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Décisions | Tribunal administratif de première instance

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A/3599/2023

JTAPI/630/2024 du 24.06.2024 ( ICC ) , REJETE

ATTAQUE

Descripteurs : EMBARGO;SANCTION INTERNATIONALE;IMPÔT SUR LA FORTUNE;RUSSIE
Normes : LEmb.2
En fait
En droit
Par ces motifs

république et

canton de genève

POUVOIR JUDICIAIRE

A/3599/2023 ICC

JTAPI/630/2024

 

JUGEMENT

DU TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

du 24 juin 2024

 

dans la cause

 

Monsieur A______

 

contre

ADMINISTRATION FISCALE CANTONALE

 


 

EN FAIT

1.             Le litige concerne la taxation cantonale 2022 de Monsieur A______

2.             Dans sa déclaration fiscale 2022, le contribuable a mentionné des avoirs détenus auprès de B______ à C______ (RUS), sans indiquer toutefois de valeur imposable, ni de rendement.

Dans une lettre annexée, il a expliqué qu’il n’avait pas perdu la propriété de ces fonds, mais ne pouvait pas en disposer librement, en raison des mesures de blocage à l’encontre de B______ prises par le secrétariat d’État à l’économie (ci-après : SECO).

3.             Donnant suite à une demande de renseignements de l’administration fiscale cantonale (ci-après : AFC-GE) du 24 mai 2023, le contribuable a répondu, le 17 juin suivant, que B______ n’émettait pas de relevé fiscal, mais un simple état de ses comptes à la date de clôture de chaque exercice fiscal.

En annexe était produit un document établi par B______ et rédigé en russe.

4.             Le 19 juillet 2023, le contribuable a expliqué à l’AFC-GE qu’au 31 décembre 2022, il détenait auprès de B______ des avoirs s’élevant à RUB 82'327'356.-, ce qui équivalait à CHF 1'032'097.95. En outre, il avait perçu des revenus se montant à RUB 2'168'539.-.

5.             Par bordereau d’ICC du 18 août 2023, l’AFC-GE a taxé le contribuable pour l’année 2022, en ajoutant à sa fortune et à son revenu les avoirs et leurs revenus qu’il détenait auprès de B______.

6.             Le 16 septembre 2023, le contribuable a élevé réclamation à l’encontre de ce bordereau.

En février 2022, le Conseil fédéral avait repris les sanctions de l’Union européenne contre la Russie. Depuis juin 2022, sa banque, D______, aurait refusé l’arrivée et le crédit de fonds en provenance de B______. Il ne pouvait dès lors plus disposer librement de ses avoirs. Leur valeur vénale était ainsi nulle.

7.             Par décision du 24 octobre 2023, l’AFC-GE a rejeté la réclamation. Conformément aux dispositions légales en vigueur, sa créance envers B______ (CHF 1'032'098), ainsi que le revenu tiré de celle-ci (CHF 27'484.-) constituaient une fortune, respectivement un revenu, qui étaient imposables.

8.             Par acte du 2 novembre 2023, le contribuable a interjeté recours devant le Tribunal administratif de première instance (ci-après : le tribunal) à l’encontre de cette décision en demandant d’être taxé conformément à sa déclaration fiscale.

Depuis la décision des autorités fédérales prises les 28 février et 2 mars 2022, ses fonds déposés auprès de B______ n’étaient plus disponibles. Il ne pouvait plus effectuer de transactions vers des banques suisses. Ces mesures étaient contraires à la Constitution.

9.             Dans sa réponse du 9 janvier 2024, l’AFC-GE a conclu au rejet du recours.

Le fait que le contribuable ne puisse pas disposer de ses avoirs comme il l’entendait ne constituait pas un critère relevant. L’on voyait mal en quoi sa fortune et ses rendements serait nulle du simple fait qu’il ne pourrait pas en disposer librement.

10.         Par réplique du 14 janvier 2024, le contribuable a maintenu son recours, rappelant que sa fortune devait être évaluée à la valeur vénale, ce que n’avait pas fait l’AFC-GE.

