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Décisions | Chambre pénale d'appel et de révision

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P/21080/2020

AARP/31/2023 du 09.02.2023 sur JTDP/723/2022 ( PENAL ) , ADMIS

Recours TF déposé le 21.03.2023, rendu le 10.04.2024, REJETE, 6B_386/2023
Descripteurs : TENTATIVE(DROIT PÉNAL);VIOLENCE CONTRE LES AUTORITÉS;EXEMPTION DE PEINE
Normes : CP.285; CP.22; CP.53
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

P/21080/2020 AARP/31/2023

COUR DE JUSTICE

Chambre pénale d'appel et de révision

Arrêt du 27 janvier 2023

 

Entre

LE MINISTÈRE PUBLIC de la République et canton de Genève, route de Chancy 6B, case postale 3565, 1211 Genève 3,

appelant,

 

contre le jugement JTDP/723/2022 rendu le 20 juin 2022 par le Tribunal de police,

 

et

A______, comparant par Me Robert ASSAËL, avocat, Mentha Avocats, rue de l'Athénée 4, case postale 330, 1211 Genève 12,

intimé.


EN FAIT :

A. a. En temps utile, le Ministère public (MP) appelle du jugement du 20 juin 2022, par lequel le Tribunal de police (TP) a acquitté A______ de tentative de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 al. 1 du code pénal [CP] cum art. 22 CP) et condamné l'État à lui verser CHF 10'837.50 à titre d'indemnité (art. 429 al. 1 let. a du code de procédure pénale [CPP]) .

Le MP entreprend intégralement ce jugement, concluant à ce que A______ soit reconnu coupable de l'infraction précitée et condamné à une peine pécuniaire de 30 jours-amende à CHF 210.- l'unité, avec sursis (délai d'épreuve: trois ans), ainsi qu'à une amende de CHF 1'200.- à titre de sanction immédiate, frais de procédure à sa charge.

b. Selon l'ordonnance pénale du 21 septembre 2021, valant acte d'accusation, il est reproché à A______ d'avoir, alors qu'il était gardien sous-chef à [l'établissement pénitentiaire] B______, tenté d'empêcher le directeur, C______, de mettre en œuvre une réforme du fonctionnement de la prison en le menaçant notamment de la perte de sa fonction, par une lettre manuscrite anonyme déposée dans la boîte aux lettres de la direction, adressée, selon l'inscription sur l'enveloppe, à "C______ [prénom en majuscules] ex-Directeur" et énonçant :"C______ [prénom], Ton projet on n'en veut pas. Tu veux voir qui est le plus fort Mets la en fonction ton AMBITION Tu verras ABE".

B. Les faits de la cause ne sont pas contestés et peuvent être résumés comme suit, étant pour le surplus renvoyé au jugement de première instance (art. 82 al. 4 CPP) :

a. Au début de l'année 2020, les gardiens de la prison de B______ ont été informés de l'uniformisation à venir de leurs horaires, modification prévue dans le projet "Ambition" porté par le directeur de l'établissement, C______.

Selon les dires de A______, cette annonce l'avait beaucoup perturbé, dans la mesure où le nouvel horaire compromettait grandement l'exercice de la garde alternée sur sa fille. Il avait essayé d'en parler au directeur, lequel avait coupé court.

b. Le 24 octobre 2020 aux alentours de 12h19, A______, droitier, a déposé une lettre écrite de la main gauche, non signée, dont le contenu a été repris ci-dessus, dans la boîte aux lettres de la direction de la prison de B______ dans une enveloppe avec l'inscription à "C______ ex-Directeur".

