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Décisions | Tribunal pénal

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P/20468/2019

JTDP/550/2023 du 10.05.2023 sur OPMP/2959/2022 ( OPOP ) , JUGE

Normes : CP.307
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

pouvoir judiciaire

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL DE POLICE

Chambre 9


10 mai 2023

 

MINISTÈRE PUBLIC

A______, partie plaignante, assistée de Me Hrant HOVAGEMYAN

B______, partie plaignante, assistée de Me Hrant HOVAGEMYAN

C______, partie plaignante, assistée de Me Hrant HOVAGEMYAN

D______, partie plaignante, assisté de Me Hrant HOVAGEMYAN

contre

E______, né le ______1964, domicilié ______, prévenu, assisté de Me Nicolas GILLARD


CONCLUSIONS FINALES DES PARTIES :

Le Ministère public conclut à un verdict de culpabilité de E______ du chef de faux témoignage (art. 307 al. 1 CP), à ce qu'il soit condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 280.-, assortie du sursis avec un délai d'épreuve de 3 ans et aux frais de la procédure.

A______, B______, C______ et D______, par la voix de leur Conseil, concluent à un verdict de culpabilité de E______, à la réserve de leurs conclusions civiles et à ce qu'il soit fait droit à leur demande d'indemnisation s'agissant des honoraires de leur Conseil.

E______, par la voix de son Conseil, conclut à son acquittement, au rejet des conclusions civiles des parties plaignantes et à ce qu'il soit donné suite à ses conclusions en indemnisation au sens de l'art. 429 CPP.

*****

Vu l'opposition formée le 28 avril 2022 par E______ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 11 avril 2022;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Ministère public du 28 juillet 2022;

Vu l'opposition formée le 29 avril 2022 par A______, B______, C______ et D______ à l'ordonnance pénale rendue par le Ministère public le 11 avril 2022;

Vu la décision de maintien de l'ordonnance pénale du Ministère public du 28 juillet 2022;

Vu l'art. 356 al. 2 et 357 al. 2 CPP selon lequel le tribunal de première instance statue sur la validité de l'ordonnance pénale et de l'opposition;

Attendu que l'ordonnance pénale et l'opposition sont conformes aux prescriptions des art. 352, 353 et 354 CPP;

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant sur opposition :

Déclare valables l'ordonnance pénale du 11 avril 2022 et l'opposition formée contre celle-ci par E______ le 28 avril 2022.

Déclare valables l'ordonnance pénale du 11 avril 2022 et l'opposition formée contre celle-ci par A______, B______, C______ et D______ le 29 avril 2022.

et statuant à nouveau :

EN FAIT

A.                Par ordonnance pénale du 11 avril 2022, valant acte d'accusation, il est reproché à E______ d'avoir, le 27 mai 2019, alors qu'il était entendu en qualité de témoin dans le cadre de la procédure prud'homale portant le numéro de cause C/1______, fait deux dépositions erronées en niant, d'une part, les accusations de mobbing dont il avait fait l'objet de la part de sept personnes sur douze dont il était le supérieur hiérarchique direct et, d'autre part, l'existence des enquêtes diligentées par la banque G______ à son sujet compte tenu de ces accusations,

faits qualifiés de faux témoignage au sens de l'art. 307 CP.

B. Il ressort de la procédure pénale les faits pertinents suivants:

Procédure par-devant le Tribunal des prud'hommes

a.a. Une procédure C/1______ a été ouverte suite à une demande déposée par feu F______ à l'encontre de G______ par-devant le Tribunal des prud'hommes, notamment pour le mobbing dont l'intéressé estimait avoir été victime.

a.b. Le 27 mai 2019, E______, ancien supérieur hiérarchique direct de feu F______, a été entendu dans cette procédure par le Tribunal des prud'hommes en qualité de témoin.

Il ressort du procès-verbal établi à cette occasion que, avant son audition, E______ a été exhorté à dire la vérité.

Lors de son audition, il a tenu les propos suivants: "le terme mobbing, je le répète, n'a jamais été utilisé par les collaborateurs, par H______ ou I______, ni par les RH. Je précise bien entendu pour ce qui m'a été rapporté".

Interrogé au sujet d'un email interne rapportant une accusation de mobbing, E______ a par ailleurs affirmé: "Je n'ai jamais été approché par ma ligne, ni par les RH ni par la conseillère sociale, ce qui aurait dû être le cas si j'étais la personne visée dans cet email. Je n'ai jamais été informé de ce courriel".