11.         Par écritures des 9 février et 5 mars 2024, l’AFC-GE et le recourant ont campé sur leurs positions respectives.

12.         Les arguments des parties seront repris, ci-après, dans la mesure utile.

EN DROIT

1.             Le Tribunal administratif de première instance connaît des recours dirigés, comme en l’espèce, contre les décisions sur réclamation de l’administration fiscale cantonale (art. 115 al. 2 et 116 al. 1 de la loi sur l’organisation judiciaire du 26 septembre 2010 - LOJ - E 2 05 ; art. 49 de la loi de procédure fiscale du 4 octobre 2001 - LPFisc - D 317).

2.             Interjeté en temps utile et dans les formes prescrites devant la juridiction compétente, le recours est recevable au sens de l'art. 49 LPFisc.

3.             Le recourant conteste l’imposition des avoirs qu’il détient auprès de B______, ainsi que leur rendement.

4.             L’art. 23 de la loi sur l'imposition des personnes physiques du 27 septembre 2009 (LIPP - D 3 08) pose le principe de l’imposabilité des rendements de la fortune mobilière.

5.             Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (arrêt 2C_710/2017 du 26 octobre 2018 consid. 5.3 et les réf.), un revenu est considéré comme réalisé lorsqu'une prestation est faite au contribuable ou que ce dernier acquiert une prétention ferme sur laquelle il a effectivement un pouvoir de disposition. La réalisation suppose un titre juridique ferme, qui peut consister en l'acquisition d'une prétention ou en l'acquisition de la propriété. L'acquisition de la prétention précède en principe la prestation en argent. En règle générale, l'acquisition d'une prétention est déjà qualifiée de revenu dans la mesure où son exécution ne paraît pas incertaine. Ce n'est que si cette exécution paraît d'emblée peu probable que le moment de la perception réelle de la prestation est pris en considération.

Le caractère incertain de l'exécution de la créance ne saurait être reconnu qu'en cas d'insolvabilité du débiteur. L'incertitude sur la capacité du débiteur à honorer sa dette doit certainement être admise lorsque ce dernier est insolvable. Elle devra l'être également lorsque le débiteur est récalcitrant (arrêt du Tribunal fédéral 2C_1035/2020 du 12 novembre 2021 consid. 5.2).

6.             Sont soumis à l'impôt sur la fortune les dépôts bancaires (art. 47 let. LIPP).

La fortune est estimée à la valeur vénale (art. 14 al. 1, 1ère phr. de la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes du 14 décembre 1990 - LHID - RS 642.14 ; art, 49 al. 2 LIPP).

Pour les créances, l’évaluation de la valeur vénale se fonde sur le principe dit de la valeur nominale, de sorte qu’elles sont soumises à l’impôt sur la fortune à concurrence du montant total de la créance, à moins que la probabilité de perte ne nécessite un abattement (Hannes TEUSCHER, Frank LOBSIGER in Martin ZWEIFEL, Michael BEUSCH, Bundesgesetz über die Harmonisierung der direkten Steuern der Kantone und Gemeinden, 4ème édition, 2022, art. 14, n. 8, p. 456 ; arrêt du Tribunal fédéral 2C_565/2007 du 15 janvier 2008, consid. 4.2).

7.             Le 4 mars 2022, le Conseil fédéral a promulgué l’ordonnance instituant des mesures en lien avec la situation en Ukraine (RS 946.231.176.72 – ci-après : l’ordonnance), en application de l’art. 2 de la loi fédérale sur les embargos du 22 mars 2002 (LEmb – RS 946.231).

À teneur de l’art. 15 al. 1 de l’ordonnance, sont gelés les avoirs et les ressources économiques qui sont la propriété ou sous le contrôle, direct ou indirect :

a.    des personnes physiques, entreprises et entités visées à l’annexe 8 ;

b.    des personnes physiques, entreprises et entités agissant au nom ou selon les instructions de personnes physiques, entreprises ou entités visées à la let. a ;

c.    des entreprises et entités qui sont la propriété ou sous le contrôle de personnes physiques, entreprises ou entités visées à la let. a ou b.