Vers 13h30, il est revenu à la boîte aux lettres et a cassé un cure-dent dans la serrure dans l'espoir qu'elle ne puisse être ouverte.

c. À la lecture du courrier, le lundi suivant, C______ a immédiatement compris qu'il provenait d'un collaborateur. Il a été interpellé par l'enveloppe qui le qualifiait d'ex-directeur et heurté par la menace de la perte de sa fonction alors que sa période d'essai était en cours. Il ne s'est pas senti menacé dans son intégrité physique et n'a pas réellement craint de perdre sa fonction, mais a redouté d'autres actes de sabotage du projet.

d. Les images de la caméra de surveillance ont permis d'identifier A______ comme l'auteur de la lettre querellée. On le voit quitter sa place de travail vers 12h17, prendre l'ascenseur avec des collègues pour se déplacer jusqu'au couloir des boîtes aux lettres administratives et user de précautions pour dissimuler ses agissements (se cacher derrière une armoire, regarder derrière lui à plusieurs reprises et saisir une enveloppe à l'aide de papier ménage).

e. L'Office cantonal de la détention (OCD) a dénoncé les faits au MP, étant précisé que C______ a renoncé à se constituer partie plaignante.

f. Durant la procédure, A______ a d'abord expliqué avoir voulu conseiller au directeur de stopper le projet et le prévenir de ce que celui-ci échouerait. Ensuite, il a indiqué avoir souhaité lui faire prendre conscience de ce que le projet avait trop d'impact sur le personnel, bien qu'il a reconnu que rien dans son texte n'allait dans ce sens. Les mots "Tu veux voir qui est le plus fort" faisaient allusion à l'esprit de corps et au nombre de personnes opposées au projet, mais non à un rapport de force. L'expression "Tu verras" se référait à l'échec prévisible du projet, sans menace à l'égard du directeur.

Il avait ressenti des remords après le dépôt de la lettre et avait bloqué la serrure de la boîte aux lettres avec un cure-dent afin que personne ne puisse y accéder.

g. À une date indéterminée (avant ou après les faits reprochés), il a intégré un groupe de travail pour la mise en place du projet "Ambition". Il s'est excusé à plusieurs reprises pendant la procédure et a écrit une lettre en ce sens à C______ lui proposant un entretien. Il a été suspendu entre février et novembre 2021 et, à titre de sanction administrative, a effectué 80 heures supplémentaires sans rémunération.

Au mois de septembre 2021, C______ a quitté ses fonctions "afin de créer des conditions favorables à la poursuite de la réorganisation de la prison".

C. a. En appel, A______ a admis que son texte eût pu être perçu comme menaçant par son destinataire. Il a répété avoir eu l'intention de faire comprendre au directeur que son projet n'était pas viable et devait être retravaillé, mais ne pas avoir espéré qu'il y renonçât. À sa connaissance, le projet dans une version pour l'essentiel modifiée était appliqué depuis le 1er novembre 2022.

b. Le MP persiste dans ses conclusions tout en s'en rapportant à justice sur l'éventuelle application de l'art. 53 CP.

Le TP avait minimisé les agissements de A______, lesquels excédaient le cadre d'une confrontation forte avec un supérieur hiérarchique. Le caractère menaçant ressortait de l'ensemble, soit, non seulement du texte (menace diffuse), mais aussi de l'inscription sur l'enveloppe, de l'anonymat, de la ponctuation et de l'écriture travestie. A______, dont les explications n'étaient pas crédibles, avait pris des précautions car il savait que son comportement était pénalement répréhensible. Celui-ci avait impliqué une certaine réflexion, et son but de faire cesser le projet était clair. Il fallait retenir à charge qu'une version adéquate du courrier eût été possible.

En revanche, vu l'absence d'effroi, l'infraction de l'art. 285 CP n'était pas réalisée et devrait être retenue sous l'angle de la tentative.

En toute hypothèse, il se justifiait de mettre à charge de A______ les frais de la procédure, vu ses agissements, lesquels constituaient une violation de son serment, ainsi qu'une atteinte à la personnalité de son supérieur hiérarchique.

c. Par la voix de son conseil, A______ conclut au rejet de l'appel et prend des conclusions en indemnisation.

