Skip to main content

Décisions | Tribunal administratif de première instance

1 resultats
A/1689/2011

JTAPI/1256/2024 du 18.12.2024 ( EXP ) , ADMIS PARTIELLEMENT

ATTAQUE

Descripteurs : EXPROPRIATION MATÉRIELLE;INDEMNITÉ D'EXPROPRIATION;AÉROPORT;BRUIT
Normes : LEx-GE.43.al2; OPB.annexe 5; Cst.26.al2; LAT.5.al2
En fait
En droit
Par ces motifs
RÉPUBLIQUE ET CANTON DE GENÈVE

POUVOIR JUDICIAIRE

A/1689/2011 EXP

JTAPI/1256/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 18 décembre 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______, représenté par Me Jean-Daniel BORGEAUD, avocat, avec élection de domicile

 

contre

AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE, représentée par Me Nicolas WISARD, avocat, avec élection de domicile

ÉTAT DE GENÈVE, représenté par Me Benoît CARRON, avocat, avec élection de domicile

EN FAIT

1.             Monsieur A______ est propriétaire des parcelles nos 1______, 2______, 3______ et 4______de la commune de B______.

La première parcelle, d’une surface de 10’151 m2 est située entre le chemin C______, celui de D______ et la route E______.

Les autres parcelles sont contiguës, d’une surface totale de 13’374 m2 et sises dans le secteur « W______ » entre la route F______, le chemin G______ et la route E______.

Toutes ces parcelles sont vierges de constructions.

2.             Ces parcelles, situées à proximité de l’aéroport international de Genève (ci-après : AIG), étaient classées en zone NNI B par le plan de zones de bruit de 1987.

Les parcelles nos 2______, 3______ et 4______sont affectées d’une charge sonore comprise entre 64 et 66 dB (A) de jour. Elles étaient sises en 5ème zone de construction et ont été déclassées, en 2009, en zone de développement industriel et artisanal (ci-après : ZDIA). La parcelle n° 1______, restée en 5ème zone de construction, est affectée d’une charge sonore d’environ 65 dB (A) de jour.

3.             Le 30 mai 2006, M. A______ a adressé simultanément à l’État de Genève, à l’AIG et à la Confédération suisse une demande tendant à obtenir des garanties quant à la constructibilité de ses biens-fonds ou, dans la négative, à l’ouverture d’une procédure d’expropriation et d’indemnisation, ainsi que des travaux d’insonorisation, du fait des nuisances causées par l’exploitation de l’aéroport.

4.             L’AIG a répondu par courrier du 14 juillet 2006 au mandataire de M. A______, représentant également d’autres riverains de l’aéroport, que celui-ci devait s’adresser à l’État de Genève, autorité compétente, s’il entendait formuler une demande d’indemnisation pour expropriation matérielle.

5.             Par requête du 27 mai 2011, M. A______ (ci-après : le requérant), sous la plume de son conseil, a saisi la Commission cantonale de conciliation et d’estimation (ci-après : la commission) d’une demande d’indemnisation pour expropriation matérielle dirigée contre l’État de Genève et l’AIG (ci-après : les intimés), aux termes de laquelle il a conclu, sous suit de frais et dépens, à ce que l’État de Genève, subsidiairement l’AIG, soit condamné à lui verser à titre d’indemnisation pour expropriation matérielle, en raison de l’atteinte à sa faculté de bâtir du fait des nuisances sonores inhérentes à l’exploitation de l’aéroport, la somme de CHF 19’000’000.-, plus intérêt à 5 % dès le 1er juin 2001. À titre préalable, il demandait à ce que l’État de Genève soit invité à se déterminer sur sa qualité pour défendre ainsi que celle de l’AIG.

L’entrée en vigueur le 1er juin 2001 de l’annexe 5 de l’ordonnance sur la protection contre le bruit du 15 décembre 1986 (OPB - RS 814.41), intitulée « valeurs limites d’exposition au bruit des aérodromes civils », avait rendu impossible la délivrance d’une quelconque autorisation de construire sur ses parcelles, les valeurs limites d’immission (ci-après: VLI) fixées étant dépassées.

Le montant de l’indemnité demandée était fondé sur une perte des droits à bâtir non utilisés avec un taux d’occupation du sol de 40 % relatif à des villas en ordre contigu, conformément à la volonté et à la pratique de l’État de Genève de densifier au maximum les zones villa, et un prix au m2 de terrain de CHF 800.-. Tous les chiffres utilisés pour les calculs seraient adaptés en cours de procédure.

6.             Entre le 27 et le 31 mai 2011, quarante-cinq requêtes avec des conclusions similaires, auxquelles ont été jointes quatre autres procédures, ont été déposées par des riverains de l’aéroport contre l’État de Genève et l’AIG auprès de la commission.

7.             Le 20 juillet 2011, le requérant a précisé sa demande quant à la qualité pour défendre de l’État de Genève et celle de l’AIG. L’AIG, assigné à titre subsidiaire, avait été mentionné uniquement pour que le délai de prescription soit interrompu à son égard dans l’hypothèse où l’État de Genève contestait sa qualité pour défendre et être débiteur d’éventuelles indemnités d’expropriation matérielle. Il renoncerait par conséquent aux conclusions subsidiaires à l’encontre de l’AIG « si l’État de Genève admettait avoir la qualité pour défendre et être débiteur d’éventuelles indemnités d’expropriation matérielle ».

8.             En septembre 2011, le Tribunal administratif de première instance (ci-après: le tribunal) a repris les causes pendantes devant la commission, à la suite d’une modification législative.

9.             Le tribunal a procédé à une tentative de conciliation entre les parties lors d’une audience tenue le 17 septembre 2012. Il a pris acte du fait que celles-ci n’étaient pas parvenues à un accord et qu’ainsi la procédure devait aller de l’avant.

10.         Le 14 décembre 2012, l’AIG a produit un plan – élaboré de manière conjointe avec l’État de Genève – situant l’ensemble des parcelles concernées par les requêtes en indemnisation pour expropriation matérielle, avec indication des différentes zones d’affectation et courbes d’exposition au bruit aérien, établies sur la base du cadastre de bruit de l’AIG élaboré en mars 2009 par l’office fédéral de l’aviation civile (ci-après : OFAC). Ce cadastre était fondé sur les données de trafic enregistrées durant l’année 2000.

11.         Lors de l’audience de comparution des mandataires du 4 février 2013, sept procédures « pilotes », dont celle du requérant, ont été sélectionnées d’entente entre les parties pour être instruites en priorité, les autres procédures ayant été suspendues par décision du même jour avec l’accord des parties.

12.         Par écriture du 2 mai 2013, le requérant a complété sa requête et sollicité plusieurs mesures d’instruction, notamment la mise en œuvre d’une expertise. Préalablement, l’État de Genève était invité à se déterminer sur la constructibilité de la parcelle n° 1______ par voie dérogatoire et sur la possibilité de renoncer à exercer son droit de préemption en cas de vente des autres parcelles, ainsi que sur les indemnités déjà consenties à d’autres riverains de l’aéroport.

13.         Dans leurs déterminations communes du 28 juin 2013, sous la plume de leur conseil respectif, les intimés ont conclu au rejet de l’ensemble des conclusions formulées par le requérant. Ils ont également conclu à ce que le tribunal statue sur les frais et dépens de la procédure. À titre préalable et subsidiairement, ils ont sollicité plusieurs actes d’instruction et à ce qu’il soit dit et prononcé que le paiement d’une éventuelle indemnité devrait faire l’objet d’une annotation ou d’une inscription au registre foncier. Ils ont produit un chargé de pièces.

La construction de logements par voie d’autorisation dérogatoire sur la parcelle n° 1______ était exclue compte tenu des nuisances sonores affectant le secteur. La parcelle était d’ailleurs destinée à être classée en zone d’activités à teneur du projet de plan directeur cantonal 2030. S’agissant des indemnités versées à d’autres riverains, c’était à tort que la commission avait considéré que l’État de Genève était redevable d’une indemnité dans les causes A/202/2007 (ACOM/121/2009 du 17 décembre 2008) et A/3915/2007 (DICCR/27/2010 du 21 avril 2010). Les solutions transactionnelles passées dans les causes précitées étaient fondées sur un facteur particulier, à savoir le fait que la Fondation pour les terrains industrielles (ci-après : FTI) s’était montrée intéressée à acquérir les parcelles en question.

L’éventuel droit du requérant à une indemnité pour expropriation matérielle était prescrit. Sur le fond, aucune indemnisation n’était due en l’absence d’une restriction du droit de propriété équivalente à une expropriation. Les conditions pour une indemnisation n’étaient de toute manière pas remplies.

Le requérant ne pâtissait d’aucune restriction de son droit de propriété ; il se voyait simplement confronté aux limites de ce droit. Sa situation était assimilable à celle d’un propriétaire qui s’était vu refuser l’inclusion de son terrain en zone à bâtir suite à la mise en œuvre des principes de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire du 22 juin 1979 (LAT - RS 700). En effet, en raison du dépassement des VLI, l’autorité de planification aurait dû déclarer les parcelles et, de manière plus générale, tout le secteur, impropre à la construction de logements au sens de l’art. 15 LAT et l’affecter à un autre usage. La reconduction en 1987 de la zone 5 pour les parcelles litigieuses n’était ainsi pas conforme au droit fédéral. Il en résultait que les parcelles du requérant n’avaient jamais été valablement incluses en zone villas. Le déclassement des parcelles nos 2______, 3______ et 4______en ZDIA, respectivement le classement futur de la parcelle n° 1______ en zone d’activités, constitu(er)ait la première mesure d’aménagement conforme à la LAT. Il s’agissait donc d’une situation typique de « Nichteinzonung », laquelle n’ouvrait, par principe, aucun droit à une indemnité pour expropriation matérielle.

Les conditions donnant exceptionnellement droit à une indemnisation n’étaient par ailleurs pas remplies. Les terrains étaient impropres à la construction à raison de l’art. 15 LAT, ils ne constituaient pas une « dent creuse » en plein milieu d’un périmètre largement bâti et le propriétaire n’avait reçu aucune assurance de la part des autorités compétentes, dont il pouvait tirer l’expectative légitime que ses terrains seraient nécessairement classés durablement en zone résidentielle, pouvant être affectée à la construction d’habitations.

Même considérée comme une restriction à la propriété, l’interdiction de construire résultant de l’art. 22 de la loi fédérale sur la protection de l’environnement du 7 octobre 1983 (LPE - RS 814.01) ne donnerait pas droit à indemnisation, d’une part, parce qu’il s’agissait d’une mesure de police, d’autre part, parce que les conditions d’indemnisation se rapportant à la gravité de l’atteinte n’étaient pas remplies. En effet, l’interdiction de construire des logements ne déployait des effets qu’à l’égard de nouvelles constructions. Le requérant n’était donc pas atteint dans l’usage actuel de son bien. Il ne l’était pas non plus s’agissant d’un usage futur, faute d’avoir établi que la réalisation d’une nouvelle habitation sur ses parcelles était hautement probable et qu’il avait la ferme intention de la réaliser. En outre, rien n’indiquait que la réalisation de nouvelles constructions sur les parcelles nos 2______, 3______ et 4______conformes à la ZDIA serait compromise et la parcelle n° 1______, qui recevrait dans un avenir proche une nouvelle affectation permettant d’y élever des constructions affectées à des activités, continuerait de pouvoir être utilisée de manière économiquement raisonnable.

Le calcul d’une éventuelle indemnité devrait faire l’objet d’une instruction spécifique. L’estimation devrait notamment tenir compte des autres sources de nuisances sonores qui pourraient affecter les parcelles, des éventuelles indemnités pour expropriation formelle déjà perçues, des droits à bâtir déjà utilisés, ainsi que de toutes les restrictions de droit public ou privé affectant les parcelles, telles que les servitudes. Pour ce qui était de l’impact du classement en ZDIA, il nécessiterait en outre de définir les possibilités de construire subsistant sur les parcelles et les prix admis dans ces zones.

14.         Par décision du 23 décembre 2013 (DITAI/298/2013), dans le prolongement d’une audience de comparution des mandataires du 18 décembre 2013, le tribunal a suspendu l’instruction de la cause (et des six autres procédures « pilotes ») jusqu’à droit jugé dans une procédure qui concernait une problématique similaire, décision confirmée par arrêt de la chambre administrative de la Cour de justice (ci-après : la chambre administrative) du ______ 2014 (ATA/9______).

15.         Par courrier du 18 août 2015, le tribunal a informé les parties de la reprise de l’instruction de la cause.

16.         Lors de l’audience de comparution des mandataires du 21 septembre 2015, le conseil de l’État de Genève a notamment demandé que la question de la prescription soit purgée avant que ne soient traitées les autres questions de fond, ce à quoi le conseil du requérant s’est opposé.

17.         Par écritures des 10 novembre 2015 et 29 janvier 2016, les parties se sont déterminées sur la question de la prescription.

18.         Par écritures du 27 juin 2016, les parties se sont déterminées sur la qualité de partie de l’AIG.

Les intimés ont considéré que tant l’État de Genève, en sa qualité de débiteur en première ligne des indemnités pour expropriation matérielle, que l’AIG, en sa qualité d’entité publique financièrement impactée par ces indemnités dès lors que cette charge financière incomberait au final à l’AIG en vertu de l’art. al. 1 de la loi sur l’aéroport international de Genève du 10 juin 1993 (LAIG - H 3 25), avaient la qualité pour défendre.

Quant au requérant, il s’en est rapporté à justice sur cette question, dès lors qu’à partir du moment où il avait obtenu la garantie expresse de l’État de Genève et de l’AIG qu’il serait payé par l’une ou l’autre de ces collectivités en cas d’octroi d’une indemnisation, il n’avait ni avantage, ni inconvénient à maintenir l’AIG dans la procédure.

19.         Le 22 novembre 2016, le tribunal a rendu une décision préjudicielle sur la question de la prescription, retenant que la requête n’était pas prescrite, le dies a quo du délai devant être fixé au 1er juin 2001, date de l’entrée en vigueur de la deuxième version de l’annexe 5 de l’OPB (DITAI/726/2016).

20.         Par envoi commun du 12 décembre 2016, l’État de Genève et l’AIG ont recouru auprès de la chambre administrative contre cette décision.

21.         Lors de l’audience de comparution des mandataires du 30 mars 2017, le conseil du requérant s’est opposé à une suspension de l’instruction de la cause dans l’attente d’une décision définitive sur la question de la prescription.

22.         Le ______ 2017, le Conseil d’État a adopté le plan directeur de la zone de développement industriel et artisanal de H______ n° 10______ (ci-après : PDH______), entré en vigueur suite à un arrêt de la chambre administrative du ______ 2018 (ATA/11_____).

Ce plan couvre une partie de territoire située entre la I______, la J______, la G______, le K______ et le L______, et englobe notamment les parcelles nos 2______, 3______ et 4______du requérant.

23.         Par arrêt du ______ 2017, la chambre administrative a confirmé la décision préjudicielle du tribunal du ______ 2016 (ATA/12_____) et le Tribunal fédéral en a fait de même par arrêt du ______ 2018 (1C_13_____).

24.         Par réplique sur le fond du 5 octobre 2017, le requérant a persisté intégralement dans les termes et conclusions de sa requête, en développant et complétant son argumentation.

En substance, l’atteinte à la propriété subie par les propriétaires fonciers dans le périmètre de l’aéroport était issue d’un acte de puissance publique unilatéral et procédait d’un choix politique à une exploitation intensive de l’AIG. L’inconstructibilité issue du franchissement des VLI arrêtées dans l’annexe 5 de l’OPB était équivalente à la suppression de la possibilité de construire qui aurait été issue d’une procédure d’expropriation formelle aboutissant à la création d’une servitude de non-bâtir. Cette restriction au droit de propriété – conséquence directe de l’application de l’art. 22 LPE – devait être qualifiée de « mesure d’aménagement » au sens de l’art. 5 al. 2 LAT et le moment déterminant pour apprécier l’atteinte était celle de l’entrée en force de la mesure, soit en l’occurrence le 1er juin 2001, entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OPB.

Contrairement à ce que soutenaient les intimés, les restrictions de constructibilité issues de l’application de l’OPB ne pouvaient être qualifiées de mesures relevant de la concrétisation du droit de propriété. Si cela avait été le cas, les tribunaux n’auraient pas condamné dans de nombreux dossiers l’État de Genève à verser des indemnités pour expropriation formelle des droits de voisinage à des propriétaires de terrains situés dans le voisinage de l’aéroport. Seul un déclassement (« Auszonung ») pouvait intervenir, puisque les parcelles en cause étaient incluses, au moment déterminant, à savoir au 1er juin 2001, dans une zone à bâtir conforme aux exigences de la LAT.

Ces restrictions ne pouvaient pas non plus être qualifiées de mesures de police, faute d’en remplir les conditions. Le caractère excessif des nuisances sonores de l’aéroport n’était en effet pas inéluctable et la mesure n’était pas dirigée contre le perturbateur. Une telle qualification était par ailleurs contraire à la jurisprudence et même si elle était retenue, le cas d’espèce relèverait des exceptions dans lesquelles l’autorité avait l’obligation d’indemniser.

In casu, les conditions de l’expropriation matérielle étaient réalisées : la suppression de la faculté de construire constituait une atteinte particulièrement intense au droit de propriété et impactait le propriétaire qui se voyait privé de la possibilité de construire. La question de savoir si le propriétaire avait eu ou non une intention subjective de réaliser une construction et s’il avait accompli ou pas des démarches dans ce sens ne jouait aucun rôle. De même, une éventuelle future planification industrielle et artisanale du bien-fonds n’avait pas à être prise en compte, dès lors que c’était la situation au 1er juin 2001 qui était déterminante pour apprécier l’atteinte à la propriété.

Au demeurant, l’État avait définitivement renoncé à modifier l’affectation du secteur de C______ et cette décision avait été concrétisée lors de la mise à l’enquête publique en décembre 2016 de la première mise à jour du Plan directeur cantonal 2030, adopté par le Grand Conseil en septembre 2013 (ci-après : PDCn 2030), qui renvoyait, pour le secteur concerné, à la fiche A04 intitulée « utilisation diversifiée de la zone 5 ». Force était donc de constater que plus de seize ans après l’entrée en vigueur de l’impossibilité de construire le 1er juin 2001, il n’y avait plus aucune perspective consistante de déclassement en zone industrielle et artisanale pour le secteur de C______. Et même si un tel déclassement intervenait, la durée cumulée de l’impossibilité de construire issue du plan de zone de bruit NNI et de celle écoulée depuis 2001 excédait très nettement la durée admissible sans indemnité de l’expropriation provisoire.

Il ne saurait en outre être fait application par analogie de l’arrêt zurichois ATF 123 II 481 relatif à un non-classement, le cas étant très différent, puisque les terrains ici en cause étaient situés en 5ème zone à bâtir au 1er juin 2001, date à laquelle ils étaient devenus inconstructibles. Une autre différence fondamentale relevait de la différence de valeur entre des terrains situés en zone industrielle dans le canton de Zurich, où les prix obéissaient aux lois du marché et étaient souvent supérieurs à ceux de la zone villas zurichoise, et ceux à Genève, où les prix étaient fixés à CHF 180.- le m2, soit cinq et sept fois moins que les prix de la zone villas.

Lorsque plusieurs impossibilités de construire se succédaient, c’était la durée totale qui était déterminante pour apprécier l’intensité de la restriction. La durée cumulée des différentes périodes d’impossibilité de bâtir, de plus de dix ans, suffisaient à retenir que les propriétaires avaient subi une atteinte grave, et non provisoire, à leur faculté de construire.

S’agissant du déclassement intervenu en 2009, s’il constituait un facteur de diminution du dommage, il impliquait également une moins-value très importante pour les villas du L______, qui n’étaient plus vendables à des fins d’habitation. De plus, la surface limitée de la parcelle compliquait la vente de tels biens. Il n’y avait donc pas lieu de réduire l’indemnisation. Par ailleurs, dans l’hypothèse d’une modification des possibilités de construire, l’équivalence à une expropriation donnant droit à indemnisation était donnée dès lors que la diminution de valeur était de l’ordre de 80 %.