A l'issue de son audition, il a signé les pages du procès-verbal relatives à sa déposition.

a.c. Le 3 juin 2019, J______, employé G______ jusqu'en 2014 en qualité de responsable des ressources humaines de plusieurs secteurs de la banque, a été entendu en qualité de témoin par le Tribunal des prud'hommes.

Lors de son audition, il a déclaré qu'il y avait eu des réclamations, plaintes de mobbing dans le secteur de E______. Le terme tombait facilement. E______ avait fait l'objet de critiques et d'accusations de mobbing de plusieurs personnes. G______ n'était pas tolérante par rapport aux accusations de mobbing et il y avait forcément eu une enquête. À l'époque où il était en place, il n'y avait pas eu d'enquête concernant E______ mais il y avait eu des discussions au sein du management quant à la conduite de celui-ci ainsi qu'au turn over de cette unité. Il avait affaire à des professionnels; enquêtes et discussions il y avait eu.

a.d. Le 17 septembre 2019, K______, ancienne RH "business partner" notamment pour le département "corporate client" de début 2010 à fin 2012, également entendue en qualité de témoin, dans le cadre de cette même procédure, a déclaré qu'elle se souvenait qu'il y avait eu des cas ou des épisodes concernant l'équipe de E______, qui avait rencontré des problèmes avec certains employés.

Elle avait connaissance que plusieurs personnes avaient quitté l'équipe de E______. Parmi celles-ci, il y avait eu des départs pour accusation de mobbing.

a.e. Enfin, L______, ancienne employée en charge de la consultation sociale et entendue par le Tribunal des prud'hommes le 17 septembre 2019, a déclaré qu'elle se sentait très libre dans ses interventions puisqu'elle n'était pas banquière et qu'elle ne ferait pas carrière. Elle avait été frappée par l'intransigeance, la dureté et une certaine forme d'insensibilité de E______. Elle était très attentive à l'effet de groupe et à l'envie de certains de s'opposer à un chef mais les faits en l'espèce se recoupaient notamment avec les départs et les licenciements. Il y avait eu des cas de maladie de plus de 50 jours.

Sept personnes sur les douze que constituaient l'équipe de E______ étaient venues la voir pour lui faire part de ce qui n'allait pas. Son sentiment à l'époque était qu'il s'agissait bien de mobbing. Elle en avait parlé avec E______. Son rôle était de faire comprendre à ces personnes arrogantes et dures que leur comportement pouvait avoir des conséquences pour elles-mêmes aussi. Elle avait rencontré à plusieurs reprises E______ pour différentes raisons mais toujours en relation avec son team. Celui-ci se défendait, il argumentait.

Plainte et procédure pénale

b. Le 3 octobre 2019, feu F______ a déposé plainte pénale à l'encontre de E______ pour faux témoignage au sens de l'art. 307 CP.

Il y indiquait que, dans le cadre de la procédure prud'homale C/1______, le Tribunal des prud'hommes avait auditionné E______, le 27 mai 2019, en qualité de témoin. Ce dernier avait, à cette occasion, nié à tort avoir fait l'objet d'accusations de mobbing et d'enquêtes diligentées par la banque.

À l'appui de sa plainte, feu F______ a produit:

- les procès-verbaux du Tribunal des prud'hommes relatifs aux audiences des 27 mai 2019, 3 juin 2019 et 17 septembre 2019;

- un courriel de L______ à M______, avec copie à N______ du 19 décembre 2012 intitulé "Cas de mobbing présumé – risques", faisant état d'une plainte anonyme de mobbing dans un team où le turn over était important et dont 7 membres sur 12 étaient venus se plaindre à L______ des mêmes souffrances liées au mangement du "LM";

- la réponse à ce courriel, datée du 4 janvier 2013, par laquelle M______ a indiqué qu'il n'existait pas de preuve objective pour le mobbing dans ce cas et qu'il existait un soupçon, pas plus;

- un courriel du 14 janvier 2013 de L______ transférant la réponse du 4 janvier 2013 à O______ et lui demandant de l'imprimer et de l'envoyer par courrier interne scellé à F______.

c.a. Le 6 novembre 2019, E______ a été entendu en qualité de prévenu par la police. À cette occasion, il a contesté les faits qui lui étaient reprochés et affirmé ne pas avoir menti lors de son audition devant le Tribunal des prud'hommes en date du 27 mai 2019. Il n'avait jamais été confronté à des allégations de mobbing. Ce terme n'avait jamais été employé par qui que ce soit devant lui. Il lui incombait, en tant que manager, de gérer les problèmes liés à son équipe et il en référait à qui de droit, toujours conformément aux instructions et aux protocoles de G______. Ses actions n'avaient jamais été qualifiées d'actes de mobbing et, si tant est que des accusations de mobbing avaient été formulées par et auprès des collaborateurs de G______, il n'en avait jamais été informé.