Les éléments constitutifs de l'art. 285 CP n'étaient pas tous réalisés, la condition de l'existence d'une menace d'un dommage sérieux faisant défaut. L'ancien directeur n'avait pas craint pour sa santé physique, mais du sabotage, étant précisé que seul l'OCD avait la maîtrise du projet. Son échec ne dépendait pas du prévenu et n'avait pas été présenté comme tel.

Hormis les faits reprochés, A______ avait eu un parcours professionnel exemplaire. Il avait été affecté par le projet de réforme vu l'impact sur la garde de sa fille. Cela avait entrainé un comportement inadéquat et impulsif qui relevait toutefois uniquement du droit disciplinaire. Par ailleurs, ses explications, notamment quant aux précautions prises, étaient crédibles et devaient être retenues.

D. A______, ressortissant suisse, est né le ______ 1974. Divorcé, il est le père de deux enfants dont une fille partiellement à charge.

Il travaille comme gardien depuis le 1er novembre 1999 avec le grade de sous-chef.

Après une suspension entre février et novembre 2021, sans perte de salaire, hormis les primes, il a commencé à travailler comme gardien sous-chef à la prison de D______.

EN DROIT :

1. L'appel est recevable pour avoir été interjeté et motivé selon la forme et dans les délais prescrits (art. 398 et 399 CPP).

La Chambre limite son examen aux violations décrites dans l'acte d'appel (art. 404 al. 1 CPP), sauf en cas de décisions illégales ou inéquitables (art. 404 al. 2 CPP).

2. 2.1. L'art. 285 ch. 1 CP réprime le comportement de celui qui, en usant de violence ou de menace, aura empêché un membre d'une autorité ou un fonctionnaire de faire un acte entrant dans ses fonctions, l'aura contraint à faire un tel acte ou se sera livré à des voies de fait sur lui pendant qu'il y procédait. Cette infraction est passible d'une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d'une peine pécuniaire.

Selon la première hypothèse, l'auteur empêche, par la violence ou la menace, l'autorité ou le fonctionnaire de faire un acte entrant dans ses fonctions. Il n'est pas nécessaire que l'acte soit rendu totalement impossible : il suffit qu'il soit entravé de telle manière qu'il ne puisse être accompli comme prévu ou qu'il soit rendu plus difficile (ATF 133 IV 97 consid. 4.2 p. 100 et consid 5.2 p. 102; 120 IV 136 consid. 2a p. 139; arrêts du Tribunal fédéral 6B_1009/2014 du 2 avril 2015 consid. 5.1.1 et 6B_659/2013 du 4 novembre 2013 consid. 1.1).

La notion de menace correspond à celle de l'art. 181 CP, même s'il n'est pas précisé qu'elle doit porter sur un dommage sérieux. La menace est un moyen de pression psychologique consistant à annoncer un dommage futur dont la réalisation est présentée comme dépendante de la volonté de l'auteur, sans toutefois qu'il soit nécessaire que cette dépendance soit effective ni que l'auteur ait réellement la volonté de réaliser sa menace. La loi exige un dommage sérieux, c'est-à-dire que la perspective de l'inconvénient présenté comme dépendant de la volonté de l'auteur soit propre à entraver le destinataire dans sa liberté de décision ou d'action. La question doit être tranchée en fonction de critères objectifs, en se plaçant du point de vue d'une personne de sensibilité moyenne (arrêt du Tribunal fédéral 6B_1216/2019 du 28 novembre 2019 consid. 2.1). L'intensité requise doit être déterminée au cas par cas et selon des critères objectifs (arrêts du Tribunal fédéral 6B_780/2021 du 16 décembre 2021 consid. 3.1 ; 6B_1431/2020 du 8 juillet 2021 consid. 3.1 ; 6B_1253/2019 du 18 février 2020 consid. 4.2 ; 6B_480/2012 du 21 décembre 2012 consid. 1.5.2).

