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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/21091/2021

AARP/347/2023 du 12.09.2023 sur JTDP/54/2023 ( PENAL ) , PARTIELMNT ADMIS

RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21091/2021 AARP/347/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 12 septembre 2023

 

Entre

A______, domiciliée p.a. B______, ______ [GE], comparant en personne,

appelante,

 

contre le jugement JTDP/54/2023 rendu le 17 janvier 2023 par le Tribunal de police,

 

et

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

intimé.


EN FAIT :

A.           a. En temps utile, A______ appelle du jugement du 17 janvier 2023 par lequel le Tribunal de police (TP) l'a reconnue coupable d'usure (art. 157 ch. 1 du Code pénal [CP]) et d'emploi d'étrangers sans autorisation (art. 117 al. 1 de la Loi fédérale sur les étrangers et l'intégration [LEI]). Le premier juge l'a condamnée à une peine pécuniaire de 180 jours-amende, à CHF 110.- le jour, avec sursis et délai d'épreuve de trois ans, à une amende de CHF 3'960.-, peine privative de liberté de substitution de 36 jours, aux frais de la procédure et a rejeté ses conclusions en indemnisation.

A______ conclut à son acquittement du chef d'infraction d'usure, subsidiairement, au prononcé d'une peine plus clémente en raison de l'existence de circonstances atténuantes. S'agissant de l'infraction à la LEI, qu'elle ne conteste pas, elle conclut également à bénéficier de circonstances atténuantes.

Le Ministère public (MP) conclut au rejet de l'appel.

b. Selon l'ordonnance pénale du 14 mars 2022, il est reproché ce qui suit à A______, faits non contestés en appel :

Entre le mois de mars 2016 et le 30 juin 2021, elle a employé à Genève C______, de nationalité nicaraguayenne, afin de la faire travailler au service de sa mère, alors que la précitée ne disposait pas des autorisations nécessaires pour séjourner et travailler en Suisse.

Par la même ordonnance pénale, il lui est encore reproché ce qui suit :

Elle a exploité la situation personnelle, la gêne et la faiblesse de C______, qui se trouvait sans ressource et en situation irrégulière, en la faisant travailler de 20h00 à 13h00 tous les jours de la semaine, sauf le samedi, contre un salaire horaire de CHF 3.- la journée et de CHF 3.50 la nuit, soit de 20h00 à 8h00. En appliquant une rémunération largement en dessous des salaires minimaux applicables en Suisse, elle a profité d'avantages pécuniaires disproportionnés.

B. Les faits pertinents suivants ressortent de la procédure :

a. Suite à l'intervention de la police le 9 juillet 2021 dans un appartement situé avenue 1______ no. ______ à Genève, C______, originaire du Nicaragua et en situation irrégulière sur le territoire, a été convoquée le 14 juillet 2021 pour être entendue en qualité de prévenue, en particulier sur sa condition personnelle, professionnelle et administrative.

Elle a indiqué à la police être arrivée à Genève avec ses deux enfants au mois de mars 2006 afin de travailler. Elle n'avait jamais formulé de demande auprès de l'Office cantonal de la population et des migrations (OCPM) et n'avait a fortiori bénéficié d'aucune autorisation. Elle séjournait et travaillait de manière illégale à Genève depuis environ 15 ans, sous réserve d'un an entre 2011 et février 2012 pendant lequel elle avait vécu au Nicaragua.

Entre 2016 et 2021, elle avait été engagée par A______ à compter du mois de mars ou d'avril 2016, pour travailler au domicile de la mère de cette dernière, et ce, jusqu'au 1er juillet 2021, date de son licenciement. Elle effectuait en moyenne 100 heures par semaine. Pendant trois ans, ses horaires de travail s'étaient étendus de 20h00 à 13h00, tous les jours de la semaine, à l'exception du samedi, avant d'être quelque peu réduits par la suite. Elle était rémunérée à hauteur de CHF 3.- de l'heure durant la journée. Lorsqu'elle travaillait la nuit, soit de 20h00 à 8h00, elle percevait la somme totale de CHF 42.-. L'argent était versé en espèces, de main à main, et elle n'avait jamais reçu de décompte de salaire.