Il avait demandé à L______ ce que F______ lui reprochait, mais n'avait pas eu de réponse. Il pouvait imaginer qu'il avait dû lui dire qu'il se sentait harcelé, mais il n'avait jamais eu de réponse. Il ne pouvait pas exclure que de telles accusations aient grenouillé au sein de leur service, mais elles n'étaient jamais remontées à ses oreilles.

c.b. Entendu le 14 décembre 2020 par le Ministère public en qualité de prévenu, E______ a confirmé ses précédentes déclarations. Il a indiqué que le terme mobbing n'avait jamais été utilisé à son égard. Sa ligne ne lui avait jamais mentionné le terme de mobbing dans son équipe.

d. Les personnes suivantes ont été entendues en qualité de témoin devant le Ministère public:

d.a. En date du 14 décembre 2020, K______ a confirmé avoir été au courant de plusieurs départs dans l'équipe de E______ et avoir entendu parler de mobbing, sans se souvenir de plus de détails. Elle imaginait que E______ avait été au courant et qu'il y avait eu des discussions.

d.b. Quant à L______, après avoir confirmé ses précédentes déclarations au Tribunal des prud'hommes, celle-ci a exposé que la répétition des faits lui avait fait présumer qu'il s'agissait de mobbing. Selon elle, E______ n'était pas sans savoir qu'il y a des difficultés dans son team, au vu notamment du turn over assez fréquent.

Elle avait évidemment abordé le problème de mobbing avec E______. S'il y avait des suspicions de mobbing sur un ou plusieurs collaborateurs, son rôle était de l'aborder.

Elle ne se souvenait plus des termes qu'elle avait utilisés lors des discussions avec E______, mais elle estimait que si elle avait utilisé le terme "griefs" et non pas "harcèlement", c'est qu'elle avait de bonnes raisons de le faire. Elle était par contre formelle que les problèmes liés au management du team avaient été relatés à E______. Cela était son rôle. Elle estimait que E______ était très fort à l'époque et pouvait comprendre que les problèmes de management tombaient dans la sphère du mobbing, elle ne mâchait d'ailleurs pas ses mots.

La déclaration de E______ selon laquelle le terme mobbing n'avait jamais été évoqué devant lui était fausse et il s'agissait d'une manière de se départir de sa responsabilité.

d.c. J______, entendu par le Ministère public en date du 28 mai 2021, a affirmé que E______ avait fait l'objet de critiques et d'accusations de mobbing mais que, selon lui, celles-ci étaient postérieures à 2010-2012. F______ avait, tout à la fin de sa présence dans cette unité, à savoir le dernier mois avant son transfert, indiqué par écrit qu'il faisait l'objet de mobbing de la part de E______. Il s'était alors chargé de faire remonter cette dénonciation à la consultation sociale, soit à L______.

Il avait discuté avec E______ et son chef hiérarchique de cette situation. Il y avait eu des conséquences liées au style de conduite de celui-ci. Concrètement, une promotion qui aurait dû être accordée à E______ n'avait pas eu lieu à cette époque en raison de ces problèmes et il en avait discuté avec ce dernier. Il confirmait que le département des ressources humaines avait abordé cette problématique avec E______ et qu'il y avait eu des conséquences.

Le problème de mobbing avait été abordé en décembre 2012 dans le cadre du management circle dont E______ faisait partie.

d.d. Lors de cette même audience, I______, supérieur hiérarchique de E______, a affirmé qu'il lui était arrivé à plusieurs reprises, dans le cadre d'évaluations de E______, de lui dire que son style de conduite n'était pas approprié, ce dont il était informé à travers des messages où il était en copie, dans le cadre de séances auxquelles il assistait et par le biais d'entretien avec des collaborateurs.

C.a. Lors de l'audience du jugement du 4 mai 2023, E______ a confirmé qu'il contestait l'intégralité des faits reprochés, en particulier le fait d'avoir été l'objet d'accusations de mobbing de la part de collaborateurs, de sa hiérarchie ou des Ressources Humaines durant son activité auprès de la banque.