Contrairement à ce que prévoit l'art. 180 CP, la menace évoquée à l'art. 181 CP n’a pas à être grave. Il n’est donc pas nécessaire qu’elle suscite la peur chez son destinataire et il suffit qu’elle soit propre à l’entraver dans sa liberté d’action (A. MACALUSO / L. MOREILLON / N. QUELOZ (éds), Commentaire romand, Code pénal II, vol. II, Partie spéciale : art. 111-392 CP, Bâle 2017, n. 15 ad art. 181). La menace doit toutefois atteindre une certaine intensité afin d'emporter les effets évoqués dans le paragraphe précédent (A. MACALUSO et al. (éds), op. cit, n. 24 s. ad art. 285 CP).

La menace d'un préjudice au sens juridique n'implique pas que l'auteur l'annonce expressément, pour autant qu'il soit suffisamment clair pour le lésé en quoi il consiste (arrêt du Tribunal fédéral 6B_780/2021 du 16 décembre 2021, consid. 3.1 non publié in ATF 148 IV 145 et références citées).

L'infraction à l'art. 285 CP est une infraction de résultat : le moyen de contrainte illicite doit amener l'autorité ou le fonctionnaire à adopter un comportement qu'il n'aurait pas eu s'il avait eu toute sa liberté de décision; le comportement peut consister à faire, ne pas faire ou laisser faire (M. DUPUIS/ L. MOREILLON/
C. PIGUET/ S. BERGER/ M. MAZOU/ V. RODIGARI [éds.], Code pénal - Petit commentaire, 2ème éd., Bâle 2017, n. 16 ad art. 285; B. CORBOZ, Les infractions en droit suisse, Volume II, 3ème éd., Berne 2010, n. 11 ad art. 285).

Il n'y a pas de raison d'interpréter plus restrictivement l'art. 285 CP que l'art. 181 CP en exigeant que le fonctionnaire ait été effectivement effrayé (M. NIGGLI/
H. WIPRÄCHTIGER, Basler Kommentar Strafrecht I : Art. 1-136 StGB, 4ème éd., Bâle 2019, n. 10 ad art. 285 CP).

2.2. Au plan subjectif, l'intention est requise. Le dol éventuel suffit (M. DUPUIS
et. al., op.cit., n. 22 ad art. 285).

2.3. D’après l’art. 22 al. 1 CP, le juge peut atténuer la peine si l’exécution d’un crime ou d’un délit n’est pas poursuivie jusqu’à son terme ou que le résultat nécessaire à la consommation de l’infraction ne se produit pas ou ne pouvait pas se produire. La mesure de l'atténuation dépend de la proximité du résultat ainsi que des conséquences effectives des actes commis (ATF 127 IV 101 consid. 2b p. 103; arrêt du Tribunal fédéral 6B_718/2017 du 17 janvier 2018 consid. 3.1).

2.4. En l'espèce, il est établi que l'intimé est l'auteur du courrier déposé dans la boîte aux lettres de la direction le 24 octobre 2020. Il est également constant que C______ revêtait la qualité de fonctionnaire et que la mise en œuvre du projet "Ambition" entrait dans ses fonctions.

En revanche, l'intimé conteste que le courrier eût été constitutif d'une menace d'un dommage sérieux.

Pour en évaluer le caractère menaçant, il convient d'examiner le courrier dans sa globalité selon des critères objectifs en se plaçant du point de vue d'une personne de sensibilité moyenne, étant rappelé que toutes les menaces ne tombent pas sous le coup des bases légales précitées.

Pour commencer, l'indication sur l'enveloppe ("C______ ex-Directeur") se comprend objectivement comme la menace de la perte prochaine de cette fonction. En effet, si un lecteur moyen, dont la fonction est visée, peut imaginer plusieurs scenarii (licenciement, démission forcée, suspension, mutation, voire incapacité temporaire/définitive d'exercer), leur issue, soit le fait d'être privé de la position de directeur, est claire. Bien que le lésé n'a pas effectivement craint pour sa position, il a immédiatement été heurté par la menace de la perte de sa position, précisant qu'il se trouvait en période d'essai. On ne peut d'ailleurs pas exclure que, vu sa position hiérarchique, il eût préféré se montrer stoïque pour une question d'image. Il importe du reste peu qu'il ne fût pas effrayé, l'art. 285 CP ne l'exigeant pas.

