 I 145 consid. 2.1, selon lequel constitue une " peine privative de liberté de longue durée " au sens de l'art. 62 al. 1 let. b LEtr [depuis le 1er janvier 2019 : LEI] toute peine dépassant un an d'emprisonnement). Sa dangerosité est manifeste. L’appelant est mal intégré en Suisse, puisqu’il n’a bénéficié que pendant quelques années d’une autorisation de séjour, dont le renouvellement a été définitivement refusé au plus tard en 2021, ne travaillait plus depuis plusieurs mois lors de son arrestation et ne disposait pas de son propre logement. Son cercle social se résume à sa famille et il ne fait état d’aucune activité associative ou bénévole. Il n’a plus de contact avec son fils aîné. Son intérêt privé à pouvoir demeurer en Suisse – où il ne bénéficie d’aucun droit de séjour – est ainsi restreint, et a déjà été nié puisque l’autorisation dont il avait bénéficié a été définitivement révoquée.

Certes, l’appelant invoque l’absence de liens avec son pays d’origine, qu’il dit avoir quitté à l’âge de quatre ans. Il est néanmoins encore en lien avec son père, qui vit sur place, n’a pas de problème de langue et ses perspectives d’intégration socio-professionnelle n’y sont donc pas plus mauvaises qu’en Suisse où, faute d’une quelconque autorisation, il n’en a aucune.

4.5.3. Les premiers juges ont renoncé à ordonner l’inscription de l’expulsion au SIS, en raison de ses liens avec la France et pour ne pas prétériter à l'excès ses relations avec ses enfants. Cela étant, les conditions d’une telle inscription sont manifestement réalisées ; il s’agit d’une affaire importante entrant typiquement dans les critères de cette inscription. L’appelant ne fait en particulier pas valoir qu’il disposerait actuellement encore d’un titre de séjour valable pour ce pays. Même si tel devait être le cas, il importerait que cet État soit informé de la nature des faits commis en Suisse, afin de pouvoir le cas échéant décider en toute connaissance de cause. L’inscription de l’expulsion au SIS doit en conséquence être ordonnée.

L’appel joint du MP doit donc également être accepté sur ce point.

5. L'appel joint ayant été admis, l'appelant, qui succombe, supportera les frais de la procédure envers l'État (art. 428 CPP).

6. 6.1. À défaut d’état de frais de Me C______, défenseur d'office, la CPAR déterminera son indemnisation sur la base des éléments du dossier.

La prise de connaissance de la procédure et la préparation de l’audience seront indemnisées à raison de cinq heures ; s’y ajouteront trois entretiens avec le mandant détenu (4h30) et la durée des débats d’appel (3h15), soit 12h45 d’activité à CHF 200.-/heure (CHF 2'550.-), le forfait de 20% (CHF 510.-), une vacation à CHF 100.- et la TVA au taux de 7.7 % (CHF 243.30) pour un total de CHF 3'403.30.

6.2. Considéré globalement, l'état de frais produit par Me E______, conseil juridique gratuit de D______, satisfait les exigences légales et jurisprudentielles régissant l'assistance judiciaire gratuite en matière pénale.

La rémunération de Me E______ sera partant arrêtée à CHF 454.15 correspondant à 1h55 heures d'activité au tarif de CHF 200.-/heure plus la majoration forfaitaire de 10% et l'équivalent de la TVA au taux de 7.7% en CHF 32.45.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel et l'appel joint formés par A______ et par le Ministère public contre le jugement JTCO/72/2023 rendu le 14 juin 2023 par le Tribunal correctionnel dans la procédure P/14788/2022.

Rejette l’appel principal.

Admet l’appel joint.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Acquitte A______ du chef de menaces (ch. 1.2. de l'acte d'accusation ; art. 180 al. 1 CP).

Déclare A______ coupable de tentative de meurtre (art. 111 cum art. 22 al. 1 CP).

Condamne A______ à une peine privative de liberté de quatre ans, sous déduction de la détention avant jugement et en exécution anticipée de peine subie depuis le 10 juillet 2022 (art. 40 et 51 CP).

Ordonne l'expulsion de Suisse de A______ pour une durée de cinq ans (art. 66a al. 1 let. a CP).

Dit que l'exécution de la peine prime celle de l'expulsion (art. 66c al. 2 CP).

Ordonne le signalement de l'expulsion dans le système d'information Schengen (SIS) (art. 20 de l'ordonnance N-SIS; RS 362.0).

Constate que A______ acquiesce aux conclusions civiles (art. 124 al. 3 CPP).

Condamne A______ à payer à D______ CHF 10'000.-, avec intérêts à 5% dès le 10 juillet 2022, à titre de réparation du tort moral (art. 47 CO).

Ordonne la confiscation et la destruction du couteau figurant sous chiffre 3 de l'inventaire n° 3______ (art. 69 CP).

Ordonne la restitution à leur ayant droit des objets figurant sous chiffres 1 et 2 de l'inventaire n° 3______ (art. 267 al. 1 et 3 CPP).

Ordonne la restitution à D______ des vêtements et chaussures figurant sous chiffres 4 à 7 de l'inventaire n° 3______ (art. 267 al. 1 et 3 CPP).

Ordonne la restitution A______ des vêtements et chaussures figurant sous chiffres 1 à 4 de l'inventaire n° 4______ (art. 267 al. 1 et 3 CPP).

Ordonne la restitution à son ayant droit du téléphone figurant sous chiffre 1 de l'inventaire n° 5______ (art. 267 al. 1 et 3 CPP).

Condamne A______ au paiement de CHF 10'045.75, correspondant aux 4/5èmes des frais de la procédure préliminaire et de première instance, qui s'élèvent au total à CHF 12'557.20, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.- (art. 426 al. 1 CPP).

Laisse le solde des frais de la procédure préliminaire et de première instance à la charge de l'État (art. 423 al. 1 CPP).

Prend acte de ce que le Tribunal correctionnel a arrêté à CHF 8'556.80 l'indemnité de procédure due à Me K______, défenseure d'office de A______ (art. 135 CPP) et à CHF 11'825.45 l'indemnité de procédure due à Me E______, conseil juridique gratuit de D______ (art. 138 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'805.-, comprenant un émolument de jugement de CHF 1'500.- et met ces frais à la charge de A______.

Arrête à CHF 3'403.30, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me C______, défenseur d'office de A______, pour la procédure d'appel.

Arrête à CHF 454.15, TVA comprise, le montant des frais et honoraires de Me E______, conseil juridique gratuit de D______, pour la procédure d'appel.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal correctionnel, au secrétariat d'État aux migrations, à l'Office cantonal de la population et des migrations et au Service de l'application des peines et mesures.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

La présidente :

Gaëlle VAN HOVE

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale, sous la réserve qui suit.

 

Dans la mesure où il a trait à l'indemnité de l'avocat désigné d'office ou du conseil juridique gratuit pour la procédure d'appel, et conformément aux art. 135 al. 3 let. b CPP et 37 al. 1 de la loi fédérale sur l'organisation des autorités pénales de la Confédération (LOAP), le présent arrêt peut être porté dans les dix jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 39 al. 1 LOAP, art. 396 al. 1 CPP) par-devant la Cour des plaintes du Tribunal pénal fédéral (6501 Bellinzone).


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal correctionnel :

CHF

12'557.20

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

120.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

110.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'805.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

14'362.20