Il a admis avoir eu des soucis de management avec des collaborateurs et que ces problèmes avaient été relayés à ses supérieurs hiérarchiques ou les Ressources Humaines de la banque. Il n'avait toutefois jamais eu l'impression que son management était remis en question. En outre, I______ ne lui avait pas parlé d'un cas ou d'un autre de mobbing.

b. Par le biais de leur Conseil, les parties plaignantes ont déposé un document intitulé "Feedback Report 2012" relatif à l'évaluation de fin d'année de feu F______. En dernière page de ce document figure un commentaire dans l'encadré "Final Employee Comments" dans lequel F______ expose qu'il n'a jamais vécu une telle expérience et une telle souffrance au cours de sa carrière (inégalité de traitement, système surveillance implacable, aucune reconnaissance et dénigrement constant et insidieux…). Il était détruit et se reconstruisait. Il ne pouvait imaginer que son employeur ne diligentât pas une enquête interne pour faire cesser ces pratiques récurrentes, inhumaines et odieuses.

D.a. E______, de nationalité suisse, est né le ______1964. Il est marié et a un enfant de 21 ans à sa charge. Il travaille en qualité d'employé de banque et réalise un salaire mensuel net de CHF 17'500.-. Son loyer s'élève à CHF 2'750.- et ses primes d'assurance-maladie à CHF 1'800.-. Il est codébiteur solidaire avec son épouse d'une dette hypothécaire de CHF 1'100'000.- et n'a pas de fortune particulière.

b. D'après l'extrait de son casier judiciaire suisse, il n'a pas d'antécédent.

 

EN DROIT

Culpabilité

1. Le principe in dubio pro reo, qui découle de la présomption d'innocence garantie par l'art. 6 § 2 CEDH et, sur le plan interne, par l'art. 32 al. 1 Cst. et l'art. 10 CPP, concerne tant le fardeau de la preuve que l'appréciation des preuves.

En tant que règle sur le fardeau de la preuve, ce principe signifie qu'il incombe à l'accusation d'établir la culpabilité de l'accusé, et non à ce dernier de démontrer son innocence. Il est violé lorsque le juge rend un verdict de culpabilité au seul motif que l'accusé n'a pas prouvé son innocence (ATF 127 I 38 consid. 2a; 120 Ia 31 consid. 2c et 2d).

Comme règle de l'appréciation des preuves, le principe in dubio pro reo signifie que le juge ne peut se déclarer convaincu d'un état de fait défavorable à l'accusé, lorsqu'une appréciation objective de l'ensemble des éléments de preuve laisse subsister un doute sérieux et insurmontable quant à l'existence de cet état de fait (ATF 127 I 38 consid. 2a; 124 IV 86 consid. 2a; 120 Ia 31 consid. 2c).

Lorsqu'il est confronté à des versions contradictoires, le juge forge sa conviction quant aux faits sur la base d'un ensemble d'éléments ou d'indices convergents. En pareil cas, il ne suffit pas que l'un ou l'autre de ceux-ci, ou même chacun d'eux pris isolément, soit à lui seul insuffisant (arrêt du Tribunal fédéral 6B_921/2010 du 25 janvier 2011 consid. 1.1 et l'arrêt cité). L'appréciation des preuves doit être examinée dans son ensemble et il n'y a pas arbitraire si l'état de fait retenu peut être déduit de manière soutenable du rapprochement de divers éléments ou indices. De même, il n'y a pas arbitraire du seul fait qu'un ou plusieurs arguments corroboratifs soient fragiles, si la solution retenue peut être justifiée de façon soutenable par un ou plusieurs arguments de nature à emporter la conviction (ACAS/25/10 du 11 juin 2010 consid. 3.4 et les arrêts cités).

2.1. Se rend coupable de faux témoignage au sens de l'art. 307 CP, celui qui, étant notamment témoin en justice, aura fait une déposition fausse sur les faits de la cause, sera puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire (al. 1). Si le déclarant a prêté serment ou s'il a promis solennellement de dire la vérité, la peine sera une peine privative de liberté de six mois à cinq ans (al. 2).

2.2. Le comportement punissable suppose que la déclaration du témoin soit fausse, c'est-à-dire objectivement non conforme à la vérité (arrêts du Tribunal fédéral 6B_1178/2016 du 21 avril 2017 consid. 3.4; 6B_465/2010 du 30 août 2010 consid. 5.3).