Ensuite, l'expression "C______, Ton projet on en veut pas. Tu veux voir qui est le plus fort " sous-entend objectivement un futur rapport de force entre le directeur, destinataire, et une/plusieurs personne(s) opposée(s) au projet ("on"), susceptible(s) de se mobiliser pour l'acculer à terme à quitter sa position, voire la perdre. Vu l'utilisation du pronom indéterminé et l'anonymat, rien ne permettait en effet au lecteur moyen d'identifier à première vue que le courrier était l'œuvre d'un seul homme, celui-ci pouvant avoir été celui qui s'exprimait pour un groupe.

L'intimé le concède implicitement lui-même, en indiquant que le texte de son courrier évoquait l'esprit de corps et l'expression d'une opposition générale au projet. Il ne saurait en revanche être suivi lors qu'il déclare que cela ne devait pas être compris comme un rapport de force. Le sens du terme "fort" est en l'occurrence univoque, étant précisé qu'il importe peu pour l'issue de la procédure de déterminer s'il envisageait un rapport de force au sens physique, ce qui parait toutefois peu probable, ou une autre forme de résistance.

L'expression "Mets le en fonction ton AMBITION. Tu verras ABE" laisse entendre des conséquences négatives en cas de poursuite de l'action du directeur, sans pour autant que celles-ci soient concrètement déterminables. Il s'agit, considérée seule, d'une forme de menace diffuse permettant au lecteur d'imaginer lesdites conséquences. Le "ABE" final dénote une certaine volonté de l'auteur d'être pris au sérieux. Si cette phrase était examinée de manière indépendante, hors contexte, il est vrai que la condition de clarté exigée par la jurisprudence pourrait faire défaut. Il convient toutefois de la lire en lien avec l'ensemble du courrier et en particulier, vu le temps verbal utilisé, avec la désignation sur l'enveloppe du destinataire comme "ex-Directeur", qui est suffisamment explicite. L'intimé n'est pas crédible lorsqu'il affirme avoir voulu faire comprendre au directeur l'échec prévisible du projet. En effet, aucun élément concret et objectif ne permet de soutenir une telle interprétation, étant relevé que l'intimé lui-même reconnait que son texte n'allait pas dans le sens de certaines de ses explications.

À tous ces éléments s'ajoutent l'anonymat de la lettre, le travestissement manifeste de l'écriture, la ponctuation, soit l'utilisation de multiples points de suspension, éléments de nature à renforcer les sous-entendus inquiétants et le sentiment de détermination de l'auteur. L'emploi du tutoiement, qui emporte négation du respect dû à la hiérarchie et plus généralement des bornes sociales, y contribue encore.

En revanche, les précautions prises par l'auteur, telles celles visibles sur les images de vidéosurveillance, n'exercent pas d'influence sur le caractère menaçant dès lors qu'elles n'étaient pas perceptibles à la seule lecture du courrier. Cela étant, elles traduisent une certaine détermination et le souhait évident de se soustraire à une poursuite pénale. L'intimé ne s'en cache pas vraiment, admettant avoir évité de laisser ses empreintes de peur d'être attrapé. Il est notoire que seules les autorités pénales disposent de moyens de prélever/contrôler de telles empreintes, ce que l'intimé ne pouvait ignorer vu sa fonction, si bien qu'il n'est pas plausible qu'il eut voulu simplement éviter des désagréments hiérarchiques quand bien même le management eût été directif, sans songer à une enquête pénale.