b.a.a. Entendue par la police, puis le MP, A______ a déclaré que sa mère avait été victime d'un AVC en 2003 et était depuis lors hémiplégique. Au décès de son père en 2012, sa sœur et elle s'étaient occupées de leur mère avec l'aide d'autres membre de la famille. Elle avait fait la connaissance de C______ à travers un ami de sa famille en qui elle avait confiance et l'avait engagée depuis mai 2016 pour s'occuper de la toilette de sa mère, la mettre au lit, réchauffer les repas déjà préparés et s'occuper de l'entretien de l'appartement. Le reste du temps, il s'agissait simplement d'assurer une présence rassurante auprès de sa mère, dans la mesure où l'employée dormait au domicile de cette dernière. Ainsi, le nombre d'heures effectivement travaillées s'élevait à six par jour. Les horaires de C______ étaient très variables, en fonction de ses autres emplois et il lui arrivait de se faire remplacer. C______ avait travaillé jusqu'à la fin du mois de juin 2021. Son salaire horaire était de CHF 3.- durant la journée et de CHF 3.50 durant la nuit. Elle reconnaissait ainsi lui avoir versé entre CHF 1'200.- et CHF 1'400.- par mois à titre de salaire, précisant qu'elle ne s'était pas acquittée des charges sociales. Cette rémunération avait été fixée sur la base de l'argent qu'avait laissé son père suite à son décès ; sa sœur et elle avaient estimé une prise en charge de leur mère durant une dizaine d'années. C______ avait assumé, dans un premier temps, un horaire du lundi au vendredi de 20h00 à environ 12h00, voire 13h00. Puis, dans un second temps, elle avait travaillé de 21h00 à 10h30. Ce changement était intervenu à la demande de C______, afin qu'elle puisse concilier ce travail avec ses autres emplois. Elle avait appris que C______ n'avait pas de logement et avait également accepté que la fille de la précitée, au vu des différents problèmes qu'elle rencontrait, dorme chez sa mère, à une reprise. Son employée lui avait dit avoir des problèmes familiaux et avec la justice.

b.a.b. A______ a produit une sélection des messages échangés avec C______ desquels il ressort notamment que cette dernière a demandé à plusieurs reprises des avances sur salaire et a procédé à des modifications du planning en annonçant des retards ou des remplacements par des tiers. Elle a notamment produit le message du 22 avril 2021 à 07h20 dans lequel C______ indique que la mère de la prévenue a dormi toute la nuit, depuis 23h00.

b.b. À l'audience de jugement, A______ a confirmé ses précédentes déclarations.

Le travail de C______ pouvait être qualifié de "dame de compagnie". Elle venait vers 20h00, s'occupait de donner à manger à sa mère et de la mettre au lit de sorte que vers 21h30-22h00, son activité était terminée. Elle lui avait toutefois demandé de rester la nuit, ce que l'employée avait accepté. Le matin, C______ s'occupait de sa mère sur une durée de 2 heures, restant parfois jusqu'à 13h00 pour lui donner à manger. Dans l'intervalle, toutefois, il s'agissait uniquement d'une présence. Ainsi, elle n'avait pas été surprise que C______ accepte ce salaire, au vu du travail à fournir, bien que celui-ci, même multiplié par trois, ne soit pas usuel à Genève, ajoutant que si son employée n'avait pas voulu de cet emploi, elle n'était pas obligée de l'accepter.

S'agissant de la situation personnelle de C______, la prévenue a déclaré, entre autres, savoir qu'elle avait fait de la prison, qu'elle avait fait venir sa fille et son petit frère en Suisse, qu'elle devait envoyer de l'argent dans son pays d'origine, qu'elle avait beaucoup déménagé, qu'elle sous-louait des appartements et qu'elle avait besoin de travailler.

c. Selon le rapport du service de l'Inspection du travail établi suite à un entretien avec C______ le 16 juin 2021, celle-ci a indiqué effectuer six nuits par semaine au domicile de la mère de A______, laquelle s'endormait vers 22h00 ou 23h00 et se réveillait en moyenne deux à trois fois par nuit.