Enfin, le déclassement en ZDIA instituait une différence injustifiable au regard des propriétés situées en zone de développement non industriel, où la pratique administrative retenait un prix de CHF 1’000.-/m2 en cas de maison individuelle, ce qui permettait au propriétaire de se procurer un bien de remplacement, alors qu’en ZDIA le prix au m2 de terrain, fixé à CHF 180.-/m2, était 5,5 fois inférieur et mettait le propriétaire en état de surendettement. Le sacrifice particulier qui était demandé constituait non seulement une grave atteinte à la propriété, mais également au principe d’égalité.

Pour le surplus, le droit cantonal ne respectait pas le principe posé à l’art. 5 al. 1 LAT selon lequel il devait établir un régime de compensation permettant de tenir compte équitablement des avantages et des inconvénients majeurs qui résultaient de mesures d’aménagement.

25.         Dans leur duplique commune du 19 février 2018, les intimés ont persisté intégralement dans leur conclusions et arguments, qu’ils ont complétés, concluant pour le surplus à la condamnation du requérant en tous les frais et dépens de la procédure.

La thèse du requérant, selon laquelle les prétentions en indemnisation auraient pu être traitées dans le cadre d’une procédure en expropriation formelle visant à imposer la constitution forcée de servitudes de non bâtir à raison du bruit excessif, était vigoureusement contestée, au motif déjà qu’il existait une différence de nature entre l’expropriation formelle et l’expropriation matérielle. De plus, il n’y avait pas lieu de retenir que toute exposition à un bruit dépassant les VLI occasionnait automatiquement une atteinte à la propriété constitutive d’une expropriation. Contrairement également à ce que soutenait le requérant, la jurisprudence fédérale en matière d’expropriation matérielle à Genève n’avait pas exclu l’analyse préjudicielle de la validité de la reconduction du zoning en 1987. La démonstration du contraire demeurait possible, en considération des particularités concrètes qui affectaient les parcelles concernées. La jurisprudence en matière d’expropriation formelle des droits de voisinage n’était quant à elle d’aucune utilité pour déterminer la nature des limitations de constructibilité issues de la LPE et de l’OPB.

Le fait que le perturbateur fût la collectivité publique n’excluait pas la qualification de la restriction de mesure de police. De même, il ne saurait y avoir indemnisation si la mesure visait à protéger le propriétaire contre lui-même.

S’agissant des conditions générales de l’expropriation matérielle et en particulier de la condition liée à l’importance de l’atteinte, la jurisprudence fixait la limite du tolérable sans indemnisation entre 30 et 40 % de perte de valeur, fourchette qui devrait être retenue en l’espèce. S’agissant du caractère durable de la restriction, celle-ci devait avoir porté sur plus de dix ans, ce qui n’était pas le cas des parcelles ayant fait l’objet d’un classement ultérieur en ZDIA, étant précisé que lorsqu’une mesure d’aménagement était levée ou remplacée par une mesure n’ayant pas les effets d’une expropriation matérielle, le dommage était supprimé et aucune indemnisation n’était due. Enfin, contrairement à ce que soutenait le requérant, le critère de l’intention effective du propriétaire d’exploiter la faculté de construire était prise en compte dans les hypothèses de déclassement partiel ou de « Nichteinzonung ».

Pour le cas où le tribunal admettrait l’existence d’une restriction à la propriété constitutive d’une expropriation matérielle, il devrait être procédé à une analyse différenciée en fonction de caractéristiques communes à certains (sous-) groupes de cas-tests. En effet, il ressortait de leur analyse détaillée de la pratique en matière d’autorisations que les terrains exposés à un niveau de bruit supérieur aux VLI, mais n’excédant pas 3 dB(A) en sus des VLI fixées par l’annexe 5 de l’OPB pour le jour et les heures de nuit, étaient constructibles. Il n’y avait pas matière à expropriation matérielle dans ce cas. Pour les terrains exposés le jour à 64 dB(A) (i.e. VLI + 4), mais dont la charge de bruit nocturne restait dans la fourchette de VLI à VLI + 3, la réalisation de logements demeurait a priori admissible, moyennant des précautions architecturales au sens de l’art. 31 al. 1 OPB, lesquelles ne constituaient pas, en soi, des contraintes susceptibles d’entraîner une expropriation matérielle. Pour les terrains exposés durant la nuit à un niveau de bruit supérieur à VLI + 3, mais n’excédant pas VLI + 4 toutes heures confondues, si la constructibilité était incertaine, les parcelles n’étaient pas pour autant inconstructibles ; les demandes de rénovation, respectivement de transformation de logements existants étaient systématiquement acceptées et les cas de démolition-reconstruction et d’agrandissements raisonnables étaient généralement admis, à certaines conditions, en application de l’art. 31 al. 2 OPB. Il incombait en tout état au propriétaire d’apporter la preuve de l’inconstructibilité de ses parcelles. Enfin, pour les parcelles exposées à un bruit supérieur à VLI + 4 toutes heures confondues, la délivrance d’autorisations de construire dépendait des circonstances. Il fallait néanmoins partir du principe que la constructibilité de ces parcelles n’était plus garantie, à tout le moins pour des logements.

Pour les parcelles exposées à un bruit non gérable sous l’angle de l’art. 31 al. 1 ou 2 LPE, il fallait distinguer celles classées en ZDIA de celles restées en zone 5. Pour ces dernières, l’interdiction de construire des logements découlant de l’annexe 5 de l’OPB en 2001 avait créé une situation durable. Compte tenu de la destination de la zone 5, l’impossibilité de construire de nouveaux logements pouvait être rapprochée d’un « Bauverbot » puisque l’essentiel des facultés de construction utiles (logement) étaient neutralisées. On pouvait alors envisager sur le principe qu’il se produise une expropriation matérielle par analogie à une « Auszonung ». Une éventuelle indemnisation ne pouvait toutefois intervenir que si la parcelle disposait effectivement d’un solde de droits à bâtir et que le propriétaire avait entrepris les démarches en vue d’une mise en valeur imminente desdits droits.

Pour les parcelles classées en ZDIA, au lieu d’examiner les prétentions du propriétaire en considérant deux étapes – la première tenant à la perte des droits à bâtir des logements par l’effet des VLI de l’OPB et la seconde survenue à raison du classement des parcelles en ZDIA –, il fallait prendre la situation dans sa globalité et comparer in fine l’état des parcelles avant l’OPB avec le statut qu’elles avaient acquis par leur classement en ZDIA. Si la restriction de constructibilité résultant des VLI définies par l’OPB en 2001 avait effectivement impacté la valeur vénale des parcelles sises en zone 5, il fallait néanmoins retenir que cette restriction n’avait eu qu’un caractère transitoire (de juin 2001 à début 2009 pour le secteur des Communs). Elle ne pouvait donc être qualifiée d’expropriation matérielle. Cette période transitoire était juridiquement « transparente » et il convenait d’en faire abstraction, étant relevé que le statut des parcelles antérieur à l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OBP (régime NNI) était sans pertinence, s’agissant de mesures d’une autre origine et nature et pour lesquelles aucune indemnisation n’avait été sollicitée dans le délai de prescription. Quant au classement en ZDIA, il avait redonné aux parcelles un potentiel de construction conforme à l’exposition au bruit. Certes, l’entrée en force de la ZDIA ne permettait pas automatiquement l’obtention d’autorisations de construire en application des normes de la zone de développement. Toutefois, l’adoption d’un plan d’affectation de détail n’était pas une exigence absolue. Quant aux remembrements fonciers exigés par le PDH______, il s’agissait-là d’une condition commune et ordinaire à ce type de zone, qui n’effaçait pas les droits à bâtir liées aux parcelles concernées, étant relevé que de tels remaniement étaient soumis au principe de la péréquation réelle. L’assujettissement éventuel à l’obligation de remanier ne portait donc pas à conséquence. Il était donc exclu d’assimiler ce classement à une « Auszonung », dès lors que le propriétaire conservait la faculté d’utiliser son terrain de manière économiquement judicieuse et ne perdait pas une faculté essentielle de la propriété ; il ne pouvait donc prétendre à aucune indemnité. Cas échéant, la reconnaissance d’une éventuelle expropriation supposerait d’établir que le classement en ZDIA aurait entraîné une grave baisse de la valeur vénale des parcelles, de l’ordre de 30 à 40 % minimum. À cet égard, l’estimation des parcelles après classement en ZDIA ne saurait être effectuée par la simple multiplication de leur surface cadastrale par le montant de CHF 180.-/m2 pratiqué par la FTI, ce montant ne constituant qu’un indicateur. Il ne comprenait pas non plus la valeur des constructions et aménagements existants, qui devait être ajoutée à la valeur du terrain.

À titre subsidiaire, si le tribunal devait admettre la thèse de la double expropriation, il conviendrait alors de retenir que le classement en ZDIA avait compensé, à tout le moins en partie, le préjudice subi. Dans cette hypothèse, c’était la valeur vénale à l’échelle du marché considéré dans son ensemble qui était déterminante, laquelle serait à imputer sur le montant de l’éventuelle indemnité d’expropriation. Le même IUS devrait en outre être appliqué afin d’éviter une double indemnisation des mêmes droits. Enfin, seuls les propriétaires qui auraient été entravés dans un réel projet de construction pourraient devoir être indemnisés.

In casu, les parcelles du requérant étaient affectées d’une charge sonore comprise entre 64 et 66 dB(A) de jour, 58 et 61 dB(A) durant la première heure de la nuit et entre 53 et 55 dB(A) durant la deuxième heure de la nuit. Ces charges excédaient les VLI fixées dans l’annexe 5 de l’OPB pour le DS II, mais respectaient les VLI pour le DS IV durant la journée, tout en les dépassant très légèrement la première heure de la nuit. Les restrictions de constructibilité devaient être assimilées à un refus de classement ou, à défaut, à des restrictions de police ne donnant pas lieu à indemnisation. Cas échéant, il fallait constater, pour les parcelles nos 2______, 3______ et 4______, que le quasi-« Bauverbot » survenu en 2001 avait été levé avec l’entrée en vigueur de la ZDIA. La limitation de constructibilité n’ayant eu qu’un caractère transitoire, elle ne pouvait être qualifiée d’expropriation matérielle. Il en allait de même du classement en ZDIA, qui n’impliquait pas une suppression totale des droits à bâtir, ni de toute possibilité de valorisation des parcelles. Le propriétaire, qui conservait la faculté d’utiliser ses bien-fonds de manière économiquement judicieuse, ne pouvait prétendre à aucune indemnité. Pour la parcelle n° 1______, l’impossibilité de construire des logements depuis l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OPB en 2001 pourrait être rapprochée d’un « Bauverbot ». Autrement dit, on pourrait envisager sur le principe qu’il se produire une expropriation matérielle par analogie à une « Auszonung ». Toutefois, la reconnaissance d’une restriction grave ne serait pertinente que si la parcelle disposait effectivement d’un solde de droits à bâtir disponible réellement susceptible d’être mis en valeur. Dans tous les cas, aucune indemnisation ne serait due, faute pour le propriétaire d’avoir entrepris, avant le 1er juin 2001, les démarches utiles en vue d’une mise en valeur imminente de ses droits à bâtir. Partant, le requérant devait être débouté de sa requête.

Les intimés ont notamment produit un relevé des dossiers d’autorisation de construire portant sur des logements introduits depuis 2000 dans le périmètre de bruit de l’AIG (pièce 101), établi sur la base de données du service de l’air, du bruit et des rayonnements non ionisants (ci-après : SABRA), un résumé statistique (pièce 102) classant les dossiers d’autorisation selon le niveau d’exposition au bruit de la parcelle considérée, le préavis (favorable/défavorable) du SABRA et la décision (refus/acceptation) rendue par le département, ainsi qu’un courrier du Conseiller d’État, Monsieur M______, du ______ 2013, concernant la pratique du département en matière d’autorisations de construire dans les zones villa exposées au bruit aérien et la pratique administrative du département du 1er juillet 2015 intitulée « régimes auxquels sont soumises les requêtes en autorisation de construire selon les secteurs de la carte densification secteurs villas » (pièce 103).

26.         Le 24 septembre 2018, faisant suite à une demande du tribunal, les intimés ont versé à la procédure une version corrigée des tableaux produits en pièces 101 et 102 (numérotés 101bis et 102bis).

27.         La cause a été reconvoquée en audience de comparution des mandataires le 1er octobre 2018.

À l’issue de cette audience, un délai a été imparti au requérant pour verser à la procédure diverses pièces et aux intimés pour indiquer si le département avait élaboré une pratique administrative sur la base des autorisations de construire délivrées ou pas, et depuis quand.

28.         Par plis des 26 octobre et 12 novembre 2018, le requérant a produit les extraits du Registre foncier certifiés conformes de ses quatre parcelles, ainsi que les documents attestant de l’origine de sa propriété.

29.         Par pli du 29 octobre 2018, les intimés ont exposé au tribunal que les tableaux produits le 24 septembre 2018 reflétaient un usage constant des autorités concernées, en particulier du SABRA, ce depuis 2000 au moins, quant à la délivrance d’autorisations de construire pour des projets sis en DS II entre les courbes VLI et VLI +3. Cet usage, qui était toujours d’actualité, n’était pas codifié par écrit.

30.         Par courrier du 20 décembre 2018, le tribunal a informé les parties de son intention d’entrer en matière sur le fond et d’ordonner une expertise, portant dans un premier temps sur les parcelles de la seule cause A/14_____, visant à déterminer le montant d’une éventuelle indemnité pour expropriation matérielle.

31.         Les parties se sont déterminées les 30 et 31 janvier et 1er février 2019, à la suite de quoi, par pli du 3 avril 2019, le tribunal a informé celles-ci de son intention de nommer, sur proposition des parties, Monsieur N______, architecte, comme expert.

32.         Le 3 mai 2019, dans la cause A/14_____, les parties se sont déterminées sur le projet d’expertise et ont proposé des questions complémentaires à poser à l’expert.

33.         Le 11 juin 2019, le tribunal a ordonné une expertise qu’il a confié à M. N______ (DITAI/______ – A/14_____).

34.         Par acte du 24 juin 2019, l’État de Genève et l’AIG ont interjeté recours auprès de la chambre administrative contre l’ordonnance d’expertise précitée.

35.         Le même jour, ils ont déposé une demande d’interprétation de cette même ordonnance auprès du tribunal, procédure enregistrée sous le numéro de cause A/15_____.

36.         Par pli du 1er juillet 2019, le tribunal a informé les parties de son intention de suspendre l’instruction de la cause en attendant l’issue de la procédure A/14_____.

37.         Les parties se sont déterminées le 12 juillet 2019.

38.         Par décision du 19 juillet 2019 (DITAI/______), le tribunal a suspendu l’instruction de la cause jusqu’à la fin de la mission d’expertise dans la procédure A/14_____.

39.         Par décision du 8 octobre 2019 (DITAI/______ - A/15_____), le tribunal a suspendu l’instruction de la demande d’interprétation jusqu’à droit jugé dans la procédure de recours.

40.         Par arrêt du ______ 2019 (ATA/16_____ - A/14_____), la chambre administrative a déclaré irrecevable le recours interjeté le 24 juin 2019.

41.         Par jugement du ______ 2020 (JTAPI/17_____ - A/15_____), le tribunal a rejeté la demande d’interprétation du 24 juin 2019.

42.         Le 22 mars 2021 s’est tenue une audience de comparution des mandataires dans la cause A/14_____, lors de laquelle les parties ont notamment demandé que l’expert soit relevé de son mandat et proposé que le mandat d’expertise soit confié à la société O______ SA.

43.         Par ordonnance du 25 mars 2021 (DITAI/______ - A/14_____), le tribunal a relevé M. N______ de son mandat.

44.         Par plis des 6, 13 et 14 avril 2021, les parties ont confirmé leur accord pour inclure les sept procédures « pilotes » dans le champ de l’expertise.

45.         Le 22 avril 2021, le tribunal a repris l’instruction de la cause et a informé les parties de son intention de nommer la société O______ SA comme experte.

46.         Le 3 mai 2021, les parties se sont déterminées sur la mission d’expertise.

47.         Par courrier du 19 mai 2021, le tribunal a transmis aux parties un projet de mission d’expertise modifié, sur lequel les parties se sont déterminées par courriers des 28 et 31 mai 2021.

48.         Le 8 juin 2021, le tribunal a ordonné une expertise qu’il a confiée à O______ SA, aux fins de déterminer le montant de l’éventuelle indemnité d’expropriation matérielle à laquelle pouvait prétendre le requérant en raison de l’atteinte à sa faculté de bâtir du fait des nuisances sonores inhérentes à l’exploitation de l’aéroport (DITAI/285/2021). La mission d’expertise était la suivante :

a.       déterminer la valeur vénale des immeubles nos 1______, 2______, 3______ et 4______de la commune de B______, avant et après l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OBP le 1er juin 2021 et, pour les trois dernières, au jour du classement des parcelles en ZDIA, en tenant compte notamment de l’exposition au bruit aérien, des droits à bâtir utilisés et potentiels de la propriété compte tenu des différents indices d’utilisation du sol potentiellement applicables selon la réglementation en vigueur, et de tout autre élément de fait et de droit existant à ces dates ;

b.      chiffrer et commenter cas échéant les variations de valeur ;

c.       expliciter la méthode utilisée et l’origine des paramètres de référence ; en particulier, définir une méthode d’estimation aisément reproductible ;

d.      faire toute autre observation ou conclusion utile.

49.         Le 15 juillet 2021, O______ SA a fait parvenir au tribunal une offre pour le mandat d’expertise, qu’elle a complétée le 26 août 2021, suite aux remarques formulées par les parties les 30 juillet, 2 et 16 août 2021.

50.         Par courrier du 7 octobre 2021, suite à l’acception de l’offre d’O______ SA par les parties, le tribunal a invité celle-ci à débuter ses travaux.

51.         Le 31 mars 2022, les expertes d’O______ SA, Mesdames P______ et Q______, ont rendu un rapport distinct pour chaque procédure « pilote », accompagné qu’un tableau récapitulatif des résultats.

Elles avaient estimé, pour chacune des parcelles évaluées, les valeurs vénales au 31 mai 2001, au 1er juin 2011 et, pour les parcelles qui avaient fait l’objet d’un déclassement en ZDIA, les valeurs vénales au 14 novembre 2008 ; elles avaient indiqué l’impact que l’entrée en vigueur de l’OPB avait causé sur ces parcelles (cf. colonne intitulée « Impact entrée en vigueur OPB ») et, pour les parcelles classées ultérieurement en ZDIA, la plus-value générée par ce déclassement (cf. colonne intitulée « Impact déclassement ») ; enfin, l’estimation de la perte de la valeur vénale entre la situation des parcelles à la veille du 1er juin 2001 et celle qui résultait de leur classement en ZDIA avait été mise en exergue dans une colonne intitulée « Impact total ». La méthode d’évaluation retenue pour chacun des scenarii était la méthode de la valeur intrinsèque, qui se composait de la valeur résiduelle du bâti et de la valeur du terrain. S’agissant d’une évaluation rétroactive, un intervalle de confiance de l’ordre de 25 % sur les valeurs retenues était à prendre en compte (contre un intervalle de confiance standard de 10 % sur la valeur du jour).

Le modèle méthodologique avait été conçu pour être reproductible. Néanmoins, le prix de terrain n’était pas uniforme entre les parcelles ; il variait selon l’ensemble des critères propres à la parcelle. De ce fait, l’application du modèle de base supposait une validation des prix de terrain retenus.

Les expertes étaient parties du postulat que les parcelles en zone 5 évaluées au 1er juin 2001 étaient inconstructibles en raison du dépassement des VLI induit par les nouvelles courbes de bruit définies par l’OPB. Elles avaient tenu compte d’une inconstructibilité totale.

Pour le calcul de la valeur au 31 mai 2001, le prix de terrain retenu tenait compte notamment du bruit des avions et intégrait également les droits à bâtir non utilisés. Sur la base des prix valables en 2001, elles avaient estimé qu’à centralité équivalente, les prix de terrains à B______ étaient inférieurs de l’ordre de -15 % à -20 % en raison du bruit des avions par rapport aux communes sans nuisances. Pour les parcelles non-bâties, elles avaient appliqué une majoration de 50 % du prix de terrain, du fait qu’un développement à plus forte densité (IUS 0.26 à 0.40) pouvait être envisagé. Le prix de terrain était adapté à la baisse si un développement n’était pas réalisable pour des raisons notamment de configuration, de taille de la parcelle ou de servitudes.