Au vu de ce qui précède, il ne fait aucun doute que le courrier était menaçant, ce que l'intimé savait et ne conteste du reste plus en appel, et que le dommage sérieux, la perte de l'emploi, était clairement identifiable par le lésé même s'il n'a pas été effrayé. Cette menace, prise au sérieux par son destinataire, avait donc l'intensité suffisante pour tomber sous le coup de l'art. 285 CP. Il reste à déterminer si cet inconvénient était du ressort de l'intimé ou pouvait apparaitre comme tel.

S'il est vrai que la perte de la fonction de directeur n'était pas formellement du pouvoir d'un seul gardien tel l'intimé, il faut garder à l'esprit que les faits reprochés s'inscrivent dans l'environnement particulier du milieu carcéral genevois, lequel était notoirement empreint de tensions. Or, dans un tel climat, la position d'un dirigeant est sensiblement plus exposée et, de ce fait, instable. Cela est d'autant plus vrai que la période d'essai de l'ancien directeur n'était pas échue au moment des faits. Il résulte de cette exposition particulière que le directeur risquait de perdre en crédibilité auprès de sa hiérarchie et/ou du public pour des incidents même mineurs, entrainant inévitablement des conséquences négatives pouvant aller jusqu'à son licenciement ou sa démission forcée. Ce raisonnement vaut a fortiori en cas de "sabotage" par les collaborateurs de sa mission, étant précisé qu'ils paraissaient en mesure d'organiser une résistance malveillante. Ayant conscience que la réforme était mal perçue par les collaborateurs, il était en particulier impossible pour le directeur de déterminer, à la lecture de la lettre, s'il avait affaire à un collaborateur mécontent isolé ou à une fronde plus large.

Par ailleurs, il est incorrect de soutenir que seul l'OCD avait la maitrise du projet "Ambition" dès lors que chaque acteur du monde carcéral, directeur et collaborateurs, participait de fait à sa mise en œuvre et pouvait l'impacter négativement, ne serait-ce qu'en la freinant.

Au vu de ce qui précède, le courrier était bien constitutif d'une menace d'un dommage sérieux, ce qui dépasse largement le cadre du droit disciplinaire.

L'intimé a varié dans ses explications au cours de la procédure s'agissant du but qu'il poursuivait. Il a d'abord indiqué qu'il voulait conseiller au directeur d'arrêter le projet, puis il a répété avoir voulu le faire cesser, en précisant au MP qu'il fallait faire les choses autrement. En appel, il a indiqué avoir voulu faire comprendre au directeur que le projet n'était pas viable et devait être retravaillé, non qu'il y renonce. Si l'intimé avait réellement voulu prodiguer des conseils au directeur, travailler avec lui ou mettre en évidence des problèmes dans la réforme, des moyens conformes au droit et plus efficients étaient à sa disposition, notamment une lettre signée par plusieurs collègues ou des négociations syndicales. On ne saurait suivre l'intimé lorsqu'il indique qu'un courrier commun eût été plus menaçant dès lors qu'il était impossible de savoir à la lecture de son courrier qui et combien de personnes se dissimulaient derrière son anonymat. Contrairement à l'avis du premier juge, on ne peut pas retenir à décharge qu'une version plus civile eût été possible, cette opportunité confirmant le caractère problématique et disproportionné de l'option choisie.

De plus, il est impossible de déduire du blocage de la serrure intervenu une heure après les faits reprochés que l'intimé ne souhaitait pas menacer le directeur ou l'effrayer. Il a agi de la sorte après coup, pris de remords ou de crainte pour les conséquences, sans pour autant que cela ne prouve son état d'esprit lors du dépôt de la lettre.

En revanche, aucun élément du dossier ne permet de s'écarter de la version de l'intimé, selon laquelle il a écrit ce courrier sans préméditation quelques minutes avant de le déposer.