Commet ainsi un faux témoignage le témoin qui dit ne plus se souvenir d'un événement alors que tel n'est pas le cas, tout comme celui qui ne s'en souvient plus mais prétend le contraire et fait des déclarations à ce propos (arrêt du Tribunal fédéral 6B_700/2008 du 2 décembre 2008 consid. 3.1). L'information fausse peut porter non seulement sur des faits objectivement constatables, mais aussi sur des faits relevant du for intérieur, tels que des sentiments ou des intentions (DONATSCH/THOMMEN/WOHLERS, Strafrecht IV, Delikte gegen die Allgemeinheit, 5e éd., 2017, p. 535; CORBOZ, Les infractions en droit suisse, vol. II, 3e éd., 2010, N 35 ad art. 307 CP). En outre, la déclaration incriminée doit concerner les faits de la cause, soit l'élucidation ou la constatation de l'état de fait qui constitue l'objet de la procédure (arrêt du Tribunal fédéral 6B_700/2008 précité consid. 3.1).

2.3. Sur le plan subjectif, l'auteur doit avoir agi intentionnellement, le dol éventuel étant suffisant. L'intention doit porter sur tous les éléments objectifs de l'infraction. Il faut donc que l'auteur sache ou du moins accepte l'éventualité qu'il intervient en justice comme témoin, et qu'il sache ou du moins accepte que ce qu'il dit en cette qualité ne correspond pas à la vérité objective (arrêts du Tribunal fédéral 1C_614/2015 du 5 février 2016 consid. 3.3; 6S.425/2004 du 28 janvier 2005 consid. 2.5). Il n’est toutefois pas nécessaire que l’auteur connaisse l’importance de sa déclaration ni qu’il veuille influencer la décision du juge (ATF 93 IV 24, JdT 1967 IV 111; BSK Strafrecht II-DELNON/RÜDY, N 31 ad art. 307 CP; TRECHSEL/PIETH/AFFOLTER-EIJSTEN, Praxiskom., N 15 ad art. 307 CP; CORBOZ, op. cit., N 48 ad art. 307 CP).

2.4. L'infraction réprime une mise en danger abstraite de la recherche de la vérité. Il n'est pas nécessaire, pour que l'infraction soit consommée, que le juge ait été influencé (CORBOZ, op. cit., N 4 ad art. 307 CP).

3.1. En l'espèce, il est établi par les éléments figurant à la procédure que le prévenu a été entendu en qualité de témoin par le Tribunal des prud'hommes en date du 27 mai 2019.

Il ressort du procès-verbal établi à cette occasion qu'avant sa déposition, il avait été exhorté à dire la vérité. Par ailleurs, à l'issue de son audition, il a apposé sa signature sur le procès-verbal, attestant par là-même de l'exactitude de ses propos tels qu'ils étaient relatés dans celui-ci.

Or, lors de cette même audience, le prévenu a déclaré: "le terme mobbing, je le répète, n'a jamais été utilisé par les collaborateurs, par H______ ou I______, ni par les RH. Je précise bien entendu pour ce qui m'a été rapporté". Il a par ailleurs affirmé n'avoir jamais été approché par sa ligne, ni par les RH ni par la conseillère sociale.

Or, plusieurs témoins interrogés dans le cadre de cette procédure s'accordent au contraire à dire que, non seulement des accusations de mobbing existaient à l'encontre du prévenu mais que, de surcroît, celui-ci en avait parfaitement connaissance.

En particulier, le supérieur hiérarchique direct du prévenu, la conseillère sociale ainsi que le responsable des ressources humaines d'alors ont tous, unanimement, exposé que le style de management du prévenu posait problème.

En effet, J______, K______ et L______ s'accordent à dire que le prévenu avait non seulement rencontré des problèmes avec plusieurs employés, mais également fait l'objet de critiques et d'accusations qualifiables de mobbing.

Leurs dires sont corroborés par les courriels des 19 décembre 2012, 4 et 14 janvier 2013, produits à l'appui de la plainte pénale. De cet échange, il ressort que feu F______ a effectivement fait part à L______ du mobbing dont il estimait être victime de la part du prévenu. Cette dernière a relayé la plainte auprès du département légal de G______.

À cela s'ajoutent les nombreux départs au sein de l'équipe dirigée par le prévenu. Le turn over d'alors a en effet été qualifié d'important, constituant un indice supplémentaire d'un climat de travail problématique.