Pour le calcul de la valeur au 1er juin 2001, elles avaient appliqué un prix de terrain par analogie aux terrains situés en zone agricole non soumis à la loi sur le droit foncier rural. Une parcelle entièrement nue et devenue inconstructible n’avait en effet aucune utilité autre que l’exploitation agricole, le stockage ou le stationnement de véhicules.

Pour le calcul de la valeur au 14 novembre 2008, le terrain était valorisé selon le prix de CHF 180.-/m2 pratiqué par la FTI pour la zone préexistante 5.

Elles avaient écarté le calcul de variantes de valeur selon différents scenarii de densité du fait qu’il n’y avait pas de relation mathématique permettant d’attribuer un prix de terrain à une densité.

Les expertes ont intégré dans leur rapport un tableau des transactions en zone 5 intervenues en 2000 et 2001 pour des terrains situés en zone de nuisances sonores aéroportuaires sur la commune de B______. Les données étaient recueillies sur la base des publications dans la Feuille d’avis officielle (FAO). Elles ont relevé six transactions pour des terrains non construits, avec un prix moyen à CHF 350.-/m2. Elles ont observé que le prix de terrain, proche de CHF 200.-/m2 pour un IUS de l’ordre de 0.20 à 0.25, était valorisé à partir d’une densification supérieure à 0.25. Il n’y avait toutefois pas de relation mathématique reportable entre la densité et le prix de terrain.

Elles ont également intégré un tableau de transactions de terrains agricoles intervenues en 2000 et 2001 sur l’ensemble du canton de Genève, dans la mesure où la centralité n’avait pas d’impact sur ce type de bien. Elles avaient écarté de leur relevé les parcelles de plus de 2’500 m2 assujetties à la LDTR dans le but d’apprécier un prix de transaction libre, non fixé par la commission foncière agricole (ci-après : CFA). Les prix des transactions étant très disparates et relativement bas malgré la possibilité de s’écarter du prix fixé par la CFA (8.-/m2), elles avaient retenu la moyenne des neuf transactions les plus hautes, soit CHF 15.-/m2.

Enfin, elles ont intégré un tableau des transactions intervenues en 2007 et 2008. Au vu de faible nombre de transactions de terrains nus industriels, elles avaient étendu leur relevé de 2006 à 2022 dans la mesure où la pratique de la FTI ne semblait pas avoir été révisée au cours de cette période. Elles ont ainsi relevé huit transactions en ZDIA pour un prix moyen de CHF 234.-/m2 de terrain. Elles ont constaté que les prix au m2 de terrain pratiqués par la FTI variaient entre CHF 150.- et CHF 300.-.

Les expertes se sont également référées aux statistiques établies par R______ Sàrl (ci-après : R______) qui mentionnaient un prix de terrain en zone villas à B______ entre CHF 350.- et CHF 450.- en 2001 et entre CHF 500.- et CHF 700.- en 2008.

Dans le cas d’espèce, les expertes ont retenu les valeurs suivantes :

Données cadastrales :

N° parcelle

1______

2______ et 3______

4______

Surface parcelle

10’151 m2

2’306 et 4’729m2

6’339 m2

SBP existante

 

 

 

Lr exposition au bruit (2009)

06-22h

22-23h

23-24h

64-65 dB(A)

58-60 dB(A)

53-54 dB(A)

64-66 dB(A)

58-61 dB(A)

53-55 dB(A)

Estimation au 31.05.2001 :

Prix/m2 de base

360

350

350

Prix/m2 tout compris

360

350

350

Valeur terrain

3’650’000

2’462’250

2’218’650

Valeur vénale

3’650’000

2’460’000

2’220’000

Estimation au 01.06.2001 :

Prix/m2 tout compris

15

16

16

Valeur terrain

150’000

110’000

100’000

Valeur vénale

150’000

110’000

100’000

Impact OPB

- 3’500'000 (- 96%)

- 2’350’000 ( - 96 %)

- 2’120’000 (- 95 %)

Estimation au 14.11.2008 :

Prix /m2 de base

 

180

180

Prix/m2 tout compris

 

181

180

Valeur terrain

 

1’266’300

1’141’020

Valeur vénale

 

1’270’000

1’140’000

Impact déclassement

 

1’160’000 (+ 1055 %)

1’040’000 (+ 1040 %)

Impact total

- 3’500’000 (- 96 %)

- 1’190’000 (- 48 %)

- 1’080’000 (- 49 %)

Les expertes ont considéré que la parcelle n° 2______ n’avait pas lieu d’être vendue de manière isolée en raison de sa configuration (couloir), raison pour laquelle elle avait été valorisée de pair avec la parcelle attenante n° 3______.

52.         Le 23 août 2022, les parties se sont déterminées sur le cadre général de l’expertise.

Selon les intimés, le tableau récapitulatif comportait des erreurs de calcul concernant les résultats des colonnes intitulées « impact déclassement » et « impact total ». Pour le surplus, ils n’avaient pas de remarques à formuler en l’état au sujet de la méthodologie suivie par O______ SA.

Pour sa part, le requérant a notamment relevé que, selon lui, la méthode pour le calcul de la valeur du terrain n’apparaissait pas adéquate dans certains cas, le prix du terrain retenu en zone 5 paraissait particulièrement faible et la plus-value foncière après déclassement en ZDIA excessive. La question se posait de savoir s’il ne convenait pas d’étendre le périmètre d’examen des transactions représentatives à d’autres communes du voisinage de l’aéroport soumises à des nuisances comparables afin de disposer d’un échantillonnage plus large et fiable. Il se réservait le droit de solliciter un complément d’expertise sur ce point et persistait dans les autres actes d’instructions demandés pour le surplus.

53.         Le 13 octobre 2022, les intimés ont transmis au tribunal leurs questions à poser aux expertes. Ils ne contestaient ni le principe de la méthodologie suivie par O______ SA, ni les valeurs retenues, qui apparaissaient conformes au marché ainsi qu’aux usages en matière d’expertise.

Concernant les autres actes d’instruction évoqués par le requérant, ils sortaient du cadre des déterminations sur les expertises, étant relevé que les informations et documents demandés, qui concernaient des parties tierces, étaient couvertes par le secret de fonction et la protection des données.

54.         Le 14 octobre 2022, le requérant a transmis au tribunal une liste de questions à poser aux expertes.

55.         Par courrier du 27 octobre 2022, O______ SA s’est déterminée au sujet des « erreurs de calcul » soulevées par les intimés, qui n’en étaient pas. En effet, il était volontaire de calculer les écarts de valeurs sur le foncier uniquement, sans quoi, un propriétaire qui aurait réalisé des travaux de rénovation entre les dates considérées se verrait pénaliser par une indemnité moindre. Le calcul de la valeur vénale de l’immeuble entier permettait de valider l’appréciation du prix de terrain puisque les transactions comparables incluaient toujours le bâtiment et que l’expert raisonnait sur une valeur globale pour affiner sa fixation du prix de terrain.

56.         Le 11 novembre 2022, le tribunal a procédé à l’audition de Mmes P______ et Q______ sur les sept rapports d’expertise rendus.

Les expertes ont confirmé avoir appliqué un IUS standard de 0.20 pour calculer l’assiette théorique des parcelles bâties. Elles ont également confirmé avoir majoré de 50 % le prix du m2 de terrain des parcelles non bâties pour toutes les expertises.

Au sujet de la décote pour inconstructibilité, le ratio 75% - 25 % résultait de leur pratique. Cette méthode était reproductible pour tous les dossiers et ne prenait donc pas en considération la taille du terrain.

Elles étaient parties du postulat que le prix d’un terrain qui n’avait plus de droit à bâtir mais qui était lié à une habitation était plus élevé qu’un terrain nu et isolé en ZDIA (sans bâtiment jouxtant). Selon elles, il y avait une utilisation différente d’une telle parcelle par rapport à une parcelle isolée et elles observaient que, selon la configuration des parcelles, ce solde non-bâti apportait réellement une amélioration à l’usage de la parcelle.

S’agissant du prix au m2 du terrain en zone industrielle, le montant retenu pour l’assiette théorique des parcelles bâties était près de la moitié du prix retenu par R______ : il s’agissait d’un prix plancher très bas en zone 5. Les expertes ont précisé qu’une estimation avait une durée de vie limitée et que l’estimation avait été faite alors que l’environnement des parcelles n’avait pas changé, en ce sens qu’il n’était pas représentatif d’une zone industrielle. Elles procéderaient au même calcul si elles devaient faire une estimation pour la FTI qui exercerait son droit de préemption en zone industrielle. S’il existait une habitation individuelle, elles parviendraient à un montant de dédommagement permettant au propriétaire de trouver un bien de remplacement équivalant dans une zone conforme.

Concernant la valeur du terrain des parcelles nues devenues inconstructibles au 1er juin 2001 et du prix au m2 appliqué par analogie aux terrains situés en zone agricole non soumis à la loi fédérale sur le droit foncier rural du 4 octobre 1991 (LDFR - RS 211.412.11), les expertes ont précisé que de tels terrains de moins de 2’500 m2 n’étaient pas assujettis à la LDFR, raison pour laquelle le prix retenu était plus élevé que le prix de CHF 8.-/ m2 fixé par la CFA pour les parcelles de plus de 2’500 m; même si la surface de la parcelle était supérieure à 2’500 m2, elles n’avaient pas retenu le prix de CHF 8.-/m2, considérant que ces terrains, non situés en zone agricole, pourraient avoir d’autres usages possibles que l’agriculture (par ex. des jardins familiaux ou un champ de panneaux solaire).

Le comparatif des transactions immobilières contenu dans les expertises ne contenait pas de transactions réalisées sur les communes de S______ et de T______, du fait qu’il y avait d’autres caractéristiques qui définissaient ces communes que la problématique des nuisances de l’aéroport.

Les expertes ont pris note que le bureau R______ parvenait à des prix de terrain plus élevés, mais ont maintenu que la valeur du terrain retenue dans leurs expertises était corroborée par la comparaison des transactions réellement effectuées en 2001.

Enfin, elles ont confirmé ne pas avoir fait de cas par cas dans les expertises rendues. L’estimation visait une valeur globale pour une transaction globale et les valeurs avaient été établies au plus proche de ce qui leur semblait juste. Une des difficultés résidait dans le fait qu’elles procédaient à des estimations pour des valeurs de 2001, raison pour laquelle elles étaient parties d’un certain nombre de postulats pour éviter au maximum les inégalités de traitement et les valeurs irréalistes.

Les parties ont indiqué, s’agissant des « erreurs » de calculs relevées par les intimés, que suite aux explications d’O______ SA, elles n’avaient plus de questions à ce propos.

À l’issue de l’audience, le conseil du requérant a sollicité divers actes d’instruction complémentaires.

57.         Par courriers des 21 et 22 décembre 2022 et 23 janvier 2023, les parties se sont déterminées sur les modalités des actes d’instruction requis.

58.         Le 15 mars 2023, le tribunal a procédé à l’audition de Monsieur U______, associé gérant auprès d’R______, en qualité de témoin.

La société R______ effectuait environ 250 expertises par année. Elle collectait les données des prix des terrains sur la base des transactions récentes qu’elle soumettait ensuite à une dizaine de courtiers immobiliers qui se positionnaient sur la grille de prix.

Le prix entre CHF 350.- et CHF 450.- le m2 pour des terrains en zone villa à B______ en 2001 figurant sur le site de la société se rapportait à un terrain construit avec un indice de construction de 0.20, sans tenir compte d’une densification. Les prix des terrains pour la commune de B______ n’intégraient pas les nuisances générées par le trafic aérien. À partir de l’entrée en vigueur de l’OPB, leur bureau n’était plus capable de donner un prix certain du m2 de terrain.

S’agissant de l’augmentation du prix maximum entre 2001 et 2002, elle concernait l’entier de la commune, hors nuisances de l’aéroport. En 2023, le prix du terrain à B______ se situait entre CHF 750.- et CHF 1’100.- le m2, hors nuisances. En 2001, le prix du terrain en zone industrielle était d’environ CHF 150.- le m2.

Il n’y avait pas lieu d’appliquer une décote de CHF 100.- à CHF 150.-/m2 à une parcelle soumise aux nuisances sonores de l’aéroport comme c’était le cas pour une parcelle située en premier et deuxième rang d’une route importante, car il ne s’agissait pas du même type de nuisances.

Enfin, il a indiqué qu’entre avril 2000 et le 31 mai 2001, il y avait eu un « vide » lors duquel des autorisations de construire avaient été délivrées (par ex. projet de sept villas au chemin C______ - DD 18______ délivrée le ______ 2001 à teneur de la base de données sad-consult).

Le conseil de l’État de Genève a versé à la procédure une copie de l’accord transactionnel conclu le 16 août 2010 dans la cause A/7______. Il n’avait pas encore reçu l’aval du propriétaire pour produire celui conclu dans la cause A/5______. Il a confirmé qu’il n’y avait pas eu d’autres transactions conclues au sujet de prétentions en expropriation matérielle liées au bruit aéroportuaire.

59.         Le 5 avril 2023, le tribunal a procédé à l’audition de Monsieur V______, directeur général de la FTI, en qualité de témoin.

En 2008, le prix du terrain pour une parcelle en zone villa classée ensuite en ZDIA était de CHF 180.-/m2. Il s’agissait d’une pratique historique de la FTI qui pratiquait ce montant pour les zones villa et CHF 150.- pour les zones agricoles avant déclassement.

La valeur intrinsèque du bâtiment pouvait être ajoutée au prix de la valeur du terrain et la présence d’une villa sur un terrain ne dépréciait pas le prix du terrain. À sa connaissance, la surface de la parcelle n’avait pas d’incidence sur le prix retenu de CHF 180.-/m2.

Il a confirmé que l’État de Genève bénéficiait d’un droit de préemption sur les parcelles en ZDIA qui seraient vendues à un prix considéré comme excessif.

Le conseil de l’État de Genève a versé à la procédure une copie caviardée de l’accord transactionnel conclu le 1er juillet 2010 dans la cause A/5______.

60.         Par écriture commune du 19 juin 2023, les intimés ont transmis leurs observations finales, dans lesquelles ils maintenaient leur position, concluant pour le surplus à la condamnation du requérant en tous les frais de procédure.

L’inconstructibilité d’une parcelle, si elle était bien imposée par l’ensemble des normes topiques (art. 22 LPE, art. 31 OPB et les VLI de l’annexe déterminante de l’OPB), ne survenait pas du seul fait que la parcelle était exposée à une charge sonore supérieure à la VLI applicable. L’inconstructibilité s’imposait lorsque la charge sonore en question excédait la mesure qu’il était possible de gérer par des mesures techniques ou architecturales (art. 31 al. 1 OPB) ou lorsque l’octroi d’une autorisation n’était pas possible au titre de l’art. 31 al. 2 OPB.

En l’occurrence, les parcelles du requérant étaient exposées à un niveau de bruit interdisant la construction de logements. Cette limitation de constructibilité était assimilable à un refus de classer, dès lors qu’elle ne faisait que révéler le statut juridique des biens-fonds. Il ne s’agissait donc pas, par essence, d’une restriction à la propriété. S’il fallait y voir une restriction, elle découlait d’un motif de police et n’était donc pas indemnisable.

Indépendamment de ce qui précédait, le classement des parcelles nos 2______, 3______ et 4______en ZDIA avait garanti une possibilité d’utilisation économiquement rationnelle qui excluait la reconnaissance d’une expropriation matérielle. La condition de la gravité n’était donc pas remplie. Pour la parcelle n° 1______, la dépréciation avait été estimée à CHF 3’500’00.-, soit – 96 % par rapport à sa valeur initiale, de sorte que la condition de la gravité était remplie pour cette parcelle.

Toutefois, vu l’absence de démarches entreprises par le requérant en vue d’une mise en valeur de ses droits à bâtir au 1er juin 2001, celui-ci n’avait pas été privé d’un usage futur proche de ses droits de propriété, de sorte que ses parcelles ne sauraient donner lieu à une quelconque indemnisation pour expropriation matérielle.

À titre ultra-subsidiaire, si, par impossible, le tribunal devait considérer qu’une indemnité pour expropriation matérielle devait être allouée au requérant, celle-ci devrait porter intérêt depuis le 30 mai 2006 pour la parcelle n° 1______, respectivement depuis le 14 novembre 2008 pour les parcelles classées en ZDIA. Il y aurait lieu d’appliquer le taux d’intérêt de 5 % l’an jusqu’à 31 décembre 2009, puis, dès cette date, le taux fixé en application de l’art. 76 al. 5 de la loi fédérale sur l’expropriation du 20 juin 1930 (LEx - RS 711).

Enfin, dès lors que le requérant devait être débouté des fins de sa requête, il lui revenait de supporter les frais de procédure.

61.         Dans ses observations finales du 29 juin 2023, le requérant a conclu à ce que les intimés, conjointement et solidairement, subsidiairement l’AIG, et plus subsidiairement l’État de Genève, soi(en)t condamné(s) à lui verser à titre d’indemnisation pour expropriation matérielle les sommes de CHF 5’900’000.- pour la parcelle n° 1______ et de CHF 5’620’000.- pour les parcelles nos 2______, 3______ et 4______, plus intérêt à 5 % dès le 1er juin 2001, sous suite de frais et dépens.

Au vu de sa composition, le tribunal disposait d’un certain pouvoir d’appréciation au regard de l’expertise réalisée par O______ SA, notamment pour y apporter un regard critique et, le cas échéant, se départir des montants retenus par les expertes.

La suppression en zone à bâtir de la possibilité de construire conformément à l’affectation de la zone constituait l’essence même de l’atteinte à la propriété qui remplissait une gravité suffisante. Dans la mesure où un avantage qui résultait d’une mesure d’aménagement au sens de l’art. 5 LAT était majeur à partir d’un montant de CHF 30’000.-, par effet miroir, un inconvénient devenait majeur à partir de ce même montant.

S’agissant de la convention passée dans la cause A/7______ produite par l’État de Genève, quelques enseignements pouvaient en être tirés, soit notamment que les intimés, sans pour autant reconnaître le bien-fondé des prétentions émises par le propriétaire, reconnaissaient que les nuisances de l’aéroport avaient généré l’inconstructibilité des parcelles, que le prix signé en 2010 était de CHF 300.- le m2 et que le montant négocié était très proche du montant de la prétention émise. Sous l’angle de l’égalité de traitement, le justiciable qui n’avait pas eu la chance de pouvoir négocier une solution transactionnelle ne devait pas être moins bien traité que celui qui avait reçu CHF 300.- le m2 sans risque judiciaire.

S’agissant de l’analyse des transactions 2000-2001 effectuée par O______ SA, elle devait être considérée avec prudence. O______ SA indiquait en effet un prix au m2 de terrain incorporant une valeur estimée du bâti et un prix au m2 de SBP estimée, sans toutefois connaître le nombre de niveaux pour l’estimation de la SBP et sans disposer du prix au m2 de terrain sans la valeur du bâti. O______ SA avait par ailleurs expurgé de son analyse un tiers des transactions pour arriver à un prix moyen entre CHF 400.- et CHF 700.- par m2 de terrain y compris le bâti, alors qu’en excluant seulement les deux transactions extrêmes, le prix moyen était de CHF 800.- le m2 incluant le bâti. En tout état, il n’y avait aucun prix au m2 de terrain sans la construction qui émergeait de cette analyse des transactions.

Ensuite, O______ SA retenait pour des terrains bâtis des prix au m2 de terrain variables, sans que la variation ne soit compréhensible. Par ailleurs, le lien entre le tableau incluant le bâti dans le prix au m2 et le prix au m2 du terrain nu retenu n’était pas exposé. On comprenait que ces chiffres étaient issus d’une appréciation des expertes, mais il n’y avait aucune explication sur la manière dont on passerait d’un prix au m2 de terrain y compris le bâti à un prix de terrain sans le bâti. En outre, la méthode d’O______ SA consistant à prendre en considération des valeurs de bâti sans avoir d’informations à cet égard comportait un risque d’erreur important.