Au vu de ce qui précède, le but principal de l'intimé était vraisemblablement que le projet, tel que prévu initialement, ne soit pas mis en œuvre ou du moins qu'il soit entravé. Si tel a finalement été le cas, aucun lien de causalité ne saurait être retenu entre le courrier et le résultat intervenu plus de deux ans après les faits. Ainsi, l'infraction sera retenue sous la forme de la tentative (art. 22 CP).

Au plan subjectif, l'appelant a consciemment et volontairement rédigé et posté un courrier qu'il savait menaçant afin d'effrayer le directeur et faire cesser ou entraver le projet, tel que prévu initialement.

Ainsi, l'appel du MP sera admis, les faits décrits dans l'ordonnance pénale du 21 septembre 2021 étant établis et constitutifs d'une tentative de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP cum art. 22 CP).

3. 3.1. Selon l'art. 47 CP, le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution. Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur. À ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même, à savoir les antécédents (judiciaires et non judiciaires), la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 142 IV 137 consid. 9.1 p. 147 ; 141 IV 61 consid. 6.1.1 p. 66 s.). L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 144 IV 313 consid. 1.2 p. 319).

3.2. Aux termes de l'art. 53 CP, lorsque l'auteur a réparé le dommage ou accompli tous les efforts que l'on pouvait raisonnablement attendre de lui pour compenser le tort qu'il a causé, l'autorité compétente renonce à le poursuivre, à le renvoyer devant le juge ou à lui infliger une peine s'il encourt une peine privative de liberté d'un an au plus avec sursis, une peine pécuniaire avec sursis ou une amende (lit. a), si l'intérêt public et l'intérêt du lésé à poursuivre l'auteur pénalement sont peu importants (lit. b) et si l'auteur a admis les faits (lit. c).

La possibilité offerte par l'art. 53 CP fait appel au sens des responsabilités de l'auteur en le rendant conscient du tort qu'il a causé – la notion est plus large que celle du dommage occasionné à des tiers et englobe d'autres intérêts, publics et non matériels notamment – et doit contribuer à améliorer les relations entre l'auteur et le lésé et rétablir ainsi la paix publique. Il convient cependant d'éviter de privilégier les auteurs fortunés susceptibles de monnayer leur sanction (ATF 135 IV 12 consid. 3.4.1 p. 21). L'auteur doit à tout le moins admettre avoir eu un comportement contraire au droit (ATF 136 IV 41 consid. 1.2.1 p. 42 ; ATF 135 IV 12 consid. 3.4.1 et 3.5.3 p. 21 et 25; arrêts du Tribunal fédéral 6B_344/2013 du 19 juillet 2013 consid. 4; 6B_152/2007 du 13 mai 2008 consid. 5.2).

3.3. La faute de l'intimé est non négligeable. En effet, dans un contexte tendu de réforme institutionnelle, il a agi en cédant à un mobile égoïste.

Cela étant, l'intimé, dont le parcours antérieur était dépourvu d'incident, a montré par ses déclarations et ses actes avoir compris l'inadéquation de son comportement, étant précisé que son geste n'a eu en réalité que peu de conséquences.

Il a ainsi reconnu les faits d'emblée; il a évoqué de sincères regrets et présenté des excuses; il a intégré, sans que l'on puisse établir précisément quand, un groupe de travail visant à la réussite du projet et a purgé intégralement sa sanction disciplinaire sans la contester. Dans le doute, il sera également retenu qu'il a bloqué la boîte aux lettres en raison de ses remords, et non par crainte des conséquences de son geste.

Sa prise de conscience s'est achevée en appel dans la mesure où il a enfin concédé que son courrier pouvait avoir été perçu comme menaçant par le destinataire.

Sa situation personnelle, soit ses problématiques de garde d'enfant, explique partiellement son geste sans pour autant le justifier, d'autant moins qu'il existait des moyens conformes au droit de manifester ses craintes à ce sujet.

Au vu de ce qui précède, l'appelant remplit toutes les conditions de l'art. 53 CP et sera exempté de peine.