F______ a par ailleurs décrit les souffrances dont il s'estimait victime dans le commentaire final de son "Feedback Report 2012". La situation décrite et les termes employés correspondent à un environnement de pressions psychologiques intenses sur le lieu de travail. Les pratiques exposées sont d'ailleurs qualifiées de récurrentes.

Ainsi, malgré les dénégations du prévenu qui n'emportent pas conviction, il est établi, notamment au vu des divers témoignages et pièces figurant au dossier, que des problématiques de mobbing existaient au sein de l'unité du prévenu.

Quant à la question de savoir si ces problématiques ont été communiquées au prévenu, le Tribunal a acquis la conviction que tel a effectivement été le cas, au vu des différents témoignages concordants à cet égard.

Il ressort des déclarations de J______, de I______ et de L______ que des discussions ont eu lieu avec le prévenu, à plusieurs reprises et dans différents cadres. Le supérieur hiérarchique direct du prévenu, I______, a reconnu qu'il lui était arrivé, à plusieurs reprises, de communiquer au prévenu que son style de conduite n'était pas approprié. De même, L______ a été formelle en affirmant avoir rencontré le prévenu, à plusieurs reprises, à ce sujet.

Ainsi, le Tribunal tient pour établi que les accusations de mobbing et les critiques liées au style de management du prévenu lui ont été communiquées et ce à plusieurs reprises, par différents interlocuteurs et services.

Il en découle que les déclarations faites par le prévenu devant le Tribunal des prud'hommes en date du 27 mai 2019 ne correspondaient pas à la vérité.

3.2. La question de savoir si des accusations de mobbing et des enquêtes ont été menées à l'encontre du prévenu est intimement liée à la procédure prud'homale intentée par feu F______, celle-ci portant notamment sur le mobbing dont celui-ci estime avoir été victime.

Ainsi, les déclarations incriminées portaient bel et bien sur les faits de la cause.

3.3. Enfin, le Tribunal estime que le prévenu avait conscience et volonté de tenir des propos qui n'étaient pas conformes à la vérité, alors qu'il se savait entendu en qualité de témoin par le Tribunal des prud'hommes. En qualité de supérieur hiérarchique direct, il savait que son témoignage revêtait une importance toute particulière dans la procédure.

3.4. Ainsi, en niant avoir fait l'objet d'accusation de mobbing et d'enquêtes internes menées à son encontre, le prévenu s'est rendu coupable de faux témoignage, infraction dont il sera reconnu coupable.

Peine

4.1.1. L'art. 47 CP prévoit que le juge fixe la peine d'après la culpabilité de l'auteur. Il prend en considération les antécédents et la situation personnelle de ce dernier ainsi que l'effet de la peine sur son avenir (al. 1). La culpabilité est déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l'acte, par les motivations et les buts de l'auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (al. 2).

L'art. 47 CP confère un large pouvoir d'appréciation au juge (ATF 135 IV 130 consid. 5.3.1). Le facteur essentiel est celui de la faute (arrêt du Tribunal fédéral 6B_992/2008 du 5 mars 2009 consid. 5.1). La culpabilité de l'auteur doit être évaluée en fonction de tous les éléments objectifs pertinents, qui ont trait à l'acte lui-même, à savoir notamment la gravité de la lésion, le caractère répréhensible de l'acte et son mode d'exécution (objektive Tatkomponente).

Du point de vue subjectif, sont pris en compte l'intensité de la volonté délictuelle ainsi que les motivations et les buts de l'auteur (subjektive Tatkomponente). A ces composantes de la culpabilité, il faut ajouter les facteurs liés à l'auteur lui-même (Täterkomponente), à savoir les antécédents, la réputation, la situation personnelle (état de santé, âge, obligations familiales, situation professionnelle, risque de récidive, etc.), la vulnérabilité face à la peine, de même que le comportement après l'acte et au cours de la procédure pénale (ATF 134 IV 17 consid. 2.1; 129 IV 6 consid. 6.1 et arrêt du Tribunal fédéral 6B_759/2011 du 19 avril 2012 consid. 1.1).

4.1.2. Selon l'art. 34 al. 1 et 2 CP, sauf disposition contraire de la loi, la peine pécuniaire ne peut excéder 180 jours-amende. Le juge fixe leur nombre en fonction de la culpabilité de l'auteur (al. 1). Le jour-amende est de CHF 30.- au moins et de CHF 3'000.- au plus. Le juge en fixe le montant selon la situation personnelle et économique de l'auteur au moment du jugement, notamment en tenant compte de son revenu et de sa fortune, de son mode de vie, de ses obligations d'assistance, en particulier familiales, et du minimum vital (al. 2).