C. a. La juridiction d'appel a ordonné l'instruction de la cause par la voie écrite avec l'accord des parties.

b.a. Selon son mémoire d'appel, A______ persiste dans ses conclusions, précisant conclure principalement à son acquittement, subsidiairement à une exemption de peine, et encore plus subsidiairement, à une importante diminution de celle-ci, y compris de l'amende prononcée.

Elle n'avait pas agi par intérêt financier et convenance personnelle tel que retenu par le premier juge. Elle ne pouvait s'occuper quotidiennement, avec la seule aide de sa sœur, de sa mère hémiplégique. Sa mère ne pouvait être placée en EMS, cette dernière s'y opposant farouchement et son médecin traitant ayant indiqué qu'un tel placement aurait des conséquences dramatiques sur son état de santé. Elle avait ainsi décidé avec sa sœur d'engager une aide à la personne, dont le financement n'était pas pris en charge par l'État. C'était ainsi dans le but de préserver la santé morale, voire la vie de sa mère qu'elle avait dû commettre l'infraction retenue (usure), le budget à sa disposition ne lui permettant pas de recourir à une société spécialisée à long terme. Elle pensait sincèrement que C______ était satisfaite de l'accord conclu, bien qu'il ne faisait aucun doute, qu'avec sa mère et sa sœur, elles en avaient "retiré un bénéfice disproportionné par rapport à celui qu'en [avait] retiré Madame C______". Cet accord avait été "salvateur". Elle n'avait pas profité de la situation compliquée de C______ qui, bien que vivant précairement, n'était pas en détresse ; celle-ci ne s'était jamais plainte de sa situation et, au contraire, l'avait souvent remerciée de ce qu'elle faisait pour elle. Cet emploi lui permettait de percevoir un salaire d'appoint et de se reposer loin des obligations liées à sa famille pour assurer pleinement ses autres emplois.

Le premier juge n'avait pas tenu compte dans le calcul du salaire horaire du fait que les heures d'activité réelles variaient entre trois et cinq heures quotidiennes. Le reste de la journée, bien que le planning fût contraignant, C______ était libre et pouvait sortir, ce qu'elle faisait souvent. Son budget ne lui permettait pas de rémunérer "en plein" les heures d'inactivité, ce que l'employée avait accepté, sans être contrainte. Il avait également omis de tenir compte du fait que le repas et le logement étaient compris, soit un salaire en nature correspondant à CHF 990.- selon l'Office cantonal des assurances sociales de Genève (OCAS).

Elle reconnaissait avoir commis une infraction à l'art. 117 LEI. Elle n'aurait pas pu se passer de l'aide de C______, qui avait été "essentielle et salvatrice" et aurait engagé cette dernière même en ayant conscience d'enfreindre la LEI. Elle souhaitait toutefois être mise au bénéfice de circonstances atténuantes vu la tolérance, par l'OCPM, d'étrangers sur le territoire dans l'attente d'une décision sur leur droit de séjour et l'exigence, dans le cadre de l'opération Papyrus, que ceux-ci justifient, notamment, d'un emploi stable et d'un logement.

b.b. A______ a produit divers documents dont notamment :

- un certificat médical, daté du 8 octobre 2021 et établi par le Dr D______, lequel atteste avoir fait part de son pessimisme sur l'évolution à court-terme de l'état de santé de la mère de A______ en cas de placement dans un EMS contre son gré ;

- le bulletin de salaire d'avril 2022 de E______ attestant qu'elle perçoit un salaire mensuel brut de CHF 5'260.35 comme garde/aide à la personne ;

- un message du 30 mai 2022 envoyé à 18h40 par E______, duquel il ressort que la mère de la prévenue dort durant toute la nuit.

c. Le MP persiste dans ses conclusions.

L'argumentation de A______ ne permettait pas de retenir une absence de culpabilité s'agissant de l'infraction d'usure mais, au contraire, la réalisation de ses éléments constitutifs. En particulier, le fait que C______ avait accepté les conditions de travail et en était reconnaissante n'excluait pas l'application de l'art. 157 CP mais démontrait l'état de gêne dans lequel se trouvait la précitée.