4. 4.1. Si l'autorité de recours rend elle-même une nouvelle décision, elle se prononce également sur les frais fixés par l'autorité inférieure (art. 426 al. 3 CPP).

Selon l'art. 426 al. 1 CPP, le prévenu supporte les frais de procédure de première instance s'il est condamné. Si sa condamnation n'est que partielle, les frais ne doivent être mis à sa charge que de manière proportionnelle, en considération des frais liés à l'instruction des infractions pour lesquelles un verdict de culpabilité a été prononcé (arrêts du Tribunal fédéral 6B_572/2018 du 1er octobre 2018 consid. 5.1.1 et 6B_726/2017 du 20 octobre 2017 consid. 5.1).

L'art. 53 CP supposant que l'auteur a commis un acte illicite, une mise des frais à sa charge s'avère en tous les cas justifiée (ATF 144 IV 202 consid. 2 pp. 204 ss.).

Dans le cadre du recours, les frais de la procédure sont mis à la charge des parties dans la mesure où elles ont obtenu gain de cause ou succombé (art. 428 al. 1 CPP).

4.2. L'intimé, bien qu'exempté de peine, est en définitive reconnu coupable de tentative de délit au sens de l'art. 285 CP. Vu ce verdict, tous les frais seront mis à sa charge, y compris, pour la procédure d'appel, un émolument de décision de CHF 1'800.- (art. 428 CPP et art. 14 al. 1 let. e du règlement fixant le tarif des frais en matière pénale [RTFMP]).

5. En prolongement de ce qui précède, le prévenu ne peut prétendre à une quelconque indemnité pour ses frais de défense qui resteront à sa charge (art. 436 al. 1 CPP cum art. 429 al. 1 let. a CPP; ATF 137 IV 352 consid. 2.4.2 p. 357).

* * * * *


PAR CES MOTIFS,
LA COUR :


Reçoit l'appel formé par le Ministère public contre le jugement rendu le 20 juin 2022 par le Tribunal de police dans la procédure P/21080/2020.

L'admet.

Annule ce jugement.

Et statuant à nouveau :

Reconnaît A______ coupable de tentative de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 ch. 1 al. 1 CP cum 22 CP).

Renonce à lui infliger une peine (art. 53 CP).

Arrête les frais de la procédure de première instance à CHF 1'066.- et les met intégralement à la charge de A______.

Arrête les frais de la procédure d'appel à CHF 1'995.-, comprenant un émolument de décision de CHF 1'800.-, et les met intégralement à la charge de A______.

Déboute A______ de ses conclusions en indemnisation.

Notifie le présent arrêt aux parties.

Le communique, pour information, au Tribunal de police.

 

La greffière :

Yael BENZ

 

La présidente :

Alessandra CAMBI FAVRE-BULLE

 

 

Indication des voies de recours :

 

Conformément aux art. 78 ss de la loi fédérale sur le Tribunal fédéral (LTF), le présent arrêt peut être porté dans les trente jours qui suivent sa notification avec expédition complète (art. 100 al. 1 LTF), par-devant le Tribunal fédéral (1000 Lausanne 14), par la voie du recours en matière pénale.


 

 

ETAT DE FRAIS

 

 

 

COUR DE JUSTICE

 

 

Selon les art. 4 et 14 du règlement du 22 décembre 2010 fixant le tarif des frais et dépens en matière pénale (E 4 10.03).

 

 

Total des frais de procédure du Tribunal de première instance :

CHF

1066.00

Bordereau de frais de la Chambre pénale d'appel et de révision

 

 

Délivrance de copies et photocopies (let. a, b et c)

CHF

0.00

Mandats de comparution, avis d'audience et divers (let. i)

CHF

80.00

Procès-verbal (let. f)

CHF

40.00

Etat de frais

CHF

75.00

Emolument de décision

CHF

1'800.00

Total des frais de la procédure d'appel :

CHF

1'995.00

Total général (première instance + appel) :

CHF

3'061.00