La détermination du prix de terrain par l’analyse des transactions avait donc un caractère très aléatoire. À l’inverse, la détermination du prix du terrain par R______ avait le mérite d’être crédible, simple et d’éviter d’intégrer des facteurs aléatoires relatifs au bâti. Il convenait donc de retenir la fourchette de prix entre CHF 350.- et CHF 450.- le m2 de terrain définie par R______ et prendre le prix moyen de cette fourchette, à savoir CHF 400.- le m2, compte tenu du caractère global, sur la commune de B______, de la détermination de la fourchette de prix.

S’agissant de la décote pour inconstructible, il était injustifié de calculer les droits à bâtir uniquement sur le 75 % de la surface résiduelle en retenant une valeur d’usage de 25 %. En effet, l’indice de 0.20 retenu par O______ SA impliquait déjà une surface d’usage de jardin qui était prise en considération à ce stade, proportionnelle aux SBP de la construction. La surface de ce jardin représenterait 80 % de l’assiette théorique pour une construction d’un seul niveau, mais 90 % pour deux niveaux. Si le fait de disposer d’un jardin un peu plus grand que celui défini par l’assiette théorique pouvait avoir une valeur qui ne soit pas nulle, déduire 25 % de la valeur du terrain à titre d’usage était tout à fait excessif. L’assiette théorique incluait déjà un espace extérieur important en appliquant un IUS de 0.20. Qu’il y eut une valeur qui ne soit pas nulle était admis, cependant le pourcentage de 25 % appliqué par l’expert était contesté dans une zone soumise à des nuisances sonores du trafic aérien excessives ; y bénéficier d’un jardin encore plus grand n’avait pas un tel impact financier. Plus la parcelle était grande, moins l’intérêt de disposer d’un grand jardin était marqué. De plus, le prix au 1er juin 2001 retenu pour ce jardin supplémentaire était issu d’un prix de base du terrain faible, de CHF 200.- à CHF 220.- le m2.

Quant au prix au m2 de CHF 180.- retenu à la date du 14 novembre 2008 pour du terrain bâti avec une villa individuelle en ZDIA, au lieu de l’appliquer à l’intégralité de la surface du terrain, O______ SA avait établir une distinction entre un prix d’assiette théorique des constructions et le solde de la parcelle. Or, il résultait tant de l’audition de M. V______ que de celle de M. U______ que cette distinction n’avait pas lieu d’être. Il fallait également tenir compte du fait que les valeurs du terrain et d’une villa d’habitation en ZDIA étaient inévitablement dégradées par l’environnement immédiat.

Dans le cas d’espèce, et sur la base des prix d’R______ et de la FTI, le calcul de l’indemnité se présentait comme suit :

Parcelle n° 1______

31.05.01

01.06.01

27.06.23

Surface

10’151 m2

Prix /m2 de base

400

 

850

Prix au m2 majoré de 50 %

600

 

1’275

Calcul de la perte de valeur au 01.06.2001 de la portion inconstructible (sans valeur d’usage résiduelle)

6’090’600

 

12’942’525

Prix au m2 de valeur d’usage résiduelle sans droits à bâtir

 

15

15

Total (valeur d’usage résiduelle sans droits à bâtir)

 

152’262

152’265

Valeur terrain au 31.05.2001

6’090’600

 

12’942’525

Valeur terrain au 01.06.2001 (valeur d’usage résiduelle)

 

152’265

152’265

Différence (impact OPB) au 01.06.2001

 

5’938’335

12’790’260

Indemnité (arrondi)

 

5’900’000

12’790’000

 

Parcelles nos 2______, 3______, 4______

31.05.01

01.06.01

14.11.08

27.06.23

Surface totale

13’381 m2

Prix /m2 de base

400

 

180

850

Prix au m2 majoré de 50 %

600

 

 

1’275

Calcul de la perte de valeur au 01.06.2001 de la portion inconstructible (sans valeur d’usage résiduelle)

8’028’600

 

 

17’060’775

Prix au m2 de valeur d’usage résiduelle sans droits à bâtir

 

16

 

16

Total (valeur d’usage résiduelle sans droits à bâtir)

 

214’096

 

214’096

Valeur terrain au 31.05.2001

8’028’600

 

 

17’060’775

Valeur terrain au 01.06.2001 (valeur d’usage résiduelle)

 

214’096

 

214’096

Différence (impact OPB) au 01.06.2001

 

7’814’504

 

16’846’679

Valeur vénale du terrain en ZDIA dès 14.11.2008

 

 

2’408’580

 

Différence (impact OPB) au regard de la valeur du terrain au 31.05.2001 (valeur au 31.05.01 – valeur dès 14.11.08)

5’620’020

 

 

14’652’195

Indemnité (arrondi)

 

5’620’000

 

14’650’000

Compte tenu du temps écoulé depuis l’entrée en force de la restriction et la fixation du montant de l’indemnisation, une valeur en fonction des prix 2023 avait été intégrée dans le calcul. Pour éviter toute contestation, il avait été tenu compte d’un prix de CHF 850.-/m2, inférieur au prix moyen de la fourchette définie par R______.

Par ailleurs, l’indemnité devait porter intérêt à 5 % dès le 1er juin 2001.

Sur le principe de l’expropriation, le requérant a repris, en les développant, les arguments exposés dans ses précédentes écritures et répondu aux arguments des intimés. S’agissant des documents produits par les intimés sous pièce 103, ils confirmaient qu’il n’y avait aucune possibilité d’obtenir une autorisation de construire en zone villas pour créer des nouveaux logements. La politique d’aménagement du territoire préconisée par l’État de Genève selon la fiche A20 du PDCn allait dans le même sens puisqu’elle excluait la délivrance de toute autorisation de construire en zone 5 lorsque la VLI du DS II était dépassée. Quant aux pièces produites le 24 septembre 2018, il ne s’agissait en aucun cas d’une pratique publiée, mais d’une reconstitution a posteriori d’autorisations éparses. Par ailleurs, ces tableaux ne prenaient pas en compte l’objet de l’autorisation, de sorte qu’il y avait un mélange entre les autorisations relatives à la création de nouveaux logements et celles concernant la réfection de toitures ou de façades, un léger agrandissement ou la construction d’une piscine par exemple. De plus, ces tableaux mentionnaient le niveau de bruit mesuré, mais pas la VLI applicable en fonction du DS de la zone. Or, dans certaines zones, le DS III – pour lequel les VLI étaient plus élevées – était applicable. Ainsi et contrairement à ce que soutenait les intimés, il n’en résultait aucune pratique limpide pour le citoyen. Quoi qu’il en fut, comme toute restriction d’un droit fondamental, une atteinte au droit de la propriété devait être issue d’une base légale expresse. Aussi, la question d’une éventuelle pratique administrative à ce sujet n’était pas pertinente.

Enfin, il convenait de retenir que l’art. 36 de la loi sur l’aéroport international de Genève du 10 juin 1993 (LAIG - H 3 25) instituait une obligation juridique de l’AIG d’inclure dans ses charges d’exploitation les indemnités correspondant aux moins-values foncières issues des allégements octroyés au regard de l’obligation de respecter les VLI.

62.         Les arguments formulés par les parties à l’appui de leurs conclusions respectives ainsi que le contenu des pièces qu’elles ont versées à la procédure seront repris et discutés ci-après dans la partie « En droit » dans la mesure utile

 

EN DROIT

1.             La prétention en indemnisation pour expropriation matérielle ici soumise au tribunal est fondée sur l’inconstructibilité des parcelles du requérant découlant de l’application des art. 22 LPE et 31 OPB, ainsi que de l’annexe 5 de l’OPB, de sorte qu’elle doit être soumise à la juridiction cantonale compétente pour les cas d’expropriation matérielle, selon les règles formelles cantonales applicables (ATF 132 II 475 ; cf. aussi arrêt du Tribunal fédéral 1C_534/2009 du 2 juin 2010 consid. 3).

2.             Conformément à l’art. 43 al. 2 de la loi genevoise sur l’expropriation pour cause d’utilité publique du 10 juin 1933 (LEx-GE - L 7 05), le Tribunal administratif de première instance est compétent pour statuer sur toute demande d’indemnité pour expropriation matérielle.

3.             Adressée d’abord à la commission, dont la compétence a été reprise par le tribunal, selon les formes prescrites par l’art. 45 LEx-GE, la requête est dès lors recevable.

4.             Selon l’art. 61A LEx-GE, la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) s’applique dans le silence de la LEx-GE.

5.             À teneur de l’art. 69 al. 1 1ère phr. LPA, la juridiction administrative chargée de statuer est liée par les conclusions des parties.

6.             Selon la jurisprudence, des conclusions nouvelles prises après le délai de recours, par exemple au stade de la réplique, sont irrecevables (ATA/24/2024 du 9 janvier 2024 consid. 12.3 ; ATA/991/2021 du 27 septembre 2021 ; ATA/122/2016 du 9 février 2016 consid. 2b et les références citées), à moins qu’elles ne réduisent l’objet du litige (ATA/34/2014 du 21 janvier 2014 consid. 3 et les références citées).

7.             En l’espèce, suite aux enquêtes, le requérant a actualisé ses conclusions, en réduisant le montant de ses prétentions en indemnisation à CHF 11’520’000.- pour l’ensemble de ses parcelles, soit CHF 5’900’000.- pour la parcelle n° 1______ et CHF 5’620’000.- pour les parcelles nos 2______, 3______ et 4______, plus intérêt à 5% dès le 1er juin 2001.

C’est donc sur la base de ces dernières conclusions que le tribunal statuera.

8.             Au fond, le requérant considère que la restriction à la constructibilité de ses parcelles résultant de l’application des art. 22 LPE et 31 OPB, et de l’annexe 5 de l’OPB, ainsi que l’impact du déclassement en ZDIA, sont constitutifs d’une expropriation matérielle sujette à indemnisation.

Pour leur part, les intimés soutiennent que l’inconstructibilité des parcelles pour du logement ne ferait en réalité que révéler le statut juridique des bien-fonds et qu’il ne s’agirait donc pas, par essence, d’une restriction à la propriété. Subsidiairement, la restriction serait assimilable à un refus de classer (délimitation du droit de propriété), respectivement devrait être qualifiée de mesure de police. Enfin, si une restriction du droit de propriété équivalente à une expropriation devait être admise, ils estiment que les conditions d’une indemnisation ne seraient pas réunies.

9.             D’emblée, il sera relevé que le juge apprécie en principe librement une expertise et n’est pas lié par les conclusions de l’expert. Toutefois, il ne peut s’en écarter que lorsque des circonstances ou des indices importants et bien établis en ébranlent sérieusement la crédibilité ; il est alors tenu de motiver sa décision de ne pas suivre le rapport d’expertise. Inversement, si les conclusions d’une expertise judiciaire apparaissent douteuses sur des points essentiels, le juge doit recueillir des preuves complémentaires pour tenter de dissiper ses doutes. À défaut, en se fondant sur une expertise non concluante, il pourrait commettre une appréciation arbitraire des preuves et violer l’art. 9 Cst. (ATF 142 IV 49 consid. 2.1.3 ; 138 III 193 consid. 4.3.1).

En l’occurrence, le tribunal n’a aucune raison de mettre en doute et donc de s’écarter des expertises et, de fait, des postulats desquels les expertes sont parties, s’agissant de la méthode d’évaluation de la valeur vénale des biens-fonds concernés, de la détermination du prix du terrain et des effets des mesures litigieuses sur la propriété du requérant, ces éléments ayant du reste été expliqués en détail lors des différentes audiences de comparution des parties, durant lesquelles celles-ci ont eu la possibilité de s’exprimer et de poser leurs questions aux expertes. À cela s’ajoute que les expertes ont été désignées sur proposition commune de toutes les parties. Enfin, la méthode d’évaluation utilisée et les postulats retenus sont conformes à la pratique courante dans le domaine de l’évaluation de la valeur d’un bien-fonds. Le requérant ne conteste du reste pas, sur le principe, la méthodologie suivie par les expertes, ni n’avance d’élément qui permettrait de retenir que lesdits postulats et/ou la méthodologie suivie seraient arbitraires ; l’argumentation contraire du requérant ne constitue en définitive qu’une tentative de sa part de substituer sa propre appréciation à celle des expertes. Sur cette base, le tribunal de céans fera siennes les expertises et les conclusions qui en découlent.

10.         L’art. 22 LAT soumet l’octroi d’une autorisation de construire aux conditions que la construction ou l’installation soit conforme à la zone (al. 2 let. a) et que le terrain soit équipé (al. 2 let. b). Il réserve en outre les autres conditions posées par le droit fédéral et le droit cantonal (al. 3).

11.         La législation fédérale sur la protection de l’environnement fixe des conditions supplémentaires à l’octroi d’une autorisation de construire dans les zones affectées par le bruit. Selon l’art. 22 al. 1 LPE, les permis de construire de nouveaux immeubles destinés au séjour prolongé de personnes ne seront délivrés, sous réserve de l’al. 2, que si les VLI ne sont pas dépassées. Dans le cas contraire, les permis de construire ne seront délivrés que si les pièces ont été judicieusement disposées et si les mesures complémentaires de lutte contre le bruit qui pourraient encore être nécessaires ont été prises (art. 22 al. 2 LPE). Cette disposition est précisée par l’art. 31 OPB dans les termes suivants : lorsque les VLI sont dépassées, les nouvelles constructions ou les modifications notables de bâtiments comprenant des locaux à usage sensible au bruit, ne seront autorisées que si ces valeurs peuvent être respectées par la disposition des locaux à usage sensible au bruit sur le côté du bâtiment opposé au bruit (let. a) ou par des mesures de construction ou d’aménagement susceptibles de protéger le bâtiment contre le bruit (let. b). À teneur de l’art. 31 al. 2 OPB, si les mesures fixées à l’al. 1 ne permettent pas de respecter les VLI, le permis de construire ne sera délivré qu’avec l’assentiment de l’autorité cantonale et pour autant que l’édification du bâtiment présente un intérêt prépondérant.

12.         En matière de bruit du trafic aérien, les VLI déterminantes sont celles figurant à l’annexe 5 de l’OPB, entrée en vigueur le 1er juin 2001.

Pour le DS II, applicable dans les zones d’habitation (art. 43 al. 1 let. b OPB), les VLI sont de 60 dB(A) le jour (de 6h à 22h), 55 dB(A) la première heure de la nuit (de 22h à 23h) et 50 dB(A) la deuxième (de 23h à 24h) et la dernière heure de la nuit (de 5h à 6h) (ch. 2 annexe 5 OPB), étant relevé que la valeur d’alarme est atteinte à partir de 65 dB(A) de jour et 60 dB(A) de nuit. Pour le DS IV, applicable dans les zones industrielles (art. 43 al. 1 let. c OPB), les VLI sont de 70 dB(A) le jour (de 6h à 22h), 60 dB(A) la première heure de la nuit (de 22h à 23h) et 60 dB(A) la deuxième (de 23h à 24h) et la dernière heure de la nuit (de 5h à 6h) (ch. 2 annexe 5 OPB).

13.         À teneur de l’art. 26 al. 1 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999 (Cst. - RS 101), la propriété est garantie. La garantie de la propriété ne garantit pas la propriété de manière illimitée, mais uniquement dans les limites qui lui sont imposées par l’ordre juridique dans l’intérêt public (ATF 146 I 70 consid. 6.1 ; 145 II 140 consid. 4.1). Comme tout droit fondamental, celle-ci peut être restreinte aux conditions fixées à l’art. 36 Cst. La restriction doit ainsi reposer sur une base légale, plus particulièrement une loi au sens formel si la restriction est grave, être justifiée par un intérêt public et respecter le principe de la proportionnalité. L’atteinte au droit de propriété est tenue pour particulièrement grave lorsque la propriété foncière est enlevée de force ou lorsque des interdictions ou des prescriptions positives rendent impossible ou beaucoup plus difficile une utilisation du sol actuelle ou future conforme à sa destination (ATF 140 I 168 consid. 4). Ne constitue en revanche pas une atteinte grave la simple réduction des possibilités de construire (ATF 115 Ia 363 consid. 2a).

Selon l’art. 26 al. 2 Cst., une pleine indemnité est due en cas d’expropriation ou de restriction de la propriété qui équivaut à une expropriation. Cette disposition consacre une exception au principe habituel selon lequel il n’y a pas d’obligation de l’État d’indemniser les dommages causés de manière licite (Pierre MOOR/Etienne POLTIER, Droit administratif, vol. II, 2011, p. 880 ss et les références citées ; Thierry TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2018, n. 1708 ss et les références citées). Dans de tels cas, l’État est donc tenu de verser une indemnité au propriétaire lésé même lorsque la restriction apportée au droit de propriété est admissible.

14.         La LAT reprend ce principe en prévoyant qu’une juste indemnité est accordée lorsque des mesures d’aménagement apportent au droit de propriété des restrictions équivalant à une expropriation (art. 5 al. 2 LAT).

15.         L’art. 5 al. 2 LAT vise, comme évènement déclencheur, une mesure d’aménagement, par quoi il faut comprendre toute planification qui répond au mandat constitutionnel, garantit une utilisation rationnelle et mesurée du territoire et relève de ce fait du domaine de la LAT. La notion de « mesure d’aménagement » doit être comprise largement. Outre les plans d’affectation selon l’art. 14 LAT, elle inclut également des actes législatifs et des décisions. Exceptionnellement, toutefois, une règlementation générale peut elle aussi entraîner directement une atteinte au droit de propriété sur un bien-fonds et entre alors dans le champs d’application de l’art. 5 al. 2 LAT. Cela est notamment le cas de l’interdiction de construire des locaux à usage sensible au bruit – qui est une conséquence directe de l’application de l’art. 22 LPE – dans une zone à bâtir soumise à des VLI (arrêt 1C_460/2014 du 15 juin 2015 consid. 2.2.2 ; cf. également ATF 132 II 475 consid. 2.6 ; Enrico RIVA, in Commentaire pratique LAT : Planifier l’affectation, 2016, ad. art. 5 LAT n. 135 ss).

16.         Contrairement à ce qui vaut pour l’expropriation formelle, il n’y a pas de loi fédérale qui codifie l’expropriation matérielle et lorsque des dispositions en traitent en droit cantonal, elles se limitent pour l’essentiel aux aspects de compétence et de procédure. Ainsi, les conditions et les limites de l’expropriation matérielle reposent sur la jurisprudence du Tribunal fédéral (Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit public de la construction, 2024, n. 384).

Selon cette jurisprudence, il y a expropriation matérielle au sens de l’art. 26 al. 2 Cst. et de l’art. 5 al. 2 LAT lorsque l’usage actuel d’une chose ou son usage futur prévisible est empêché ou limité de façon particulièrement grave, de telle sorte que son propriétaire se trouve privé d’une faculté essentielle découlant du droit de propriété ; une limitation moins importante peut aussi constituer une expropriation matérielle si elle frappe un seul propriétaire ou un nombre restreint de propriétaires de façon telle que, s’ils n’étaient pas indemnisés, ils devraient supporter en faveur de la collectivité un sacrifice particulièrement grave qui violerait le principe de l’égalité de traitement. Dans les deux cas, la possibilité d’une meilleure utilisation n’est prise en considération que si, au moment déterminant, elle apparaît très probable dans un proche avenir. Par meilleure utilisation possible, on entend généralement la possibilité matérielle et juridique de bâtir (ATF 140 I 176 consid. 9.5 ; 131 II 151 consid. 2.1 ; 131 II 728 consid. 2 ; 125 II 431 consid. 3a ; 123 II 481 consid. 6a ; 121 II 417 consid, 4a ; pour la première fois : ATF 91 I 329 consid. 3 ; arrêts 1C_435/2020 du 5 mai 2021 consid. 3.2 ; 1C_653/2017 du 12 mars 2019 consid. 2.2 ; 1C_215/2015 du 7 mars 2016 consid. 3.1 et les références respectives).

Cette définition jurisprudentielle consacrée (dite formule Barret) pose ainsi deux conditions positives cumulatives pour qu’une restriction à la propriété s’analyse comme une expropriation matérielle, l’une relative à son ampleur, l’autre relative à son impact (Jacques DUBEY, Commentaire romand de la Constitution, 2021 ad. art. 26 n. 100).

17.         Pour atteindre une ampleur justifiant une plein indemnité, une restriction à la propriété doit premièrement soit être particulièrement grave pour le propriétaire, soit exiger de sa part un sacrifice particulier (Jacques DUBEY, op. cit., n. 101).