Le salaire retenu par le premier juge n'était pas critiquable, dans la mesure où toutes les heures passées au domicile de la mère de A______ étaient des heures de travail, peu importait l'intensité des tâches réalisées. La disproportion des prestations était évidente et corroborée par le fait que l'intéressée avait versé par la suite à d'autres employés, pour le même travail, un salaire mensuel brut de CHF  5'260.-, soit quatre fois supérieur à celui perçu par C______.

En tant que responsable des ressources humaines au sein d'une entreprise, A______ ne pouvait ignorer les obligations légales en matière d'autorisation de travail et, bien que la demande de permis de travail de C______ fût en cours, celle-ci n'était toujours pas en possession d'une autorisation valable.

Enfin, A______ ne démontrait pas la réalisation d'une quelconque circonstance atténuante. Elle se limitait à se plaindre de sa situation et des conséquences pénales et administratives des infractions qu'elle avait choisi de commettre pour économiser le paiement d'un salaire décent, alors qu'elle en avait les moyens.

D. A______, originaire d'Italie, est née le ______ 1974 à Genève. Elle est au bénéfice d'un permis C. Elle est séparée. Elle a deux enfants à charge âgés de 17 ans et 15 ans. Elle était responsable des ressources humaines au sein de F______ SA, percevant un salaire mensuel net de CHF  8'800.-, avant de démissionner le 31 janvier 2022. Son loyer s'élève à CHF  2'286.- par mois, sa fortune mobilière à environ CHF 100'000.- et elle est copropriétaire avec sa sœur d'un bien immobilier en G______, en Italie.

Selon l'extrait de son casier judiciaire suisse, elle n'a pas d'antécédent.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 du Code de procédure pénale [CPP]).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence, garantie par l'art. 6 ch. 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme (CEDH) et, sur le plan interne, par les art. 32 al. 1 de la Constitution fédérale (Cst.) et 10 al. 3 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves au sens large (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.1 ; ATF 127 I 28 consid. 2a).

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, la présomption d'innocence signifie, au stade du jugement, que ce fardeau incombe à l'accusation et que le doute doit profiter au prévenu. La présomption d'innocence est violée lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que le prévenu n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a p. 40) ou encore lorsque le juge condamne le prévenu au seul motif que sa culpabilité est plus vraisemblable que son innocence. En revanche, l'absence de doute à l'issue de l'appréciation des preuves exclut la violation de la présomption d'innocence en tant que règle sur le fardeau de la preuve (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

Comme règle d'appréciation des preuves, la présomption d'innocence signifie que le juge ne doit pas se déclarer convaincu de l'existence d'un fait défavorable à l'accusé si, d'un point de vue objectif, il existe des doutes quant à l'existence de ce fait. Il importe peu qu'il subsiste des doutes seulement abstraits et théoriques, qui sont toujours possibles, une certitude absolue ne pouvant être exigée. Il doit s'agir de doutes sérieux et irréductibles, c'est-à-dire de doutes qui s'imposent à l'esprit en fonction de la situation objective (ATF 144 IV 345 consid. 2.2.3.3).

3. 3.1.1. Se rend coupable d’usure au sens de l'art. 157 ch. 1 CP, celui qui a exploité la gêne, la dépendance, l'inexpérience ou la faiblesse de la capacité de jugement d'une personne en se faisant accorder ou promettre par elle, pour lui-même ou pour un tiers, en échange d'une prestation, des avantages pécuniaires en disproportion évidente avec celle-ci sur le plan économique.

L'infraction d'usure suppose d'abord que la victime se soit trouvée dans l'une des situations de faiblesse, énumérées de manière exhaustive à l'art. 157 CP. L'état de gêne, qui n'est pas forcément financière, s'entend de tout état de contrainte qui influe si fort sur la liberté de décision de la personne lésée qu'elle est prête à fournir une prestation disproportionnée. Il faut procéder à une analyse objective, en ce sens qu'on doit admettre qu'une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait été entravée dans sa liberté de décision. Le consentement de la victime n'exclut pas l'application de l'art. 157 CP. Il en est au contraire un élément (arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.1 et 1.1.1 et les références citées). En ce qui concerne la gêne économique, la victime doit se trouver dans l'impossibilité de repousser le contrat qui lui est proposé ou les conditions qui lui sont faites. Elle se trouve ainsi réduite à une telle extrémité, soit à la "merci" de l'usurier (M. DUPUIS / L. MOREILLON / C. PIGUET / S. BERGER / M. MAZOU / V. RODIGARI [éds], Code pénal – Petit Commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 5 ad art. 157).