4.1.3. Selon l'art. 42 CP, le juge suspend l'exécution d'une peine pécuniaire ou d'une peine privative de liberté de deux ans au plus lorsqu'une peine ferme ne paraît pas nécessaire pour détourner l'auteur d'autres crimes ou délits.

Sur le plan subjectif, le juge doit poser, pour l'octroi du sursis, un pronostic quant au comportement futur de l'auteur (ATF 134 IV 5 consid. 4.2.1; 128 IV 193 consid. 3a; 118 IV 97 consid. 2b). Auparavant, il fallait que le pronostic soit favorable. Le sursis est désormais la règle dont on ne peut s'écarter qu'en présence d'un pronostic défavorable. Il prime en cas d'incertitude (ATF 134 IV 5 consid. 4.4.2).

4.1.4. Si le juge suspend totalement ou partiellement l’exécution d’une peine, il impartit au condamné un délai d’épreuve de deux à cinq ans (art. 44 al. 1 CP).

4.2. En l'espèce, la faute du prévenu est importante. Il a agi au mépris de la loi en vigueur alors même qu'il avait été exhorté à dire la vérité par le Tribunal des prud'hommes.

Le prévenu a agi par égoïsme et par pure convenance personnelle, alors même qu'il était conscient que ses propos étaient constitutifs d'un faux témoignage et, de ce fait, susceptibles de léser des intérêts publics prépondérants.

Sa situation personnelle n'explique pas et ne justifie aucunement ses actes.

Le prévenu n'a pas d'antécédents judiciaires, élément toutefois neutre (ATF 136 IV 1 consid. 2.6).

Sa collaboration au cours de la procédure n'a pas été bonne. Il a nié, à plusieurs reprises, les évidences.

Lors de l'audience de jugement le prévenu a persisté à contester l'intégralité des faits reprochés, en particulier que des faits de mobbing lui aient été reprochés par des collaborateurs, sa hiérarchie ou les Ressources Humaines durant son activité auprès de la banque.

Sa prise de conscience et son amendement sont inexistants, le prévenu ayant affirmé, à l'audience de jugement, n'avoir jamais eu l'impression que son style de management ait été remis en question.

À la lumière de ces éléments, le prévenu sera condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende à CHF 280.- l'unité et sera mis au bénéfice du sursis, dont il remplit les conditions. Le délai d'épreuve sera fixé à 3 ans, soit une durée suffisamment longue pour le dissuader de récidiver.

Conclusions civiles, indemnités et frais

5.1.1. À teneur de l'art. 122 al. 1 CPP, en qualité de partie plaignante, le lésé peut faire valoir des conclusions civiles déduites de l'infraction par adhésion à la procédure pénale.

5.1.2. Conformément à l'art. 126 al. 1 let. b CPP, le Tribunal renvoie la partie plaignante à agir par la voie civile lorsque celle-ci n'a pas chiffré ses conclusions de manière suffisamment précise ou ne les a pas suffisamment motivées.

5.2. En l'espèce, le montant du dommage allégué par les parties plaignantes n'a pas été fixé. Il en résulte que celui-ci n'est pas suffisamment établi. Les parties plaignantes seront par conséquent renvoyées à agir par la voie civile.

6. Vu sa condamnation, le prévenu sera débouté de ses conclusions en indemnisation (art. 429 CCP a contrario).

Par ailleurs, vu l'annonce d'appel du précité à l'origine du présent jugement motivé, celui-ci sera condamné à un émolument complémentaire de jugement de CHF 600.- (art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale RTFMP; E 4.10.03).

7.1. À teneur de l'art. 433 CPP, la partie plaignante peut demander au prévenu une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure si elle obtient gain de cause ou si le prévenu est astreint au paiement des frais conformément à l'art. 426 al. 2 (al. 1). La partie plaignante adresse ses prétentions à l'autorité pénale; elle doit les chiffrer et les justifier. Si elle ne s'acquitte pas de cette obligation, l'autorité pénale n'entre pas en matière sur la demande (al. 2).

7.2. En l'espèce, vu l'issue de la procédure, le prévenu sera condamné au versement aux parties plaignantes d'une juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure à hauteur de CHF 4'635.-.