L’art. 15 al. 2 de l’ordonnance prévoit qu’il est interdit de fournir des avoirs aux personnes physiques, entreprises et entités visées à l’al. 1 ou de mettre à leur disposition, directement ou indirectement, des avoirs ou des ressources économiques.

Par ailleurs, l’art. 24a al. 1 let. a de l’ordonnance dispose qu’il est interdit de participer directement ou indirectement à toute transaction avec une banque, une entreprise ou une entité sise en Fédération de Russie visée à l’annexe 15.

8.             Sur le site internet du SECO figurent les versions actualisées des annexes 2, 8 à 15 et 25 de l’ordonnance.

Le 2 mars 2023, B______ a été ajoutée à la liste des entités faisant l’objet des sanctions (état de l’ordonnance au 1er mars 2023, avec entrée en vigueur le lendemain, p. 34).

9.             En l’espèce, au 31 décembre 2022, B______ ne faisait pas encore l’objet de sanctions de la part de la Suisse. En effet, les mesures prévues par l’ordonnance ne sont entrées en vigueur à l’égard de cette banque qu’à compter du 2 mars 2023. Certes, le contribuable prétend que depuis le mois de juin 2022 déjà, sa banque, D______, refusait l’arrivée et le crédit de fonds en provenance de B______. Il ne produit toutefois aucune pièce apte à démontrer cette allégation. Au surplus, il aurait également pu tenter de récupérer ses fonds par l’intermédiaire d’une banque tierce.

Il convient donc de retenir qu’au 31 décembre 2022, date déterminante pour l’évaluation de l’impôt sur la fortune (art. 49 al. 1 LIPP), l’intéressé était en mesure de disposer librement de ses avoirs déposés auprès de B______, ainsi que de leur rendement. C’est dès lors à juste titre que l’AFC-GE les a imposés.

Pour le surplus, les montants de revenu et de fortune sur lesquels il a été taxé ne sont pas contestés par lui. Ils correspondent, d’ailleurs, à ceux qu’il a communiqués à l’AFC-GE dans sa lettre du 19 juillet 2023.

10.         Au vu de ce qui précède, le recours doit être rejeté.

11.         En application des art. 144 al. 1 LIFD, 52 al. 1 LPFisc, 87 al. 1 de la loi sur la procédure administrative du 12 septembre 1985 (LPA - E 5 10) et 1 et 2 du règlement sur les frais, émoluments et indemnités en procédure administrative du 30 juillet 1986 (RFPA - E 5 10.03), le recourant, qui succombe, est condamné au paiement d’un émolument s'élevant à CHF 700.- ; il est couvert par l’avance de frais versée à la suite du dépôt du recours.

Aucune indemnité de procédure ne sera allouée (art. 87 al. 2 LPA).

 


PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PREMIÈRE INSTANCE

1.             déclare recevable le recours interjeté le 2 novembre 2023 par Monsieur A______ contre la décision sur réclamation de l'administration fiscale cantonale du 24 octobre 2023 ;

2.             le rejette ;

3.             met à la charge de Monsieur A______ un émolument de CHF 700.-, lequel est couvert par l'avance de frais ;

4.             dit qu’il n’est pas alloué d’indemnité de procédure ;

5.             dit que, conformément aux art. 132 LOJ, 62 al. 1 let. a et 65 LPA, le présent jugement est susceptible de faire l'objet d'un recours auprès de la chambre administrative de la Cour de justice (10 rue de Saint-Léger, case postale 1956, 1211 Genève 1) dans les 30 jours à compter de sa notification. L'acte de recours doit être dûment motivé et contenir, sous peine d'irrecevabilité, la désignation du jugement attaqué et les conclusions du recourant. Il doit être accompagné du présent jugement et des autres pièces dont dispose le recourant.

Siégeant: Sophie CORNIOLEY BERGER, présidente, Pascal DE LUCIA et Philippe FONTAINE, juges assesseurs.

 

Au nom du Tribunal :

La présidente

Sophie CORNIOLEY BERGER

 

Copie conforme de ce jugement est communiquée aux parties.

Genève, le

 

La greffière