L'auteur doit ensuite exploiter la situation de faiblesse dans laquelle se trouve la victime, soit utiliser consciemment cette situation, en vue de l'obtention d'un avantage pécuniaire (arrêt du Tribunal fédéral 6B_395/2007 du 14 novembre 2007 consid. 4.1). Cet avantage patrimonial doit en outre avoir été fourni ou promis en échange d'une prestation. L'usure ne peut ainsi intervenir que dans le cadre d'un contrat onéreux (arrêt du Tribunal fédéral 6B_430/2020 du 26 août 2020 consid. 2.3.1 et les références citées ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.1.5 et les références citées).

Il est encore nécessaire qu'il y ait une disproportion évidente entre l'avantage et la prestation échangée. Pour déterminer si une telle disproportion existe, il y a lieu de procéder à une évaluation objective, en recherchant la valeur patrimoniale effective de la prestation, calculée en tenant compte de toutes les circonstances (arrêt du Tribunal fédéral 6B_301/2020 du 28 avril 2020 consid. 1.1.4 et les références citées). La loi et la jurisprudence ne fournissent pas de limite précise pour déterminer à partir de quand le déséquilibre entre les prestations est usuraire. Les critères à prendre en considération, parmi lesquels celui des risques encourus, rendent difficile une évaluation en chiffres. Pour qu'elle puisse être considérée comme usuraire, la disproportion doit toutefois excéder sensiblement les limites de ce qui apparaît usuel et normal au regard de l'ensemble des circonstances ; elle doit s'imposer comme frappante aux yeux de tout client (ATF 92 IV 132 consid. 1). Dans la doctrine, une limite de l'ordre de 20% est évoquée pour les domaines réglementés ; pour les autres domaines, il y a usure, dans tous les cas, dès 35 % (arrêts du Tribunal fédéral 6B_875/2020 du 15 avril 2021 consid. 4.1 ; 6B_918/2018 du 24 avril 2019 consid. 2.4.3). La jurisprudence considère comme décisive la valeur patrimoniale effective, c'est-à-dire la valeur de la prestation calculée en tenant compte de toutes les circonstances (ATF 130 IV 106 consid. 7.2 ; 93 IV 85 consid. 2).

3.1.2. Sur le plan subjectif, l'infraction est intentionnelle, mais le dol éventuel suffit. Il faut donc que l'auteur connaisse, au moins sous cette forme, la situation de faiblesse dans laquelle se trouve l'autre partie ainsi que la disproportion entre les prestations, de même qu'il doit avoir conscience que la situation de faiblesse motive l'autre partie à accepter la disproportion évidente entre les prestations (ATF
130 IV 106 consid. 7.2).

3.1.3. En 2012, un travailleur domestique sans qualification particulière à temps complet avait droit, selon l'art. 10 al. 1 let. f du contrat type de travail avec salaires minimaux impératifs de l'économie domestique (CTT-EDom) en vigueur à cette période, à un salaire mensuel minimum de CHF 3'625.-, constitué de CHF 2'635.- en espèces et de CHF 990.- en nature pour la nourriture (CHF 645.-) et le logement (CHF 345.-) (https://www.ocas.ch/employeurs-avs/salaires-en-espèces-et-en-nature). Dès 2018, puis dès 2021, ce même travailleur avait droit, selon les textes en vigueur à ces périodes, à un salaire minimum de CHF 3'801.- constitué de CHF  2'811.- en espèces et des montants susmentionnés pour le gîte et le couvert, puis de
CHF 4'512.-, constitué de CHF 3'522.- en espèces et des mêmes montants pour le gîte et le couvert. À teneur des textes alors en vigueur, l'horaire maximum de l'employé était de 45 heures par semaine et le droit aux vacances de quatre semaines par année. Les heures de veille de nuit, de 20h00 à 07h00, étaient majorées de CHF 7.55/heure de veille en 2018. Dès 2021, il a été prévu que la rémunération soit fonction du nombre d'interruptions durant la veille ; ainsi le travailleur perçoit 60% du salaire minimum pour les veilles de nuit accomplies sans interruption (art. 10 al. 1bis CTT en vigueur à ces périodes).