La gravité de l’atteinte doit se mesurer d’après des critères objectifs et en fonction des cas concrets. Le nombre de propriétaire touchés par la restriction ne joue pas de rôle. Le critère déterminant est de savoir si le propriétaire peut encore, après la restriction, faire un usage économiquement rationnel et conforme à sa destination de l’immeuble. Si tel est le cas, même des restrictions sévères à l’usage de la propriété doivent être supportées sans indemnité (ATF 123 II 481 ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_412/2018 du 31 juillet 2019 consid. 4.5 ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1747-1748).

Pour être qualifiée de particulièrement grave, l’atteinte doit être intense et durable. Une atteinte est intense si elle touche à la substance même du droit de propriété, en excluant ou limitant de façon importante la possibilité d’utiliser la chose conformément à sa destination normale, de telle sorte que son propriétaire se trouve privé d’une faculté essentielle découlant de son droit de propriété. Elle est durable lorsqu’elle est définitive ou porte sur une longue durée (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, Aménagement du territoire, construction, expropriation, 2001, n. 1408).

Une interdiction de construire est identifiée en doctrine comme le cas classique d’une atteinte grave au droit de propriété (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTLIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, Droit constitutionnel suisse vol. 2 – les droits fondamentaux, 4ème éd., 2021, n. 927 ; Jacques DUBEY, op. cit., n. 101, en référence à l’ATF 119 Ib 124 consid. 2c ; Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 390 ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1402 ; cf. ATF 119 Ib 124 consid. 2c).

Il n’y a pas d’atteinte grave donnant lieu à une indemnisation si une utilisation conforme à la destination, économiquement rationnelle et de qualité est maintenue (arrêt 1C_412/2018 du 31 juillet 2019 consid. 4.5). Le Tribunal fédéral retient en effet que la garantie de valeur de la propriété ne protège pas la faculté de vouer toujours et partout un fonds à son exploitation financièrement la plus rentable. En matière d’expropriation matérielle, il apparait qu’une diminution de valeur équivalente ou inférieur à 20% de la valeur du bien-fonds n’est pas considérée comme analogue à une expropriation (Cléa BOUCHAT, L’expropriation matérielle en terres vaudoises. Entre droit matériel et droit procédural : clarifications et incertitudes juridiques substantielles, Mélange en l’honneur du Professeur Benoît Bovay 2024, p. 19-42, p. 32, en référence à l’ATF 97 I 632 consid. 7b). La jurisprudence fixe en revanche un seuil de gravité de l’atteinte à la propriété à partir d’une perte de valeur comprise entre 30 et 40% (Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, Droit administratif général, 2014, n. 1784 ; Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 391). Cela étant, même si la diminution de valeur du terrain ne dépasse pas un tiers, une obligation d’indemniser peut se justifier selon les circonstances, notamment si le propriétaire ne peut plus utiliser son terrain conformément à la destination fixée par l’affectation précédente (Cléa BOUCHAT, op. cit, p. 33, en référence à l’arrêt du Tribunal fédéral 1C_473/2017 consid. 2.7).

Une restriction temporaire ne satisfait en général pas le critère de l’intensité de l’atteinte (ATF 123 II 481 consid. 9), à moins qu’elle ne dure particulièrement longtemps (cf. ATF 109 Ib 20 consid. 4a ; Thierry TANQUEREL, op. cit., n. 1756). La jurisprudence ne fixe pas de manière schématique et générale ce qu’il faut entendre par restriction à la propriété de longue durée. Elle admet néanmoins qu’en règle générale, une interdiction limitée à cinq ans n’est pas constitutive d’une expropriation matérielle, alors qu’une interdiction d’une durée supérieure à dix ans l’est (cf. ATF 123 II 481 consid. 9 ; 121 II 436 consid. 3c ; 120 Ib 465 consid. 5e ; 112 Ib 496 consid. 3a ; 109 Ib 20 consid. 4a ; arrêt 1C_510/2009 du 14 juillet 2010 consid. 4.1 ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1408 et n. 1473 ss).

18.         La seconde condition posée par l’art. 5 al. 2 LAT, relative à l’impact de la restriction, porte sur l’usage actuel ou futur proche probable du bien immobilier. Est ainsi déterminante pour l’appréciation de l’obligation d’indemniser la question de savoir si une meilleure utilisation du terrain aurait été ultérieurement possible si aucune restriction de la propriété n’avait été imposée. Se pose ainsi en pratique la question de savoir si le terrain était propre à la construction au moment où une mesure d’aménagement l’a frappé d’une interdiction de construire. Pour en décider, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, il convient de prendre en compte l’ensemble des facteurs juridiques et matériels qui peuvent exercer une influence sur les possibilités de bâtir, les facteurs juridiques étant prépondérants (ATF 131 II 151 consid. 2.4.1 ; 122 II 455 consid. 4a ; arrêt du Tribunal fédéral 1C_412/2018 du 31 juillet 2019 consid. 4.5 ; Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 171 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 1789).

Les facteurs juridiques découlent de l’application correcte de toutes les normes pertinentes en matière d’aménagement du territoire et de construction. Il faut généralement que le terrain soit situé dans une zone constructible conformes aux exigences de la LAT, étant entendu que ces exigences doivent être interprétée restrictivement. Il faut encore que la constructibilité ne dépende pas de l’extension préalable de la zone, de l’adoption d’un plan de quartier, de l’octroi d’une autorisation de défricher ou encore de la mise en œuvre d’un remaniement parcellaire. Les facteurs juridiques sont décisifs ; s’ils ne sont pas remplis, le versement d’une indemnité est en principe exclu (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTLIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., n. 932).

Les facteurs matériels doivent être examinés si la parcelle est juridiquement constructible (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1428) et viennent ainsi en complément aux facteurs juridiques. Ils servent à rendre vraisemblable que le propriétaire concerné aurait effectivement construit sur son terrain dans un proche avenir. Il convient ainsi de prendre en considération l’ensemble des données sociales et économiques de la région, du site et du terrain concerné, ainsi que les démarches, les dépenses et la volonté subjective du propriétaire. Il faut surtout que le bien-fonds soit équipé, se prête à la construction et que la zonification soit homogène (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTLIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op. cit., n. 933).

La jurisprudence du Tribunal fédéral nie généralement que la construction soit très probable dans un avenir proche lorsque celle-ci requiert préalablement une dérogation, une modification du plan d’affectation, l’élaboration d’un plan d’équipement ou d’un plan d’affectation spécial, un remaniement parcellaire ou d’autres travaux d’équipement importants (ATF 131 II 151 consid. 2.4.1 ; ATF 112 Ib 105 consid. 2b ; Enrico RIVA, op. cit., ad art. 5 LAT n. 171 ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1427).

Le fait que le propriétaire ait eu ou non l’intention de construire n’a aucune importance, la probabilité de réalisation ne s’appréciant en effet que selon des critères purement objectifs (ATF 114 Ib 305 consid. 2a ; 113 Ib 318 consid. 3c).

La forte probabilité d’une utilisation dans un avenir proche n’est pas donnée lorsqu’il n’existe que des chances théoriques de gain ou de vagues perspectives d’une meilleure utilisation future (cf. ATF 134 II 49 consid. 13.3 p. 72 ; arrêt 1C_71/2018 du 3 juin 2019 consid. 2.1 ; Enrico RIVA, op. cit., ad art. 5 LAT n. 170 ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 1788).

19.         À propos de l’expropriation matérielle, la jurisprudence du Tribunal fédéral distingue généralement deux hypothèses : d’une part le déclassement (« Auszonung ») – ouvrant la voie à une indemnité – et d’autre part le refus de classement (non-classement, « Nichteinzonung ») – excluant en principe une indemnité.

On parle de déclassement lorsqu’un bien-fonds classé dans une zone à bâtir est frappé d’une interdiction de construire. Cela présuppose toutefois qu’au moment de l’entrée en force de la mesure de planification qui produirait l’effet d’une expropriation matérielle, la parcelle en question se trouvait comprise dans une zone à bâtir édictée conformément aux prescriptions de la législation fédérale en matière d’aménagement du territoire. Dans un tel cas, une indemnisation est due si les autres conditions de l’expropriation sont remplies. Il y a en revanche refus de classement lorsque la modification d’un plan d’affectation, qui a pour effet de sortir une parcelle de la zone à bâtir où elle se trouvait auparavant, intervient pour adapter ce plan aux exigences de la LAT, entrée en vigueur le 1er janvier 1980, et partant pour mettre en œuvre les principes du droit constitutionnel en matière de droit foncier. Tel est le cas de la décision par laquelle l’autorité de planification, édictant pour la première fois un plan d’affectation conforme aux exigences du droit fédéral, ne range pas un bien-fonds déterminé dans la zone à bâtir et cela même si ce terrain était constructible selon la réglementation antérieure (cf. notamment ATF 125 II 431 consid. 3b ; 122 I 326 consid. 4c ; Enrico RIVA, op. cit., art. 5 LAT n. 177 ss). Cela vaut non seulement pour la révision des plans d’affectation adoptés avant l’entrée en vigueur de la LAT, mais également pour l’adaptation des plans de zones, entrés en vigueur sous l’empire de la LAT, mais qui matériellement, ne respectent pas les principes de planification du droit fédéral (cf. ATF 131 II 728 consid. 2.3 ; 125 II 326 consid. 5c ; 122 II 326 consid. 5c ; arrêts du Tribunal fédéral 1C_275/2018 du 15 octobre 2019 consid. 2.3 ; 1C_215/2015 du 7 mars 2016 consid. 3.1 ; Enrico RIVA, op. cit., art. 5 n. 184).

20.         Le point de savoir si l’on se trouve en présence d’un déclassement ou d’un refus de classement s’apprécie au regard de l’ensemble des prescriptions fédérales, cantonales et communales applicables au moment déterminant. La planification antérieure à l’entrée en vigueur de la LAT doit être examinée de façon globale pour déterminer sa conformité à cette loi (ATF 122 II 326 consid. 5b ; 121 II 417 consid. 3d).

21.         On est toujours en présence d’un non-classement lorsqu’un terrain devient inconstructible en raison de la première adaptation du plan d’affection cantonal à la législation fédérale en matière d’aménagement du territoire ; pour les changements ultérieurs du plan, il y a une présomption en faveur du déclassement qui peut toutefois être renversée, le critère déterminant étant la conformité tant matérielle que procédurale du plan cantonal aux exigences de la LAT (Maya HERTIG RANDALL, L’expropriation matérielle, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 126 ; Piermarco ZEN-RUFFIEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1436).

22.         Les déclassements peuvent entraîner une expropriation matérielle. Toutefois, il n’existe pas de présomption en faveur d’une nécessité d’indemnisation à la suite d’un déclassement. Dans chaque cas de déclassement, c’est en fonction de la situation qu’il convient de décider si l’interdiction de bâtir a l’effet d’une expropriation matérielle ou non. Le déclassement instaure une interdiction de bâtir sur un terrain qui appartient à une zone à bâtir conforme au droit fédéral et qui remplit donc la condition préalable faisant en sorte que la constructibilité du terrain fasse partie du contenu de la propriété. C’est dans la suppression de cette faculté de construire que réside la privation d’un attribut essentiel de la propriété (Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 207).

23.         Le Tribunal fédéral a précisé que même une zone à bâtir respectant les exigences du droit fédéral n’est pas délimitée pour l’éternité ; elle pourra et devra être adaptée aux nouvelles exigences si les circonstances ou les bases légales changent. Un propriétaire ne peut donc pas compter sur le fait que son bien-fonds restera à jamais dans la zone à bâtir et pourra être bâti (ATF 131 II 728 consd. 2.5).

24.         Dans les cas de déclassement, le Tribunal fédéral examine le caractère vraisemblable de la réalisation. De nos jours, la mise en œuvre de la faculté de bâtir est toujours liée à des conditions juridiques variées et au concours des pouvoirs publics ; cela n’exclut pas le caractère vraisemblable de la construction quand il existe en principe un droit à l’exécution des procédures requises et à l’octroi des autorisations. Cependant, la situation concrète du bien-fonds déclassé peut s’avérer à tel point défavorable qu’elle en exclut la constructibilité et, par conséquent, la probabilité de réalisation. Qu’il y ait eu intention de bâtir sur le terrain déclassé n’est alors pas pertinente (Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 208).

25.         En ce qui concerne le déclassement à l’intérieur de la zone à bâtir, le Tribunal fédéral a considéré que le plan d’affectation n’est pas un processus qui est réalisé une fois pour toutes et qui est ensuite terminé. En tout cas après un horizon de planification de 10 à 15 ans, un propriétaire foncier doit s’attendre à ce que la planification soit remaniée et révisée et qu’il puisse être affecté par des modifications. Les mesures de planification prises sur la base de nouvelles connaissances et ayant des répercussions sur l’utilisation des bâtiments font donc partie de la description du contenu des droits de propriété et doivent en principe être acceptées sans dédommagement (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_473/2017 du 3 octobre 2018 consid. 2.6). Un propriétaire ne peut donc pas compter sur le fait que son bien-fonds restera à jamais dans la zone à bâtir et pourra être bâti (ATF 131 II 728 consd. 2.5).

Sous réserve de l’affectation à une zone d’utilité publique, le changement de zone à l’intérieur de la zone à bâtir (Neueinzonung) n’entraine pas une restriction particulièrement grave du droit de propriété constituant un cas d’expropriation matérielle, pour autant que les terrains se prêtent encore à une bonne utilisation économique (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1469).

26.         En principe, le moment déterminant pour apprécier, du point de vue de l’expropriation matérielle, la portée de la restriction est la date de son entrée en vigueur (ATF 132 II 218 consid. 2.4). Lorsqu’avant le jugement définitif, une restriction constitutive d’expropriation matérielle est remplacée par une restriction qui doit être supportée sans indemnité, ou quand la première restriction est simplement levée, le juge doit tenir compte de cette nouvelle situation juridique, car l’obligation d’indemniser n’a alors, en principe, plus de fondement, à défaut de dommage pour le propriétaire; il ne se justifie de faire une exception que lorsque la période entre la première restriction et le changement ultérieur de régime juridique était particulièrement longue, de telle sorte que, sans la restriction, le propriétaire aurait pu faire dans l’intervalle une meilleure utilisation de son fonds (ATF 121 II 317 consid. 12bb ; 105 Ia 330 consid. 4b).

27.         Les intimés soutiennent que la restriction de constructibilité découlant de l’OPB doit être qualifiée de mesure de non-classement. Ils soutiennent en particulier que les parcelles litigieuses n’auraient jamais été valablement incluses en 5ème zone et que leur mise en ZDIA constituait la première mesure d’aménagement conforme à la LAT.

28.         Lorsque le contenu du droit de propriété reçoit une nouvelle définition, supprimant des possibilités dont disposait jusqu’alors le propriétaire, les personnes concernées ne peuvent en principe prétendre à aucune indemnité. Nul ne saurait en effet faire valoir un droit au maintien de l’ordre juridique et de la réglementation du droit de propriété. Cela étant, pour les propriétaires concernés, une nouvelle définition du contenu du droit de propriété peut déployer les mêmes effets qu’une restriction de ce droit et exceptionnellement atteindre des propriétaires isolés de la même façon qu’une expropriation. La doctrine précise qu’il peut dès lors s’avérer nécessaire d’accorder des indemnités lorsque concrètement le passage de l’ancien au nouvel ordre juridique introduit des inégalités crasses que le législateur n’a pas envisagées et déploie des conséquences trop rigoureuses pour certains propriétaires particuliers (ATF 144 II 367 consid. 3.3 et les références citées; cf. également ATF 131 II 151 consid. 2.1 p. 155; 125 II 431 consid. 3a p. 433; 91 I 329 consid. 3 p. 338 s.). 

29.         L’introduction dans la Constitution de l’art. 22quater aCst. (actuellement art. 75 Cst.) relatif à l’aménagement du territoire, puis l’adoption de la législation fédérale fondée sur cette norme (loi sur la protection des eaux de 1971 et LAT de 1979), ont apporté une modification essentielle du contenu de la propriété foncière. Jusqu’alors, la faculté d’utiliser librement un bien-fonds et d’y ériger des bâtiments faisait partie du contenu général de la propriété. Depuis lors, en vue d’assurer une utilisation judicieuse du sol et une occupation rationnelle du territoire, des zones doivent être délimitées en fonction de l’usage distinct qui peut en être fait ; il convient plus particulièrement de distinguer les zones à bâtir de celles qui ne le sont pas. La faculté de construire – solution généralement plus lucrative – n’est plus octroyée qu’à une partie du terrain et ne bénéfice ainsi qu’à une partie des propriétaires fonciers. Ce passage à une réglementation foncière différenciée a modifié le contenu de la propriété (Enrico RIVA, op. cit., ad art. 5 LAT n. 148).

30.         Pour déterminer les conséquences du passage de l’ancien au nouveau droit foncier en matière d’indemnisation, le Tribunal fédéral a établi une distinction entre les mesures étatiques qui apportent une restriction au droit de la propriété et celles qui ne font que déterminer son contenu. Cette distinction lui a permis de considérer que des règles limitant la faculté de bâtir se bornent à définir le contenu de la propriété foncière. Elles ne constituent qu’exceptionnellement une restriction à la garantie de la propriété et, partant, une expropriation matérielle donnant lieu à une indemnité. En d’autres termes, le droit de construire ne constitue plus, selon cette conception, une faculté essentielle de la propriété immobilière, mais une prérogative conférée au propriétaire par l’ordre juridique, qui en trace les conditions et les limites. La ligne de démarcation entre les mesures constitutives d’expropriation matérielle, d’une part, et celles ne donnant pas lieu à indemnisation, d’autre part, se situe par conséquent clairement du côté des premières mesures, laissant les restrictions à tolérer sans indemnité occuper le terrain (cf. ATF 105 Ia 330 ; Maya HERTIG RANDALL, op. cit., p. 125 ss).

C’est dans ce cadre que le Tribunal fédéral a développé les notions de déclassement et de celles de non-classement, respectivement de refus de classement, détaillées précédemment.

31.         Le critère essentiel pour qualifier une mesure de non-classement ou de déclassement est la conformité du plan cantonal aux exigences de la LAT.

Un plan d’affectation est conforme à la LAT en termes de contenu lorsqu’il sépare clairement la zone à bâtir des zones inconstructibles, qu’il respecte les exigences de l’art. 15 LAT (non surdimensionnement de la zone à bâtir) et qu’il tient compte des bruts et principes de l’aménagement du territoire tels que définis aux art. 1 à 3 LAT. Sous l’angle formel, le plan d’affectation doit émaner de l’autorité compétente (art. 25 LAT), satisfaire aux exigences démocratiques (art. 4 LAT), avoir été soumis à l’examen et à l’approbation du canton, et enfin respecter la procédure et les voies de recours prévus à l’art. 33 LAT (ATF 114 1b 305 consid. 5c ; arrêt 1C_215/2015 consid. 3.2 ; Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 n. 183).

Dès lors qu’un plan d’affectation conforme au droit fédéral quant à la forme et au contenu est entré en vigueur, les mises en zone non constructible survenues ultérieurement sont qualifiées de déclassements (Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 188).

32.         En l’occurrence, il est établi que les parcelles en cause se trouv(ai)ent en zone à bâtir depuis de nombreuses années au moment de l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OBP (cf. plan des zones de construction annexé à la loi du 9 mars 1929). Elles ont été affectées à la zone villas dès le 19 décembre 1952, date à laquelle la 5ème zone a été scindée en zone destinée aux villas (zone 5A) d’une part et en zone agricole (zone 5B) d’autre part. La parcelle n° 1______ demeure aujourd’hui en zone 5, les parcelles nos 2______, 3______ et 4______étant désormais affectées en ZDIA.

Le 1er janvier 1980 est entrée en vigueur la LAT. Elle charge la Confédération, les cantons et les communes d’établir des plans d’aménagement pour celles de leurs tâches dont l’accomplissement a des effets sur l’organisation du territoire (art. 2 al. 1 LAT). Les autorités compétentes doivent notamment élaborer des plans d’affectation, qui règlent le mode d’utilisation du sol (art. 14 al. 1 LAT) et délimitent en premier lieu les zones à bâtir, les zones agricoles et les zones à protéger (art. 14 al. 2 LAT). Aux termes de l’art. 15 LAT, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 30 avril 2014, les zones à bâtir comprenaient les terrains propres à la construction qui étaient déjà largement bâtis ou qui seraient probablement nécessaires à la construction dans les quinze ans à venir et seraient équipés dans ce laps de temps.