8. Les frais seront mis à la charge du prévenu (art. 426 al. 1 CPP).

 

PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL DE POLICE

statuant contradictoirement :

Déclare E______ coupable de faux témoignage (art. 307 al. 1 CP).

Condamne E______ à une peine pécuniaire de 60 jours-amende (art. 34 CP).

Fixe le montant du jour-amende à CHF 280.-.

Met E______ au bénéfice du sursis et fixe la durée du délai d'épreuve à 3 ans (art. 42 et 44 CP).

Avertit E______ que s'il devait commettre de nouvelles infractions durant le délai d'épreuve, le sursis pourrait être révoqué et la peine suspendue exécutée, cela sans préjudice d'une nouvelle peine (art. 44 al. 3 CP).

Renvoie les parties plaignantes A______, B______, C______ et D______ à agir par la voie civile (art. 126 al. 2 CPP).

Rejette les conclusions en indemnisation de E______ (art. 429 CPP).

Condamne E______ à verser à A______, B______, C______, et D______ CHF 4'635.-, à titre de juste indemnité pour les dépenses obligatoires occasionnées par la procédure (art. 433 al. 1 CPP).

Condamne E______ aux frais de la procédure, qui s'élèvent à CHF 1'232.-, y compris un émolument de jugement de CHF 300.- (art. 426 al. 1 CPP).

Ordonne la communication du présent jugement aux autorités suivantes: Casier judiciaire suisse, Service des contraventions (art. 81 al. 4 let. f CPP).

Informe les parties que, dans l'hypothèse où elles forment un recours à l'encontre du présent jugement ou en demandent la motivation écrite dans les dix jours qui suivent la notification du dispositif (art. 82 al. 2 CPP), l'émolument de jugement fixé sera en principe triplé, conformément à l'art. 9 al. 2 du Règlement fixant le tarif des frais en matière pénale (RTFMP; E 4.10.03).

La Greffière

Silvia ROSSOZ-NIGL

La Présidente

Alexandra JACQUEMET

 

 

Vu l'annonce d'appel formée par E______, laquelle entraîne la motivation écrite du jugement (art. 82 al. 2 let. b CPP).

LE TRIBUNAL DE POLICE

Condamne E______ à payer un émolument complémentaire de CHF 600.- à l'Etat de Genève.

 

La Greffière

Silvia ROSSOZ-NIGL

La Présidente

Alexandra JACQUEMET

 

 

Voies de recours

Les parties peuvent annoncer un appel contre le présent jugement, oralement pour mention au procès-verbal, ou par écrit au Tribunal pénal, rue des Chaudronniers 9, case postale 3715, CH-1211 Genève 3, dans le délai de 10 jours à compter de la communication du dispositif écrit du jugement (art. 398, 399 al. 1 et 384 let. a CPP).

Selon l'art. 399 al. 3 et 4 CPP, la partie qui annonce un appel adresse une déclaration écrite respectant les conditions légales à la Chambre pénale d'appel et de révision, Place du Bourg-de-Four 1, case postale 3108, CH-1211 Genève 3, dans les 20 jours à compter de la notification du jugement motivé.

Si le défenseur d'office ou le conseil juridique gratuit conteste également son indemnisation, il peut interjeter recours, écrit et motivé, dans le délai de 10 jours dès la notification du jugement motivé, à la Chambre pénale d'appel et de révision contre la décision fixant son indemnité (art. 396 al. 1 CPP).

L'appel ou le recours doit être remis au plus tard le dernier jour du délai à la juridiction compétente, à la Poste suisse, à une représentation consulaire ou diplomatique suisse ou, s'agissant de personnes détenues, à la direction de l'établissement carcéral (art. 91 al. 2 CPP).

Etat de frais

Frais de l'ordonnance pénale

CHF

660.00

Convocations devant le Tribunal

CHF

180.00

Frais postaux (convocation)

CHF

35.00

Emolument de jugement

CHF

300.00

Etat de frais

CHF

50.00

Frais postaux (notification)

CHF

7.00

Total

CHF

1'232.00

==========

Emolument de jugement complémentaire

CHF

600.00

==========

Total des frais

CHF

1'832.00

 

 

Notification par voie postale à E______, soit pour lui son Conseil, Me Nicolas GILLARD

Notification par voie postale à A______, B______, C______ et D______, soit pour eux leur Conseil, Me Hrant HOVAGEMYAN

Notification par voie postale au Ministère public