3.2. En l'espèce, les déclarations de C______ sont majoritairement corroborées par celles de l'appelante : cette dernière l'a engagée de mai 2016 à fin juin 2021. Elle a été rémunérée CHF 3.- de l'heure, majorée de CHF 0.50 les heures de nuit, de 20h00 à 08h00. Les parties s'accordent également sur les horaires pratiqués, de 20h00 à 13h00 initialement puis une réduction de ceux-ci sur demande de l'employée, de 21h00 à 10h30.

L'appelante conteste en revanche le nombre de 100 heures effectuées par semaine tel que l'a déclaré C______. Selon elle, l'employée travaillait environ deux heures le soir et deux heures le matin, le reste du temps son activité se limitant à une simple présence rassurante auprès de sa mère, qui ne demandait en outre aucune assistance durant la nuit.

Contrairement à ce qu'argue l'appelante, les heures effectuées durant la journée doivent être rémunérées, peu importe l'intensité des tâches réalisées.

Les déclarations des parties divergent concernant le travail de nuit. C______ a indiqué au Service de l'inspection du travail être sollicitée deux à trois fois par nuit par la mère de l'appelante. Cette dernière a quant à elle expliqué de manière constante que sa mère ne se réveillait pas durant la nuit, ce qui est corroboré par un message de C______ et celui de E______. La version la plus favorable à l'appelante sera retenue. Les heures réalisées de 22h00 à 7h00 doivent néanmoins être rémunérées comme des heures de veille de nuit.

Si l'on se base sur les années 2020 et 2021, soit après que C______ a modifié ses horaires de travail suite à trois années au service de l'appelante et a effectué ainsi le nombre d'heures le moins élevé, celle-ci a travaillé quatre heures et demie la journée (de 07h00 à 10h30 et de 21h00 à 22h00) et neuf heures la nuit (de 22h00 à 07h00), durant six jours par semaine, soit au total 81 heures par semaine. Vu les tarifs en vigueur selon la CTT, cela représente un salaire mensuel de CHF  8'604.55 à tout le moins. L'appelante ayant indiqué avoir rémunéré C______ CHF 1'200.- à CHF1'400.-, voire CHF 1'400.- à CHF 1'600.- mensuellement, il existe une disproportion plus qu'évidente entre l'avantage et la prestation échangée. L'appelante indique que le premier juge a omis de tenir compte du montant de CHF 990.- correspondant au salaire en nature. À cet égard, les éléments au dossier ne permettent pas d'établir avec certitude que les repas de C______ étaient pris en charge par son employeur. Quand bien même tel serait le cas, il n'en laisserait pas moins apparaître une rémunération plus de trois fois inférieure à la règlementation prévue.

Du reste, la disproportion entre les prestations échangées n'est plus contestée par l'appelante au stade de l'appel, le "bénéfice disproportionné par rapport à celui qu'en a retiré Madame C______" étant admis.

C______ séjournait et travaillait sur le territoire suisse de manière illégale. Elle cumulait les petits emplois afin d'être en mesure de subvenir à l'entretien de sa famille. L'appelante était au courant de cette situation, expliquant que C______ avait des problèmes familiaux ainsi que de logement et qu'elle l'avait autorisée à venir dormir avec sa fille chez sa mère. Elle ne pouvait ignorer les problèmes financiers de son employée au vu des nombreuses demandes d'avance sur salaire reçues. Le fait que C______ a accepté le salaire proposé reflète bien la situation de détresse dans laquelle elle se trouvait, contrairement à ce que plaide l'appelante.

Cette dernière a dès lors engagé C______ pour un salaire indécent en toute conscience, sachant que la situation précaire de la précitée la conduisait à accepter un tel contrat. À tout le moins a-t-elle agi par dol éventuel, ce qui suffit.