La LAT impartissait aux cantons un délai de huit ans à compter de son entrée en vigueur, soit avant le 1er janvier 1988, pour se doter de plans d’affectation conformes (art. 35 al. 1 LAT).

La LaLAT est entrée en vigueur le 1er août 1987. Selon l’art. 12 LaLAT, pour déterminer l’affectation du sol sur l’ensemble du territoire cantonal, celui- est réparti en zones, dont les périmètres sont fixés par des plans annexés à la LaLAT (al. 1). Aux termes de l’art. 32 al. 1 LaLAT, adopté le 18 septembre 1987, les plans de zones de construction au sens de l’art. 10 aLCI, ayant force de loi au moment de l’entrée en vigueur de la LaLAT, constituent les plans de zones annexés à celle-ci au sens de l’art. 12 précité. En d’autres termes, les plans alors existants ont été prorogés.

Dans la mesure où, par l’adoption en 1987 des plans annexés à la LaLAT, le législateur genevois a confirmé la délimitation de la 5ème zone telle qu’elle était déjà prévue par le plan de 1952, l’affectation des parcelles litigieuses n’a pas été modifiée avec l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi (cf. ATF 129 II 225 consid. 1.3.3 et ATA/567/2002 du 24 septembre 2002 consid. 7 ; cf. aussi ATF 132 II 475 p. 476 ; Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 187). Celles-ci sont donc restées classées en 5ème zone, soit une zone résidentielle destinée aux villas (art. 19 al. 3 LaLAT), avant d’être déclassées, pour les parcelles nos 2______, 3______ et 4______, en ZDIA en 2009.

La jurisprudence cantonale et fédérale a confirmé à plusieurs reprises que les plans de zones annexés à la LaLAT ont été adoptés en conformité avec le droit fédéral (ATF 129 II 225 consid. 1.3.3 et les références citées ; arrêts 1A.211/2003 du 29 mars 2004 consid. 2.3 ; 1A.267/1997 du 29 janvier 1998 consid. 3d ; ATA/146/2008 du 1er avril 2008 consid. 3 ; ATA/609/2003 du 26 août 2003 consid. 4b). Dans l’ATF 129 II 225 (qui concernait justement des parcelles situées à B______ soumises aux nuisances de l’aéroport), le Tribunal fédéral a considéré que la confirmation, par l’adoption de la LaLAT, d’un plan antérieur ne peut pas être comprise comme une volonté de ne pas mettre en œuvre les principes de l’aménagement du territoire et que l’affectation d’un terrain classé dans la zone à bâtir par le plan de zone mentionné à l’art. 12 LaLAT avait ainsi valablement été décidée en 1987 (consid. 1.3). Dans une autre affaire concernant une parcelle classée en zone à protéger suite à l’adoption de la loi sur la protection générale et l’aménagement des rives de l’Arve du 4 mai 1995, le Tribunal fédéral a admis un cas de déclassement en retenant que l’affectation en zone à bâtir du terrain litigieux ne paraissait pas inconciliable, lors de l’adoption de la LaLAT, avec les exigences du droit fédéral en matière de protection des rives. Partant, le classement, en 1987, de la parcelle en 5ème zone devait être considéré comme conforme à la LAT (arrêt 1A.211/2003 du 29 mars 2004 consid. 2.3). Dans ces deux arrêts, le Tribunal fédéral a jugé qu’à travers la modification législative de 1987, le canton de Genève avait voulu mettre en place une réglementation conforme au droit fédéral et que les classements ultérieurs en zone non constructible devaient être qualifiés de déclassements (cf. Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 187). Plus récemment, la chambre administrative a retenu que le plan des zones d’affectation annexé à la LaLAT, qui a reconduit l’affectation de la parcelle litigieuse en zone de bois et forêts, a été adopté en conformité avec la LAT et a, en conséquence, refusé de procéder au contrôle préjudiciel de la validité de la zone (ATA/146/2008 du 1er avril 2008 consid. 3).

Il sied encore de relever que l’affectation en zone résidentielle de la parcelle n° 1______ n’a pas été modifiée par le législateur genevois depuis l’entrée en vigueur de la LaLAT, nonobstant sa situation et malgré l’évolution de la législation fédérale en matière du territoire et de protection de l’environnement, et le développement judiciaire du litige opposant les riverains de l’aéroport et l’État de Genève (cf. ACOM/121/2008 du 17 décembre 2008 dans la cause A/202/2007-LEX ; DICCR/27/2010 du 21 avril 2010 dans la cause A/3915/2017 LEX). L’État de Genève a d’ailleurs définitivement renoncé à adapter l’affectation du secteur concerné avec l’adoption de la première mise à jour du PDCn 2030, qui renvoie, pour ce secteur, à la fiche A04, avec pour objectif la poursuite de la densification sans modification de zone de la zone villa, excluant ainsi un éventuel classement du secteur en zone plus adaptée aux nuisances existantes.

Au vu de ce qui précède, il n’y a donc pas lieu de s’écarter du plan de zones actuel.

Le tribunal retiendra donc que l’affectation des parcelles litigieuses en zone 5, telle que délimitée en 1952, a valablement été reconduite en 1987 et que partant, au moment déterminant, soit au moment de l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OBP, les biens-fonds étaient affectés à une zone à bâtir adoptée conformément au droit fédéral. S’agissant des parcelles nos 2______, 3______ et 4______, il ne saurait ainsi être admis que le déclassement ultérieur en ZDIA constituerait la première mesure d’aménagement conforme à la LAT.

33.         Il résulte de ce qui précède que les prétentions du requérant doivent être examinées en appliquant les critères jurisprudentiels relatifs au déclassement. Il convient dès lors, à ce stade, d’examiner si les conditions positives issues de la formule Barret sont remplies.

34.         Dans un premier temps, il convient d’examiner si le requérant pouvait réellement dans un avenir proche développer le potentiel constructible de ses parcelles, puis, dans un second temps, examiner la gravité de l’atteinte.

35.         Compte tenu de la spécificité du cas d’espèce, il convient d’examiner séparément la situation de la parcelle n° 1______ et celle des parcelles nos 2______, 3______ et 4______. Il faut en effet prendre en considération que les trois dernières parcelles précitées ont connu deux mesures d’aménagement successives ayant eu des effets différents quant à leur valeur vénale, alors que la parcelle n° 1______ est demeurée affectée à la zone 5.

S’agissant de ces dernières parcelles, conformément à la jurisprudence précitée, il convient de prendre en compte le déclassement ultérieur en ZDIA pour déterminer si la restriction subie est constitutive d’une expropriation matérielle.

Parcelle n° 1______

36.         S’agissant de la condition de l’usage futur proche probable, si le requérant n’a certes à ce jour pas démontré l’intention de réaliser un projet concret, cette condition de l’expropriation matérielle peut être considérée comme remplie. En effet, comme vu ci-dessus, sous l’angle juridique, la parcelle du requérant est située en zone villas et cette affectation n’a pas été modifiée. L’affectation en zone à bâtir est en outre conforme aux exigences du droit fédéral. Par ailleurs, aucun élément du dossier ne laisse présumer que la réalisation d’un projet de construction sur cette parcelle, notamment tel qu’identifié par le requérant (ordre contigu avec une densité de 0.4), nécessiterait la mise en œuvre d’instruments juridiques de l’aménagement du territoire, à l’instar de l’adoption préalable d’un plan d’affectation spécial. En outre, rien n’amène le tribunal à douter du fait que la parcelle pourrait rapidement être équipée sans nécessiter de travaux importants. À cela s’ajoute que la parcelle est vierge de construction. En somme, avant l’entrée en vigueur de la restriction litigieuse, la possibilité de réaliser un projet de construction sur la parcelle n° 1______ ne dépendait que de la seule volonté du propriétaire, sans qu’il n’existât d’obstacle juridique ou factuel particulier rendant impossible ou difficile à l’excès l’obtention d’une autorisation de construire.

Sous l’angle de l’ampleur de l’atteinte, selon le cadastre de bruit relatif à l’AIG actuellement en vigueur, consultable sur le site du système d’information du territoire genevois (SITG), la parcelle en cause, située en 5ème zone, soit une zone résidentielle destinée aux villas, est affectée d’une charge sonore comprise entre 64 et 65 dB(A) de jour, 58 et 60 dB(A) en première heure de nuit et 53 à 54 dB(A) en deuxième heure de nuit ; les VLI prévues par l’annexe 5 de l’OPB pour le DS II sont donc dépassées de +4 à +5 dB(A) la journée et de +3 jusqu’à +5 dB(A) la nuit.

Or, dès lors que le respect des VLI constitue une condition déterminante à l’obtention d’une autorisation de construire des bâtiments comprenant des locaux à usage sensible au bruit, tels que les logements (art. 2 al. 6 ch. a OPB), il en résulte une incompatibilité entre le régime du droit cantonal (art. 19 al. 3 LaLAT) et le régime du droit fédéral (art. 22 LPE, art. 31 OPB et les VLI de l’annexe déterminante de l’OPB), qui a pour effet de rendre le périmètre impropre à l’habitat résidentiel, soit inconstructible en l’état.

L’expertise réalisée dans le cadre de la procédure conclut à une perte de valeur de 96 %, équivalent à une moins-value foncière de CHF 3’500’000.-. Outre cette valeur, comme vu précédemment, l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OPB a eu pour effet d’entraîner l’inconstructibilité de la parcelle du requérant, laquelle est vierge de toute construction. Il ne peut ainsi pas être soutenu de manière convaincante que ce dernier conserverait un usage conforme à la destination, économiquement rationnel et de qualité de son bien-fonds, dès lors qu’il ne peut plus en exploiter le potentiel constructible, et ce uniquement en raison du dépassement des VLI applicables. Cette restriction à son droit de propriété doit donc être qualifiée de grave.

Dans ces circonstances, le tribunal retiendra que les deux conditions positives cumulatives de l’ampleur et de l’intensité de l’atteinte sont en l’espèce remplies pour la parcelle n° 1______, ouvrant ainsi la voie à une éventuelle indemnisation pour expropriation matérielle.

37.         Les intimés soutiennent cependant que la restriction de constructibilité découlant de l’OPB devrait être qualifiée de mesure de police ne donnant pas lieu à indemnisation.

38.         L’interprétation historique de l’art. 26 al. 2 Cst. consiste à n’accorder de garantie patrimoniale de la propriété qu’en cas de restriction qui correspond à un mouvement sensible (ampleur) et rapide de l’ordre juridique (impact). À cela s’ajoute que le Tribunal fédéral réserve deux cas d’exception dans lesquels, sans égard à son ampleur et son impact, une restriction de la propriété privée ne donne en principe pas droit à une indemnité, sous réserve de situations très exceptionnelles : il en va notamment des mesures visant un intérêt de police, dites mesures de police (Jacques DUBEY, op. cit., n. 103 ss).

39.         Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les mesures justifiées par un but de police au sens strict ne constituent pas un cas d’expropriation matérielle et doivent par conséquent, sans égard à leur gravité et leur impact, être tolérées sans indemnité, car elles visent, exclusivement ou principalement, à écarter un danger concret, sérieux et imminent, lié à l’utilisation projetée d’un fonds, qui menace l’ordre public, en particulier la vie, la santé, la tranquillité et la sécurité publiques ; lorsqu’une restriction à la possibilité de bâtir est fondée sur de tels motifs – ou plus généralement sur les dangers auxquels seraient exposés les habitants si la construction était autorisée –, il est indifférent que les risques soient d’origine naturelle, tels les dangers d’avalanches, ou qu’ils proviennent de l’exploitation d’une installation par des tiers, y compris la collectivité publique, les conditions à l’octroi d’une indemnité d’expropriation matérielle ne sont en principe pas réunies (ATF 122 II 17 consid. 7b ; 120 Ib 76 consid. 5a ; 114 Ia 245 consid. 5 ; 106 Ib 330 consid. 4 ;  arrêts 2C_461/2011 du 9 novembre 2011 consid. 4.2 ; 1P.421/2002 du 7 janvier 2003 consid. 2 ; 1A.122/2002 du 6 décembre 2002 consid. 3.1 et les arrêts cités ; cf. aussi Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n° 1486 ; Maya HERTIG RANDALL, op. cit., p. 122 ss ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 1793 ; Jacques DUBEY, op. cit., n. 104).

40.         Les mesures de police se distinguent ainsi des autres types de restrictions à la propriété par leur but de protection. Elles sont adoptées pour prévenir ou limiter des dangers sérieux, directs, imminents et impossibles à détourner autrement (cf. Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 1792 et n. 1292).

41.         Sensible aux intérêts des propriétaires fonciers, la jurisprudence a souligné que la notion de mesure de police doit être interprétée d’une façon restrictive. Elle ne comprend, d’une part, que les mesures nécessaires à écarter des dangers concrets, sérieux et imminents (ATF 105 Ia 330 consid. 3b ; 96 I 350 consid. 4, confirmé par l’ATF 106 Ib 330 consid. 4). En d’autres termes, sont exclues les mesures qui ne sont pas proportionnées par rapport à l’objectif mentionné – soit celles allant au-delà de ce qui est nécessaire pour écarter un danger concret, sérieux et imminent – ou qui ont pour but de prévenir un danger de principe, général et abstrait. D’autre part, la notion de police au sens strict n’englobe pas les mesures qui poursuivent une double finalité, à moins que l’objectif de police ne soit prépondérant par rapport à l’objectif non policier. Le fait qu’une mesure principalement inspirée par des considérations d’aménagement du territoire vise accessoirement la protection des eaux souterraines ne suffit, par exemple, pas pour exclure une indemnisation pour expropriation matérielle (ATF 105 Ia 330 consid. 3b ; 96 I 350 consid. 4 ; Maya HERTIG RANDALL, op. cit., p. 124 : cf. également Pierre MOOR/Étienne POLTIER, Droit administratif, vo. II, 3ème éd., 2011, p. 899 et les références citées).

La jurisprudence a de surcroît admis certaines exceptions au principe selon lequel les mesures de police au sens étroit ne donnent pas lieu à indemnisation (ATF 106 Ib 336 consid. 5b). Lorsque la restriction consiste à corriger des erreurs d’aménagements, entraîne le déclassement d’un terrain sis en zone à bâtir et muni de l’équipement de base, ou interdit une utilisation du sol auparavant licite, une indemnité pour expropriation matérielle n’est pas exclue (Maya HERTIG RANDALL, op. cit., p. 124 ; cf. également Enrico RIVA, op. cit., ad art. 5 LAT n. 218 ; Pierre MOOR/Etienne POLTIER, op. cit., p. 899 ss ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1487 ss ; Jacques DUBEY/Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 1794).

42.         Tombent dans la catégorie des mesures de police, celles qui limitent l’usage de la propriété immobilière dans le but de sauvegarder l’ordre public au sens étroit, en particulier celles qui ont pour but de protéger la vie, la santé, la tranquillité et la sécurité publiques. Selon Maya HERTIG RANDALL, qui cite à titre d’illustration l’interdiction de construire une maison dans une zone exposée aux avalanches ou celle d’exploiter une gravière sise à proximité d’un captage d’eau souterraine, il importe peu que l’atteinte à l’ordre public provienne du propriétaire lui-même ou d’un fait de la nature ; de même, le fait que le perturbateur soit la collectivité publique n’exclut pas la qualification de restriction de police qui fait obstacle au versement d’une indemnisation pour expropriation matérielle (Maya HERTIG RANDALL, op. cit., p. 122).

43.         Dans l’ATF 96 I 359 (JdT 1971 I 7), le Tribunal fédéral a jugé qu’il fallait parler d’une restriction admissible sans indemnité en tout cas lorsque la mesure de police dirigée contre l’auteur du trouble tend à empêcher une utilisation du bien-fonds qui entraînerait un danger concret - c’est-à-dire immédiat - pour l’ordre public, la sécurité ou la santé, soit notamment lorsque l’autorité compétente se borne à appliquer au cas concret une interdiction existant de par la loi et à définir, en fonction du projet d’utilisation d’un bien-fonds, les restrictions de police qui doivent toujours être observées en matière de propriété foncière (cf. JdT 1971 I 290 consid. 4).

Il a par exemple été amené à juger que le classement d’un bien-fonds dans une zone de protection des eaux souterraines au sens de l’ancienne loi fédérale du 8 octobre 1971 sur la protection des eaux contre la pollution (aLPEP) constituait une mesure de police au sens étroit qui n’entraînait en principe aucune obligation d’indemniser (ATF 106 Ib 330 consid. 4 ; 105 Ia 330 consid. 3b ; 96 I 350 consid. 4 ; arrêt du Tribunal fédéral 1A.122/2002 du 6 décembre 2002 consid. 3.1).

Il a aussi précisé que si la restriction ordonnée pour des motifs de police sert directement l’intérêt même du propriétaire foncier, il n’y a pas d’expropriation matérielle, par exemple lorsqu’il s’agit d’une interdiction de construire dans une région exposée aux avalanches ou en cas de distance à respecter entre les constructions et une forêt. Le fait que, dans un tel cas, les restrictions protègent également d’autres intérêts (par exemple la forêt) n’exclut pas qu’elles doivent être supportées sans indemnité. Une éventuelle erreur dans la planification, que l’on corrige en déclassant le bien-fonds et en le rangeant dans une zone de danger d’avalanches, peut tout au plus fonder l’obligation, pour la collectivité publique, d’indemniser en raison de sa responsabilité administrative, mais non pas au titre de l’expropriation matérielle, puisque l’interdiction de bâtir édictée dans l’intérêt même du propriétaire foncier provient de la situation dangereuse dans laquelle se trouve le bien-fonds (ATF 106 Ib 336, JdT 1982 593 consid. 5c/aa ; voir aussi Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix ULHMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8ème éd., 2020, n. 2511).

44.         La LPE, qui, concrétisant les principes régissant l’aménagement du territoire, en particulier l’art. 3 al. 3 let. b LAT, tend en particulier à préserver les personnes contre les atteintes nuisibles ou incommodantes (art. 1 al. 1 LPE), contient, en matière de protection contre le bruit, des normes qui doivent être appliquées par les autorités chargées de l’aménagement du territoire, soit dans le cadre de l’établissement ou de la révision des plans d’affectation, soit au stade de l’autorisation de construire. Ces normes entraînent, le cas échéant, des restrictions pour les propriétaires des biens-fonds exposés au bruit et, dans une zone à vocation exclusivement résidentielle, peuvent rendre impossible la construction des bâtiments prévus par le plan d’affectation (ATF 132 II 475 consid. 2.4 et 2.6).

La question de savoir si et à quelles conditions l’application de ces dispositions peut éventuellement justifier l’octroi d’une indemnité pour expropriation matérielle n’a pas encore été tranchée par le Tribunal fédéral ; elle a été laissée indécise dans plusieurs arrêts (ATF 132 II 475 consid. 2.7 et les références citées). Cette question partage également la doctrine.

45.         Dans un arrêt de 1994, le Tribunal fédéral a considéré que lorsqu’un projet a été refusé sur la base de l’art. 22 LPE en raison du fait que le bien-fonds est exposé à des immission excessives d’une route nationale, le propriétaire n’a aucun droit à faire valoir à titre d’expropriation matérielle, mais, dans certains circonstances, un droit à réclamer une indemnité d’expropriation contre le canton, en tant que maître de l’ouvrage, ce droit étant à faire valoir au titre d’expropriation formelle des droits de voisinage en application de l’art. 5 de la loi fédérale sur l’expropriation du 20 juin 1930 (LEx - RS 711) (ATF 120 Ib 76, JdT 1996 I 475 consid. 5 et les référence citées).

Dans un arrêt du 10 janvier 1996 portant sur les restrictions découlant du droit fédéral de l’aviation, le Tribunal fédéral a relevé que le plan des zones de bruit de 1987 se bornait à constater qu’en raison des nuisances de l’aéroport, les terrains classés en zone de bruit B étaient totalement impropres à la construction de maison d’habitation. Dans ces conditions, les zones de bruit avaient pour but de protéger la santé du propriétaire ou des futurs habitants de la parcelle, ce qui excluait, en principe, une indemnité pour expropriation matérielle (ATF Jeanneret III 122 II 17, consid. 7b ; voir également Maya HERTIG RANDALL, op. cit., p. 123). Cet arrêt faisait suite à l’arrêt du 12 juillet 1995 (ATF Jeanneret II 121 II 349), dans lequel le Tribunal fédéral avait laissé indécise la question de savoir si le classement dans une zone de bruit A ou B pouvait être constitutif d’une expropriation matérielle (consid. 13 ; cf. voir également Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1476).

Dans un autre arrêt, rendu le 5 septembre 2006, en relation avec les nuisances sonores provenant de l’AIG, le Tribunal fédéral n’a pas exclu que le refus de délivrer une autorisation de construire en application directe de la législation sur la protection contre le bruit (art. 22 LPE) puisse, à l’instar des restrictions du droit de propriété résultant de la modification d’un plan d’affectation pour mettre en œuvre la législation sur la protection de l’environnement (art. 24 al. 2 LPE), constituer un cas d’expropriation matérielle et a considéré, pour cette raison, qu’il fallait donner la possibilité au propriétaire concerné d’ouvrir action et de présenter des conclusions en paiement à ce titre. Dans cette affaire, seule la question de la compétence était litigieuse, de sorte que le Tribunal fédéral n’a pas eu à trancher la question d’un point de vue matérielle, faisant remarquer que la question a été laissée ouverte dans d’autres arrêts, notamment dans l’arrêt de 1996 cité précédemment (ATF 132 II 475 consid. 2.7 ; cf. voir également Enrico RIVA, op. cit. ad. art. 5 note 384 p. 203 ; Maya HERTIG RANDALL, op. cit., p. 123). La doctrine est partagée à cet égard. Selon Jürg SIGRIST, une indemnisation pour expropriation matérielle est envisageable dans le cas où la parcelle devient inconstructible en raison de nouvelles immissions sonores, résultant, par exemple, de l’ouverture d’une nouvelle route aérienne (Jürg SIGRIST, Fluglärm und materielle Enteignung, in Tobias JAAD, Rechsfragen rund um den Flughafen, Zurich, Bâle, Genève 2004, p. 157 ss). D’après Enrico RIVA, un terrain exposé à des immissions excessives est impropre à la construction, ce qui exclut en principe un droit à une indemnisation. Des exceptions à ce principe devraient toutefois être admises dans des cas où le refus d’une indemnisation est particulièrement choquant en raison des circonstances spécifiques du cas d’espèce, par exemple en cas d’erreur de planification de la part des autorités (Enrico RIVA, Bau- und Nutzungsbeschränkungen aufgrund von umweltrechtlichen Vorschriften – wann ist Entschädigung geschuldet ?, in DEP 1998, p. 462 ss ; dans ce sens aussi Robert WOLF, in Vereinigung für Umweltrecht, Kommentar zum Unweltschutzgesetz, 2e éd. Zurich 2004, ad. art. 22 LPE, n. 47 et ad art. 24 LPE n. 42 et 45). D’après Anne-Christine FAVRE, la nature policière devrait être admise pour les restrictions découlant de l’art. 22 LPE mais non pour celles qui s’imposent en vertu de l’art. 24 LPE, le but principal de cette dernière disposition consistant à assurer une planification judicieuse et non la protection contre un danger (Anne-Christine FAVRE, La protection contre le bruit dans la loi sur la protection de l’environnement, Zurich 2002, p. 257 ss, 273 s). Selon Jörg Paul MÜLLER et Markus SCHEFER, il n’est pas compatible avec la garantie de valeur découlant du droit de propriété d’exclure d’une façon générale l’indemnisation des propriétaires dans les cas où les immissions proviennent d’un ouvrage public. Il est toutefois indifférent à la lumière de la garantie de la propriété si l’indemnisation est allouée sur la base de l’expropriation formelle des droits de voisinage ou sur la base de l’expropriation matérielle (Jörg Paul MÜLLER/Markus SCHEFER, Grundrechte in des Schweiz, 4e éd, Berne 2008, p. 1030 ss ; Maya HERTIG RANDALL, L’expropriation matérielle à l’aune de la jurisprudence récente, in La garantie de la propriété à l’aube du XXIe siècle : expropriation, responsabilité de l’État, gestion des grands projets et protection du patrimoine, Genève 2009, p. 29 ss, p. 38 s).

46.         Dans sa décision ACOM/121/2008 du 17 décembre 2008, la commission a admis la réalisation des conditions de l’expropriation matérielle et le droit à l’indemnité en découlant dans une situation similaire à celle du cas d’espèce, dans la mesure où l’inconstructibilité de la parcelle en cause résultait de l’application combinée de l’art. 22 LPE et de l’annexe 5 de l’OPB. Elle a notamment retenu que lorsque l’impossibilité de construire résulte de l’application de l’art. 22 LPE, la situation présente, selon la jurisprudence fédérale, une certaine analogie avec le cas de déclassement de terrain à bâtir fondée sur l’art. 24 al. 2 LPE, permettant de faire valoir des prétentions pour expropriation matérielle. Elle a ensuite considéré que jusqu’à l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OPB, « le statut juridique applicable aux biens immobiliers du secteur a(vait) été pour le moins fluctuant, dans le cadre duquel la délivrance d’autorisations de construire a(vait) été possible ». Il ne s’agissait donc pas d’une simple mesure de police et l’État devait souffrir de se laisser opposer les conséquences du choix du législateur genevois de ne pas avoir adapté le zonage cantonal à l’évolution du droit fédéral. La parcelle en cause, sise en zone constructible selon le droit cantonal, avait été acquise en 1968 par les parents des requérants, qui avaient habité la villa qu’elle supportait. Les requérants avaient hérité de ce bien immobilier en 1999. Le projet de construction qu’ils avaient soumis à l’autorité le 1er juin 2001 s’était heurté à un refus définitif fondé notamment sur l’annexe 5 de l’OPB, entrée en vigueur à cette même date. Dans ces circonstances particulières, la mesure équivalait à un déclassement, ouvrant la voie à une indemnisation pour expropriation matérielle.

47.         Dans une autre affaire, portant sur un cas similaire, le tribunal de céans s’est écarté de la solution retenue par la commission dans la décision précitée, estimant que les mesures instituées par l’art. 22 LPE et mises en œuvre par l’art. 31 et son annexe 5 constituaient des mesures de police au sens strict, « dès lors qu’elles sont destinées à protéger les personnes des nuisances, constitutives d’une menace pour la santé et la tranquillité publiques notamment, causées par l’aéroport et le trafic aérien qu’il génère, et que le danger qu’elles ont pour vocation d’écarter est à la fois immédiat, concret et sérieux » (JTAPI/989/2013 du 16 septembre 2013).

Ce jugement a fait l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative, qui l’a rejeté par arrêt du 19 août 2014 (ATA/641/2014), au motif que les prétentions en indemnisation pour expropriation matérielle étaient prescrites, ce qui a été confirmé ensuite par le Tribunal fédéral (arrêt 1C_460/2014 du 15 juin 2015). La question de la qualification des restrictions de construire issues de l’adoption de l’annexe 5 de l’OPB de mesure de police n’a ainsi pas été tranchée.

48.         Comme le rappelle le Tribunal fédéral dans un arrêt relativement récent (arrêt 2C_254/2021 du 2 mars 2023 consid. 3.2), la doctrine critique depuis longtemps cette pratique liée à l’exclusion de principe de toute indemnisation en cas de mesure de police qu’elle juge trop rigide. Certains auteurs proposent de renoncer aux différenciations entre interventions policières et non policières et de les remplacer par une distinction uniquement basée sur l’intensité de la restriction et sur l’objectif qu’elle poursuit, c’est-à-dire si elle sert plutôt à protéger les propriétaires fonciers concernés ou la collectivité. D’autres estiment qu’une indemnisation n’est généralement pas justifiée lorsqu’il s’agit de la protection contre les dangers naturels ou contre le comportement du propriétaire foncier ou encore de la protection contre les dangers émanant du terrain lui-même. Certains admettent une obligation d’indemnisation lorsque les zones libres de construction visent en premier lieu à protéger des tiers ou la collectivité et que le danger ne provient pas du propre terrain ou de son utilisation ou - même dans le cas de mesures purement policières visant à protéger le terrain concerné - lorsqu’une utilisation légale existante est interdite. La doctrine demande également de prendre en compte les aspects liés à la confiance lors de l’interdiction d’utilisations jusqu’ici licites (sur l’état de la discussion dans la doctrine : arrêt 1C_651/2018 du 4 juin 2019 consid. 4.1, in : ZBI 120/2019 p. 683 ; avec référence à l’arrêt 2C_461/2011 du 9 novembre 2011, in : ZBl 113/2012 p. 617 et DEP 2012 p. 255 ; critiquant toutefois cet arrêt, ARNOLD MARTI, ZBl 113/2012 p. 625 ss).

Dans la doctrine plus récente, on retrouve l’idée que l’impossibilité de construire dans le voisinage immédiat d’un aéroport ou d’une route national constitue une mesure de police, tout en relevant qu’une indemnisation récompenserait en quelque sorte les propriétaires pour un usage excessif de leur droit (Giorgio MALINVERNI/Michel HOTTELIER/Maya HERTIG RANDALL/Alexandre FLÜCKIGER, op.cit., n. 924 ; voir aussi Jean-Baptiste ZUFFEREY, op. cit., n. 395 p. 218). Une interdiction de construire sur des bien-fonds en raison de nuisances sonores excessives est aussi identifiée comme un exemple de restriction de la propriété qui a pour but de protéger directement le propriétaire contre des dangers objectifs découlant de l’utilisation de l’objet, dès lors que cette exposition rend le terrain en question impropre au séjour permanent de personnes, sans égard à la provenance des nuisances (Enrico RIVA, op. cit., n. 219).

La doctrine se montre néanmoins de plus en plus critique quant à l’absence d’indemnisation des atteintes à la propriété visant à éviter que les usagers de l’objet ne soient exposés à des immissions de l’État ou d’une tierce personne, notamment dans le cas d’interdictions de bâtir pour cause de nuisances sonores excessives conformément à la LPE ou à l’OPB (Enrico RIVA, op. cit., n. 220 et les références doctrinales citées ; également Adrian GROSSWEILER, Entschädigung für Lärm von öffentichen Verkehrsanlagen, Thèse Zurich, 2014, p. 345 ss). Une majorité conteste l’approche restrictive du Tribunal fédéral, notamment parce que l’atteinte n’est pas dirigée contre l’auteur du trouble (Adrian GROSSWEILER, op. cit., p. 345 et les références doctrinales citées). Pour certains, les progrès de la technique permettent désormais aux propriétaires de se protéger contre les conséquences de tous les aléas, de sorte qu’en cas de dézonage, une indemnisation pourrait tout de même se justifier pour des motifs d’égalité de traitement ou de protection de la bonne foi (cf. Peter KARLEN, Das Enteignungsrecht zwischen Beständigkeit und Wandel in ZBl 12/2019 p. 658). D’autres auteurs s’interrogent plus largement sur la question de savoir si, au vu des exceptions et contre-exceptions existantes en matière d’expropriation matérielle, il est encore judicieux de maintenir le principe de l’absence d’indemnisation des restrictions à la propriété motivées par des motifs de police ou s’il ne serait pas plus cohérent de distinguer selon les critères de la gravité de l’atteinte et du sacrifice particulier, entre les restrictions à la propriété soumises à indemnisation et celles qui ne le sont pas (Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix ULHMANN, op. cit, n. 2512 ; cf. également Georg MÜLLER, in Commentaire de la Constitution fédérale de la Confédération du 29 mai 1874, Bâle/Berne/Zurich 1987, n. 61 ad art. 22 ter Cst., et Leo SCHÜRMANN/Peter HÄNNI, Planungs-,Bau- und besonderes Umweltschutzrecht, 3e éd., Berne 1995, p. 278, qui se demandent s’il ne conviendrait pas d’appliquer les mêmes critères que pour toutes les autres atteintes aux droits patrimoniaux). Christoph BRANDLI estime que la jurisprudence du Tribunal fédéral est en contradiction avec l’intention du législateur, car lors de l’adoption des art. 22 et 24 LPE, le Conseil fédéral et le législateur étaient conscients que ces dispositions pouvaient entraîner une indemnisation pour expropriation matérielle (Christoph BRANDLI, Protection contre le bruit et aménagement du territoire, Berne 1988, n. 17 ad art. 24 LPE). Pierre MOOR, enfin, suggère d’orienter la jurisprudence fédérale « à partir de l’imputabilité du risque », en ce sens que, s’il est d’origine naturelle (avalanches) ou provient du comportement du propriétaire (maison insalubre ou utilisation d’une nouvelle parcelle menaçant de polluer les eaux), ce n’est pas à la collectivité de supporter les conséquences de la mesure restrictive. En revanche, s’il est causé par une action de la collectivité, c’est à cette dernière d’en assumer les conséquences (Pierre MOOR/Étienne POLTIER, op. cit., p. 900). Piermarco ZEN-RUFFINEN et Christine GUY-ECABERT relèvent à cet égard que, vu les exceptions qu’elle admet (en particulier la correction d’une erreur de planification), la jurisprudence fédérale tend implicitement dans le sens préconisé par Pierre MOOR (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1519 et 1520).

49.         En l’espèce, malgré les critiques récurrentes formulées tant à l’époque qu’aujourd’hui par la doctrine, le Tribunal fédéral continue de maintenir son approche restrictive s’agissant des interdictions de construire fondées sur des motifs de police, ce d’autant plus lorsque de telles mesures visent directement à protéger le propriétaire lui-même. À cela s’ajoute qu’une partie de la doctrine récente continue de qualifier les interdictions de bâtir en raison de nuisances sonores excessives comme des mesures de police. Le tribunal de céans retiendra donc que la mesure litigieuse relève bien du domaine de la police, dans la mesure où elle est destinée à protéger le requérant et les futurs habitants contre des immissions sonores excessives, constitutives d’une menace pour la santé publique, causées par l’aéroport et le trafic aérien qu’il génère, et que le danger qu’elle a pour vocation d’écarter est à la fois concret et sérieux.

Ceci étant, compte tenu des circonstances particulières du cas d’espèce, le tribunal admettra que l’on se trouve dans un cas exceptionnel faisant naître une obligation d’indemniser.

Comme vu précédemment, la mesure en cause porte une atteinte particulièrement grave au droit de propriété du requérant, puisqu’elle interdit totalement la construction sur un terrain classé comme constructible par la planification cantonale, privant ainsi le bien-fonds de sa vocation à bâtir. Par ailleurs, bien que cette restriction de propriété soit justifiée par des motifs de police, elle repose également sur des considérations d’aménagement du territoire. En effet, l’interdiction de construire issue de l’application de l’OPB – qui est une « mesure d’aménagement » au sens de l’art. 5 al. 2 LAT selon la jurisprudence du Tribunal fédéral – vise notamment à mettre en œuvre les principes régissant l’aménagement du territoire, en particulier l’art. 3 al. 3 let. b LAT, qui exige de préserver les lieux d’habitation des atteintes nuisibles ou incommodantes. À cet égard, on ne saurait admettre une prépondérance de l’intérêt de police, dans la mesure où, malgré l’existence d’une charge de bruit excessive, le propriétaire est autorisé à continuer à faire usage de sa parcelle, ce qui est paradoxal pour une mesure destinée à écarter un danger concret et imminent pour la santé du propriétaire. De plus, comme relevé par la commission dans sa décision ACOM/121/2009, jusqu’à l’entrée en vigueur de l’annexe 5 OPB, le statut juridique applicable aux biens-fonds exposés au bruit de l’aéroport a été fluctuant, avec la possibilité d’obtenir des autorisations de construire, ce qui conduit à relativiser la menace que la mesure vise à prévenir.

Il est également important de considérer la nature du danger. S’agissant des nuisances sonores causées par le trafic aérien, la menace pour la santé provient de l’exploitation d’une infrastructure publique, soit une source de danger que la collectivité a créée. L’interdiction de bâtir ne résulte donc pas d’une situation de danger inhérente au terrain, mais des conditions d’exploitation de cette installation publique, qui découlent de choix politiques mettant en balance la protection contre les immissions et les intérêts liés à l’exploitation de l’aéroport. Dans ce contexte, nier l’obligation d’indemnisation en raison du caractère policier de la mesure aboutirait à un résultat choquant, puisque ce sont précisément les intérêts prépondérants liés à l’exploitation de l’installation bruyante qui rendent nécessaire la restriction de propriété motivée par des motifs de police. Dans cette mesure, l’interdiction de construire dans le périmètre de l’AIG en raison des nuisances excessives existantes ne fait que corriger une erreur de planification, dont le requérant ne devrait pâtir.

Une indemnisation se justifie également du fait que le caractère excessif des nuisances aériennes n’est pas inéluctable, mais résulte comme déjà souligné de choix politiques quant à la gestion de l’infrastructure aéroportuaire, lesquels ont une influence directe sur l’étendue territoriale de l’inconstructibilité qui variera en fonction notamment des activités autorisées et des allègements accordés en matière de respect des VLI.

La particularité de l’atteinte liée au bruit du trafic aérien réside également dans le fait que la mesure restrictive n’est pas dirigée contre le perturbateur, détenteur de l’installation dont émane le bruit – soit l’AIG –, mais contre les propriétaires fonciers qui subissent les nuisances, contrairement au principe de causalité (ou du pollueur-payeur) inscrit à l’art. 2 LPE.

Enfin, il faut tenir compte du fait qu’au moment déterminant, à savoir le 1er juin 2001, la parcelle concernée était prête à être construite, puisqu’elle se trouvait dans une zone à bâtir conforme au droit fédéral et pouvait être équipée sans frais disproportionnés. L’interdiction de bâtir a donc entraîné un déclassement de fait, qu’il faut reconnaître comme une exception au principe selon lequel les restrictions de police doivent être admises sans indemnité.

Partant, le tribunal retiendra que les restrictions de propriété découlant de l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OPB constituent une expropriation matérielle donnant lieu à indemnisation s’agissant de la parcelle n° 1______.

Parcelles nos 2______, 3______ et 4______

50.         S’agissant de la condition de l’usage futur proche probable, si le requérant n’a certes à ce jour pas démontré l’intention de réaliser un projet concret, cette condition de l’expropriation matérielle peut également être considérée comme remplie. En effet, comme vu ci-dessus, sous l’angle juridique, les parcelles en cause ont toujours été situées en zone à bâtir, d’abord en zone 5, puis en ZDIA. L’affectation en zone à bâtir est en outre conforme aux exigences du droit fédéral. Par ailleurs, si les parcelles sont certes aujourd’hui en ZDIA, il ne faut pas perdre de vue que, pour l’heure, aucune planification de détail n’est établie et que seule des planifications directrices ont été adoptées. En outre, rien n’amène le tribunal à douter du fait que les parcelles pourraient rapidement être équipées sans nécessiter de travaux importants. À cela s’ajoute que les parcelles sont vierges de construction. En somme, avant l’entrée en vigueur des restrictions litigieuses, la possibilité de réaliser un projet de construction sur les parcelles du requérant ne dépendait que de sa seule volonté, sans qu’il n’existât d’obstacle juridique ou factuel particulier rendant impossible ou difficile à l’excès l’obtention d’une autorisation de construire.

Sous l’angle de l’ampleur de l’atteinte, selon le cadastre de bruit de l’AIG en vigueur, les parcelles nos 2______, 3______ et 4______, alors situées en 5ème zone, sont affectées d’une charge sonore comprise entre 64 et 66 dB(A) de jour, entre 58 et 61 dB(A) en première heure de nuit et entre 53 et 55 dB(A) en deuxième heure de nuit, ce qui dépasse de près de 6 dB(A) les VLI du DS II, de jour comme de nuit. Désormais classées en DS IV, applicable dans les zones industrielles, les VLI sont respectées de jour, mais légèrement dépassées, +1 dB(A), la première heure de la nuit.