L'appelante s'est ainsi rendu coupable d'usure au sens de l'art 157 al. 1 CP.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

4. 4.1. L'infraction à l'art. 117 al. 1 LEI, non contestée en appel, est passible d'une peine privative de liberté d'un an au plus ou d'une peine pécuniaire et celle à l'art. 157 al. 1 CP l'est d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

4.2. En l'espèce, les faits reprochés à l'appelante sont à la fois antérieurs et postérieurs à l'entrée en vigueur du nouveau droit des sanctions. Dans la mesure où les principes régissant la fixation de la peine postulent le prononcé d'une peine d'ensemble et d’une peine pécuniaire, la peine sera fixée selon le nouveau droit.

4.3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente). Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2).

4.3.2. Selon l'art. 49 al. 1 CP, si, en raison d'un ou de plusieurs actes, l'auteur remplit les conditions de plusieurs peines de même genre, le juge le condamne à la peine de l'infraction la plus grave et l'augmente dans une juste proportion. Il doit, dans un premier temps, fixer la peine pour l'infraction abstraitement – d'après le cadre légal fixé pour chaque infraction à sanctionner – la plus grave, en tenant compte de tous les éléments pertinents, parmi lesquels les circonstances aggravantes ou atténuantes. Dans un second temps, il augmentera cette peine pour sanctionner chacune des autres infractions, en tenant là aussi compte de toutes les circonstances y relatives (ATF 144 IV 313 consid. 1.1.2).

4.3.3. Selon l'art. 42 al. 4 CP, le juge peut prononcer, en plus du sursis, une amende selon l'art. 106 CP. Celle-ci entre en ligne de compte en matière de délinquance de masse lorsque le juge souhaite prononcer une peine privative de liberté ou pécuniaire avec sursis, mais qu'une sanction soit néanmoins perceptible pour le condamné, dans un but de prévention spéciale (ATF 135 IV 188 consid. 3.3. p. 189 ; 134 IV 60 consid. 7.3.1). La sanction ferme accompagnant la sanction avec sursis doit contribuer, dans l'optique de la prévention tant générale que spéciale, à renforcer le potentiel coercitif de la peine avec sursis. Cette forme d'admonestation adressée au condamné - ainsi qu'à tous - doit attirer son attention sur le sérieux de la situation en le sensibilisant à ce qui l'attend s'il ne s'amende pas. La combinaison prévue à l'art.  42 al. 4 CP constitue un "sursis qualitativement partiel" (ATF 134 IV 60 consid. 7.3.1 ; arrêt du Tribunal fédéral 6B_835/2018 du 8 novembre 2018 consid. 3.2).

4.4. L'art. 48 CP prévoit que le juge doit atténuer la peine lorsque l'une ou l'autre des circonstances évoquées dans cette disposition est réunie. Parmi celles-ci figurent le mobile honorable (let. a ch. 1), la détresse profonde (let. a ch. 2) et l'état de profond désarroi (let. c).

Pour savoir si une circonstance atténuante peut être retenue, il faut procéder à une appréciation objective des causes de ces états et déterminer si un être humain raisonnable, de la même condition que l'auteur et placé dans une situation identique, se trouverait facilement dans un tel état (ATF 107 IV 105 consid. 2b/bb).

4.5. En l'espèce, la faute de l'appelante ne doit pas être sous-estimée. Elle a réalisé une infraction à l'art. 157 ch. 1 CP, qui protège un bien juridique élevé. Elle a volontairement exploité la faiblesse de C______, cela pendant cinq ans, soit une longue période, économisant ainsi des dizaines de milliers de francs. Elle n'a pas hésité à faire travailler son employée, en situation irrégulière, en exploitant la précarité de son existence, pour un salaire moindre et choquant, omettant au passage de s'acquitter des cotisations sociales, au mépris des lois en vigueur, ce dont elle était parfaitement consciente, surtout de par sa profession.

L'appelante invoque des circonstances atténuantes, sans toutefois en plaider une en particulier. Celles prévues à l'art. 48 CP ne trouvent pas application ; d'autres personnes confrontées aux mêmes difficultés, liées à la prise en charge d'un parent lourdement atteint dans sa santé, n'auraient pas agi de manière similaire. Il ne peut être nié que l'appelante se trouvait dans une situation compliquée qui a guidé ses choix. Toutefois, son comportement ne saurait être excusé. Elle avait pleine latitude pour s'organiser différemment, étant précisé qu'elle n'était pas dans une situation particulière de besoin d'un point de vue financier. Elle aurait à l'évidence été en mesure de payer le salaire minimum à C______, vu qu'elle percevait un revenu non négligeable et que sa mère détenait de la fortune personnelle, laissée par son défunt mari, qui devait précisément être utilisée à cette fin. Il existait en outre l'option du placement de sa mère en EMS, même si cela restait, il est vrai, contre-indiqué d'un point de vue médical. La Cour comprend que ce fut un choix difficile, étant donné que sa mère s'y opposait, mais cela ne lui donnait pas pour autant le droit d'exploiter la vulnérabilité d'une ressortissante étrangère en situation illégale.

La collaboration de l'appelante a été bonne, dès lors qu'elle a admis la matérialité des faits. En revanche sa prise de conscience n'est pas complète étant donné sa tendance à se placer en victime et à minimiser la situation, en particulier la condition difficile dans laquelle se trouvait son employée. Elle concède toutefois ses erreurs, pour la première fois, dans son mémoire d'appel, ce qui témoigne d'un certain amendement.

Il y a concours d'infractions, la plus grave étant l'usure (art. 157 al. 1 CP). Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la peine de base doit être arrêtée à 150 jours-amende. Elle sera augmentée dans une juste proportion de 30 jours-amende (peine hypothétique : 60 jours-amende) pour tenir compte du concours avec l'infraction à la LEI.

La peine pécuniaire de 180 jours-amende fixée par le premier juge est donc adéquate. Pour tenir compte de la situation financière actuelle de l'appelante, le montant du jour-amende sera en revanche arrêté à CHF 60.-.

Le sursis (art. 42 al. 1 CP), acquis à l'appelante, tout comme la durée du délai d'épreuve fixée à trois ans par le TP, adéquate, seront confirmés.

En revanche, l'appelante ayant admis les faits dans son mémoire d'appel et n'ayant pas d'antécédent, un sursis qualitativement partiel n'apparait pas nécessaire. Il sera ainsi renoncé au prononcé d'une amende à titre de sanction immédiate.

Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.

5. 5.1. L'appel est partiellement admis dans la mesure où l'appelante obtient gain de cause concernant le prononcé d'une amende à titre de sanction immédiate. Elle supportera dès lors 4/5èmes des frais de la procédure, y compris un émolument de jugement de CHF 1'500.-, le solde étant laissé à la charge de l'État (art. 428 CPP).

5.2. Sa culpabilité étant acquise, la mise à charge des frais de première instance sera confirmée (art. 426 al. 1 CPP a contrario).

6. Concernant la procédure de première instance, dans la mesure où A______ a été condamnée aux frais de celle-ci, ses conclusions en indemnisation seront rejetées.

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :

 

Reçoit l'appel formé par A______ contre le jugement JTDP/54/2023 rendu le 17 janvier 2023 par le Tribunal de police dans la procédure P/21091/2021.

L'admet partiellement.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Déclare A______ coupable d'usure (art. 157 ch. 1 CP) et d'emploi d'étrangers sans autorisation (art. 117 al. 1 LEI).

Condamne A______ à une peine pécuniaire de 180 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 60.-.

Met A______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à trois ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit A______ que si elle devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Prend acte de ce que les frais de la procédure de première instance ont été arrêtés par le premier juge à CHF 1'526.- (y compris un émolument complémentaire de jugement de CHF 600.-) et met ces frais à charge de A______.

Rejette les conclusions en indemnisation de A______ (art. 429 CPP).

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'615.-, comprenant un émolument de jugement de CHF 1'500.-.

Met 4/5èmes de ces frais, soit CHF 1'292.- à la charge de A______ et laisse le solde à la charge de l'État.


 

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police, au Secrétariat d'État aux migrations et à l'Office cantonal de la population et des migrations.

 

La greffière :

Lylia BERTSCHY

 

Le président :

Fabrice ROCH

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de police :

CHF

1'526.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

00.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

40.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

00.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'500.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'615.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'141.00