La nouvelle affectation en ZDIA a eu pour effet de lever théoriquement l’impossibilité totale de construire sur les parcelles concernées. En effet, si certes la nouvelle affectation en ZDIA ne permet plus de construire des locaux destinés à l’habitat résidentiel, elle permet in fine la réalisation de locaux non sensibles au bruit. Il faut en outre garder à l’esprit que tout propriétaire ne peut pas partir du principe que l’affectation de ses parcelles sera maintenue telle quelle à l’avenir et doit en principe supporter les modifications de la planification sans indemnisation. Un tel déclassement de la zone villas à la ZDIA, à l’intérieur de la zone à bâtir, ne saurait ainsi par principe être considéré comme une restriction grave du droit de propriété.

Reste toutefois à déterminer si les terrains en cause se prêtent encore à une bonne utilisation économique.

En l’occurrence, l’expertise réalisée dans le cadre de la procédure conclut à une perte de valeur totale de 48 % pour les parcelles nos 2______ et 3______ et de 49 % pour la parcelle n° 4______par rapport à la situation initiale. Si certes la mesure de déclassement en ZDIA a eu pour effet de supprimer l’inconstructibilité totale des parcelles, hormis pour l’usage d’habitation, il ne faut pas perdre de vue que les parcelles en cause ne peuvent plus accueillir que des locaux non sensibles au bruit, ce qui a eu pour effet de réduire de manière importante la valeur vénale des biens-fonds, comme l’attestent les conclusions de l’expertise. Il ne peut ainsi pas être soutenu de manière convaincante que le requérant conserverait un usage conforme à la destination, économiquement rationnel et de qualité de ses parcelles, vu l’ampleur de la restriction apportée. Cette restriction au droit de propriété du requérant doit donc être qualifiée de grave.

Dans ces circonstances, le tribunal retiendra que les deux conditions positives cumulatives de l’ampleur et de l’intensité de l’atteinte sont en l’espèce également remplies s’agissant des parcelles nos 2______, 3______ et 4______, ouvrant la voie à une indemnisation pour expropriation matérielle.

51.         Le droit du requérant d’obtenir une indemnité pour expropriation matérielle étant reconnu dans son principe, il s’agit maintenant de déterminer le montant de cette indemnité.

52.         L’art. 5 al. 2 LAT et l’art. 26 al. 2 Cst. prescrivent l’obligation de verser une indemnité complète pour l’expropriation (cf. à ce sujet ATF 127 I 185 consid. 4 p. 190 s. avec renvois ; voir aussi art. 14 LEx-GE et 34 al. 2 de la Constitution de la République et canton de Genève du 14 octobre 2012 - Cst-GE -A 2 00). Le propriétaire foncier ne doit pas subir de perte du fait de l’expropriation, mais il ne doit pas non plus réaliser de gain ; il doit être placé dans la même situation économique que si l’expropriation n’avait pas eu lieu (cf. ATF 122 I 168 consid. 4b/aa p. 177 avec renvois ; Jacques DUBEY, op. cit., ad. art. 26 Cst. n. 136 ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1529 ; Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 233). L’indemnité pour une expropriation matérielle se calcule en règle générale selon la méthode de la différence, en comparant la valeur vénale de l’immeuble concerné avant la restriction de propriété avec celle après l’intervention (cf. ATF 122 II 326 consid. 6c/bb p. 335 ; 114 Ib 174 consid. 3a p. 177). La valeur vénale correspond au produit qui aurait pu être objectivement obtenu en cas de vente sur le marché libre au jour de référence (cf. ATF 122 II 246 consid. 4a p. 250). Le cas échéant, d’autres inconvénients, tels que les dépenses devenues inutiles pour la planification ou des travaux comparables, doivent également être indemnisés ; à cet égard, la protection constitutionnelle de la confiance légitime selon l’art. 9 Cst. et la garantie de la propriété selon l’art. 26 Cst. doivent être intégrées comme base juridique (cf. ATF 119 Ib 229 consid. 4a p. 237 ; arrêt 1C_487/2009 du 10 août 2010 consid. 8.1).

53.         En cas d’expropriation formelle, la jurisprudence admet qu’au lieu d’une indemnité calculée sur la base de la valeur vénale ou de la moins-value correspondante, le préjudice dit subjectif soit indemnisé. Cela suppose que l’intérêt financier du propriétaire à continuer d’utiliser son bien-fonds soit plus important que celui de le vendre dans le commerce libre. Lors du calcul du préjudice subjectif, on détermine concrètement les pertes subies par le propriétaire du fait de l’expropriation. Lors de l’évaluation de la valeur vénale ou de la moins-value et du dommage subjectif, il convient de distinguer soigneusement les hypothèses correspondantes - soit l’immeuble serait vendu, soit le propriétaire le conserverait (cf. ATF 113 Ib 39 E. E. 2a p. 41 s. ; arrêt 1C_2/2014 du 4 avril 2014 consid. 2.2, in : RtiD 2014 II 280). Il convient en outre de rappeler que la réparation du dommage subjectif comprend également les autres inconvénients ou inconvenances (cf. ATF 112 Ib 514 consid. 2 p. 518).

54.         La fixation de l’indemnité obéit en principe aux mêmes règles en cas d’expropriation formelle et matérielle (cf. Peter HÄNNI, Planungs-, Bau- und besonderes Umweltschutzrecht, 6e éd. 2016, p. 650 ; Ulrich HÄFELIN/Georg MÜLLER/Felix UHLMANN, Allgemeines Verwaltungsrecht, 7e éd. 2016, N. 2493 ; Pierre TSCHANNEN/Ulrich ZIMMERLI/Markus MÜLLER, Allgemeines Verwaltungsrecht, 4e éd. 2014, § 65 N. 29). Il n’est pas exclu, même en cas d’expropriation matérielle, de déterminer l’indemnité sur la base du préjudice subjectif. Cela suppose toutefois que ce préjudice présente un lien étroit avec une valeur foncière juridiquement garantie. Ainsi, dans un cas plus ancien, le Tribunal fédéral a protégé l’application des règles de calcul du préjudice subjectif dans le cas d’une expropriation matérielle suivie d’une expropriation formelle. Il s’agissait d’un terrain dézoné avec une servitude de droit de superficie, qui avait de ce fait une valeur plus élevée pour le propriétaire que la valeur vénale dans l’ancienne zone (cf. ATF 112 Ib 514 consid. 2 p. 517 s.).

55.         Le dommage correspond à la différence entre l’état actuel du patrimoine et celui qui existerait sans le fait dommageable (cf. ATF 144 III 155 consid. 2.2 p. 157 avec renvois). La réparation du gain manqué est due selon les principes du droit de la responsabilité civile lorsqu’il s’agit d’un gain habituel ou d’un gain dont on peut être certain d’une autre manière (ATF 132 III 379 consid. 3.3.3 p. 384 avec renvois). L’adéquation du lien de causalité joue un rôle particulier dans le calcul du dommage dans le cadre d’une expropriation matérielle dans la mesure où des facteurs fixes de dépréciation, dont l’effet est indépendant de l’intervention assimilable à une expropriation, doivent être déduits de la valeur vénale (cf . ATF 97 I 112 consid. 3b p. 115 ; Enrico RIVA, op. cit., n. 239 ad art. 5 LAT).

56.         Dans la mesure du possible, il faut se fonder sur les prix qui ont déjà été payés dans d’autres cas, pour des objets de même genre et dans une situation semblable (méthode comparative ou statistique) (Enrico RIVA, op. cit., ad. art. 5 LAT n. 231 ss les références citées ; Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1532). La méthode comparative ou statistique doit être appliquée à l’estimation du prix du terrain (sans les bâtiments). Cette méthode prescrit au juge de l’expropriation de rechercher parmi les transactions récentes - à savoir celles qui sont intervenues peu avant le « dies aestimandi » - qui ont eu lieu dans la région les prix payés pour des fonds de même nature, de même qualité, de même situation (cf. ATF 115 Ib 408 consid. 2, ATF 114 Ib 286 consid. 7; cf. HEINZ HESS/HEINRICH WEIBEL, Das Enteignungsrecht des Bundes, vol. I, Berne 1986, n. 80 ss ad art. 19; PIERRE MOOR, Droit administratif, vol. III, Berne 1992, p. 417).

En l’occurrence, les transactions postérieures à l’été 2001, de même que celles qui portent sur des terrains situés dans d’autres communes, même également soumises aux nuisances de l’aéroport, sont sans pertinence.

57.         La « pleine valeur vénale » du bien exproprié correspond au prix de vente qui aurait objectivement pu être obtenu sur le marché, au jour déterminant, par une aliénation privée (ATF 122 II 246 consid. 4a et les références citées). Cette pleine valeur vénale doit être fixée selon des critères objectifs, soit en tenant compte de tous les éléments de fait et de droit qui seraient pris en considération par des acheteurs potentiels. Les éléments de nature juridique relèvent des réglementations de droit public qui définissent les utilisations légales possibles du bien exproprié. Les éléments de fait sont tous ceux qui, par leur nature, influent sur le prix de l’objet visé : la situation de cet objet (notamment sur le plan géographique, en fonction de l’usage qui en est fait) et ses qualités intrinsèques (bien-fonds équipé ou non, terrain stable ou non) (Jean-Marc SIEGRIST, L’estimation des biens expropriés, in Thierry TANQUEREL/François BELLANGER, La maîtrise publique du sol : expropriation formelle et matérielle, préemption, contrôle du prix, 2009, p. 44 ss).

58.         Le montant du dommage est calculé en fonction de l’état de fait existant au moment de l’entrée en vigueur de la restriction du droit de propriété; c’est à ce moment-là que les valeurs vénales du biens-fonds (avant et après restriction) sont estimées. Cette date, qui relève du droit fédéral, est contraignante. La date déterminante retenue peut désavantager le propriétaire lorsque la collectivité conteste l’existence d’une expropriation, que la procédure dure longtemps et que, dans l’intervalle, les prix des terrains ont considérablement augmenté. Dans ce cas, il faut compenser ce désavantage par l’attribution d’une indemnité dépassant le montant des intérêts ou par le report de la date de calcul (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1534 s.)

59.         L’indemnité comprend un capital et son intérêt (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1527). L’intérêt est calculé à partir du jour où l’exproprié a interpellé l’expropriant ou dès qu’il a manifesté de manière non équivoque son intention de se faire indemniser. Il court, au plus tôt, dès l’entrée en force de la mesure constitutive d’expropriation (Piermarco ZEN-RUFFINEN/Christine GUY-ECABERT, op. cit., n. 1536). Pour faire valoir sa demande d’indemnisation et de versement d’intérêts, l’ayant droit n’est pas tenu au respect d’une forme particulière; la demande ne doit pas non plus être adressée au juge. La seule exigence existante est que la collectivité ne puisse avoir aucun doute sur la volonté du propriétaire d’obtenir une indemnité. Une lettre demandant le versement d’une indemnité suffit, même lorsque cette demande n’est faite que pour le cas où l’interdiction de bâtir ne serait pas annulée (Enrico RIVA, op. cit., ad art. 5 n 248.).

60.         Les cantons sont compétents pour fixer le taux d’intérêts dans les limites de la garantie de la propriété. À Genève, l’art. 81E LEx‑GE prévoit que l’indemnité définitive porte intérêt au taux fixé en application de l’art. 76 al. 5 LEx, dès le jour de la prise de possession anticipée ou dès la demande d’expropriation consécutive à l’entrée en vigueur d’une mesure constitutive d’expropriation matérielle. Le Tribunal administratif fédéral (ci-après: TAF) a édicté une instruction sur la fixation du taux d’intérêt usuel au sens de l’art. 76 anc. al. 5 LEx (cf. décision du 9 novembre 2009 de la Cour I, chambre I, intérêt au taux usuel ; consultable sur https://www.bvger.ch > Le Tribunal > Les missions du Tribunal administratif fédéral > Surveillance > Intérêt au taux usuel). Le taux d’intérêt usuel prévu aux art. 19bis al. 4, 76 al. 5 et 88 al. 1 LEx correspond au taux d’intérêt de référence applicable aux contrats de bail publié sur le site internet de l’office fédéral du logement (cf. www.bwo.admin.ch > Droit du bail > Taux de référence > Evolution du taux de référence et du taux d’intérêt moyen ; arrêts du TAF A-862/2021 du 6 juillet 2022 consid. 7.7.1 et les références citées). L’intérêt est dû jusqu’au moment où l’indemnité d’expropriation est payée à l’exproprié (arrêt du TAF A-862/2021 du précité consid. 7.7.2).

61.         En l’espèce, les expertes ont procédé au calcul de la variation de valeur résultant de l’inconstructibilité, en estimant la valeur vénale des immeubles avant et après l’entrée en vigueur des mesures d’aménagement litigieuses, conformément à la pratique en la matière. Afin de déterminer la valeur des bien-fonds, elles ont appliqué la méthode de la valeur intrinsèque, composée de la valeur résiduelle du bâti et de la valeur du terrain, et se sont appuyées sur une analyse des transactions intervenues en zone villas entre 2000 et 2001 et entre 2007 et 2008 pour fixer un prix au m2, lequel a été confirmé en audience, étant rappelé que le tribunal n’a pas de motif raisonnable de mettre en doute leurs postulats d’analyse et leurs conclusions, lesquels ont été dûment explicités tant dans leurs expertises que lors de leurs auditions.

En l’occurrence, les expertes retiennent une valeur vénale initiale, au 31 mai 2001, soit avant l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OPB, de CHF 3’650’000.- pour la parcelle n° 1______, de CHF 2’460’000.- pour les parcelles nos 2______ et 3______ et de CHF 2’220’000.- pour la parcelle n° 4______. Elles retiennent ensuite une valeur vénale de CHF 150’000.- pour la parcelle n° 1______ au 1er juin 2001, suite à l’entrée en vigueur de l’annexe 5 de l’OPB, respectivement de CHF 1’270’000.- pour les parcelles n° 2______ et 3______ et de CHF 1’140’000.- pour la parcelle n° 4______au 14 novembre 2008, suite à l’entrée en vigueur de la mesure de déclassement en ZDIA. En définitive, il découle de l’expertise que la moins-value s’élève à CHF 3’500’000.- la parcelle n° 1______, à CHF 1’190’000.- pour les parcelles nos 2______ et 3______ et à CHF 1’080’000.- pour la parcelle n° 4______.

L’objectif de l’indemnisation pour expropriation matérielle étant de replacer le propriétaire concerné dans la situation qui était la sienne avant l’entrée en vigueur de la mesure litigieuse, il convient d’arrêter le montant de l’indemnisation à CHF 3’500’000 pour la parcelle n° 1______, lequel correspond à la moins-value éprouvée.

Ce montant porte intérêts à compter du 30 mai 2006, date à laquelle le requérant a sollicité pour la première fois une indemnisation de l’État et de l’AIG pour expropriation matérielle, comme suit :

-          5% l’an du 30 mai 2006 au 31 décembre 2009 ;

-          3% l’an du 1er janvier 2010 au 1er décembre 2010 ;

-          2.75 % l’an du 2 décembre 2010 au 1er décembre 2011 ;

-          2.5% l’an du 2 décembre 2011 au 1er juin 2012 ;

-          2.25% l’an du 2 juin 2012 au 2 septembre 2013 ;

-          2% l’an du 3 septembre 2013 au 1er juin 2015 ;

-          1.75% l’an du 2 juin 2015 au 1er juin 2017 ;

-          1.5% l’an du 2 juin 2017 au 2 mars 2020 ;

-          1.25% l’an du 3 mars 2020 au 1er juin 2023 ;

-          1.5 % l’an du 2 juin 2023 au 1er septembre 2023 ;

-          1.75 % l’an à compter du 2 décembre 2023, sous réserve d’une évolution ultérieure de ce taux, jusqu’au moment où l’indemnité d’expropriation est payée au requérant.

Le montant de l’indemnisation sera arrêté à CHF 1’190’000.- pour les parcelles nos 2______ et 3______, et à CHF 1’080’000.- pour la parcelle n° 4______.

Ces montants portent intérêts à compter de l’entrée en vigueur du déclassement, soit le 14 novembre 2008, comme suit :

-          5% l’an du 14 novembre 2008 au 31 décembre 2009 ;

-          3% l’an du 1er janvier 2010 au 1er décembre 2010 ;

-          2.75 % l’an du 2 décembre 2010 au 1er décembre 2011 ;

-          2.5% l’an du 2 décembre 2011 au 1er juin 2012 ;

-          2.25% l’an du 2 juin 2012 au 2 septembre 2013 ;

-          2% l’an du 3 septembre 2013 au 1er juin 2015 ;

-          1.75% l’an du 2 juin 2015 au 1er juin 2017 ;

-          1.5% l’an du 2 juin 2017 au 2 mars 2020 ;

-          1.25% l’an du 3 mars 2020 au 1er juin 2023 ;

-          1.5 % l’an du 2 juin 2023 au 1er septembre 2023 ;

-          1.75 % l’an à partir du 2 décembre 2023, sous réserve d’une évolution ultérieure de ce taux, jusqu’au moment où les indemnités d’expropriation sont payées au requérant.

62.         Au surplus, le tribunal laisse le soin aux parties de procéder selon les modalités prévues par les art. 77 ss LEx-GE, notamment s’agissant de la réquisition de la mention au registre foncier du versement de l’indemnité pour expropriation matérielle telle que prévue par l’art. 30F al. 2 LaLAT.

63.         Les frais de la procédure sont supportés par l’expropriant et arrêtés dans la décision (art. 60 al. 1 LEx-GE). Toutefois, en cas d’abus de la part de l’exproprié, le tribunal peut, d’office ou à la demande de l’expropriant, mettre une partie ou la totalité des frais à la charge de l’exproprié (art. 60 al. 2 LEx-GE). Le tribunal peut allouer aux expropriés, auxquels la procédure d’expropriation a occasionné des frais (entre autres honoraires d’avocats), une indemnité équitable à titre de dépens, dont le montant est déterminé dans la décision (art. 60 al. 3 LEx-GE). La LPA s’applique (art. 61A LEx-GE).

64.         Compte tenu la particularité du cas d’espèce liée à la réalisation conjointe de sept expertises judiciaires dans le cadre des sept procédures « pilotes » sélectionnées d’entente entre les parties lors de l’audience du 4 février 2013, il convient de répartir les frais de procédure équitablement en fonction de l’issue de chacune des sept procédures, sur la base d’une répartition équivalente à un septième du montant total des frais d’expertise de la société O______ SA, qui s’élèvent à CHF 21’540.-, soit CHF 3’077.15 par procédure.

65.         En l’espèce, en application de l’art. 60 al. 1 LEx-GE, les frais liés à la présente procédure, soit CHF 3’077.15, seront mis entièrement à la charge de l’État de Genève et de l’AIG, pris conjointement et solidairement ; ils sont couverts par les avances de frais, d’un montant total de CHF 25’000.-, versées par les intimés pour l’ensemble des sept procédures « pilotes » dans le cadre de l’expertise de la société O______ SA, soit CHF 3’571.40 pour la présente procédure. Le solde de CHF 494.25 leur sera restitué.

66.         Une indemnité de procédure de CHF 7’000.- sera mise à la charge de l’État de Genève et de l’AIG, conjointement et solidairement, en faveur du requérant.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable la requête formée le 27 mai 2011 par Monsieur A______ ; 

2.             l’admet partiellement ;

3.             fixe le montant de l’indemnité due par l’ÉTAT DE GENÈVE et l’AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE, pris conjointement et solidairement, à Monsieur A______ à CHF 3’500’000.- pour la parcelle n° 1______, à CHF 1’190’000.- pour les parcelles nos 2______ et 3______ et à CHF 1’080’000.- pour la parcelle n° 4______.-. Ces indemnités portent intérêts conformément au considérant 66 ;

4.             met à la charge de l’ÉTAT DE GENÈVE et de l’AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE, pris conjointement et solidairement, un émolument de CHF 3’077.15, lequel est couvert par les avances de frais ;

5.             ordonne la restitution à l’ÉTAT DE GENÈVE et à l’AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE du solde des avances de frais, soit CHF 494.25 ;

6.             condamne l’ÉTAT DE GENÈVE et l’AÉROPORT INTERNATIONAL DE GENÈVE, pris conjointement et solidairement, à verser à Monsieur A______ une indemnité de procédure de CHF 7’000.- ;


 

7.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l’objet d’un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L’acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d’irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant : Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Michel GROSFILLIER et Diane SCHASCA, juges assesseurs.

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière